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Cour fédérale

 

Federal Court

 

 

Date: 20120119

Dossier : IMM-2587-11

Référence : 2012 CF 71

Ottawa (Ontario), le 19 janvier 2012

En présence de monsieur le juge Boivin 

 

ENTRE :

 

CHRISTIAN NZOHABONAYO

NICOLE BATUMUBWIRA,

KAELA MARIE OCEANNE ARAKAZA,

KAORI NEGAMIYE et

KENZA KEZIMANA

 

 

 

demandeurs

 

et

 

 

 

MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L'IMMIGRATION

 

 

 

défendeur

 

 

 

 

 

         MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

[1]               Il s’agit d’une demande de contrôle judiciaire présentée en vertu du paragraphe 72(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, ch 27 (la Loi), à l’encontre d’une décision rendue le 23 mars 2011 dans laquelle la Section de la protection des réfugiés de la Commission de l’immigration et du statut du réfugié (le Tribunal) a conclu que les demandeurs n’avaient pas la qualité de réfugiés ou de personnes à protéger au sens des articles 96 et 97 de la Loi.

I.                   Le contexte

A.    Le contexte factuel

[2]               Monsieur Christian Nzohabgonayo (le demandeur principal), son épouse madame Nicole Batumubwira, et leurs trois enfants mineurs Kaori Negamiya, Kenza Kezimana et Kaela Marie Océanne Arakaza, sont des citoyens de la République du Burundi. Les demandeurs appartiennent à l’ethnie tutsie. La famille demande l’asile au Canada en vertu des articles 96 et 97(1) de la Loi.

 

[3]               Les demandeurs soulèvent plusieurs actes de persécution qui les ont poussés à quitter le Burundi.

 

[4]               La famille louait une maison au Burundi qui appartenait au père du demandeur principal. Son père l’avait acquis en 1984 et l’avait enregistrée sous le nom du frère aîné du demandeur principal, Jean-Marie. Par la suite, les deux frères ont signé un contrat de location.

 

[5]               En 1995, les ex-propriétaires de la maison ont contesté la vente de cette dernière et le père du demandeur principal a comparu devant un tribunal civil. Le litige des ex-propriétaires a été sans succès.

 

[6]               En 2007, les parents des défunts ex-propriétaires ont essayé de contester la vente de la maison de nouveau et ont institué un procès pénal pour usage de faux à l’encontre du père du demandeur principal. Quoique le père du demandeur principal ait gagné le procès pénal, les parents ont interjeté appel à la Cour d’appel de Bujumbura. La Cour d’appel a donné raison aux parents des ex-propriétaires. Le père du demandeur principal a appelé la décision à la Cour suprême.

[7]               Le 18 mai 2009, le père du demandeur principal a reçu une ordonnance écrite d’expulsion immédiate concernant la maison en question. Le lendemain, plusieurs policiers et greffiers de la Cour d’appel ont défoncé les portes de la maison (où les demandeurs habitaient) et ont mis leurs biens dans la rue. Lors de l’expulsion, le demandeur principal a communiqué avec le Président de la Cour suprême et a obtenu une lettre manuscrite qui suspendait l’ordonnance d’expulsion par la Cour d’appel. Cette lettre a eu pour effet d’arrêter l’expulsion de la famille.

 

[8]               Le 20 mai 2009, les mêmes policiers et greffiers de la Cour d’appel sont arrivés munis d’une lettre du Ministre de la Justice qui annulait l’ordonnance du Président de la Cour suprême. Le demandeur principal allègue que les policiers avaient fait des menaces de mort au demandeur principal lors de cet incident. Par conséquent, les demandeurs ont quitté la maison ce même jour et se sont cachés à une différente adresse.

 

[9]               Le 22 mai 2009, un article qui racontait l’histoire de l’expulsion des demandeurs est apparu dans un journal local. Après la publication de l’article, le demandeur principal soutient que la famille a commencé à recevoir des menaces les exhortant de laisser tomber leur action auprès de la Cour suprême. Les demandeurs ont déménagé de nouveau et le demandeur principal soumet qu’il a arrêté de se présenter au travail suite à ces menaces.

 

[10]           Le 25 mai 2009, l’avocat du demandeur principal a déposé une plainte contre la mesure prise par le Président de la Cour d’appel. Après le dépôt de sa plainte, le demandeur allègue qu’il a reçu une autre menace de mort. En conséquence, le demandeur principal a conclu que les menaces provenaient des autorités elles-mêmes.

[11]           Le 2 juin 2009, les demandeurs ont déménagé vers Mutanga Nord. Deux jours après leur déménagement, deux inconnus ont visité l’épouse du demandeur à son lieu de travail et lui ont demandé de conseiller à son époux de laisser tomber le litige concernant la maison. Le demandeur allègue que ces inconnus ont aussi proféré des menaces de mort à l’encontre de son épouse.

 

[12]           Le 16 juin 2009, le demandeur principal a reçu une convocation de la police de se présenter au bureau de police. Le demandeur principal allègue que son avocat a demandé la permission de l’accompagner, mais cette demande a été refusée. Par conséquent, le demandeur principal a choisi de ne pas se présenter. Le 9 juillet 2009, le demandeur principal a reçu une autre convocation, qu’il a également ignoré. Finalement, le 18 août 2009, il allègue de plus avoir reçu un Avis de Recherche de la Documentation Nationale du Burundi (Police Présidentielle) et encore une fois il a décidé de ne pas se présenter.

 

[13]           Par la suite, les demandeurs ont fait des demandes pour des visas américains et ils ont quitté le Burundi le 27 août 2009 en transit au Rwanda, en Belgique et aux États-Unis. Ils sont arrivés au Canada le 30 août 2009, où ils ont immédiatement demandé l’asile.

 

[14]           Dans leur demande d’asile, les demandeurs ont avancé que leur persécution était due à leur appartenance ethnique tutsie. Ils ont aussi soutenu que leur persécution est reliée à l’assassinat de la mère de l’épouse du demandeur principal en 1999. Le demandeur principal explique que sa belle-mère travaillait pour l’organisation médecins-sans-frontières et elle a été tuée par les rebelles Hutus lorsqu’ils étaient en guerre. Le demandeur principal avance que ces anciens rebelles d’ethnie majoritaire hutue sont actuellement au pouvoir et que les auteurs du meurtre de sa belle-mère sont des policiers hauts gradés dans le gouvernement du Burundi. Le demandeur principal soutient que les autorités les ont expulsés de leur maison parce qu’ils sont impliqués dans le meurtre.

 

[15]           Le demandeur a expliqué que la sœur de l’épouse cherchait à savoir qui avait assassiné sa mère et elle a subi des menaces pour avoir effectué ces recherches. Le demandeur principal indique que la sœur et sa famille sont venues au Canada en septembre 2010 et ont été reconnues comme réfugiés en vertu de la Loi.

 

[16]           L’audience devant le Tribunal s’est tenue le 15 février 2011.

 

B.    La décision contestée

[17]           Dans sa décision rendue le 23 mars 2011, bien que satisfait de l’identité des demandeurs, le Tribunal ne les a pas reconnus comme étant des « réfugiés au sens de la Convention » en vertu de l’article 96 de la Loi, ni comme des « personnes à protéger » en vertu de l’article 97 de la Loi.

 

[18]           Le Tribunal a noté que les demandeurs prétendaient craindre les autorités du Burundi en raison de leur race et leur appartenance à un groupe social particulier – celle de l’ethnie tutsie. Cependant, le Tribunal a conclu que le demandeur principal a offert un témoignage imprécis et non crédible sur plusieurs éléments de son histoire.

 

[19]           Premièrement, le Tribunal a noté que c’est le père du demandeur principal qui est le propriétaire de la maison en litige. À la lumière des événements et de la preuve, le Tribunal a déterminé que le demandeur principal n’avait aucun droit d’intervenir dans les décisions juridiques affectant la maison de son père.

 

[20]           Deuxièmement, le Tribunal a observé que le demandeur principal avait produit comme preuve une lettre manuscrite du Président de la Cour suprême du Burundi suspendant l’ordonnance d’expulsion. Le Tribunal a conclu que l’explication du demandeur que le Président n’avait pas eu le temps de préparer une lettre en bonne et due forme n’était pas adéquate. Le Tribunal a conclu que la photocopie de cette lettre manquait d’authenticité. Le Tribunal a déclaré qu’il ne pouvait pas tirer des conclusions sur le système juridique au Burundi. Le Tribunal a affirmé qu’il n’y avait aucune preuve pour conclure que les autorités burundaises ont agi d’une façon persécutrice ou même discriminatoire puisque l’expulsion ne s’apparente pas à la persécution.

 

[21]           Troisièmement, le Tribunal a noté que le témoignage de l’épouse et du demandeur principal différaient quant à la question des menaces policières. L’explication du demandeur concernant cette incohérence n’a pas satisfait le Tribunal. Le Tribunal a conclu que le demandeur principal avait ajouté les menaces de mort dans son histoire pour renforcer sa demande d’asile.

 

[22]           Quatrièmement, le Tribunal a accordé très peu de valeur probante aux Avis de Recherches soumis par le demandeur principal en preuve parce que : i) l’avis de recherche a été imprimé sur une feuille de papier qui a été déchirée en deux; et ii) le Tribunal a observé une contradiction dans la preuve – le demandeur a expliqué qu’il s’agissait de « convocations » mais les documents indiquaient qu’ils étaient des « avis de recherches ». Le Tribunal a écrit (Décision du Tribunal, para 39) :

[…] Une convocation est un avis incitant à se présenter et est ordinairement adressée à l’invité; tandis qu’un Avis de recherche comporte, entre autres, retrouver et appréhender une personne et est ordinairement adressé aux personnes assignées à cette tâche. C’est précisément ce que ces deux Avis de Recherche étalent. Le tribunal conclut qu’il n’est pas crédible que les autorités burundaises auraient déposés ces Avis de Recherche à la disposition du demandeur principal. Au contraire, ce sont des documents qui auraient été déposés aux forces burundaises assignés à retrouver le demandeur. Le tribunal conclut sur la prépondérance des probabilités que les documents en question sont frauduleux. En conséquence, le tribunal conclut également que les autorités burundaises n’étaient pas à la recherche du demandeur principal tel qu’il allègue.

 

[23]           Finalement, le Tribunal a conclu qu’il n’y avait aucune preuve soumise par les demandeurs concernant l’allégation de l’assassinat de la belle-mère du demandeur principal.

 

II.                Les questions en litige

[24]           Les demandeurs ont soulevé plusieurs questions en litige. Toutefois, la Cour est d’avis que la seule question pertinente en l’espèce est de savoir si le Tribunal a raisonnablement conclu que le demandeur principal n’était pas crédible en se fondant sur l’ensemble de la preuve au dossier.

 

III.             Les dispositions législatives applicables

[25]           Les dispositions législatives applicables de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés se lisent comme suit :

Notions d’asile, de réfugié et de personne à protéger

 

 

Définition de « réfugié »

 

A qualité de réfugié au sens de la Convention – le réfugié – la personne qui, craignant avec raison d’être persécutée du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de son appartenance à un groupe social ou de ses opinions politiques :

a) soit se trouve hors de tout pays dont elle a la nationalité et ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut se réclamer de la protection de chacun de ces pays;

b) soit, si elle n’a pas de nationalité et se trouve hors du pays dans lequel elle avait sa résidence habituelle, ne peut ni, du fait de cette crainte, ne veut y retourner.

Refugee Protection, Convention Refugees and Persons in Need of Protection

Convention refugee

 

A Convention refugee is a person who, by reason of a well-founded fear of persecution for reasons of race, religion, nationality, membership in a particular social group or political opinion,

 

 

(a) is outside each of their countries of nationality and is unable or, by reason of that fear, unwilling to avail themself of the protection of each of those countries; or

(b) not having a country of nationality, is outside the country of their former habitual residence and is unable or, by reason of that fear, unwilling to return to that country.

 

Personne à protéger

 

(1) A qualité de personne à protéger la personne qui se trouve au Canada et serait personnellement, par son renvoi vers tout pays dont elle a la nationalité ou, si elle n’a pas de nationalité, dans lequel elle avait sa résidence habituelle, exposée :

a) soit au risque, s’il y a des motifs sérieux de le croire, d’être soumise à la torture au sens de l’article premier de la Convention contre la torture;

b) soit à une menace à sa vie ou au risque de traitements ou peines cruels et inusités dans le cas suivant :

(i) elle ne peut ou, de ce fait, ne veut se réclamer de la protection de ce pays,

 

 

(ii) elle y est exposée en tout lieu de ce pays alors que d’autres personnes originaires de ce pays ou qui s’y trouvent ne le sont généralement pas,

(iii) la menace ou le risque ne résulte pas de sanctions légitimes — sauf celles infligées au mépris des normes internationales — et inhérents à celles-ci ou occasionnés par elles,

(iv) la menace ou le risque ne résulte pas de l’incapacité du pays de fournir des soins médicaux ou de santé adéquats.

 

Personne à protéger

 

(2) A également qualité de personne à protéger la personne qui se trouve au Canada et fait partie d’une catégorie de personnes auxquelles est reconnu par règlement le besoin de protection.

Person in need of protection

 

(1) A person in need of protection is a person in Canada whose removal to their country or countries of nationality or, if they do not have a country of nationality, their country of former habitual residence, would subject them personally

(a) to a danger, believed on substantial grounds to exist, of torture within the meaning of Article 1 of the Convention Against Torture; or

(b) to a risk to their life or to a risk of cruel and unusual treatment or punishment if

 

(i) the person is unable or, because of that risk, unwilling to avail themself of the protection of that country,

(ii) the risk would be faced by the person in every part of that country and is not faced generally by other individuals in or from that country,

(iii) the risk is not inherent or incidental to lawful sanctions, unless imposed in disregard of accepted international standards, and

 

 

(iv) the risk is not caused by the inability of that country to provide adequate health or medical care.

 

 

Person in need of protection

 

(2) A person in Canada who is a member of a class of persons prescribed by the regulations as being in need of protection is also a person in need of protection.

 

Décision sur la demande d’asile

 

Décision

 

107. (1) La Section de la protection des réfugiés accepte ou rejette la demande d’asile selon que le demandeur a ou non la qualité de réfugié ou de personne à protéger.

 

 

Preuve

 

(2) Si elle estime, en cas de rejet, qu’il n’a été présenté aucun élément de preuve crédible ou digne de foi sur lequel elle aurait pu fonder une décision favorable, la section doit faire état dans sa décision de l’absence de minimum de fondement de la demande.

 

Decision on Claim for Refugee Protection

 

Decision

 

107. (1) The Refugee Protection Division shall accept a claim for refugee protection if it determines that the claimant is a Convention refugee or person in need of protection, and shall otherwise reject the claim.

 

No credible basis

 

(2) If the Refugee Protection Division is of the opinion, in rejecting a claim, that there was no credible or trustworthy evidence on which it could have made a favourable decision, it shall state in its reasons for the decision that there is no credible basis for the claim.

 

IV.             La norme de contrôle applicable

[26]           En vertu des affaires Dunsmuir c Nouveau Brunswick, 2008 CSC 9, [2008] 1 RCS 190 ; Canada (Citoyenneté et Immigration) c Khosa, 2009 CSC 12, [2009] 1 RCS 339 ; et Aguebor c Canada (Ministre de l’emploi et de l’immigration) (CAF), (1993) 160 NR 315, 42 ACWS (3d) 886, la norme de contrôle applicable aux conclusions du Tribunal quant à la crédibilité des demandeurs et à l’appréciation de la preuve est celle de la décision raisonnable. Or, la Cour n’interviendra que si la décision est basée sur une conclusion de fait erronée, tirée de façon arbitraire ou abusive ou si la décision est rendue sans égard à la preuve.

 

V.                La position des demandeurs

[27]           Les demandeurs allèguent que la présente affaire satisfait aux deux critères objectif et subjectif de l’arrêt Canada (Procureur général) c Ward, [1993] 2 RCS 689, (1993), 103 DLR (4th) 1 [Ward].

 

[28]           Les demandeurs avancent qu’ils se sont identifiés comme des individus de nationalité burundaise et de l’ethnie tutsie dans leur Formulaire de Renseignements Personnels (FRP) à la section 1(g). Aussi, les demandeurs indiquent qu’à la section 28 du FRP, ils ont noté qu’ils demandaient l’asile sous deux motifs de la Convention, la race/ethnie et l’appartenance à un groupe social particulier qui est en l’espèce leur famille élargie. Les demandeurs déclarent que le Tribunal aurait dû traiter cette question à la lumière de l’assassinat de la belle-mère du demandeur principal et de leur expulsion violente de leur maison. Aussi, les demandeurs affirment que le Tribunal avait des documents du cartable de documentation sur le Burundi ainsi que l’article de journal du 22 mai 2009 qui corroboraient de façon indépendante leurs allégations.

 

[29]           Les demandeurs soutiennent que le Tribunal a commis une erreur de droit révisable en refusant de motiver sa conclusion que les demandeurs ne sont pas des personnes à protéger en vertu de l’article 97 de la Loi (voir Albert c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2007 CF 915, [2007] ACF no 1211 [Albert], aux paras 29 à 35). Aussi, les demandeurs avancent que le Tribunal était au courant du fait que la belle-sœur du demandeur, son mari et ses enfants ont tous été acceptés comme réfugiés au sens de la Convention par le même Tribunal à Ottawa.

 

[30]           Les demandeurs indiquent que le Tribunal a erré dans son évaluation de la crédibilité des demandeurs et avance que le Tribunal aurait dû accorder le bénéfice du doute aux demandeurs. Les demandeurs affirment qu’en vertu des affaires Maldonado c Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration), [1980] 2 CF 302, 31 NR 34 et Giron c Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1992] ACF no 481, 143 NR 238 (CAF), le Tribunal doit supporter ses conclusions et ses inférences par la preuve au dossier. Plus particulièrement, les demandeurs allèguent que les erreurs suivantes ont été commises par le Tribunal :

·                Le Tribunal a été incapable d’expliquer pourquoi la lettre manuscrite n’était pas authentique;

 

·                Le Tribunal a agi de façon arbitraire en rejetant l’explication du demandeur principal selon laquelle les circonstances du moment faisaient en sorte que le Président de la Cour suprême n’avait pas assez de temps pour pouvoir taper toute la lettre;

 

·                Le Tribunal a commis une erreur en acceptant le fait que la lettre du ministre de justice annulait la lettre du Président la Cour suprême sans pour autant se demander pourquoi le ministre devait intervenir dans une affaire devant les tribunaux;

 

·                Le Tribunal a également été incapable d’expliquer pourquoi il rejetait les Avis de Recherches présentés sur une demi-feuille de papier émis contre le demandeur par une preuve contradictoire (Warsame v Canada (Minister of Employment and Immigration), [1993] FCJ No 1202, 45 ACWS (3d) 148);

 

·                La conclusion du Tribunal que le demandeur principal et son épouse se sont contredits sur la déclaration des deux individus inconnus qui sont allés visiter l’épouse à son lieu de travail était tirée de façon malicieuse et est déraisonnable puisqu’il voulait que l’épouse cite exactement la même phrase qui est contenue à l’exposé circonstancié du demandeur;

 

·                Le Tribunal a tiré une inférence arbitraire en indiquant que le demandeur n’avait pas de cause d’action dans l’affaire de la propriété de la maison.

 

[31]           Finalement, les demandeurs soutiennent que le Tribunal avait une obligation législative de faire état dans sa décision de l’absence de minimum de fondement de la demande en vertu de l’article 107(2) de la Loi.

 

VI.             La position du défendeur

[32]           Quant au défendeur, il reprend les faits et les conclusions du Tribunal et déclare qu’il revient au Tribunal de soupeser la preuve, d’analyser le témoignage des demandeurs et d’évaluer leur crédibilité.

 

[33]           En vertu de l’affaire Aguebor, ci-dessus, le défendeur allègue que le Tribunal avait le droit de comparer les faits soulevés par les demandeurs dans leurs FRPs, leurs documents et leurs témoignages et tirer des conclusions sur leur crédibilité en se fondant sur des incohérences et des omissions (voir aussi Bernal c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), 2009 CF 1007, [2009] ACF no 1217; Kumar c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), 2009 CF 643, [2009] ACF no 811 [Kumar] ; Zhang c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), 2009 CF 787, [2009] ACF no 911).

 

[34]           Par conséquent, le défendeur soumet qu’étant donné que le Tribunal a jugé le demandeur principal non crédible, cette détermination a une influence sur le bien-fondé de la demande d’asile. En somme, le défendeur affirme que la décision du Tribunal que les demandeurs n’ont ni la qualité de réfugié ni celle de personnes à protéger était raisonnable et que la Cour ne peut intervenir.

 

VII.          L’analyse

[35]           La Cour note que la décision du Tribunal est fondée sur la question de la crédibilité du demandeur principal.

 

[36]           En vertu de l’arrêt Ward, ci-dessus, deux éléments doivent être réunis pour établir une crainte de persécution : le demandeur doit craindre subjectivement d'être persécuté et il doit craindre d'être persécuté sur le plan objectif. Essentiellement, en l’espèce, ayant conclu à l'absence de preuve quant à l'élément subjectif de la demande, le Tribunal a rejeté la demande puisque la conclusion concernant l’absence de crédibilité était déterminante en soi (voir Kanyai c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), 2002 CFPI 850, [2002] ACF no 1124au para 21 ; Mbanga c Canada (Ministre de la Citoyenneté et Immigration), 2008 CF 738, [2008] ACF no 949 au para 21).

 

[37]           La Cour rappelle que le fardeau de la preuve incombe au demandeur. Or, les défaillances et imprécisions notées par le Tribunal étaient nombreuses et touchaient aussi aux éléments essentiels de la demande d’asile des demandeurs. Les manquements relevés par le Tribunal incluaient notamment :

 

·                L’absence de preuve avancée par le demandeur principal pour démontrer son droit d’intervenir dans les décisions juridiques affectant la maison de son père;

·                L’explication inadéquate du demandeur concernant l’authenticité de la lettre manuscrite du Président de la Cour suprême du Burundi déposé en preuve;

·                L’absence de preuve soumise pour conclure que les autorités burundaises avaient agi d’une façon persécutrice ou même discriminatoire;

·                La contradiction dans les témoignages du demandeur principal et son épouse relativement aux menaces des policiers burundaises;

·                L’absence de valeur probante des Avis de Recherches déposés par le demandeur principal en preuve;

·                L’absence totale de preuve concernant l’allégation des demandeurs que l’assassinat de la belle-mère du demandeur principal était relié à l’expulsion violente de la famille de leur maison.

 

[38]           Plus précisément, lors de l’audience, le demandeur principal n’a pas convaincu cette Cour que la lettre manuscrite du Président de la Cour suprême du Burundi était authentique et que les Avis de Recherches étaient en fait des « avis de convocation ». Le procureur du demandeur a également insisté sur le fait que la belle-sœur du demandeur a demandé l’asile au Canada parce qu’elle était recherchée par les autorités burandaises et qu’elle l’a obtenu. Or, il est de jurisprudence constante qu’un membre d’un tribunal doit prendre sa décision à la lumière des faits et de la preuve au dossier. Le juge Crampton, alors qu’il était juge puîné, a d’ailleurs récemment réitéré ce principe dans Michel c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2010 FC 159, [2010] ACF no 184, au para 43 :

[43] Notre Cour a toujours dit que chaque décision de la Commission repose sur des faits et des éléments de preuve qui lui sont propres. (Voir, par exemple, Cius, précité, Rahmatizedeh c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1994] A.C.F. no 578, Sellathurai c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2003 CF 1235, [2003] A.C.F. no 1630, Marinova c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2001 CFPI 178, [2001] A.C.F. no 345, et Casetellanos c. Canada (Procureur général), [1994] A.C.F. no 1926, [1995] 2 C.F. 190.) Par conséquent, l’argument des demandeurs selon lequel le commissaire a commis une erreur lorsqu’il a omis de faire concorder sa décision avec son propre raisonnement dans une autre affaire, alors qu’il aurait pu être saisi de faits différents, est rejeté.

 

[39]           Aussi, tel que l’a souligné le juge Shore dans l’affaire Kumar, ci-dessus, « les contradictions sont au cœur de la demande du demandeur. Elles étaient suffisamment importantes pour que la Commission de l'immigration et du statut de réfugié (la Commission) conclue que le demandeur n'était pas crédible » (au para 1). Conséquemment, la Cour doit accorder un degré élevé de retenu face à une telle décision. Le Juge Shore a également précisé au para 3:

[3] Il est de droit constant que la Commission peut choisir, en contexte, les éléments de preuve qui correspondent le mieux aux particularités de chaque affaire. Il n'appartient ni au demandeur ni à la Cour (Starcevic c. Canada (ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), 2008 CF 1370, au paragraphe 18) de soupeser à nouveau ou d'autrement décider à quels éléments de preuve la Commission aurait dû attribuer plus de poids :

 

[21] Il incombe à la SPR, à titre de tribunal spécialisé, d'apprécier la preuve soumise et d'en tirer les conclusions qui s'imposent.

 

[22] Pour ce faire, la SPR peut choisir parmi la preuve celle qui représente le mieux la réalité et ce choix fait partie de son rôle et de son expertise. [...]

 

(Del Real c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), 2008 CF 140,168 A.C.W.S. (3d) 368; voir également : Alba c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), 2007 CF 116, au paragraphe 5; Mohimani c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration), 41 A.C.W.S. (3d) 556, [1993] A.C.F. no 564 (QL) (C.A.F.), au paragraphe 2).

 

[40]           En outre, la Cour observe que les décisions invoquées par les demandeurs dans leurs soumissions écrites, notamment Albert, ci-dessus, et Rahimi c Canada (ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [1998] ACF no 613 aux paras 6-9 [Rahimi], ne peuvent s’appliquer dans le cas en l’espèce. Tout d’abord, dans la cause Albert, la Cour a noté que la décision du Tribunal en question n’avait pas motivé sa conclusion de non-crédibilité en référant par exemple à des incohérences ou contradictions dans la preuve. Cependant, à la lumière de ce qui précède, il est clair que les conclusions du Tribunal étaient motivées et l’argument du demandeur qui repose sur l’article 107(2) de la Loi ne peut donc être retenu.

 

[41]           Dans la décision Rahimi, ci-dessus, la Cour a noté que le Tribunal n’avait pas formulé une conclusion générale au niveau de la crédibilité dans ses motifs – ce qui n’est pas le cas en l’espèce.

 

[42]           Il appert que les demandeurs cherchent une reconsidération de la preuve au dossier, ce que la Cour ne peut faire à la lumière de la jurisprudence applicable. La Cour est d’avis que les conclusions de fait tirées par le Tribunal étaient motivées clairement par la preuve au dossier et par les témoignages des demandeurs et ces conclusions ne peuvent être caractérisées d’abusives ou d’arbitraires. La Cour rappelle que la norme ne consiste pas à savoir si cette Cour aurait décidé autrement, mais plutôt de déterminer si une erreur s’est produite dans la décision du Tribunal. Par conséquent, en vertu de la norme de la raisonnabilité, qui est applicable en l’espèce, la Cour ne peut intervenir et la demande de contrôle judiciaire doit être rejetée.

 

[43]           Aucune question n’a été soulevée par les parties aux fins de certification.


 

JUGEMENT

LA COUR STATUE que

1.                  La présente demande de contrôle judiciaire soit rejetée.

2.                  Aucune question ne sera certifiée.

 

 

« Richard Boivin »

Juge


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

DOSSIER :                                        IMM-2587-11

 

INTITULÉ :                                      Christian Nzohabonayo et al c MCI

 

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :              Ottawa (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :             Le 19 décembre 2011

 

MOTIFS DU JUGEMENT :           LE JUGE BOIVIN

 

DATE DES MOTIFS :                     Le 19 janvier 2012

 

 

 

COMPARUTIONS :

 

Jacques J. Bahimanga

 

POUR LES DEMANDEURS

 

Agnieszka Zagorska

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Cabinet d’études légales

Ottawa (Ontario)

POUR LES DEMANDEURS

 

 

Myles J. Kirvan

Sous-procureur général du Canada

POUR LE DÉFENDEUR

 

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