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 Date: 20120209


Dossier : IMM-5095-11

Référence : 2012 CF 190

Montréal (Québec), le 9 février 2012

En présence de monsieur le juge Shore 

 

ENTRE :

 

EDUARDO HERNANDEZ CARDOZO

 

 

 

demandeur

 

et

 

 

 

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

 

 

 

défendeur

 

 

 

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

Au préalable

Dans ce dossier, l’avocat a demandé que les représentations se fassent par écrit et elle affirme d’avoir consulté son client qui lui a donné son consentement de procéder sur la foi du dossier.

I Introduction

1.               Le présent cas s’intéresse à l’appréciation de la crédibilité entachée par des contradictions, des omissions et des invraisemblances de la preuve testimoniale.

 

2.                  La crédibilité d’un demandeur d’asile est un élément crucial de la revendication notamment dans la perspective de circonscrire adéquatement la crainte subjective du demandeur. Les conclusions relatives à la crédibilité de l’organisme administratif appellent une haute déférence.

 

3.                  Même si la SPR a commis une erreur dans l’appréciation de l’identité du demandeur, cette erreur n’est pas déterminante et ne mine pas sa conclusion relative à la crédibilité du demandeur.

 

II Procédure judiciaire

4.                  Il s’agit d’une demande de contrôle judiciaire en vertu du paragraphe 72(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27 [LIPR], à l’encontre d’une décision de la Section de la protection des réfugiés [SPR] de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié [CISR], rendue le 13 juin 2011, selon laquelle le demandeur n’a ni la qualité de réfugié au sens de la Convention tel que défini à l’article 96 de la LIPR ni la qualité de personne à protéger selon l’article 97 de la LIPR.

 

III Faits

5.                  Le demandeur, monsieur Eduardo Hernandez Cardozo est âgé de 26 ans et est citoyen du Mexique.

 

6.                  Le demandeur allègue avoir été victime d’un détournement de voiture, alors qu’il était accompagné de son ami Mauricio Lopez.

 

7.                  L’un des auteurs du détournement serait Angel Talamentes, ayant fréquenté la même école que monsieur Hernandez Cardozo.

 

8.                  Monsieur Hernandez Cardozo allègue qu’après l’évènement, il n’a jamais revu son ami, Mauricio Lopez et qu’il a été menacé par le pirate de la route Angel Talamentes.

 

9.                  Monsieur Hernandez Cardozo arrive au Canada le 11 avril 2008 où il demande l’asile quatre jours plus tard.

 

IV Décision faisant l’objet de la présente demande de contrôle judiciaire

10.              La SPR n’a pas reconnu l’identité du demandeur d’asile. En effet, la SPR note que le demandeur n’a présenté aucun document corroborant son identité autre qu’un passeport mexicain délivré le 22 février 2008. La SPR a relevé des contradictions relatives à l’obtention du passeport. Le demandeur se trouvait à Mexico lorsque le passeport a été obtenu depuis la ville de San Juan Del Rio. De plus, selon la SPR, la preuve documentaire révèle qu’une preuve d’identité officielle avec photo est requise pour obtenir le passeport alors que le demandeur prétendait n’avoir eu besoin que de son acte de naissance . La SPR n’a pas été satisfaite de l’explication du demandeur selon laquelle il l’aurait eu en sa possession alors qu’il vivait caché chez sa grand-mère, car il voulait postuler à un emploi en décembre 2007.

 

11.              La SPR juge également le demandeur non crédible, car des parties de son récit manquent de vraisemblance et qu’il a ajouté des éléments à son récit lors de l’audience. Premièrement, la SPR est d’avis que le comportement du demandeur après le détournement de voiture ne cadre pas avec celui d’une personne ayant vécu une agression en compagnie d’un proche ami. La SPR note, entre autres, que le demandeur n’a pas communiqué avec la famille de son ami après l’évènement. Aucune preuve n’a été présentée indiquant que cet ami existait et qu’il avait été tué. Deuxièmement, le demandeur n’a pas signalé immédiatement le détournement de voiture à la police. Il aurait tenté de porter plainte près de deux mois plus tard après avoir aperçu Angel Talamentes posant des questions à son sujet. Troisièmement, le demandeur n’a pas fait mention dans son formulaire de renseignements personnels [FRP] des menaces que ses parents recevaient par téléphone depuis le détournement de voiture et qu’ils auraient même entrepris des démarches pour déménager.

 

V Point en litige

12.              Dans les circonstances, la décision de la SPR est-elle raisonnable?

 

VI Dispositions législatives pertinentes

 

13.              Les dispositions suivantes de la LIPR s’appliquent au présent cas :

 

Définition de « réfugié »

 A qualité de réfugié au sens de la Convention — le réfugié — la personne qui, craignant avec raison d’être persécutée du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de son appartenance à un groupe social ou de ses opinions politiques :

a) soit se trouve hors de tout pays dont elle a la nationalité et ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut se réclamer de la protection de chacun de ces pays;

b) soit, si elle n’a pas de nationalité et se trouve hors du pays dans lequel elle avait sa résidence habituelle, ne peut ni, du fait de cette crainte, ne veut y retourner.

Personne à protéger

 (1) A qualité de personne à protéger la personne qui se trouve au Canada et serait personnellement, par son renvoi vers tout pays dont elle a la nationalité ou, si elle n’a pas de nationalité, dans lequel elle avait sa résidence habituelle, exposée :

a) soit au risque, s’il y a des motifs sérieux de le croire, d’être soumise à la torture au sens de l’article premier de la Convention contre la torture;

b) soit à une menace à sa vie ou au risque de traitements ou peines cruels et inusités dans le cas suivant :

(i) elle ne peut ou, de ce fait, ne veut se réclamer de la protection de ce pays,

(ii) elle y est exposée en tout lieu de ce pays alors que d’autres personnes originaires de ce pays ou qui s’y trouvent ne le sont généralement pas,

(iii) la menace ou le risque ne résulte pas de sanctions légitimes — sauf celles infligées au mépris des normes internationales — et inhérents à celles-ci ou occasionnés par elles,

(iv) la menace ou le risque ne résulte pas de l’incapacité du pays de fournir des soins médicaux ou de santé adéquats.

Personne à protéger

(2) A également qualité de personne à protéger la personne qui se trouve au Canada et fait partie d’une catégorie de personnes auxquelles est reconnu par règlement le besoin de protection.

Convention refugee

 A Convention refugee is a person who, by reason of a well-founded fear of persecution for reasons of race, religion, nationality, membership in a particular social group or political opinion,

(a) is outside each of their countries of nationality and is unable or, by reason of that fear, unwilling to avail themself of the protection of each of those countries; or

 

(b) not having a country of nationality, is outside the country of their former habitual residence and is unable or, by reason of that fear, unwilling to return to that country.

Person in need of protection

 (1) A person in need of protection is a person in Canada whose removal to their country or countries of nationality or, if they do not have a country of nationality, their country of former habitual residence, would subject them personally

 

(a) to a danger, believed on substantial grounds to exist, of torture within the meaning of Article 1 of the Convention Against Torture; or

(b) to a risk to their life or to a risk of cruel and unusual treatment or punishment if

 

(i) the person is unable or, because of that risk, unwilling to avail themself of the protection of that country,

(ii) the risk would be faced by the person in every part of that country and is not faced generally by other individuals in or from that country,

(iii) the risk is not inherent or incidental to lawful sanctions, unless imposed in disregard of accepted international standards, and

(iv) the risk is not caused by the inability of that country to provide adequate health or medical care.

Person in need of protection

(2) A person in Canada who is a member of a class of persons prescribed by the regulations as being in need of protection is also a person in need of protection.

 

 

VII Position des parties

14.              D’une part, la partie demanderesse prétend que la preuve au dossier, notamment les notes de l’agent d’immigration rencontré par le demandeur, indique que ce dernier avait en sa possession un permis de conduire et une carte d’électeur indiquant sa citoyenneté. La preuve documentaire étayerait également l’explication du demandeur selon laquelle un simple acte de naissance suffit pour obtenir un passeport. La partie demanderesse soutient que la SPR a erré en ne tenant pas compte du passeport mexicain qu’elle aurait dû faire expertiser si elle doutait de son authenticité. D’autre part, la partie demanderesse soutient que la SPR a mal apprécié la crédibilité s’attardant à des détails du témoignage du demandeur sans tenir compte des faits essentiels de la revendication. De plus, elle soutient que la possibilité de refuge intérieur [PRI] n’a pas fait l’objet d’une analyse de la part de la SPR. La SPR a commis une erreur de droit en omettant d’analyser le risque auquel le demandeur fait face advenant son retour au Mexique.

 

15.              La partie défenderesse, quant à elle, soutient que le caractère raisonnable de la conclusion relative à l’identité du demandeur suffit à faire rejeter la demande de contrôle judiciaire. La SPR était en droit de douter de l’authenticité du passeport puisque le demandeur ne pouvait éclaircir les circonstances entourant son obtention. La preuve documentaire appuie d’ailleurs la conclusion de la SPR en ce que l’acte de naissance seul ne suffit pas à l’obtention d’un passeport. Quant à la question de la crédibilité, elle soutient que la SPR a raisonnablement retenu contre le demandeur les omissions et invraisemblances touchant le cœur de la revendication du demandeur. En effet, les invraisemblances et omissions concernaient la disparition de l’ami du demandeur, le détournement de la voiture, la tentative de plainte et les menaces à ses parents.

 

VIII Analyse

16.              Un haut degré de déférence est dû envers les conclusions de faits d’un décideur des faits. La décision de la SPR doit donc être analysée à la lumière de la norme de la décision raisonnable (Dunsmuir c Nouveau-Brunswick, 2008 CSC 9, [2008] 1 RCS 190).

 

17.              L’organisme administratif est présumé avoir pris connaissance de l’ensemble de la preuve versée au dossier à moins qu’il n’omette de discuter d’un élément important contraire à sa conclusion (Cepeda-Gutierrez c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1998] ACF no 1425, [1998] FCJ No 1425(QL/Lexis)).

 

18.            La SPR n’a pas reconnu l’identité du demandeur. Elle mentionne que ce dernier n’a fourni aucun autre élément de preuve que son passeport mexicain (décision de la SPR au para 5). Or, il appert de l’analyse du dossier que le demandeur avait également en sa possession sa carte d’électeur et son permis de conduire. Les notes de l’agent d’immigration en date du 22 mai 2008 rencontré par le demandeur en font mention (Dossier du tribunal [DT] à la p 119) et une photocopie de ces deux pièces d’identité avait été versée au dossier (DT à la p 117).

 

19.           La SPR pouvait valablement soulever que les circonstances entourant l’obtention du passeport semaient le doute sur son authenticité en raison des contradictions et des omissions dans le témoignage du demandeur, et ce, à la lumière de la preuve documentaire qui énonce les documents nécessaires à l’obtention d’un passeport.

 

20.              Cependant, elle se devait, pour apprécier l’identité du demandeur, de tenir compte de l’ensemble de la preuve et de discuter notamment d’éléments de preuve aussi importants qu’une carte d’identité et un permis de conduire.

 

21.              La SPR a donc erré dans l’analyse de l’identité du demandeur.

 

22.              Bien que la SPR n’ait pas reconnu l’identité du demandeur, elle s’est tout de même penchée sur le récit du demandeur en analysant de façon méticuleuse son récit si bien que l’erreur quant à l’identité pourrait ne pas être déterminante.

 

23.              La SPR a mené une analyse indépendante de la question d’identité et il importe donc de déterminer si la SPR a erré dans son appréciation de la crédibilité du demandeur.

 

24.              La Cour d’appel fédérale dans Aguebor c Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration), [1993] FCJ No 732, [1993] ACF no 732 (QL/Lexis) a expliqué en ces termes le rôle de l’organisme administratif en matière de vraisemblance du récit :

4                    Il ne fait pas de doute que le tribunal spécialisé qu'est la section du statut de réfugié a pleine compétence pour apprécier la plausibilité d'un témoignage. Qui, en effet, mieux que lui, est en mesure de jauger la crédibilité d'un récit et de tirer les inférences qui s'imposent? Dans la mesure où les inférences que le tribunal tire ne sont pas déraisonnables au point d'attirer notre intervention, ses conclusions sont à l'abri du contrôle judiciaire. Dans Giron, la Cour n'a fait que constater que dans le domaine de la plausibilité, le caractère déraisonnable d'une décision peut être davantage palpable, donc plus facilement identifiable, puisque le récit apparaît à la face même du dossier. Giron, à notre avis, ne diminue en rien le fardeau d'un appelant de démontrer que les inférences tirées par le tribunal ne pouvaient pas raisonnablement l'être. L'appelant, en l'espèce, ne s'est pas déchargé de ce fardeau. [La Cour souligne]

 

 

25.              Dans le présent cas, la SPR a noté des invraisemblances sur des éléments centraux du récit du demandeur et non sur des éléments accessoires. Ainsi, la SPR a jugé qu’il était invraisemblable que le demandeur n’ait cherché à joindre son ami que deux jours après le détournement de voiture à la suite duquel il aurait été tué. Le demandeur n’a pas cherché à joindre la famille de son ami ni à se présenter chez lui pour avoir des nouvelles. L’explication du demandeur selon laquelle son ami n’était pas souvent chez lui n’a pas été retenue par la SPR. Celle-ci souligne également l’invraisemblance du comportement du demandeur après le détournement de voiture. Le demandeur n’aurait pas cherché à porter plainte que deux mois après l’évènement traumatisant, et ce, même s’il connaissait l’identité de l’un des pirates de la route et qu’il ait reçu des menaces.

 

26.              La SPR a également valablement noté que le demandeur n’avait pas cherché à apporter des preuves corroborant son récit (Ramanathan c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), 2004 CF 862 au para 10).

 

27.        De plus, il est bien établi par la jurisprudence que l’omission du demandeur d’inclure dans son FRP une allégation importante de sa revendication peut amener la SPR a tiré une conclusion de crédibilité défavorable au demandeur (Singh c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), 2006 CF 357 au para 17).

 

28.              L’explication du demandeur, lors de l’audience, voulant que la nervosité l’ait empêché de mentionner que ses parents étaient menacés par son présumé agent persécuteur n’a pas été jugée concluante par la SPR puisque le demandeur avait rempli ce document avec un conseil et avait eu tout le loisir de le modifier.

 

29.                 Le demandeur n’ayant pas établi une crainte subjective, il était loisible à la SPR de ne pas procéder à l’analyse d’une PRI. Cette Cour a rappelé, à maintes reprises, que la crédibilité est un élément crucial de la revendication et que le défaut du demandeur de démontrer le caractère déraisonnable de la conclusion de la SPR sur ce point fait échec à la demande de contrôle judiciaire  (Cienfuegos c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), 2009 CF 1262 au para 25).

 

 

 

IX Conclusion

30.              Pour l’ensemble de ces motifs, la décision de la SPR n’est pas déraisonnable et la demande de contrôle judiciaire est rejetée.

 

 


JUGEMENT

LA COUR ORDONNE que la demande de contrôle judiciaire soit rejetée.

Aucune question d’importance générale n’est certifiée.

 

 

 

“Michel M.J. Shore”

Juge


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

DOSSIER :                                        IMM-5095-11

 

INTITULÉ :                                       EDUARDO HERNANDEZ CARDOZO

                                                            et  MCI

 

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                 Montréal (Québec)

 

DATE DE L’AUDIENCE :               le 8 février 2012

 

MOTIFS DU JUGEMENT

ET JUGEMENT :                              LE JUGE SHORE

 

DATE DES MOTIFS :                      le 9 février 2012

 

 

 

COMPARUTIONS :

 

 

 

Denisa Chrastinova

POUR LE DÉFENDEUR

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Maria Cristina Marinelli

 

POUR LES DEMANDEURS

 

Myles J. Kirvan

Sous-procureur général du Canada

Montréal (Québec)

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

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