Décisions de la Cour fédérale

Informations sur la décision

Contenu de la décision

Date : 20120413


Dossier : IMM-2736-11

Référence : 2012 CF 430

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Toronto (Ontario), le 13 avril 2012

En présence de monsieur le juge Campbell

 

ENTRE :

 

ERMAL DADO

 

 

 

demandeur

 

et

 

 

 

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L’IMMIGRATION

 

 

défendeur

 

 

 

 

 

         MOTIFS DE L’ORDONNANCE ET ORDONNANCE

 

[1]               La présente demande concerne un jeune citoyen de l’Albanie, qui sollicite la qualité de personne à protéger contre le risque de préjudice grave dans l’éventualité où il serait obligé de retourner en Albanie. Le demandeur était arrivé au Canada en novembre 2008 et avait présenté une demande d’asile fondée sur sa crainte d’un autre jeune homme, qui, après l’avoir menacé et avoir tenté de lui extorquer de l’argent, avait fait l’objet d’une enquête policière et avait été mis en accusation, libéré sous caution, puis renvoyé à procès.

 

[2]               La question litigieuse soulevée par la présente demande est de savoir si le conseil et le commissaire de la Section de la protection des réfugiés (la SPR) avaient compris que la demande d’asile du demandeur était fondée sur une vendetta, un sujet à propos duquel il existe un litige actuel quant à la disponibilité de la protection de l’État. Le dossier, y compris les déclarations du demandeur et les prétentions soumises à la SPR, ne contient aucune mention d’une vendetta. En fait, la décision faisant l’objet du contrôle judiciaire n’évoque pas de vendetta. Cependant, il existe deux éléments de preuve qui étayent la prétention que toutes les parties concernées comprenaient que la demande d’asile du demandeur était fondée sur une vendetta.

 

[3]               En premier lieu, l’avocat du demandeur, au cours de sa plaidoirie, a demandé la possibilité de faire la preuve de ce qui n’est pas apparent à la lecture du dossier. Cette possibilité lui a été accordée, et, par conséquent, il a déposé en preuve l’affidavit suivant, souscrit par Me David P. Yerzy, l’avocat ayant représenté le demandeur devant la SPR :

[traduction]

 

J’ai représenté de nombreux clients Albanais, dans non moins de 20 affaires relatives à des vendettas. La [SPR] est bien au courant que les vendettas constituent un problème réel et grave en Albanie. Tous les commissaires connaissent ce phénomène.

 

J’ai comparu devant M. Cliff Berry à de nombreuses reprises pour des affaires relatives à des vendettas. Je suis bien conscient qu’il est commissaire depuis fort longtemps et qu’il possède une vaste expérience des affaires concernant des Albanais.

 

Je crois qu’il est bien conscient du phénomène des vendettas. Je ne crois pas qu’il soit nécessaire de le lui expliquer. J’ai effectivement pu constater, et d’autres conseils m’ont confirmé, que M. Cliff Berry rejetait les affaires relatives à des vendettas albanaises, au motif que les victimes des vendettas pouvaient obtenir la protection de l’État.

 

J’ai aussi eu des cas où M. Berry avait conclu que les victimes de violence familiale pouvaient obtenir la protection de l’État.

 

Je me souviens très bien de l’affaire concernant Ermal Dado. Je l’ai en effet représenté pour sa demande d’asile, et M. Cliff Berry était le commissaire ayant instruit l’affaire. Puisque je savais que M. Cliff Berry connaissait les affaires de vendettas albanaises, et comment il les comprenait, je me suis surtout concentré à protéger la crédibilité du demandeur d’asile et à établir que la protection de l’État ne pouvait être offerte dans cette affaire, en raison de la corruption.

 

Je déclare aussi que le commissaire avait, dans mon esprit, bien cerné la question en se concentrant sur l’enquête policière. Étant donné qu’il s’intéressait à l’enquête de la police, et que je connaissais bien son opinion au sujet de la protection de l’État, j’ai emboîté le pas et j’ai seulement abordé ces questions. 

 

J’ai mentionné que la présente affaire était fondée sur l’article 97, parce qu’il avait été établi auparavant que, dans le contexte albanais, les conflits, y compris les vendettas, ne sont pas visés par l’article 96 de la LIPR. Je ne pouvais alléguer, en réponse, des motifs prévus à l’article 96.

 

L’avocat du défendeur a eu l’occasion d’interroger Me Yerzy sur son affidavit, mais il a choisi de ne pas le faire.

 

[4]               De plus, le dossier du tribunal contient deux lettres d’attestation. Une lettre d’attestation est un document qui confirme si une vendetta a bel et bien eu lieu (voir : cahier de la jurisprudence et de la doctrine du demandeur, onglet 1, p. 5). La première attestation est ainsi formulée :

[traduction]

 

Les présentes attestent que M. Ermal Jorgo Dado, né le 1987-04-08, est un résident du secteur « Hajro Cakerri », route Sulejman Delvina, Vlorë. 

 

Nous attestons également que, le 2008-10-03, ce citoyen a été impliqué dans un conflit avec M. Klajdi Spaho, du même âge, pour une raison banale. Ce dernier a fait feu en sa direction, et la police a par conséquent arrêté et détenu Klajdi Spahaj et son ami, Klaudio Kulaj. La police a ensuite commencé une affaire criminelle contre eux pour menaces et possession illégale d’armes à feu.

 

À titre de gouvernement local, nous avons avisé la famille Dado de garder leur fils à l’écart, jusqu’à ce que cette affaire soit définitivement réglée, dans le but d’éviter tout incident pouvant causer des problèmes à la famille Dado ainsi qu’à la collectivité où elle vit.

 

La présente attestation est délivrée à leur demande.

 

(Dossier certifié du tribunal, p. 113)

 

La deuxième attestation se lit ainsi :

 

Les présentes attestent que M. Ermal Jorgo Dado, né le 1987-04-08, est un résident de « Hajro Cakerri », route Sulejman Delvina, Vlorë.  

 

Le 2008-10-03, ce citoyen a été impliqué, pour une raison banale, dans un conflit avec Klajdo Spahaj, qui est du même âge que lui, et ce dernier a fait feu en sa direction.  

 

La police a été appelée sur le champ et a mis en détention Klajdi Sahaj et son ami, Klaudio Kulaj.

 

Notre mission a vérifié les renseignements et est intervenue en envoyant des missionnaires de réconciliation, mais l’affaire est maintenant entre les mains de la justice et du droit.

 

Notre mission a un plan concret pour réconcilier ces jeunes hommes et leurs familles respectives.

 

Nous traitons déjà les dossiers de l’affaire criminelle no 1189, commencée le 2008-10-06 par le bureau du procureur de Vlorë contre les défendeurs. 

 

Pour régler le présent conflit, nous continuerons à collaborer avec le ministère de la Justice et nous explorerons tous les autres éléments qui pourraient contribuer à réconcilier les parties.

 

M. Ermal Dado a été contraint de quitter l’Albanie, parce que sa vie était en danger et qu’il n’était pas du tout en sécurité. 

 

(Dossier certifié du tribunal, p. 115)

 

 

[5]               Compte tenu de la preuve qui figure au dossier du tribunal, selon laquelle le risque prospectif auquel le demandeur s’expose dans l’éventualité où il devait retourner en Albanie est fondé sur une vendetta, de l’importance de rendre la bonne décision à l’égard de la demande d’asile du demandeur et de la probabilité qu’une erreur de justice se produise si le litige exposé ci-dessus concernant la vendetta n’est pas clarifié, je conclus que la décision contestée est entachée d’une erreur susceptible de contrôle, en raison de l’omission de la SPR de cerner, clairement et explicitement, la nature de la demande.

 

[6]               Je suis d’avis que, dans l’intérêt de la justice et compte tenu des faits uniques de la présente affaire, le résultat le plus équitable à l’égard de la présente demande est de renvoyer la demande d’asile du demandeur au commissaire ayant rendu la décision faisant l’objet du présent contrôle, pour que celui-ci statue à nouveau sur l’affaire.


ORDONNANCE

 

LA COUR ORDONNE :

 

1.         La décision faisant l’objet du contrôle est annulée, et l’affaire est renvoyée à M. Cliff Berry, commissaire de la SPR, pour nouvelle décision;

 

2.         Il n’y a aucune question à certifier.

 

« Douglas R. Campbell »

Juge

 

 

 

Traduction certifiée conforme

Maxime Deslippes, LL.B., B.A. Trad.


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

DOSSIER :                                        IMM-2736-11

 

INTITULÉ :                                      ERMAL DADO

                                                            c

                                                            LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

                                                            ET DE L’IMMIGRATION

 

LIEU DE L’AUDIENCE :              Toronto (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :             Le 11 avril 2012

 

MOTIFS DE L’ORDONNANCE

ET ORDONNANCE :                      LE JUGE CAMPBELL

 

DATE DES MOTIFS

ET DE L’ORDONNANCE :           Le 13 avril 2012

 

 

 

COMPARUTIONS :

 

Kumar S. Sriskanda

 

POUR LE DEMANDEUR

Neal Samson

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Kumar S. Sriskanda

Avocat

Scarborough (Ontario)

 

POUR LE DEMANDEUR

Myles J. Kirvan

Sous-procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

 

 

 

 

 

 Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.