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Date : 20130702

Dossier : T-1299-11

Référence : 2013 CF 728

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Vancouver (Colombie-Britannique), le 2 juillet 2013

En présence de monsieur Roger R. Lafrenière,

juge responsable de la gestion de l’instance

 

ENTRE :

LA SUCCESSION ET LES SURVIVANTS
DE MORDRED HARDY, ANCIEN COMBATTANT

 

demandeurs

 

et

 

LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

 

défendeur

 

 

 

 

 

 

MOTIFS DE L’ORDONNANCE ET ORDONNANCE

 

[1]               Une requête a été présentée au nom des demandeurs pour que je me récuse à titre de juge responsable de la gestion de la présente instance et d’une action connexe pour des raisons [traduction] « d’entrave et de partialité discriminatoire », ainsi que de « crainte sérieuse de partialité ». Un examen rapide des documents déposés par la partie requérante donne à penser que non seulement je n’ai pas agi avec équité et impartialité, mais aussi que ma conduite était contraire à l’éthique, malhonnête et répréhensible.

 

[2]               Compte tenu des graves allégations d’inconduite portées contre moi, j’ai minutieusement passé en revue l’historique procédural des deux instances, et j’ai attentivement examiné les nombreuses allégations de comportement fautif qui fondent la requête en récusation des demandeurs, ainsi que le critère applicable en pareil cas.

 

[3]               Pour les motifs qui suivent, j’estime que rien dans les documents soumis par les demandeurs ne saurait convaincre une personne raisonnablement informée que j’ai mal agi à leur égard. Par ailleurs, les demandeurs n’ont pas établi que je n’avais pas examiné les questions soulevées par l’instance avec un esprit ouvert. Enfin, aucune preuve ne démontre que j’étais de connivence avec le défendeur ou que je lui ai accordé un traitement de faveur. Par conséquent, la requête en récusation sera rejetée.

 

Introduction

 

[4]               Le 10 août 2011, deux procédures ont été intentées au nom de la succession et de la famille de Mordred Hardy, décédé en 1999.

 

[5]               L’une de ces procédures est une action en dommages‑intérêts intentée au nom de « La succession, la veuve et les enfants de Mordred Hardy » contre le procureur général du Canada (ci-après le ministère public) pour un montant de 38 000 000 $ ( dossier de la Cour no T‑1300‑11). Les demandeurs allèguent que Mordred Hardy a été grièvement blessé en 1943 lors d’un exercice à la grenade sous-marine, alors qu’il servait dans la Marine royale du Canada à bord du NCSM Kamloops. Peu après sa libération, il a demandé une pension d’invalidité à cause de cette blessure; il a de nouveau présenté une demande en 1975, mais ce n’est qu’en 1997 qu’on lui a finalement accordé une pension d’invalidité pour cause de discopathie dégénérative provoquée par l’explosion d’une grenade sous-marine. Les demandeurs prétendent que la pension réclamée par Mordred Hardy lui a été refusée de manière [traduction] « répétée, délibérée et frauduleuse » entre 1943 et 1997, et que ses demandes de traitements médicaux ont été rejetées pendant plus de cinq décennies. Au paragraphe 11 de leur déclaration, les demandeurs prétendent détenir des preuves de [traduction] « manipulation, connivence, falsification de rapports, indifférence cruelle, abus de confiance, entrave à la justice et fraude » de la part du ministère des Anciens combattants.

 

[6]               L’autre instance concerne une demande de contrôle judiciaire visant la décision du 20 juillet 2011 par laquelle le Tribunal des anciens combattants (révision et appel) a confirmé la décision rendue par le comité de révision relativement à la demande de pension d’invalidité du défunt.

 

[7]               Les demandeurs dans les dossiers T‑1299‑11 et T‑1300‑11 sont représentés par M. Karl Hardy, fils de Mordred Hardy. Par souci de commodité, ils seront appelés collectivement les « Hardy » dans les présents motifs.

 

[8]               Comme les Hardy ont déposé une requête conjointe en récusation dans les deux instances et qu’ils s’appuient sur les mêmes éléments de preuve et observations, les présents motifs vaudront pour les deux dossiers.

 

Historique des procédures

 

[9]               Comme je l’ai mentionné, les Hardy ont déposé, le 10 août 2011, l’avis de demande dans le dossier T‑1299‑11, et la déclaration dans le dossier T‑1300‑11. Le ministère public a reçu signification de ces deux actes de procédure le 12 août 2011.

 

[10]           Le 25 août 2011, l’avocate du ministère public a écrit aux Hardy pour leur demander de consentir à ce que le délai soit prorogé jusqu’au 10 novembre 2011 afin qu’elle puisse signifier et déposer une défense dans le dossier T‑1300‑11, et signifier l’affidavit de son client dans le dossier T‑1299‑11. L’avocate indiquait que le ministère public présenterait, au titre de l’article 8 des Règles des Cours fédérales, une requête en interruption du délai prescrit pour déposer sa défense et en prorogation du délai de signification de son affidavit.

 

[11]           Le 28 août 2011, Karl Hardy répondait à la lettre dans un courriel ainsi libellé : [traduction] « Je confirme par la présente, au nom des demandeurs, que nous consentons à ce que le délai de signification soit prorogé jusqu’au 10 novembre 2011, comme vous l’avez demandé. » Il ajoutait que les Hardy présenteraient deux requêtes, l’une en vue d’obtenir la réunion des instances, et l’autre, l’autorisation de procéder à l’interrogatoire écrit d’une autre personne en application du paragraphe 237(3) des Règles.

 

[12]           Étant donné que les Hardy n’ont consenti qu’à une prorogation du délai de « signification », plutôt que de « signification et dépôt », l’avocate du ministère public a demandé des précisions, le 30 août 2011, afin de savoir si ce consentement ne s’appliquait qu’à la signification de l’affidavit du ministère public dans le dossier T‑1299‑11, et non à la signification et au dépôt de la défense dans le dossier T‑1300‑11. Karl Hardy a répondu ce qui suit le jour même :

 

[traduction] Puisque la preuve se recoupe, nous avons présumé dans notre réponse qu’il serait dans l’intérêt de la Cour que les deux instances soient réunies […] Comme la présente affaire dure depuis des années, le fait que des instances réunies ou distinctes prennent plus de temps ne nous pose aucun problème […] Si le juge fait droit à la requête visant à obtenir la réunion des instances, peut-être pourriez-vous revoir vos dates en conséquence; s’il s’y oppose, vous pourriez alors sans doute reconfirmer le délai dont vous avez besoin dans le dossier T‑1300‑11 pour achever la préparation de votre défense. Dans un cas comme dans l’autre, nous ne nous opposons pas au délai demandé dans le dossier T‑1299‑11.

 

 

[13]           Le 31 août 2011, l’avocate du ministère public indiquait par courriel à Karl Hardy qu’une requête en réunion des instances serait prématurée, car son client avait l’intention de présenter une requête en radiation de l’action dans le dossier T‑1300‑11.

 

[14]           Le 8 septembre 2011, les Hardy ont déposé, à l’égard de chacune des instances, un dossier de requête conjoint renfermant deux avis de requête. Le greffe a accepté que le dossier soit déposé malgré ses irrégularités. Le premier avis de requête visait à obtenir une ordonnance réunissant les deux instances. Dans le deuxième avis de requête, les demandeurs demandaient l’autorisation [traduction] « de procéder à l’interrogatoire écrit d’une autre personne ».

 

[15]           Le 13 septembre 2011, le ministère public a déposé des dossiers de requête identiques dans les deux instances. Ils sollicitaient une ordonnance :

 

a)                  suspendant les deux procédures en attendant la nomination d’un avocat en application des articles 112 et 121 des Règles des Cours fédérales;

 

b)                  suspendant le délai de signification et de dépôt par le Canada d’une défense dans le dossier T‑1300‑11, en vertu des articles 3 et 8 des Règles;

 

c)                  suspendant le délai de signification et de dépôt par le Canada des affidavits du défendeur dans le dossier T‑1299‑11, en vertu des articles 3 et 8 des Règles.

 

 

[16]           Le 15 septembre 2011, les Hardy ont déposé un dossier de requête en réponse à la requête du ministère public, de même qu’un autre dossier de requête visant à obtenir un jugement sommaire dans le dossier T‑1300‑11, au motif que le ministère public n’avait pas procédé à la signification et au dépôt de sa défense, ou demandé une prorogation de délai.

 

[17]           Les 16 et 20 septembre 2011, les Hardy ont transmis par courrier d’autres renseignements au greffe. Le 23 septembre 2011, ils ont déposé un autre dossier de requête contenant un affidavit et de nouvelles observations, en réponse à la requête en suspension des procédures et en prorogation de délai présentée par le ministère public. Les Hardy demandaient également que le traitement de leurs requêtes en réunion d’instances, en autorisation de procéder à l’interrogatoire écrit d’une autre personne et en jugement sommaire, soit accéléré.

 

[18]           Le 4 octobre 2011, le ministère public a déposé une requête en vue d’obtenir une ordonnance : a) fournissant des directives aux parties au sujet de la requête en réunion d’instances des Hardy; b) fournissant une directive intérimaire concernant la réponse du ministère public à cette requête; et c) désignant un juge chargé de la gestion de l’instance dans les deux procédures, lesquelles devaient être gérées concurremment.

 

[19]           Je suis intervenu pour la première fois dans les procédures le 20 octobre 2011, après que le greffe de Calgary eut demandé des directives sur les sujets suivants :

 

a)                  requête au nom du représentant du demandeur (document de requête no 10) en vue d’obtenir une ordonnance de réunion des instances dans les dossiers T‑1299‑11 et T‑1300‑11. Le même dossier de requête comprend un second avis de requête visant à obtenir l’autorisation de procéder à l’interrogatoire écrit d’une autre personne;

 

b)                  requête au nom du défendeur (document de requête no 3) en vue d’obtenir une ordonnance suspendant les procédures dans les dossiers T‑1299‑11 et T‑1300‑11 en attendant la nomination d’un avocat et diverses mesures;

 

c)                  requête au nom du défendeur (document de requête no 23) en vue d’obtenir des directives au sujet de la requête en réunion des instances et de la requête en jugement sommaire des demandeurs, de la réponse du défendeur à ces requêtes, et de la nomination d’un juge responsable de la gestion de l’instance.

 

 

[20]           Comme la Cour devait d’abord déterminer si Karl Hardy avait qualité pour engager les procédures au nom des Hardy avant d’instruire les autres requêtes, le greffe de Calgary a reçu instruction de transmettre la requête en suspension des procédures du ministère public afin qu’elle soit jugée sur dossier.

 

[21]           Le 25 octobre 2011, j’ai rendu une ordonnance suspendant les deux procédures en attendant la nomination d’un avocat qui agirait pour le compte des Hardy. Les documents de requête n’établissaient nullement que des lettres d’homologation ou d’administration avaient été délivrées relativement à la succession de Mordred Hardy. Rien ne prouvait non plus que Karl Hardy avait été autorisé par la succession, la veuve, les enfants ou les survivants de Mordred Hardy, à agir en leur nom. Par ailleurs, rien n’indiquait que Karl Hardy eût jamais demandé ou obtenu l’autorisation de représenter les Hardy. L’ordonnance prévoyait ce qui suit :

 

1.         Les procédures relatives aux dossiers de la Cour nos T‑1299‑11 et T‑1300‑11 sont par la présente suspendues en attendant que, dans chaque instance, les demandeurs désignent un avocat.

 

2.         La demande dans le dossier de la Cour no T‑1299‑11 et l’action dans le dossier de la Cour no T‑1300‑11 seront gérées à titre d’instances à gestion spéciale.

 

3.         Les parties ne prendront aucune autre mesure dans les dossiers de la Cour nos T‑1299‑11 et T‑1300‑11, sous réserve d’un appel, tant qu’une autre ordonnance ou de nouvelles directives n’auront pas été prononcées par le juge responsable de la gestion de l’instance.

 

 

[22]           Le 3 novembre 2011, les Hardy ont fait appel de l’ordonnance du 25 octobre 2011. L’avis de requête en appel visait également à obtenir une ordonnance en vue d’[traduction] « accélérer le traitement de la requête en réunion d’instances déposée par les demandeurs […] déjà indûment retardé», [traduction] « [celui] de la requête en autorisation de procéder à l’interrogatoire écrit d’une autre personne se rapportant à la demande et à l’action […] » et [traduction] « [celui] de la requête en jugement sommaire se rapportant au dossier de la Cour no T‑1300‑11 […] ». L’affidavit de Karl Hardy déposé à l’appui de l’appel des Hardy était accompagné d’une copie de la procuration accordée par Audrey Jackson Hardy et d’un affidavit souscrit par Helena Audrey Hardy, dont voici un extrait :

 

[traduction

a)                  Que je suis la seule exécutrice et bénéficiaire de la succession de feu mon époux, Mordred Hardy, conformément à son testament et à ses dernières volontés;

 

b)                  Que, en vertu de la procuration déposée à la Cour fédérale le 7 septembre 2011, mon fils, Karl S. Hardy est pleinement apte et autorisé, par moi, à représenter les intérêts des demandeurs désignés comme la succession, la veuve et […]

 

 

[23]           Dans le dossier de requête présenté en réponse à l’appel, le ministère public demandait des mesures accessoires relatives aux délais, et suggérait que, dans le dossier T‑1300‑11, l’action soit suspendue en attendant l’issue du contrôle judiciaire dans le dossier T‑1299‑11. Il mentionnait d’autre part qu’il avait intention de demander des précisions ainsi que la radiation de l’action.

 

[24]           Le 8 novembre 2011, j’ai été nommé à titre de juge responsable de la gestion des deux instances par ordonnance du juge en chef suppléant Simon Noël.

 

[25]           En décembre 2011, les Hardy ont cherché à déposer une requête en vue d’obtenir ma récusation. Comme les procédures avaient été suspendues par l’ordonnance du 25 octobre 2011, j’ai donné comme directive, le 6 janvier 2012, que le dépôt de cette requête soit refusé, sans préjudice au droit des Hardy de présenter une nouvelle demande une fois qu’il aura été statué sur l’appel dont l’audition était prévue le 7 février 2012.

 

[26]           Les Hardy ont contesté la directive au motif que la requête en récusation et l’appel de l’ordonnance suspendant les procédures étaient liés et devraient être instruits ensemble le 7 février 2012. Le 27 janvier 2012, le juge Yves de Montigny a formulé les directives suivantes en réponse aux objections des Hardy :

 

[traduction] Je souscris à la directive par laquelle le protonotaire a refusé le dépôt de la requête. L’ordonnance du 25 octobre 2011 indique clairement que les procédures sont suspendues en attendant la nomination d’un avocat par les demandeurs. Ces derniers pourront présenter une nouvelle requête en récusation si l’ordonnance est infirmée en appel ou lorsqu’un avocat sera nommé.

 

 

[27]           Le 11 février 2012, Karl Hardy a écrit au juge en chef pour se plaindre d’irrégularités et d’ingérence dans les dossiers, ainsi que du traitement de faveur dont bénéficiait le ministère public. Il prétendait que je n’avais pas le pouvoir de rendre des ordonnances, car les revendications au cœur des procédures échappaient à la compétence d’un protonotaire. Il faisait également allusion au fait que j’étais un ancien employé du ministère public, et a prétendu que ce dernier [traduction] « a eu recours à la tromperie, a dissimulé des éléments de preuve, a violé les règles de la Cour et a présenté des arguments fallacieux », que son inaction et les accommodements consentis par la Cour [traduction] « semblent relever de la connivence, de la partialité, de la manipulation et de l’obstruction délibérée et préjudiciable ». M. Hardy concluait sa lettre en demandant au juge en chef d’intervenir personnellement afin [traduction] « de restaurer l’équilibre et de préserver l’intégrité de la Cour » et de renvoyer le dossier à [traduction] « une juridiction supérieure et non corrompue ». Le juge en chef a finalement rejeté la plainte.

 

[28]           Le 16 février 2012, le juge Sean Harrington a rendu une ordonnance accompagnée de motifs dans laquelle il faisait droit à l’appel des Hardy : Succession Hardy c Canada (Procureur général), 2012 CF 220 (CanLII). Il a conclu que, bien que les Hardy n’aient déposé aucune procuration en réponse à la requête du ministère public, une procuration avait été versée ailleurs au dossier. Il s’est donc fondé sur l’article 351 des Règles des Cours fédérales, qui autorise le dépôt de nouveaux éléments de preuve en appel, et a accepté qu’une copie du testament de Mordred Hardy et une autre procuration soient déposées à l’audience.

 

[29]           Le juge Harrington a admis qu’il craignait que Karl Hardy ne représente pas sa mère adéquatement, qu’il se serve de la salle d’audience comme d’un lieu d’intimidation et qu’il soit exaspérant, mais il l’a tout de même autorisé à représenter les Hardy. Quant aux questions de délai soulevées par le ministère public, le juge a conclu qu’elles pouvaient être réglées par le juge responsable de la gestion de l’instance. En attendant, il a expressément dispensé le ministère public de l’obligation de déposer son dossier de requête dans le dossier T‑1299‑11, et sa défense dans le dossier T‑1300‑11. Le juge Harrington a d’ailleurs ajouté que, dans les circonstances, [traduction] « M. Hardy ne mérite pas de se voir adjuger les dépens ».

 

[30]           Karl Hardy a présenté une lettre, datée du 27 mars 2012, dans laquelle il me demandait d’instruire sans délai les requêtes des Hardy. Cette lettre se concluait par la mise en garde suivante :

 

[traduction] Comme vous le savez, une requête en récusation pour cause de partialité et d’application sélective des règles de la Cour est en instance. L’issue des deux autres requêtes déposées par les demandeurs déterminera s’il y a lieu de présenter à nouveau ladite requête ou de prendre d’autres mesures en prévision de l’audition des demandes T‑1299‑11/T‑1300‑11. Le fait qu’une requête en récusation n’ait pas été déposée ne justifie pas de retarder l’instruction des autres requêtes déposées.

 

 

[31]           Karl Hardy a déposé une autre lettre, le 3 avril 2012, dans laquelle il me demandait à nouveau d’examiner les requêtes des Hardy. Les paragraphes 3 et 7 de cette lettre sont ainsi rédigés :

 

[traduction
3.         Le ministère public a réclamé à plusieurs reprises plus de temps et il a, dès le 25 août 2011, menacé de signifier et déposer une requête en radiation de l’action T‑1300‑11. Aucun élément de preuve faisant état de cette intention n’a été signifié ou déposé à ce jour à l’égard de cette requête ou de toute autre question. Le ministère public a d’abord demandé une prorogation jusqu’au 10 novembre 2011 dans le dossier T‑1299‑11, et cette date a changé sans autre raison apparente que de faire obstruction. Les demandeurs font valoir que la façon dont la Cour a traité par le passé les dossiers T‑1299‑11/T‑1300‑11 sert la stratégie du ministère public visant à retarder indûment les deux instances, ce qui est aggravé par une application partiale des règles de la Cour qui avantage injustement le ministère public.

 

[…]

 

7.         Les demandeurs se réservent respectueusement le droit de signifier et déposer une requête visant à obtenir la récusation de M. Lafrenière s’il n’est pas donné suite à l’une ou l’autre de leurs requêtes. Ils demandent également une référence précise aux Règles des Cours fédérales au cas où ils seraient forcés de faire appel et/ou de présenter une requête en récusation pour que les dossiers T‑1299‑11/T‑1300‑11 puissent être instruits.

 

 

[32]           Le 3 avril 2012, j’ai formulé les directives suivantes à l’intention des parties :

 

[traduction] Veuillez informer M. Hardy qu’il ne convient pas d’écrire directement au juge responsable de la gestion de l’instance. Toute correspondance doit être plutôt adressée au greffe. Les parties doivent, conjointement ou séparément, fournir au plus tard le 10 avril 2012 une lettre contenant les renseignements suivants : a) une liste des requêtes en instance dans les dossiers de la Cour nos T‑1299‑11 et T‑1300‑11; b) un projet d’échéancier pour la signification et le dépôt des dossiers de requête en réponse.

 

 

[33]           En réponse aux directives de la Cour, Karl Hardy a produit, le 5 avril 2012, une autre lettre dans laquelle il indiquait que les Hardy se réservaient le droit de présenter une requête en récusation. Le paragraphe 6 de cette lettre se lit comme suit :

 

[traduction
6.         Mme Koch semble également s’appuyer sur une requête en récusation qui n’a pas été déposée. J’aimerais lui rappeler que le dépôt de cette requête a été refusé et qu’à l’heure actuelle, elle ne figure pas dans le dossier de la Cour. Il appartient entièrement aux demandeurs de décider si ladite requête sera déposée à nouveau. Mme Koch n’a pas à se servir d’une requête non déposée pour retarder davantage les choses. Si les demandeurs décident de déposer à nouveau la requête, ce sera après que M. Lafrenière aura statué sur les requêtes en instance, de manière à ce que les irrégularités que pourraient contenir ces décisions soient prises en compte dans l’éventuelle requête en récusation.

 

 

[34]           En ma qualité de juge responsable de la gestion de l’instance, j’ai, par ordonnance en date du 10 avril 2012, réprimandé Karl Hardy pour avoir manqué de respect à la Cour et employé un langage qui pouvait passer pour une tentative de faire pression sur elle et de l’intimider. Les paragraphes pertinents de mes motifs sont reproduits ci-après :

 

[traduction] [6]       Comme le déclarait le juge James Russel dans Bande de Sawridge c. Canada, 2005 CF 607, au par. 630 : « Le message transmis dans la documentation est on ne peut plus clair ». Non seulement M. Hardy considère la présente instance comme une bataille personnelle contre l’avocat de l’autre partie, mais il se place aussi en position d’affrontement personnel avec la Cour.

 

[7]        M. Hardy estime apparemment qu’il peut avoir le dernier mot sur le caractère raisonnable et approprié des conditions imposées par la Cour, et qu’il ne doit s’y soumettre que s’il les juge satisfaisantes. Il croit également pouvoir agiter à sa guise la menace d’une requête en récusation pour que la Cour agisse comme il le désire. M. Hardy doit se détromper s’il s’imagine qu’un tel comportement est acceptable de quelque manière que ce soit.

 

[8]        La Cour est tenue de faire respecter ses procédures ainsi que sa dignité et son honneur, notamment en maîtrisant les comportements déplacés ou irrespectueux à son endroit ou à l’endroit de la partie adverse. Qui plus est, la Cour pouvoir exercer ses fonctions en toute indépendance et rendre les décisions qu’elle juge appropriées.

 

[9]        Les demandeurs prétendent qu’il existe une crainte raisonnable que j’aie fait preuve de partialité à leur endroit et qu’un « lien de connivence » unit le ministère public et la Cour. La partie qui allègue avec insistance qu’un officier de justice nommé par le juge en chef pour gérer une instance soulève une crainte raisonnable de partialité, doit agir promptement pour obtenir la récusation de l’officier en question, sans quoi elle sera réputée avoir abandonné ses allégations.

 

 

[35]           Il a donc été ordonné aux Hardy de signifier et déposer leur requête en récusation, s’ils jugeaient bon de le faire, au plus tard le 20 avril 2012.

 

[36]           Comme aucune requête en ce sens n’a été présentée à cette date, j’ai ordonné la tenue d’une conférence de gestion de l’instance à Calgary, le 1er mai 2012, en présence des parties. Jusque-là, je n’avais eu affaire avec les parties que par écrit.

 

[37]           Durant cette conférence, les Hardy n’ont pas évoqué ma récusation. Karl Hardy a eu tout le loisir de présenter des observations sur ce qu’il a qualifié de [traduction] « violations manifestes et répétées » des Règles des Cours fédérales de la part du ministère public. L’avocate du ministère public a admis que l’affaire était partie du mauvais pied et que l’on n’avait pas répondu en temps opportun aux requêtes des Hardy.

 

[38]           Après avoir entendu les observations des parties, j’ai encouragé M. Hardy et l’avocate du ministère public à se rencontrer pour discuter de la meilleure façon de procéder dans les deux affaires. Lorsque la conférence de gestion d’instance a repris après une courte pause, M. Hardy a déclaré que les parties se trouvaient dans une impasse. Les parties ont convenu que la conférence de gestion d’instance devait être ajournée pour permettre à Karl Hardy de vérifier si sa famille consentait à ce que l’action soit suspendue en attendant l’issue de la demande de contrôle judiciaire. Karl Hardy a convenu que, si l’on ne consentait pas à la suspension de l’instance, il proposerait un plan d’action permettant d’activer les deux instances au plus tard le 8 mai 2012.

 

[39]           Le lendemain, Karl Hardy a déposé une lettre reproduisant tout simplement les mêmes griefs qu’il avait soulevés dans la correspondance précédente et au cours de la conférence de gestion de l’instance. Il indiquait du reste que, suivant l’issue des requêtes en instance, il pourrait déposer jusqu’à une douzaine d’autres requêtes.

 

[40]           Dans une autre lettre datée du 4 mai 2012, M. Hardy précisait qu’après [traduction] « mûre réflexion », il paraissait évident aux Hardy que le ministère public ne pourrait assurer sa défense dans l’une ou l’autre des instances, et laissait entendre que la Cour ne pouvait envisager que deux mesures convenables. Pour ce qui est de la demande se rapportant au dossier T‑1299‑11, M. Hardy demandait à ce que l’affaire soit déférée à un juge en vue d’un jugement immédiat. Quant à l’action engagée dans le dossier T‑1300‑11, il soutenait que des négociations en vue d’un règlement devaient avoir lieu sans tarder, et être suivies, en cas d’échec, d’un jugement sommaire ou d’un procès sommaire.

 

[41]           Comme les Hardy avaient exprimé l’intention de déposer une autre série de requêtes, et pour empêcher que les instances ne se transforment en un chaos généralisé, j’ai aussitôt prononcé une ordonnance de gestion d’instance, en date du 4 mai 2012, publiée sous Succession Hardy c Canada (Procureur général), 2012 CF 548 (CanLII), laquelle prévoyait ce qui suit :

 

1.                  Le greffe ne recevra ou ne déposera aucune autre requête, sauf un appel de la présente ordonnance, à moins que les demandeurs obtiennent au préalable l’autorisation de la Cour.

 

2.                  Une prorogation de délai est accordée au défendeur jusqu’au 25 mai 2012 afin qu’il puisse signifier et déposer un dossier de requête en réponse aux requêtes des demandeurs datées du 7 septembre 2011 [les requêtes en réunion d’instances/en autorisation de procéder à l’interrogatoire écrit d’une autre personne].

 

3.                  Sauf si la Cour rend une ordonnance ou une directive contraire, les requêtes des demandeurs seront tranchées par écrit.

 

 

[42]           Je qualifierais ce qui a suivi d’attaque en deux volets par les Hardy. Ces derniers ont d’abord produit un dossier de requête, le 9 mai 2012, pour interjeter appel de l’ordonnance du 4 mai 2012. Ils ont ensuite déposé la présente requête par écrit en vue d’obtenir une ordonnance m’obligeant à me « récuser » sur-le-champ à titre de juge responsable de la gestion des deux instances.

 

[43]           Comme les Hardy soulevaient des allégations semblables dans la requête en récusation et dans l’appel, et que la Cour est maître de ses propres procédures, j’ai ordonné que toutes les requêtes en instance, y compris celle en récusation, soient instruites après qu’il aura été statué sur l’appel des Hardy.

 

[44]           Le 17 juillet 2012, le juge Russel Zinn a rejeté l’appel des Hardy, concluant que la requête était futile. Il a accordé les dépens au ministère public quelle que soit l’issue de la cause. Il convient de reproduire les paragraphes 4 à 13 de ses motifs, où il traite de plusieurs des reproches que m’ont adressés les Hardy dans le cadre de la présente requête.

 

[traduction

[4]               M. Hardy soutient que les ordonnances visées par l’appel contreviennent aux articles 59, 153, 202, 204, 206, 210, 215, 220, 223, 228, 238, 257 et 380, ainsi qu’au paragraphe 369(2) et à l’alinéa 300a) des Règles des Cours fédérales. La plupart de ces dispositions ne sont ni applicables ni pertinentes au regard des ordonnances en question.

 

[5]               M. Hardy soutient en outre, et c’est là à mon avis le véritable motif de l’appel, que le juge responsable de la gestion de l’instance, M. Lafrenière, et la Cour se sont « mis en quatre pour le ministère public », ce qui est injuste. Les demandeurs ont présenté une requête en vue d’obtenir la récusation du juge Lafrenière; celle-ci a été suspendue en attendant l’issue du présent appel. Pratiquement toutes les allégations formulées par M. Hardy dans le cadre des observations orales présentées dans le présent appel touchaient à des questions convenant davantage à sa requête en récusation.

 

[6]               À l’audition du présent appel, M. Hardy a déposé un document intitulé « Déclaration et questions adressées à la Cour dans le cadre de l’appel relatif à l’ordonnance rendue par le protonotaire à l’audience du 5 juillet 2012 ». Ce document contient des erreurs factuelles, des méprises, des malentendus, et 52 questions distinctes posées à la Cour. M. Hardy ne se rend pas compte qu’il ne revient pas à la Cour saisie d’un appel visant la décision d’un juge responsable de la gestion d’une instance de répondre aux questions des parties : la Cour doit déterminer si elle doit intervenir et infirmer ladite décision.

 

[7]               Les juges responsables de la gestion d’instances disposent d’une grande latitude quant à la gestion des affaires qui leur sont confiées. L’article 385 des Règles définit la portée de ce pouvoir discrétionnaire et confère celui de « donner toute directive […] nécessaire pour permettre d’apporter une solution au litige qui soit juste et la plus expéditive et économique possible », et de fixer les délais applicables aux mesures à entreprendre, sans égard aux délais prévus par les Règles.

 

[8]               La Cour d’appel a déclaré que la Cour fédérale ne doit modifier une ordonnance prononcée par un juge responsable de la gestion d’une instance « que dans les cas où un pouvoir discrétionnaire judiciaire a manifestement été mal exercé » : Bande indienne de Sawridge et al c Canada, 2001 CAF 338, au par. 11.

 

[9]               Un examen sommaire des notes consignées dans le dossier permet amplement de constater qu’il est nécessaire d’assurer une certaine surveillance quant à la conduite des demandeurs. En date de l’audition du présent appel, les inscriptions au registre de la Cour montrent que plus de 66 documents ont été déposés dans le dossier T‑1299‑11, et plus de 73 dans le dossier T‑1300‑11 – la plupart par les demandeurs. Par ailleurs, dans une lettre adressée au greffe, le 3 mai 2012, M. Hardy indiquait qu’il avait l’intention de déposer jusqu’à une douzaine de nouvelles requêtes, selon l’issue des requêtes actuelles.

 

[10]           Par conséquent, j’estime que l’ordonnance par laquelle le juge responsable de la gestion des instances, M. Lafrenière, a exigé que les requêtes déposées par les demandeurs ne puissent l’être qu’avec l’autorisation préalable de la Cour, constituait un exercice légitime de son pouvoir discrétionnaire. C’était une réponse raisonnable à ce qui ressemble à une avalanche de requêtes visant à retarder le règlement définitif de ces questions, à accroître les frais du défendeur et à utiliser des ressources judiciaires limitées.

 

[11]           La deuxième ordonnance accordait un délai supplémentaire au défendeur pour qu’il puisse répondre à la requête déposée par les demandeurs le 7 septembre 2011. Il s’agissait d’une requête en réunion des instances se rapportant aux dossiers de la Cour T‑1299‑11 et T‑1300‑11. Afin de comprendre pourquoi le défendeur n’a pas encore répondu à ces requêtes, il faut savoir que ces instances ont été suspendues pendant très longtemps.

 

[12]           Les deux procédures ont été engagées le 10 septembre 2011 et le défendeur a reçu signification le lendemain. Dans les 30 jours qui ont suivi, le défendeur a présenté une requête pour obtenir, au titre des articles 112 et 121 des Règles, une ordonnance suspendant les instances en attendant que les demandeurs désignent un avocat. Le protonotaire Lafrenière a fait droit à cette demande le 25 octobre 2011. Cette ordonnance a été infirmée en appel par le juge Harrington le 16 février 2012. Entre-temps, le protonotaire Lafrenière a été chargé de la gestion de ces instances. Il a ordonné la tenue d’une conférence de gestion d’instance, le 1er mai 2012, et c’est finalement dans le cadre de cette conférence que les ordonnances visées par l’appel ont été rendues.

 

[13]           Compte tenu de ces faits et du délai qui s’est écoulé depuis le dépôt de la requête en réunion des instances, il était raisonnable d’accorder au défendeur une prorogation de délai pour qu’il puisse répondre à cette requête. Il était manifestement engagé dans le litige, il avait déposé une requête en suspension en attendant la nomination d’un avocat, et l’affaire a été suspendue jusqu’à ce que l’ordonnance soit infirmée en appel. Il restait encore à trancher la requête en réunion des instances, et j’estime qu’en prorogeant le délai pour permettre le dépôt d’une réponse, le juge responsable de la gestion de l’instance a raisonnablement exercé son pouvoir discrétionnaire. S’il était avocat, M. Hardy comprendrait qu’il s’agit là d’une pratique courante et usuelle dans les circonstances. La Cour a été informée à l’audition du présent appel que la réponse a été déposée dans le délai prescrit par M. Lafrenière, juge responsable de la gestion de l’instance.

 

 

[45]           Les Hardy ont interjeté appel des ordonnances du juge Zinn devant la Cour d’appel fédérale (nos de dossier de la Cour A‑340‑12 et A‑341‑12). Aucune autre mesure n’a été prise pendant que les appels étaient en instance.

 

[46]           Le 15 avril 2013, l’avocate du ministère public a écrit à la Cour pour l’informer que les appels interjetés par les Hardy devant la Cour d’appel fédérale avaient été abandonnés. À ma demande, le greffe a demandé aux parties si elles avaient d’autres observations à présenter en plus des documents déjà déposés. Cela nous a valu un flot de lettres de la part de Karl Hardy, dont aucune ne répondait à ma question.

 

[47]           Par souci d’exhaustivité, j’ajouterais que l’on peut trouver ça et là dans les deux dossiers de nombreuses lettres de Karl Hardy dans lesquelles il se plaint de la conduite du juge en chef, des juges Harrington et Zinn et de l’avocate du ministère public. Quoique la présente requête ne se prête pas à l’examen du bien-fondé des griefs des Hardy contre d’autres personnes, les raisons pour lesquelles ils l’ont présentée ont été mises en cause par le ministère public et doivent être abordées dans la mesure où elles concernent le caractère raisonnable ou la validité des reproches qu’ils m’ont adressés, et où elles ont une incidence sur l’intégrité de la présente instance.

 

[48]           C’est dans ce contexte que la requête en récusation des Hardy a été examinée.

 

Plaintes à l’origine de la requête en récusation

 

[49]           Les Hardy fondent leur requête sur l’affidavit de Karl Hardy souscrit le 22 mai 2012. Cet affidavit est irrégulier à plusieurs égards. Les « faits » y exposés sont incomplets, inexacts, voire mensongers. De plus, l’affidavit est tendancieux et argumentatif à l’extrême. Les observations écrites déposées à l’appui de la requête présentent les mêmes défauts.

 

[50]           Le ministère public présente, au paragraphe 9 de ses observations écrites, un résumé utile qui permet de démêler la preuve et les arguments, et de comprendre les fondements de la présente requête des Hardy. Les plaintes sont classées dans les sept catégories ci‑dessous, qui ont été établies à partir de l’affidavit et des observations écrites de Karl Hardy. Comme l’a souligné le ministère public, les exemples fournis ne sont pas exhaustifs, mais ils représentent bien les griefs et les allégations soulevés par les Hardy dans la catégorie sous laquelle ils se trouvent.

 

[traduction

A.                Plaintes selon lesquelles le protonotaire Lafrenière a entravé l’audition de requêtes valides, indûment ménagé le procureur général et retardé, avec sa complicité, les dossiers T‑1299‑11 et T‑1300‑11

 

Paragraphe 14 de l’affidavit de Karl Hardy – « L’ordonnance du protonotaire Lafrenière (pièce 3) :

[…] L) Avec la complicité du ministère public, a retardé et entravé à plusieurs reprises les dossiers T‑1299‑11 et T‑1300‑11, sans motif valable […] ». [Pièces 3a à 3d : ordonnance du 25 octobre 2011]

 

Paragraphe P des observations écrites des Hardy – « Devant tant d’irrégularités et de preuves de discrimination, les demandeurs ne peuvent que soupçonner une complicité et/ou une partialité irrégulière et discriminatoire de la part du protonotaire Lafrenière visant à défavoriser et/ou à retarder le traitement judiciaire des dossiers T‑1299‑11 et T‑1300‑11 au bénéfice exclusif d’une avocate du ministère public négligente, non préparée, sournoise et malhonnête, et qui a fait preuve, dès le début, de mauvaise foi et d’un manque d’égard pour les règles de la Cour. M. Lafrenière s’est montré accommodant devant une telle conduite, allant au‑delà de ce qu’exigent les règles de la Cour, le fair play, et la neutralité de la Cour, et il a outrepassé les limites de son pouvoir. »

 

Paragraphe 8 de l’affidavit de Karl Hardy – « Le ministère public n’a déposé aucun dossier de requête en réponse aux requêtes des demandeurs dans le délai prescrit par les Règles des Cours fédérales, et M. Lafrenière n’a pas veillé au respect de ces règles. Il n’a pas non plus formulé de directives à propos de l’absence de tels dossiers, et ce, de septembre 2011 à mai 2012. C’est comme si M. Lafrenière attendait que le ministère public, qui faisait preuve de négligence, lui dise quoi faire. Pour les demandeurs, il s’agit d’une entrave de facto aux requêtes. »

 

Paragraphe D des observations écrites des Hardy – « L’ordonnance que M. Lafrenière a rendue le 25 octobre 2011, ainsi que le sursis qu’elle prévoyait, ont été appliqués rétroactivement à une requête valide en autorisation de procéder à l’interrogatoire écrit d’une autre personne. Un interrogatoire légitime a été et continue d’être entravé sans motif valable. »

 

Paragraphe U des observations écrites des Hardy – « Le temps perdu dans la demande et l’action dépasse à présent six (6) et huit (8) mois respectivement, et il résulte en grande partie de retards artificiels. Des requêtes censées aller de l’avant ont été suspendues ou ignorées. Les retards et la partialité manifeste qui ont permis au ministère public de bénéficier de ces prorogations excessives sont préjudiciables, tendancieux, contraires aux règles de la Cour et révoltants. »

 

Paragraphe T des observations écrites des Hardy : – « […] À ce jour, les manquements répétés aux règles de la Cour ont nui ou fait obstacle aux requêtes légitimes du demandeur, ce à quoi M. Lafrenière a contribué par son indifférence devant le fait que les défendeurs transgressaient les règles et devant les préoccupations formellement soulevées par les demandeurs […] »

 

B.        Attaques incidentes visant les ordonnances rendues par le protonotaire Lafrenière le 4 mai 2012 et le 25 octobre 2011

 

Paragraphe O des observations écrites des Hardy – « M. Lafrenière n’a répondu à aucune preuve ou mention selon laquelle aucun motif ne justifiait, en fait, le sursis qu’il a ordonné le 25 octobre 2011, c.-à-d. :

[…] 8. Dans son ordonnance du 4 mai 2012, M. Lafrenière prolonge les délais de la Cour et tente de revenir 6 à 9 mois en arrière, ce qui est ridicule et contraire aux règles de la Cour et au fait que les plaidoiries sont en principe finies, et offre un avantage partial et inique au ministère public ».

 

Paragraphe 14 de l’affidavit de Karl Hardy – « L’ordonnance du protonotaire Lafrenière (pièce 3) :

[…] B)    a accordé un sursis qu’aucun motif ne justifie, comme le démontre la preuve. M. Lafrenière a souscrit aux allégations incorrectes, douteuses et inventées du ministère public sans poser de questions;

[…] D)    a accepté l’argument bidon du ministère public au mépris de la preuve irréfutable qui accompagnait les requêtes des demandeurs et établissait que celles du défendeur, de même que le sursis sur lequel elles reposaient, étaient en fait artificiels et dénués de fondement;

[…] E)    a ignoré l’ensemble de la preuve du demandeur concernant les allégations frauduleuses du ministère public et a permis à ce titre un retard injustifié et discriminatoire dans l’application régulière de la loi, en contravention de plusieurs lois (notamment la Loi sur les Cours fédérales) qui prévoient que le choix du représentant relève entièrement du demandeur;

[…] J)     a rejeté le dossier de requête déposé en réponse, qui démontrait encore qu’aucun motif ne justifiait d’accorder un sursis au titre de l’article 212 des Règles des Cours fédérales, comme l’indique l’ordonnance du 25 octobre 2011; »

 

Paragraphe I des observations écrites des Hardy – « M. Lafrenière a ignoré la preuve documentaire d’une procuration contenue dans les dossiers de requête du demandeur et soumise à la Cour de manière indépendante. Pourquoi? »

 

Paragraphe J des observations écrites des Hardy – « M. Lafrenière a rejeté une autre procuration produite en même temps qu’une copie du testament et du certificat de décès des Anciens combattants, lesquels authentifiaient les allégations du demandeur. Pourquoi? »

 

Paragraphe K des observations écrites des Hardy – « M. Lafrenière a rejeté la preuve établissant qu’un nombre important d’affaires devant la Cour fédérale sont plaidées par des individus non représentés par avocat, alors qu’il s’agit d’un fait notoire qu’un protonotaire de la Cour fédérale doit connaitre ou peut aisément vérifier. Pourquoi? »

 

C.        Plaintes selon lesquelles le protonotaire Lafrenière applique sélectivement les Règles des Cours fédérales au profit du procureur général, qu’il favorise à titre d’ancien employé du ministère de la Justice 

 

Paragraphe H des observations écrites des Hardy – « M. Lafrenière a manifestement utilisé deux poids deux mesures pour appliquer les règles de la Cour. Pourquoi? »

 

Paragraphe Q des observations écrites des Hardy – « Comme ils se sont conformés aux règles de la Cour dès le début, les demandeurs s’opposeront à toute tentative d’y contrevenir de la part du ministère public et de M. Lafrenière pour les empêcher de continuer à faire preuve de partialité. Lorsque le ministère public laisse échapper la balle, M. Lafrenière la lui renvoie. »

 

Paragraphe 14 de l’affidavit de Karl Hardy – « L’ordonnance du protonotaire Lafrenière (pièce 3) :

0)         M. Lafrenière est un ancien employé du défendeur. Compte tenu des violations des règles par le ministère public, tolérées par la Cour, des entraves répétées à la justice, de l’inaction de la Cour devant les requêtes valides présentées par les demandeurs, et finalement de la partialité ainsi démontrée, les demandeurs estiment que le protonotaire Lafrenière ne devrait pas être le juge responsable de la gestion des instances dans les dossiers T‑1299‑11 et T‑1300‑11. »

 

D.                Allégations selon lesquelles le protonotaire Lafrenière est un « sous-fifre » du procureur général, et qu’il est influençable et indûment soumis aux pressions du procureur général

 

Paragraphe 14 de l’affidavit de Karl Hardy – « L’ordonnance du protonotaire Lafrenière (pièce 3) :

0)         De plus, si un avocat du ministère public s’estime en droit d’écrire les ordonnances de M. Lafrenière en son nom (pièce 7), ce dernier apparaît alors comme un individu influençable, un “sous-fifre” du défendeur indûment soumis aux pressions du ministère public.

 

            La Cour doit également noter que l’avocate du ministère public a rédigé cette (pièce 7) après signification de l’appel en instance. Les demandeurs estiment que cela trahit encore la sournoiserie, l’arrogance et le trafic d’influence, et conforte l’avis du défendeur selon lequel la Cour est asservie au ministère public […] »

 

E.        Plaintes selon lesquelles le protonotaire Lafrenière n’a pas tenu compte de questions qui lui ont été renvoyées par le juge Harrington, et « a écarté une solution de rechange viable consistant à joindre les instances T‑1299‑11 et T‑1300‑11 au titre de l’alinéa 300a) des Règles des Cours fédérales […] »

 

Paragraphe 14 de l’affidavit de Karl Hardy – « L’ordonnance du protonotaire Lafrenière (pièce 3) :

N)        N’a pas tenu compte de plusieurs questions qui lui ont été renvoyées par le juge Harrington dans l’appel (pièce 5) ayant annulé pratiquement toutes les requêtes irrégulières du ministère public. Le juge Harrington a renvoyé de nombreuses questions soulevées lors de l’appel relatif à la requête des demandeurs au protonotaire Lafrenière, pour qu’il les réexamine et les tranche. Ces points ont été repris dans la correspondance adressée à la Cour, que M. Lafrenière a écartée lors de la conférence de gestion d’instance du 1er mai 2012 […] ».

P)         Bien que les demandeurs aient eu gain de cause en appel relativement au premier sursis accordé par M. Lafrenière (Harrington, 16 février 2012), ils estiment que ce dernier n’avait néanmoins aucun motif de surseoir aux instances dans les dossiers T‑1299‑11 et T‑1300‑11, que les questions qui lui ont été renvoyées dans l’appel relatif à l’ordonnance tranché par le juge Harrington ont été ignorées, et qu’il a enfreint les lois applicables et agi de manière totalement incompatible avec les Règles des Cours fédérales […].

 

Paragraphe L des observations écrites des Hardy – « M. Lafrenière n’a pas donné suite à une demande raisonnable présentée par les demandeurs pour forcer le défendeur à étayer l’allégation voulant que le représentant des demandeurs fût inapte à remplir ce rôle. Pourquoi? »

 

Paragraphe 6 de l’affidavit de Karl Hardy – « Le 7 septembre 2011, les demandeurs ont déposé une requête en réunion d’instances et une requête en autorisation de procéder à l’interrogatoire écrit d’une autre personne. Dans le premier cas, la réunion d’instances au titre de l’alinéa 300a) des Règles des Cours fédérales n’a pas été proposée lors de la conférence de gestion d’instance du 1er mai 2012. Cette solution de rechange a été éludée. La seconde requête n’a pas du tout été tranchée […] »

 

Paragraphe 14 de l’affidavit de Karl Hardy – « L’ordonnance du protonotaire Lafrenière (pièce 3) :

M)        A ignoré une solution de rechange viable consistant à joindre les instances T‑1299‑11 et T‑1300‑11 en vertu de l’alinéa 300a des Règles des Cours fédérales à titre d’actions réunies. Comme cet élément a été écarté et que les demandeurs ont adressé une question à la Cour à ce sujet avant que l’ordonnance (portée en appel) ne soit rendue, ceux-ci n’ont d’autre choix que de soupçonner que le ministère public et M. Lafrenière étaient de connivence. Ce dernier a induit les demandeurs en erreur lors de la conférence de gestion d’instance du 1er mai 2012. Les demandeurs ont été mal informés et poussés à accepter que la demande et l’action soient traitées de façon distincte, alors qu’il était possible de les regrouper au moyen de la requête en réunion d’instances fondée sur l’alinéa 300a) des Règles des Cours fédérales déposée le 7 septembre 2011 (pièce 5).

 

Les demandeurs estiment que la réunion de la demande et de l’action au titre d’actions réunies permet davantage une présentation rationnelle de la preuve dans des affaires que le ministère public qualifie lui-même d’“entremêlées et interreliées”. Le ministère public et M. Lafrenière n’ont pas répondu au raisonnement logique formulé par les demandeurs dans leur requête en réunion d’instances. M. Lafrenière a ignoré cette requête et l’a finalement rejetée le 1er mai 2012 sans envisager l’option prévue à l’alinéa 300a) des Règles des Cours fédérales. »

 

F.         Allégations selon lesquelles le protonotaire Lafrenière a eu une conduite répréhensible durant la conférence de gestion d’instance en personne qui s’est tenue le 1er mai 2012 

 

Paragraphe 14 de l’affidavit de Karl Hardy – « L’ordonnance du protonotaire Lafrenière (pièce 3) :

G)        N’a pas donné suite à une requête valide en réunion d’instances avant d’essayer d’imposer, le 1er mai 2012, une entente excluant l’option prévue à l’alinéa 300a) des Règles des Cours fédérales. Les demandeurs y voient une supercherie destinée à aider le ministère public;

K)        […] la conférence de gestion d’instance était arrangée, des points à l’ordre du jour ayant été exclus et l’issue, prédéterminée.

M)        A ignoré une solution de rechange viable consistant à réunir les instances T‑1299‑11 et T‑1300‑11 au titre de l’alinéa 300a) des Règles des Cours fédérales. Comme cet élément a été écarté et que les demandeurs ont adressé une question à la Cour à ce sujet avant que l’ordonnance (portée en appel) ne soit rendue, ces derniers n’ont d’autre choix que de soupçonner que le ministère public et M. Lafrenière étaient de connivence. Ce dernier a induit les demandeurs en erreur lors de la conférence de gestion d’instance du 1er mai 2012. Les demandeurs ont été mal informés et poussés à accepter que la demande et l’action soient traitées de façon distincte, alors qu’il était possible de les regrouper au moyen de la requête en réunion d’instances fondée sur l’alinéa 300a) des Règles des Cours fédérales déposée le 7 septembre 2011 (pièce 5). »

 

G.         Allégations selon lesquelles le protonotaire Lafrenière et la Cour fédérale ne sont pas neutres 

 

Paragraphe T des observations écrites des Hardy – « Les demandeurs estiment que les instances T‑1299‑11 et T‑1300‑11 doivent être instruites de façon complète, impartiale et accélérée devant une cour de justice neutre. À ce jour, les requêtes légitimes des demandeurs ont été entravées par des atteintes aux règles de la Cour auxquelles M. Lafrenière a contribué par son indifférence devant les violations commises par les défendeurs et devant les préoccupations formellement soulevées par les demandeurs. On ne peut pas dire que ce sont là les actions d’un tribunal neutre ou respectueux des règles. » [Souligné dans l’original].

 

Principes juridiques applicables

 

[51]           Les principes juridiques applicables à une requête en récusation sont bien connus : voir Bande indienne Wewaykum c Canada, 2003 CSC 45 (CanLII), 2003 CSC 45, [2003] 2 RCS 259. En bref, le critère relatif à la partialité entraînant l’inhabilité est celui de la crainte raisonnable de partialité.

 

[52]           C’est dans l’opinion dissidente exprimée par le juge de Grandpré dans l’arrêt Committee for Justice and Liberty et al c L’Office national de l’énergie et al, 1976 CanLII 2 (CSC), [1978] 1 RCS 369, à la page 394, que le critère moderne de partialité trouve son origine :

 

[…] [L]a crainte de partialité doit être raisonnable et le fait d’une personne sensée et raisonnable qui se poserait elle-même la question et prendrait les renseignements nécessaires à ce sujet. Selon les termes de la Cour d’appel, ce critère consiste à se demander « à quelle conclusion en arriverait une personne bien renseignée qui étudierait la question en profondeur, de façon réaliste et pratique. Croirait-elle que, selon toute vraisemblance [le décideur], consciemment ou non, ne rendra pas une décision juste?».

 

 

[53]           Les requêtes en récusation d’un fonctionnaire judiciaire font appel à un certain nombre de principes juridiques essentiels.

 

[54]           Tout d’abord, c’est à celui qui allègue la partialité qu’il incombe d’en établir l’existence. De « simples soupçons » ne suffisent pas. Il faut démontrer qu’il existe une probabilité ou un risque réel de partialité : voir R c S (RD), 1997 CanLII 324 (CSC), [1997] 3 RCS 484, [1997] ACS no 84 (QL).

 

[55]           Deuxièmement, la personne raisonnable à laquelle renvoie le critère doit être « bien renseignée », non seulement en ce qui touche aux circonstances pertinentes de l’affaire, mais aussi à la tradition d’intégrité et d’impartialité sur laquelle notre système judiciaire est fondé, qu’illustre et renforce le serment prêté par les juges. Dans R c S (RD), précité, le juge Cory déclarait, au paragraphe 116 :

 

Le serment que prononce le juge lorsqu’il entre en fonction est souvent le moment le plus important de sa carrière. À la fierté et à la joie se mêle en ce moment le sentiment de la lourde responsabilité qui accompagne cette charge. C’est un moment empreint de solennité, un moment déterminant qui restera gravé dans la mémoire du juge. Par ce serment, il s’engage à rendre la justice avec impartialité. Ce serment marque la réalisation des rêves d’une vie. Il n’est jamais prononcé à la légère. Durant toute leur carrière, les juges canadiens s’efforcent d’écarter les préjugés personnels qui sont le lot commun de tous les humains pour faire en sorte que les procès soient équitables et qu’ils paraissent manifestement équitables. Leur taux de réussite dans cette tâche difficile est élevé.

 

[56]           Troisièmement, le demandeur qui invoque la partialité du juge responsable de la gestion de l’instance doit établir qu’une personne raisonnable, sensée et bien renseignée qui examinerait la question de manière réaliste et pratique, considérerait que le juge en question fait preuve, consciemment ou inconsciemment, de partialité du fait de son rôle antérieur dans d’autres affaires auxquelles le demandeur était partie. La partialité s’entend dans ce cas d’une prédisposition à statuer sur les questions en litige d’une manière qui laisse croire que le juge responsable de la gestion de l’instance n’avait pas tout à fait l’esprit ouvert.

 

[57]           Quatrièmement, comme la présomption d’impartialité judiciaire est une présomption solide, les motifs allégués à l’appui de la récusation doivent être graves et convaincants.

 

[58]           Cinquièmement, la décision de se récuser ne devrait être prise qu’avec circonspection et se limiter aux cas les plus évidents et exceptionnels.

 

Analyse

 

[59]           Il n’y a pas de cas classique de partialité. Dans chaque cas, l’analyse est éminemment factuelle.

 

[60]           Les Hardy croient que ma récusation est nécessaire pour remédier à ce qu’ils perçoivent comme des injustices. Cependant, l’opinion subjective qu’ils ont quant à la sagesse de mes décisions et au caractère convenable de ma conduite n’est pas pertinente au regard du critère purement objectif qui s’applique aux requêtes en récusation. Le critère permettant d’établir l’existence d’une partialité réelle ou d’une crainte de partialité est exigeant, car il touche non seulement à l’intégrité personnelle du juge responsable de la gestion de l’instance, mais aussi à celle de toute l’administration de la justice. La preuve à cet égard doit être objective, fiable et convaincante.

 

[61]           Les faits exposés par Karl Hardy dans son affidavit sont un salmigondis confus et embrouillé d’arguments, d’insinuations, de malentendus et d’interprétations incorrectes des Règles des Cours fédérales. Le document manque cruellement de faits objectifs et spécifiques pouvant s’attacher aux allégations de partialité.

 

[62]           Plus préoccupant encore, les faits avancés par M. Hardy sont extrêmement sélectifs, intéressés et trompeurs. Par exemple, M. Hardy passe sous silence des événements importants, comme le fait que sa famille a d’abord consenti à la demande de prorogation du ministère public, et que le juge Harrington a explicitement dispensé le ministère public de l’obligation de signifier et de déposer une défense dans le dossier T‑1300‑11 en attendant d’autres ordonnances de la Cour. De plus, les Hardy n’ont pas reproduit la transcription de la conférence de gestion d’instance qui s’est tenue le 1er mai 2012, et durant laquelle je les aurais [traduction] « mal informés et poussés à accepter [etc.] ». La Cour en est réduite à conjecturer sur les faits qui sous-tendent la plainte des Hardy.

 

[63]           Il n’est pas rare qu’une partie déboutée attribue la décision contestée à la partialité ou à l’apparence de partialité du juge : voir Bande de Sawridge c Canada, 1997 CanLII 5294 (CAF), [1997] 3 CF 580, aux paragraphes 11 et 12. Cette partie ne devrait pas pouvoir empêcher qu’un juge soit saisi de la gestion de l’instance en dénigrant sa réputation, son intégrité et ses motifs. Comme l’expliquait le juge Mason dans Re JR. (1986), 161 CLR 342 (HC), au paragraphe 5 :

 

[traduction] Il est important que justice paraisse être rendue, mais il est tout aussi important que les officiers de justice s’acquittent de leur obligation de siéger et qu’ils n’encouragent pas les parties, en faisant droit avec empressement à des allégations d’apparence de partialité, à croire que, si elles demandent la récusation d’un juge, leur affaire sera instruite par une autre personne susceptible d’être plus favorable à leur cause.

 

 

[64]           Pour les motifs exposés par le juge Veit dans Broda c Broda, 2000 ABQB 948 (CanLII), au paragraphe 23, il est essentiel que le juge visé par une allégation de crainte raisonnable de partialité ou de partialité réelle ne cède pas à la tentation de [traduction] « choisir la voie de la facilité ». La Cour doit s’assurer que des droits importants ne sont pas sacrifiés simplement pour apaiser l’anxiété de ceux qui cherchent à obtenir satisfaction à tout prix : GWL Properties Ltd c WR Grace & Co of Canada Ltd 1992 CanLII 934 (BCCA), au paragraphe 13.

 

[65]           Il est également important que la Cour réprimande celui qui avance des allégations infondées ou spécieuses de partialité ou de conduite répréhensible. Comme le déclarait le juge Russell dans Bande de Sawridge, précitée, au paragraphe 156 :

 

[…] [U]n postulat sur lequel repose notre système juridique c’est qu’il y a lieu de présumer l’impartialité des juges. Il n’en découle pas que les avocats doivent hésiter à contester des décisions ou le comportement de juges lorsque les circonstances le justifient, ou être intimidés face à une telle possibilité. Notre système présume l’impartialité des juges, mais son bon fonctionnement requiert également que des avocats francs et intrépides sonnent l’alarme lorsqu’ils croient que le processus est entaché par une crainte raisonnable de partialité. Tout cela dépend pour une grande part du discernement et de la bonne foi des avocats. Un système de freins et contrepoids devrait garantir que des demandes ne sont présentées à cet égard que lorsque les circonstances le justifient. Si, toutefois, la Cour estime que les allégations faites sont inopportunes, elle doit tout aussi franchement signaler ce qu’elle considère être des abus, de la mauvaise foi ou un manque de responsabilité de la part des avocats. Le rôle tant du juge que des avocats requiert d’eux une grande franchise à l’égard de questions qui peuvent s’avérer quelque peu délicates. À mon avis, toutefois, le caractère équitable et l’intégrité de notre système judiciaire exigent qu’on ne joue pas les timides lorsqu’on traite les demandes relatives à la crainte raisonnable de partialité. Ces demandes touchent au cœur même de l’administration de la justice et minent la confiance du public en l’impartialité et l’intégrité du système judiciaire. Les allégations sont faciles à faire, mais plus difficiles à retirer. On doit en traiter de manière ferme et ouverte.

 

 

[66]           Le ministère public soutient qu’une personne raisonnable et sensée, bien renseignée sur tous les faits, conclurait que j’ai été impartial, raisonnable et juste envers les Hardy. Je souscris aux observations écrites détaillées du ministère public que je fais miennes.

 

[67]           À mon avis, plusieurs des plaintes et allégations des Hardy procèdent, à la base, d’une interprétation subjective des Règles des Cours fédérales et d’une mauvaise compréhension de la procédure qui régit la Cour fédérale, du droit et du processus judiciaire. Comme ils ne comprennent pas vraiment les Règles, les Hardy préfèrent mettre leurs difficultés sur le compte de ma gestion de l’instance.

 

[68]           J’estime également que les allégations d’entrave, de retard et de favoritisme avancées par les Hardy sont un moyen indirect de contester les décisions de la Cour qui ont l’autorité de la chose jugée – en particulier celle du juge Harrington datée du 16 février 2012, et celle du juge Zinn datée du 17 juillet 2012. Comme ils n’ont pas fait appel de la décision du juge Harrington, et qu’ils ont renoncé à l’appel interjeté contre celle du juge Zinn, il n’est plus loisible aux Hardy de revenir sur les conclusions de ces décisions.

 

[69]           J’estime en outre que les allégations portées contre moi sont sérieusement minées par le retard que les Hardy ont mis à présenter la présente requête. Il est important de rappeler qu’ils avaient tenté d’obtenir ma récusation en décembre 2011 par voie de requête. À ce moment, la seule décision que j’avais rendue sur le fond concernait la requête en suspension des procédures en attendant la nomination d’un avocat qu’avait présentée le ministère public. Les Hardy soutiennent que j’ai eu tort de faire droit à cette requête, ce qui a été confirmé en appel; or, cela est tout simplement faux. Le juge Harrington a mené en substance une audience de novo en se basant sur de nouveaux éléments de preuve qui ne m’avaient pas été présentés. Les Hardy ont choisi de ne pas aller de l’avant avec leur requête en récusation après la décision du juge Harrington. En fait, ils ont plutôt menacé à plusieurs reprises de réactiver leur requête pour me tenir en respect, suspendant ainsi métaphoriquement une épée de Damoclès au-dessus de ma tête. De telles tactiques d’intimidation sont extrêmement choquantes et inadmissibles.

 

[70]           Les Hardy affirment carrément que j’ai favorisé le ministère public parce que je suis un ancien employé du ministère de la Justice. L’impartialité du juge est présumée et celui qui demande sa récusation doit établir que les circonstances permettent de conclure qu’il doit être récusé : voir Wewaykum, précité. Les Hardy n’ont rien établi de tel. Une personne raisonnable qui examinerait la question de manière réaliste ne conclurait pas que ma capacité à demeurer impartial était compromise parce que j’ai travaillé pour le ministère de la Justice il y a plus de quatorze ans.

 

[71]           Ce n’est pas en établissant qu’un juge a certaines croyances ou opinions que l’on peut exiger sa récusation. Il faut démontrer que ces croyances ou opinions l’ont empêché de faire abstraction de préjugés et de parvenir à une décision fondée sur la preuve. Dans le cas d’un juge responsable de la gestion de l’instance, il est admis que le fait qu’il puisse avoir instruit d’autres requêtes et ait pu être influencé par ce qu’il a entendu et décidé ne justifie pas qu’il soit récusé.

 

[72]           Dans la décision Control & Metering Ltd c Karpowicz, 1994 CanLII 7233 (CS Ont.), le demandeur sollicitait une ordonnance remplaçant la juge responsable de la gestion de l’instance, en raison d’une crainte raisonnable de partialité. Le juge MacDonald a fait observer que l’équité n’exige pas que chaque requête interlocutoire présentée dans le cadre d’une action soit examinée dans l’absolu, et que [traduction] « pourvu que tout préjugé n’amène pas le juge à outrepasser ses pouvoirs et obligations en vertu de la loi, tel préjugé ne peut donner lieu à une crainte raisonnable de partialité ». Le juge MacDonald a conclu, au paragraphe 44 de ses motifs, que cette notion de préjugé est loin de correspondre à l’idée d’un esprit fermé.

 

[traduction] Dans l’affaire qui nous occupe, j’estime que, compte tenu de l’objet des règles de gestion d’instance, de l’intérêt public qu’elles visent à servir et des pouvoirs discrétionnaires qu’elles confèrent à la juge responsable de la gestion d’instance, celle‑ci ne doit être récusée que si le demandeur établit qu’il existe une crainte, raisonnable dans les circonstances, que les opinions de la juge sont telles qu’elle n’est plus en mesure de se laisser convaincre par la preuve à déposer (le cas échéant) et les arguments juridiques à soulever dans les requêtes subséquentes. La crainte qu’elle puisse alors tenir compte des opinions sur les faits et les questions juridiques qu’elle a pu se former lors des précédentes requêtes est fondée. C’est ce que prévoient les règles de gestion d’instance. Cela ne saurait cependant soulever une crainte de partialité suffisante pour que la juge soit récusée, puisque c’est précisément ce que les règles prévoient.

 

 

[73]           Si l’on examine objectivement les plaintes et les allégations des Hardy en tenant compte de l’ensemble du dossier, il devient on ne peut plus clair qu’elles ne satisfont pas au critère applicable.

 

Conclusion

 

[74]           La présente demande porte essentiellement sur une seule question : « Qu’aurait découvert une personne sensée et raisonnable qui aurait pris le temps et se serait donné la peine de se renseigner sur la véritable situation?»

 

[75]           Je suis convaincu qu’une personne raisonnable et sensée, bien renseignée sur tous les faits, conclurait que j’ai agi dans les deux instances de façon impartiale, raisonnable, juste et légitime. Par conséquent, la requête des Hardy est rejetée.

 

Dépens

 

[76]           Le ministère public soutient que les arguments calomnieux que les Hardy ont fait valoir dans le cadre de la présente requête, qui est au fond leur deuxième tentative, justifient de les condamner à des dépens plus élevés. Le ministère public a demandé l’autorisation de présenter des observations écrites sur la question des dépens une fois qu’il aura été statué sur la requête.

 

[77]           Dans un avis adressé à la communauté juridique le 30 avril 2010 et intitulé « Les dépens dans la Cour fédérale », l’ancien juge en chef Allan Lutfy affirmait que les parties devaient se préparer à débattre de l’issue et/ou du montant des dépens avant la fin de l’audience. Cette directive de pratique visait à réduire les retards et frais inutiles que peut occasionner la taxation des dépens. Il en va de même des requêtes écrites.

 

[78]           Dans le cas qui nous occupe, je ne vois aucune raison de m’écarter de la règle générale voulant que les dépens suivent l’issue de la cause. S’agissant du montant des dépens à accorder, je conviens avec le ministère public qu’il doit être plus élevé. Les Hardy ont formulé des allégations insensées, inutiles, incendiaires et désobligeantes à l’encontre de la Cour, et ils ont présenté des documents volumineux, sans pertinence ni objet précis. Je suis convaincu que des dépens spéciaux, établis sous la forme d’une somme globale payable sur-le-champ, doivent être adjugés contre les Hardy pour avoir présenté une requête tout à fait malvenue, vexatoire et digne de réprimande.


 

ORDONNANCE

 

LA COUR STATUE que :

 

1.                  La requête est rejetée.

 

2.                  Les dépens de la requête, fixés par la présente à 2 500 $, comprenant débours et taxes, doivent être versés sur-le-champ par les demandeurs, quelle que soit l’issue de la cause.

 

3.                  Il est ordonné au greffe de verser une copie de la présente ordonnance au dossier de la Cour no T‑1300‑11.

 

 

« Roger R. Lafrenière »

Juge responsable de la gestion de l’instance

 

 

 

Traduction certifiée conforme

Édith Malo, LL.B.

 


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

DOSSIER :                                                    T‑1299‑11

 

INTITULÉ :                                                  LA SUCCESSION ET LES SURVIVANTS
DE MORDRED HARDY, ANCIEN COMBATTANT
c
LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

 

 

REQUÊTE ÉCRITE EXAMINÉE À VANCOUVER (COLOMBIE-BRITANNIQUE), EN VERTU DE L’ARTICLE 369 DES RÈGLES

 

 

MOTIFS DE L’ORDONNANCE

ET ORDONNANCE :                                  LE PROTONOTAIRE LAFRENIÈRE

 

 

DATE DES MOTIFS :                                 Le 2 juillet 2013

 

 

COMPARUTIONS :

 

Karl Hardy

 

POUR LES DEMANDEURS

(POUR SON PROPRE COMPTE ET EN LEUR NOM)

 

 

Deborah Babiuk-Gibson

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Karl Hardy

 

POUR LES DEMANDEURS

(POUR SON PROPRE COMPTE ET EN LEUR NOM)

 

 

William F. Pentney

Sous-procureur général du Canada

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

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