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Cour fédérale

 

Federal Court

 

Date : 20120515


Dossier : IMM-6066-11

Référence : 2012 CF 578

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 15 mai 2012

En présence de monsieur le juge Boivin

 

 

ENTRE :

XIAO FAN WU

 

demanderesse

 

et

 

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L’IMMIGRATION

 

défendeur

 

 

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

[1]               Il s’agit d’une demande présentée en vertu du paragraphe 72(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27 [la Loi] en vue de soumettre à un contrôle judiciaire la décision datée du 10 août 2011 par laquelle la Section de la protection des réfugiés de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié (la Commission) a rejeté la demande présentée par la demanderesse en vue d’obtenir la qualité de réfugiée au sens de la Convention ou celle de personne à protéger au sens des articles 96 et 97, respectivement, de la Loi.

 

[2]               La demanderesse sollicite une ordonnance infirmant la décision et renvoyant l’affaire en vue d’un nouvel examen par un tribunal différemment constitué de la Commission.

 

Le contexte factuel

[3]               Mme Xiao Fan Wu (la demanderesse) est âgée de cinquante (50) ans et citoyenne de la République populaire de Chine. Elle vivait à Enping City, dans la province de Guangdong, où elle travaillait comme agricultrice. Elle demande l’asile au Canada car elle craint d’être persécutée dans son pays du fait de ses croyances religieuses et de ses activités auprès d’une église clandestine illégale.

 

[4]               La demanderesse dit avoir été attirée par le christianisme après avoir subi plusieurs revers, dont des échecs sur le plan commercial et relationnel. En novembre 2008, elle a rencontré au marché une ancienne amie et camarade de classe, Zheng Liu, qui lui a fait part de ses croyances religieuses et de son adhésion à la religion chrétienne.

 

[5]               La demanderesse allègue qu’elle a ensuite rencontré régulièrement son amie et que les deux ont discuté du christianisme. Le 20 décembre 2009, son amie l’a invitée à se rendre dans une église clandestine. La demanderesse savait que les églises clandestines étaient illégales, mais son amie lui a assuré que des mesures de sécurité étaient prises pour éviter qu’elles soient repérées.

 

[6]               En février 2010, la demanderesse a fait part de sa foi à une autre amie, A Jiao, et elle l’a invitée à l’église.

 

[7]               Le 22 août 2010, la demanderesse a été baptisée par le pasteur Chen, au sein de l’église clandestine.

 

[8]               La demanderesse affirme que le 20 novembre 2010, pendant qu’elle était sortie, elle a reçu un appel de son frère l’informant que le Bureau de la sécurité publique (BSP) avait découvert l’église clandestine et arrêté certains de ses membres. Son frère, allègue-t-elle, l’a également informée que des agents avaient perquisitionné leur domicile et exigé que la demanderesse communique avec le BSP le plus tôt possible.

 

[9]               Après avoir pris connaissance des arrestations, la demanderesse a fui à Guangzhou et s’y est cachée. Elle a ensuite sollicité les services d’un passeur afin de pouvoir se rendre au Canada. Elle a quitté la Chine le 7 janvier 2011 et est arrivée au Canada le lendemain. Elle a ensuite demandé l’asile le 12 janvier 2011.

 

[10]           La demanderesse soutient que, depuis son arrivée au Canada, elle fréquente l’église Living Water Assembly, une église chrétienne pentecôtiste, et ce, depuis le 6 février 2011. Elle dit fréquenter cette église toutes les semaines et avoir été baptisée par le révérend David Ko le 23 avril 2011. De plus, elle prétend que depuis son arrivée au Canada, le BSP a poursuivi ses efforts pour la retrouver en Chine et a qu’il effectué des recherches la concernant à huit (8) occasions distinctes.

 

[11]           La Commission a entendu la demande d’asile de la demanderesse le 4 juillet 2011.

 

La décision faisant l’objet du présent contrôle

[12]           Dans sa décision, la Commission a mis principalement l’accent sur la crédibilité de la demanderesse et le risque de persécution que courent les chrétiens vivant dans la province de Guangdong (Chine).

 

[13]           Pour ce qui est de la crédibilité de la demanderesse, la Commission a fait remarquer que plusieurs des allégations de cette dernière contredisaient la preuve documentaire. Elle a signalé que la demanderesse, même si elle a déclaré que certains de ses coreligionnaires avaient été arrêtés, n’avait pas pu donner de détails sur le nombre de personnes qui avaient été arrêtées ou sur les peines qui leur avaient été infligées. Selon elle, deux aspects importants du témoignage de la demanderesse étaient invraisemblables : 1) le BSP n’avait jamais laissé à la famille de la demanderesse une assignation ou un mandat; 2) le BSP n’avait jamais menacé les parents de la demanderesse ou privé ces derniers d’un accès à des services quelconques lors des huit (8) visites qu’il avait faites au domicile familial. De plus, elle a conclu que la demanderesse n’avait pas établi l’authenticité de sa croyance en la religion chrétienne et elle a accordé peu de valeur probante à la preuve documentaire que la demanderesse avait présentée à cet égard.

 

[14]           Quant au risque de persécution, la Commission a conclu qu’au vu de la documentation relative à la situation existant actuellement en Chine, la demanderesse était en mesure de retourner dans ce pays et d’y exercer librement et ouvertement sa foi et qu’il n’y avait pas de possibilité sérieuse qu’elle soit persécutée en tant que chrétienne. Après avoir passé en revue les éléments documentaires et la jurisprudence récente de la Cour fédérale, la Commission a fait remarquer qu’en dépit de l’existence de preuves d’ingérence dans les pratiques chrétiennes au sein d’autres régions de la Chine, il y avait peu de preuves d’une telle situation dans la province de Guangdong.

 

Les questions en litige

[15]           Les questions en litige sont les suivants :

                         i.              La Commission a-t-elle commis une erreur dans son évaluation de la crédibilité de la demanderesse?

                       ii.              La Commission a-t-elle commis une erreur dans son appréciation du risque de persécution que courent les chrétiens vivant dans la province de Guangdong?

 

Les dispositions législatives applicables

[16]           Les dispositions suivantes de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés s’appliquent en l’espèce :

Notions d’asile, de réfugié et de personne à protéger

 

 

 

Définition de « réfugié »

 

A qualité de réfugié au sens de la Convention – le réfugié – la personne qui, craignant avec raison d’être persécutée du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de son appartenance à un groupe social ou de ses opinions politiques  :

a) soit se trouve hors de tout pays dont elle a la nationalité et ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut se réclamer de la protection de chacun de ces pays;

b) soit, si elle n’a pas de nationalité et se trouve hors du pays dans lequel elle avait sa résidence habituelle, ne peut ni, du fait de cette crainte, ne veut y retourner.

Refugee Protection, Convention Refugees and Persons in Need of Protection

 

Convention refugee

 

A Convention refugee is a person who, by reason of a well-founded fear of persecution for reasons of race, religion, nationality, membership in a particular social group or political opinion,

 

 

(a) is outside each of their countries of nationality and is unable or, by reason of that fear, unwilling to avail themself of the protection of each of those countries; or

(b) not having a country of nationality, is outside the country of their former habitual residence and is unable or, by reason of that fear, unwilling to return to that country.

 

Personne à protéger

 

(1) A qualité de personne à protéger la personne qui se trouve au Canada et serait personnellement, par son renvoi vers tout pays dont elle a la nationalité ou, si elle n’a pas de nationalité, dans lequel elle avait sa résidence habituelle, exposée  :

a) soit au risque, s’il y a des motifs sérieux de le croire, d’être soumise à la torture au sens de l’article premier de la Convention contre la torture;

b) soit à une menace à sa vie ou au risque de traitements ou peines cruels et inusités dans le cas suivant  :

(i) elle ne peut ou, de ce fait, ne veut se réclamer de la protection de ce pays,

(ii) elle y est exposée en tout lieu de ce pays alors que d’autres personnes originaires de ce pays ou qui s’y trouvent ne le sont généralement pas,

(iii) la menace ou le risque ne résulte pas de sanctions légitimes — sauf celles infligées au mépris des normes internationales — et inhérents à celles-ci ou occasionnés par elles,

(iv) la menace ou le risque ne résulte pas de l’incapacité du pays de fournir des soins médicaux ou de santé adéquats.

 

Personne à protéger

 

(2) A également qualité de personne à protéger la personne qui se trouve au Canada et fait partie d’une catégorie de personnes auxquelles est reconnu par règlement le besoin de protection.

Person in need of protection

 

(1) A person in need of protection is a person in Canada whose removal to their country or countries of nationality or, if they do not have a country of nationality, their country of former habitual residence, would subject them personally

(a) to a danger, believed on substantial grounds to exist, of torture within the meaning of Article 1 of the Convention Against Torture; or

(b) to a risk to their life or to a risk of cruel and unusual treatment or punishment if

 

(i) the person is unable or, because of that risk, unwilling to avail themself of the protection of that country,

(ii) the risk would be faced by the person in every part of that country and is not faced generally by other individuals in or from that country,

(iii) the risk is not inherent or incidental to lawful sanctions, unless imposed in disregard of accepted international standards, and

(iv) the risk is not caused by the inability of that country to provide adequate health or medical care.

 

 

 

Person in need of protection

 

(2) A person in Canada who is a member of a class of persons prescribed by the regulations as being in need of protection is also a person in need of protection.

 

 

La norme de contrôle applicable

[17]           Comme il est question en l’espèce de la manière dont la Commission a apprécié la crédibilité et le risque de persécution de la demanderesse, c’est la norme de la raisonnabilité qui s’applique car ces deux questions se rapportent à une détermination de faits (Aguebor c Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration) (CAF), [1993] ACF no 732, 160 NR 315; Dunsmuir c Nouveau-Brunswick, 2008 CSC 9, [2008] 1 RCS 190; Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c Khosa, 2009 CSC 12, [2009] 1 RCS 339; Lin c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2012 CF 157, [2012] ACF no 167). Comme l’a réitéré le juge Frenette dans la décision Chen c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2008 CF 1168, au paragraphe 11, [2008] ACF no 1454 : « [l]orsque la question en litige comporte des questions de fait ou de droit appliquées à des faits, une demande de contrôle judiciaire ne sera pas accueillie si la décision fait partie des appréciations des faits acceptables ».

 

L’analyse

                    i.            La Commission a-t-elle commis une erreur dans son évaluation de la crédibilité de la demanderesse?

[18]           Pour ce qui est de l’authenticité des convictions religieuses de la demanderesse, la Cour est d’avis que la Commission a évalué la situation de la demanderesse en fonction d’un critère de connaissances religieuses erronément strict. D’une part, la Commission a reconnu que la demanderesse était au courant de questions religieuses (décision de la Commission, paragraphe 12) mais, d’autre part, elle a conclu que l’incapacité de la demanderesse de fournir plus d’informations sur trois (3) questions précises portant sur l’histoire de la religion pentecôtiste était une erreur fatale et que, de ce fait, la demanderesse n’était ni une authentique chrétienne ni une personne crédible. La Cour est d’avis que, dans les circonstances, la Commission a fait preuve d’excès de vigilance en examinant à la loupe un nombre restreint de points, et cette manière de procéder est manifestement contraire à la jurisprudence de la Cour  (Huang c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2008 CF 346, [2008] ACF no 452; Wu c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2009 CF 929, [2009] ACF no 1143; Wang c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2011 CF 1030, [2011] ACF no 1291). La Cour fait aussi remarquer que la preuve comporte une lettre du pasteur de l’église pentecôtiste que la demanderesse fréquente actuellement ainsi que son certificat de baptême, et que la demanderesse n’a que trois (3) années de scolarité.

 

[19]           De plus, pour ce qui est de l’assignation, la Commission a conclu qu’il aurait été raisonnable que le BSP remette une assignation à la demanderesse. Cependant, le document CHN42444.E (dossier du Tribunal, pages 81 à 84) sur lequel la Commission s’est fondée comporte des informations contradictoires quant aux circonstances dans lesquelles un tel document est délivré. La Commission s’est fondée sur certains passages de ce document qui étayaient ses conclusions, mais a fait abstraction d’autres éléments d’information qui corroboraient les allégations de la demanderesse (Mui c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2003 CF 1020, [2003] ACF no 1294; Shu c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2011 CF 958, [2011] ACF no 1174).

 

[20]           La Cour signale de plus que la Commission a fait des déclarations vagues et quelque peu contradictoires et conjecturales sur l’absence d’une assignation, au paragraphe 11 de sa décision :

[…] De plus, la délivrance d’une citation à comparaître précède la délivrance d’un mandat d’arrestation, si la personne que la police recherche ne donne pas suite à la citation à comparaître. Même si cette politique n’est pas toujours mise en application, ou mise en application de façon uniforme, il aurait été raisonnable de s’attendre à ce qu’une sommation visant la demandeure d’asile ait été délivrée, étant donné que cette dernière a affirmé que des membres du PSB s’étaient rendus chez elle à huit reprises, à sa recherche. […]

 

2)   La Commission a-t-elle commis une erreur dans son appréciation du risque de persécution que courent les chrétiens vivant dans la province de Guangdong?

[21]           Enfin, la Commission a apprécié de manière déraisonnable les faits concernant la liberté de religion chrétienne dans la province de Guangdong en faisant abstraction de preuves documentaires contradictoires et en ne disant pas pourquoi elle ne s’était pas fondée sur les éléments de preuve contradictoires et ne les avait pas pris en considération.

 

[22]           Plus précisément, la Commission a pris en considération le document CHN103500.E (dossier du Tribunal, pages 96 à 98), où il est indiqué que, dans la province de Guangdong, des incidents ont eu lieu entre 2007 et 2009. De plus, le rapport de la China Aid Association (CAA) fait état de cibles chrétiennes de persécution religieuse dans cette même province (dossier du Tribunal, page 192) et il fait clairement référence à divers incidents de persécution qui y sont survenus. Cependant, la Commission a décrété ce qui suit, au paragraphe 16 de sa décision : « […] le tribunal est convaincu que, si la demandeure d’asile retournait en Chine, elle pourrait y pratiquer sa foi librement et ouvertement ». Il était loisible à la Commission d’arriver à cette conclusion, mais elle n’a expliqué ni comment ni pourquoi elle a conclu que la demanderesse pourrait exercer sa religion ouvertement et librement si elle retournait en Chine, malgré les incidents signalés et consignés en rapport avec la province de Guangdong.

 

[23]           Pour tous les motifs qui précèdent, la demande de contrôle judiciaire sera donc accueillie.

 

[24]           Ni l’une ni l’autre des parties n’ayant proposé une question à certifier, aucune ne le sera.


JUGEMENT

 

LA COUR ORDONNE :

1.                  la demande est accueillie;

2.                  l’affaire est renvoyée à la Commission de l’immigration et du statut de réfugié en vue d’être tranchée par un tribunal nouveau et différemment constitué;

3.                  il n’y a pas de question à certifier.

 

 

« Richard Boivin »

Juge

 

Traduction certifiée conforme

Claude Leclerc, LL.B.


 


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

DOSSIER :                                        IMM-6066-11

 

INTITULÉ :                                      XIAO FAN WU c MCI

 

 

 

LIEU DE L'AUDIENCE :              TORONTO (ONTARIO)

 

DATE DE L’AUDIENCE :             LE 27 MARS 2012

 

MOTIFS DU JUGEMENT :           LE JUGE BOIVIN

 

DATE DES MOTIFS :                     LE 15 MAI 2012

 

 

 

COMPARUTIONS :

 

Cheryl Robinson

 

POUR LA DEMANDERESSE

 

Christopher Crighton

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Kranc Associates

Toronto (Ontario)

 

POUR LA DEMANDERESSE

Myles J. Kirvan

Sous-procureur général du Canada

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

 

 

 

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