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Cour fédérale

 

Federal Court

Date : 20110901


Dossier : T-507-11

Référence : 2011 CF 1035

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 1er septembre 2011

En présence de monsieur le juge Russell

 

 

ENTRE :

 

MIKE ORR

 

 

 

demandeur

 

et

 

 

 

JIM BOUCHER,

RAYMOND POWDER,

DAVID BOUCHIER,

RUTH MCKENZIE,

ANGELA MCKENZIE,

GERALD GLADUE

et

LA PREMIÈRE NATION DE FORT MCKAY

 

 

 

défendeurs

 

 

 

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

[1]               Il s’agit d’une demande de contrôle judiciaire relative à la décision datée du 24 mars 2011 (la décision) par laquelle Kelsey Becker Brookes, directrice du scrutin de la Première nation de Fort McKay, a accepté Jim Boucher, Raymond Powder, David Bouchier, Ruth McKenzie, Angela McKenzie et Gerald Gladue à titre de candidats à l’élection générale de la Première nation de Fort McKay du 5 avril 2011.

 

FAITS À L’ORIGINE DU LITIGE

[2]               Le demandeur est membre de la Première nation de Fort McKay (Fort McKay ou la bande). Les défendeurs Jim Boucher, Raymond Powder et David Bouchier ont été membres du conseil de bande de Fort McKay en même temps que le demandeur au cours de la période de mandat précédant immédiatement l’élection générale du 5 avril 2011. Voir Orr c Fort McKay First Nation, 2011 FC 37.

 

[3]               Le 22 mars 2011, en vue de l’élection générale, la directrice du scrutin de Fort McKay a accepté les candidatures pour les postes de chef et de conseillers. À la même date, le demandeur a informé la directrice du scrutin que six des candidats ne respectaient pas les critères énoncés dans le Code électoral, la loi coutumière que les membres de Fort McKay ont adoptée et qui régit les élections de la bande. Le lendemain, le demandeur a réitéré ces allégations dans une lettre (la lettre).

 

[4]               D’abord, le demandeur a mentionné dans la lettre que Raymond Powder, David Bouchier, Angela McKenzie et Jim Boucher ne pouvaient se porter candidats, parce qu’ils ne respectaient pas les critères de l’article 9.1.8 du Code électoral, qui exige que chaque candidat soit [traduction] « membre à vie de la Première nation et n’[ait] jamais été membre d’une autre Première nation ». Selon le demandeur, aucun de ces candidats n’était membre à vie de Fort McKay. Raymond Powder a été admis au sein de la Première nation de Fort McKay au cours des années 1990. David Bouchier l’a été le 9 septembre 1991 et Angela McKenzie, au cours des années 1980, tandis que Jim Boucher [traduction] « venait de la Bande indienne de Fort Chipewyan, qu’il a quittée à la fin des années 1950, lorsqu’il était jeune enfant ».

 

[5]               En deuxième lieu, il est mentionné dans la lettre que Jim Boucher, contrairement à l’article 23.1.3 du Code électoral, a délibérément formulé de fausses déclarations et entravé le processus électoral en autorisant l’agent financier de Fort McKay à remettre à Ruth McKenzie une lettre qui permettait effectivement à celle-ci de présenter sa candidature même si elle devait une [traduction] « somme élevée » à la bande et au groupe d’entreprises de Fort McKay et était donc en situation de manquement à l’article 9.1.6 du Code électoral. Subsidiairement, Jim Boucher a agi de manière discriminatoire en adressant des demandes de remboursement de dette à tous les candidats, sauf à Ruth McKenzie, Angela McKenzie et Gerald Gladue.

 

[6]               En troisième lieu, le demandeur a déclaré dans la lettre que Ruth McKenzie, Angela McKenzie et Gerald Gladue ne pouvaient se porter candidats à l’élection, parce qu’ils avaient envers la Première nation de Fort McKay et envers le groupe d’entreprises de celle-ci des dettes qui ont été décrites respectivement comme [traduction] « une somme élevée », des [traduction] « sommes importantes » et [traduction] « plusieurs centaines de milliers de dollars ».

 

[7]               Enfin, le demandeur a également reproché à Gerald Gladue, dans la lettre, d’avoir fait de fausses déclarations, contrairement à l’article 23.1.3 du Code électoral, en disant aux électeurs que l’assemblée extraordinaire fixée au 3 mars 2011 visant à déterminer la date de l’élection générale avait été annulée.

 

[8]               Dans une lettre datée du 24 mars 2011, la directrice du scrutin a fait savoir au demandeur qu’elle avait accepté Jim Boucher, Raymond Powder, David Bouchier, Ruth McKenzie, Angela McKenzie et Gerald Gladue comme candidats à l’élection générale de la Première nation de Fort McKay. Le présent contrôle judiciaire porte sur cette décision.

 

[9]               Dans une lettre distincte datée du 24 mars 2011 et adressée à David Bouchier, la directrice du scrutin a donné l’avertissement suivant :

[traduction]

J’ai été informée que vous aviez contrevenu aux règles relatives aux campagnes électorales qui sont énoncées à la partie 2 du Code électoral en formulant des propos diffamatoires au sujet de candidats concurrents et en faisant délibérément de fausses déclarations au cours d’une conversation téléphonique avec une personne qui se trouvait à la résidence de Clara Bouchier le 23 mars 2011.

 

Veuillez vous abstenir de vous comporter de cette façon à l’avenir.

 

 

DÉCISION CONTESTÉE

 

[10]           Voici le texte des parties pertinentes de la décision :

[traduction]

Après avoir examiné l’ensemble de la preuve dont j’ai été saisie au sujet de la condition selon laquelle les candidats doivent être membres à vie aux termes de l’article 9.1.8 du Code électoral, j’ai décidé d’accepter les mises en candidature des personnes qui sont devenues membres de la Première nation de Fort McKay par suite de la promulgation du projet de loi C-31. Selon les renseignements que j’ai obtenus, l’ajout de l’article 9.1.8 visait à assurer l’existence d’un lien historique entre les candidats et la Première nation de Fort McKay et cette disposition n’a pas été utilisée dans le passé de manière à restreindre le droit de poser sa candidature dans le cas des membres qui ont retrouvé leur statut en vertu du projet de loi C-31.

 

En conséquence, j’ai accepté David Bouchier comme candidat à l’élection générale.

 

En ce qui concerne Jim Boucher et Raymond Powder, j’ai reçu des lettres dans lesquelles la Première nation de Fort McKay confirme qu’ils sont membres à vie. En tout état de cause, j’ai décidé qu’une personne qui est devenue membre pendant son enfance est membre à vie au sens où cette expression est employée à l’article 9.1.8 du Code électoral, car elle possède ou possédera le lien historique nécessaire avec la Première nation de Fort McKay.

 

Par conséquent, j’ai accepté Jim Boucher et Raymond Powder comme candidats à l’élection générale.

 

Dans le cas de Ruth McKenzie, d’Angela McKenzie et de Gerald Gladue, j’ai reçu des lettres dans lesquelles tant la Première nation de Fort McKay que le groupe d’entreprises de Fort McKay confirment que ces personnes n’ont aucune dette envers elles. L’article 9.1.6 du Code électoral exige qu’une demande écrite ait été envoyée au moins 90 jours avant le jour de la mise en candidature. S’il a été décidé de ne pas envoyer de demande de paiement, les candidats ne sont pas en situation de manquement à l’article 9.1.6 du Code électoral.

 

En conséquence, j’ai accepté Ruth McKenzie, Angela McKenzie et Gerald Gladue comme candidats à l’élection générale.

 

En ce qui a trait à l’allégation selon laquelle Jim Boucher et Gerald Gladue ont contrevenu à l’article 23.1.3 du Code électoral, je souligne que l’article 23.1 de celui-ci traite de l’équité des activités de campagne. Les allégations soulevées concernent l’admissibilité, et non les activités de campagne, et ont été commentées plus haut dans la présente lettre. En tout état de cause, le Code électoral n’autorise pas le directeur du scrutin à éliminer des candidats reconnus coupables d’avoir contrevenu aux règles relatives aux campagnes électorales énoncées à la partie 2 du Code électoral.

 

 

QUESTIONS EN LITIGE

[11]           Dans son argumentation, le demandeur soulève les questions suivantes :

a.                   La directrice du scrutin a-t-elle correctement interprété le Code électoral?

b.                  La directrice du scrutin a-t-elle commis une erreur en concluant que les candidats en question pouvaient se porter candidats à l’élection générale à titre de membres [traduction] « à vie » de Fort McKay et qu’ils ne s’étaient pas livrés à des manoeuvres électorales frauduleuses ni n’avaient formulé de fausses déclarations?

 

[12]           Les défendeurs soulèvent la question suivante :

La Cour devrait-elle accueillir la demande de contrôle judiciaire, étant donné que le demandeur dispose d’un autre recours approprié en vertu du Code électoral?

 

DISPOSITIONS PERTINENTES DU CODE ÉLECTORAL

[13]           Voici le texte des dispositions pertinentes du Code électoral, soit les articles 1.1, 9.1, 23.1, 80.1, 81.1 et 90 :

[traduction]

1.1              Les définitions qui suivent s’appliquent au présent code.

 

1.1.1    « Loi » : la Loi sur les Indiens, S.R.C. 1970, ch. I-5 [sic], et ses modifications;

1.1.2    « administration » : l’ensemble des employés de la Première nation;

1.1.3    « vote par anticipation » : vote déposé avant le jour de l’élection;

1.1.4    « élection partielle » : élection autre qu’une élection générale ou un scrutin de ballottage;

1.1.5    « activité de campagne » : mesure que prend un candidat ou une personne physique ou organisation pour le compte d’un candidat afin d’inciter au moins un électeur à voter ou à ne pas voter pour un ou plusieurs candidats donnés;

1.1.6    « matériel de campagne » : tout article, dessin, son, symbole ou marque qui est créé ou reproduit aux fins d’une activité de campagne;

1.1.7    « candidat » : électeur dont la candidature a été proposée conformément au présent code;

1.1.8    « chef » : le membre du conseil qui a été élu au poste de chef et qui agit également en qualité de premier dirigeant de la Première nation;

1.1.9    « renseignement confidentiel » :

 

1.1.9.1 renseignement dont la communication au public pourrait nuire à la position de négociation ou à la situation financière de la Première nation;

1.1.9.2 renseignement qui a été fourni par un membre à titre confidentiel;

1.1.9.3 renseignement qui concerne un membre et à l’égard duquel le membre en question avait une attente raisonnable en matière de vie privée;

1.1.9.4 renseignement qu’un membre sollicite au sujet d’un autre membre, sauf lorsque les deux membres sont unis par une relation de parent/tuteur et enfant mineur ou d’adulte à charge et administrateur;

 

1.1.10  « manoeuvre électorale frauduleuse » :

 

1.1.10.1   fait d’offrir ou de tenter d’offrir de l’argent ou une autre contrepartie de valeur en échange :

 

1.1.10.1.1     soit du vote d’un électeur;

1.1.10.1.2     soit de la falsification d’un rapport des bulletins de vote, d’un résultat d’élection ou d’une déclaration des résultats d’élection;

 

1.1.10.2   fait d’intimider un électeur ou un membre du personnel électoral, d’exercer des pressions sur lui ou de le menacer de conséquences défavorables afin d’influencer :

 

1.1.10.2.1     soit le vote d’un électeur;

1.1.10.2.2     soit un rapport des bulletins de vote, un résultat d’élection ou une déclaration des résultats d’élection;

 

1.1.10.3   fait d’établir de faux documents ou de fournir des renseignements faux ou trompeurs afin d’influencer :

 

1.1.10.3.1     soit le vote d’un électeur;

 

1.1.10.3.2     soit un rapport des bulletins de vote, un résultat d’élection ou une déclaration des résultats d’élection;

 

1.1.11  « conseil » : le groupe de membres élus qui occupent alors le poste de chef ou de conseiller et qui sont habilités à agir pour le compte de la Première nation;

1.1.12  « conseiller » : membre du conseil;

1.1.13  « aîné » : membre âgé et respecté qui connaît bien les pratiques, les coutumes, les traditions et les habitudes de la Première nation;

1.1.14  « élection » : élection générale, élection partielle ou scrutin de ballottage tenu conformément au présent code;

1.1.15  « préposé aux élections » : le directeur du scrutin ou un greffier du scrutin;

1.1.16  « électeur » : personne qui est admissible à voter conformément à l’article 34;

1.1.17  « formulaire » : l’un des documents joints aux présentes en annexe « A », le cas échéant;

1.1.18  « élection générale » : élection tenue pour élire les titulaires de tous les postes du conseil devenus vacants en raison de l’écoulement du temps;

1.1.19  « assemblée générale » : assemblée des électeurs pour laquelle un préavis d’au moins deux jours a été donné et qui vise à examiner des questions d’intérêt général pour la Première nation;

1.1.20  « Première nation » : la Première nation de Fort McKay;

1.1.21  « liste d’électeurs » : liste des personnes admissibles à voter conformément à l’article 34;

1.1.22  « membre » : personne dont l’adhésion à la Première nation a été acceptée conformément à la coutume ou à un code d’adhésion dûment adopté par la Première nation;

1.1.23  « liste des membres » : la liste des membres que tient la Première nation;

1.1.24  « avis d’assemblée » : avis donné par tout moyen ou combinaison de moyens de communication raisonnablement susceptibles d’informer les électeurs de la date, de l’heure et du lieu d’une assemblée générale ou d’une assemblée extraordinaire, y compris ce qui suit :

 

1.1.24.1   l’affichage d’un avis écrit à un endroit publiquement accessible des bureaux de l’administration de la Première nation;

1.1.24.2   l’affichage d’un avis électronique sur le site Web de la Première nation;

1.1.24.3   la remise en mains propres d’un avis écrit à un électeur, notamment le fait de laisser une copie de l’avis au domicile de l’électeur;

1.1.24.4   l’acheminement électronique d’un avis écrit à l’adresse électronique d’un électeur;

1.1.24.5   la transmission par télécopieur d’un avis écrit au numéro de télécopieur d’un électeur;

1.1.24.6   la transmission d’un avis écrit envoyé par toute forme de livraison postale ou service de messagerie;

1.1.24.7   la communication téléphonique au numéro de téléphone résidentiel ou au numéro de téléphone au travail d’un électeur par une personne chargée par le conseil de donner l’avis;

1.1.24.8   la communication personnelle à un électeur par une personne chargée par le conseil de donner l’avis;

 

1.1.25  « greffier du scrutin » : personne nommée par le directeur du scrutin pour apporter son aide lors de l’élection;

1.1.26  « directeur du scrutin » : personne nommée en vertu du présent code à titre de directeur du scrutin, y compris le remplaçant de cette personne;

1.1.27  « assemblée extraordinaire » : assemblée des électeurs pour laquelle un avis d’assemblée d’au moins sept jours a été donné et qui a été convoquée pour l’examen d’une question importante et le vote s’y rapportant;

1.1.28  « bureau de scrutin » : l’endroit où l’électeur vote.

[…]

9.1       Une personne peut être mise en candidature à toute élection prévue au présent code si, au jour de clôture des candidatures, elle :

 

9.1.1    est membre de la Première nation;

9.1.2    est âgée d’au moins 18 ans;

9.1.3    n’est pas employée de la Première nation ou toute autre société par actions apparentée ou autre entité qui appartient à la Première nation ou qui est sous sa responsabilité, en tout ou en partie;

9.1.4    n’a pas été reconnue coupable d’une infraction criminelle punissable par mise en accusation;

9.1.5    n’a pas été jugée responsable dans une action criminelle pour vol, fraude, ou mésusage d’un bien appartenant à la Première nation ou à toute autre société par actions apparentée ou autre entité qui appartient à la Première nation ou qui est sous sa responsabilité, en tout ou en partie;

9.1.6    n’a pas de dette pour laquelle un paiement a été demandé par écrit 90 jours avant le jour de clôture des candidatures, y compris notamment des avances de salaire ou de voyage, un loyer ou un prêt, envers la Première nation ou toute autre société par actions apparentée ou autre entité qui appartient à la Première nation ou qui est sous sa responsabilité, en tout ou en partie;

9.1.7    n’a pas été révoquée de son poste de chef ou de conseiller conformément à l’article 101.3 du Code lors de son mandat précédent;

9.1.8    est membre à vie de la Première nation et n’a jamais été membre d’une autre Première nation.

[…]

23.1     Les activités de campagne ne peuvent comprendre :

 

23.1.1  la formulation de propos diffamatoires à l’endroit des candidats concurrents;

23.1.2  le sabotage de la campagne d’un candidat concurrent;

23.1.3  la formulation délibérée de fausses déclarations;

23.1.4  la formulation de menaces contre l’administration, y compris des menaces de congédiement ou de mesures disciplinaires.

[…]

80.1     L’arbitre des appels :

 

80.1.1  est soit un avocat habilité à exercer en Alberta, soit un juge de toute juridiction ou de tout niveau à la retraite;

80.1.2  ne peut avoir déjà représenté ni la Première nation, ni le candidat en question, ni l’appelant, ni une société par actions apparentée ou autre entité qui appartient à la Première nation ou au Conseil tribal d’Athabaska, ou qui est sous sa responsabilité, en tout ou en partie.

 

81.1     Un candidat ou un électeur qui a voté aux élections peut interjeter appel de ces élections au motif que :

 

81.1.1  le directeur du scrutin a fait une erreur dans l’interprétation ou l’application du code, ce qui a influencé le résultat des élections;

81.1.2  une personne inhabile à voter a voté aux élections et a fourni des renseignements faux ou n’a pas fourni de renseignements pertinents quant à son droit de vote, et sa participation a influencé le résultat des élections;

81.1.3  un candidat qui s’est présenté aux élections était inhabile à se présenter et a fourni des renseignements faux ou n’a pas fourni de renseignements pertinents quant à la validité de sa candidature;

81.1.4  un candidat s’est livré à une conduite contraire à l’article 23, et celle‑ci a influencé le résultat des élections;

81.1.5  un candidat a été reconnu coupable d’une manoeuvre électorale frauduleuse ou a consenti à une telle manoeuvre et en a tiré profit.

[…]

90.1     Aucune décision, ordonnance, directive ou jugement déclaratoire de l’arbitre des appels ou instance portée devant lui ne peut être contesté ou révisé devant un tribunal judiciaire, que ce soit au moyen d’une demande de contrôle judiciaire ou autrement, et il n’est admis aucun recours ou décision judiciaire, notamment par voie d’injonction, de jugement déclaratoire, de prohibition ou de quo warranto, visant à contester, réviser, empêcher ou limiter l’action de l’arbitre des appels, ou une décision de celui‑ci.

 

90.2     Malgré l’article 90.1, les décisions, ordonnances, directives et jugements déclaratoires de l’arbitre des appels et les instances portées devant lui peuvent être contestées ou révisées au moyen d’une demande de contrôle judiciaire devant la Cour fédérale du Canada, mais uniquement au motif que l’arbitre des appels a commis une erreur de droit ou n’a pas respecté un principe de justice naturelle.

 

 

NORME DE CONTRÔLE

[14]           Dans l’arrêt Dunsmuir c Nouveau-Brunswick, 2008 CSC 9, la Cour suprême du Canada a décidé que l’analyse relative à la norme de contrôle n’avait pas besoin d’être menée dans chaque instance. Plutôt, lorsque la norme de contrôle applicable à une question précise présentée à la cour est bien établie par la jurisprudence, la cour de révision peut adopter cette norme de contrôle. Ce n’est que lorsque cette démarche se révèle infructueuse que la cour de révision entreprend l’analyse des quatre facteurs pertinents pour l’analyse relative à la norme de contrôle.

 

[15]           Le demandeur conteste l’interprétation que la directrice du scrutin a donnée au Code électoral, notamment aux mots [traduction] « membre à vie ». Dans Nation crie Nisichawayasihk c Nation crie Nisichawayasihk (Comité d’appel), [2003] 3 CNLR 141 (QL), au paragraphe 9, le juge Douglas Campbell a fait remarquer que le Code électoral de la bande indienne est un « énoncé du droit électoral de la NCN. En tant que tel, il est assimilable à une “loi” édictée par le gouvernement du Canada, par une province ou par un territoire. » L’interprétation législative est une question de droit qui est susceptible de contrôle selon la norme de la décision correcte. Voir Dunsmuir c Nouveau‑Brunswick, 2008 CSC 9, au paragraphe 60.

 

[16]           Le demandeur conteste également la conclusion de la directrice du scrutin selon laquelle il n’est pas interdit aux candidats en question, aux termes du Code électoral, de se présenter à l’élection générale en raison de leur conduite ou d’autres circonstances. Il s’agit là d’une question mixte de droit et de fait, puisqu’elle suppose l’application de normes juridiques (l’interprétation du Code électoral) à certains faits. Voir Démocracie en surveillance c Campbell, 2009 CAF 79, aux paragraphes 21 à 24.

 

[17]           Il n’existe aucune norme de contrôle à l’égard de la question soulevée par les défendeurs. La question de savoir si le demandeur disposait d’un autre recours approprié dans les circonstances est une question que la Cour doit trancher et non une question qui a déjà fait l’objet d’une décision par une instance administrative et dont la Cour est maintenant saisie à des fins de contrôle.

 

[18]           Dans Canadien Pacifique Ltée c Bande indienne de Matsqui, [1995] 1 RCS 3, [1995] ACS n1 (QL), aux paragraphes 37 et 38, le juge en chef Lamer a commenté les facteurs pertinents pour déterminer s’il existe un autre recours approprié. Voici comment il s’est exprimé :

[…] [J]e conclus que les cours de justice doivent considérer divers facteurs pour déterminer si elles doivent entreprendre le contrôle judiciaire ou si elles devraient plutôt exiger que le requérant se prévale d’une procédure d’appel prescrite par la loi. Parmi ces facteurs figurent: la commodité de l’autre recours, la nature de l’erreur et la nature de la juridiction d’appel (c.‑à‑d. sa capacité de mener une enquête, de rendre une décision et d’offrir un redressement). Je ne crois pas qu’il faille limiter la liste des facteurs à prendre en considération, car il appartient aux cours de justice, dans des circonstances particulières, de cerner et de soupeser les facteurs pertinents.

 

En appliquant, en l’espèce, le principe de l’autre recours approprié, nous devons examiner le caractère approprié des procédures de contestation que les bandes ont établies en vertu de la loi, et non pas simplement le caractère approprié des tribunaux d’appel en question. La raison en est que les bandes ont prévu que les décisions de ces tribunaux peuvent être portées en appel devant la Section de première instance de la Cour fédérale. Je reconnais que certains facteurs ne seront pertinents que relativement aux tribunaux d’appel (c.-à-d. l’expertise des membres ou les allégations de partialité) ou à l’appel à la Section de première instance de la Cour fédérale (c.‑à‑d. la question de savoir si les bandes ont compétence pour prévoir un tel appel). Mais l’application du principe de l’autre recours approprié commande la prise en considération de tous ces facteurs afin d’apprécier globalement le régime législatif en question.

 

 

[19]           Si la Cour conclut que le demandeur dispose d’un autre recours approprié, elle sera alors tenue d’examiner les facteurs pertinents et d’arriver à une conclusion raisonnable au sujet de l’exercice de son pouvoir discrétionnaire pour décider si elle devrait entendre la demande de contrôle judiciaire malgré l’existence d’un autre recours approprié. Voir Spidel c Canada (Procureur général), 2010 CF 1028, au paragraphe 12; Froom c Canada (Ministre de la Justice), 2004 CAF 352; et McMaster c. Canada (Procureur général), 2008 CF 647, aux paragraphes 23 et 27.

ARGUMENTS

            Le demandeur

La directrice du scrutin a commis une erreur en concluant que certains des candidats étaient membres « à vie » de la Première nation de Fort McKay.

 

[20]           Le demandeur souligne que l’article 13.4 du Code électoral prévoit ce qui suit :

[traduction]

La déclaration de candidature n’est pas valide et ne peut être utilisée par le directeur du scrutin à moins que le candidat ne respecte les exigences énoncées à l’article 9.1.

 

 

[21]           L’article 9.1.8 est ainsi libellé :

[traduction]

Une personne peut être mise en candidature à toute élection prévue au présent code si, au jour de clôture des candidatures, elle est membre à vie de la Première nation et n’a jamais été membre d’une autre Première nation.

 

[22]           Selon l’Oxford English Dictionary, le mot « lifelong » (à vie) signifie [traduction] « qui reste dans un état donné pendant toute la vie d’une personne ».

 

[23]           Le demandeur soutient que, eu égard à ce qui précède, la directrice du scrutin a commis une erreur en acceptant David Bouchier, Jim Boucher et Raymond Powder comme candidats à l’élection générale, parce qu’ils ne sont pas membres « à vie » de Fort McKay. Plus précisément, le demandeur conteste la conclusion de la directrice du scrutin selon laquelle une personne (comme David Bouchier) [traduction] « qui est devenu[e] membr[e] de la Première nation de Fort McKay par suite de la promulgation du projet de loi C-31 » ou une personne (comme Jim Boucher ou Raymond Powder) qui [traduction] « est devenue membre pendant son enfance est membre à vie au sens où cette expression est employée à l’article 9.1.8 du Code électoral, car elle possède ou possédera le lien historique nécessaire avec la Première nation de Fort McKay ». La conclusion selon laquelle le membre à vie s’entend de la personne ayant un « lien historique » n’est pas expliquée ni étayée. Elle est incompatible non seulement avec la définition précitée du mot « lifelong », mais également avec les décisions rendues tant par la Cour fédérale que la Cour du Banc de la Reine de l’Alberta.

 

[24]           Le demandeur fait valoir que l’article 9.1.8 du Code électoral a été invoqué avec succès en février 2008 de façon à empêcher la mise en candidature de Stanley Laurent, qui était de naissance membre de la Première nation denesuline de Fond-du-Lac, localité située à proximité, mais est devenu membre de la Première nation de Fort McKay en 1995. Voir Laurent c Fort McKay First Nation, 2008 ABQB 84, aux paragraphes 4, 33 et 36; Laurent c Gauthier et Première nation de Fort McKay, 2009 CF 196, au paragraphe 3; Laurent c Fort McKay First Nation, 2009 FC 257, aux paragraphes 3 et 4; et Laurent c Première nation de Fort McKay, 2009 CAF 235, aux paragraphes 2, 12, 32, 57 et 58 (Laurent CAF). Selon le demandeur, les faits de la présente demande en ce qui a trait à Jim Boucher, qui était auparavant membre de la Première nation de Fort Chipewyan, localité située à proximité, justifient un résultat semblable à ceux auxquels ont mené les affaires susmentionnées. Le demandeur ajoute que Raymond Powder et David Bouchier ne sont pas non plus membres « à vie » de Fort McKay, parce qu’ils n’ont pas été [traduction] « reconnus à titre d’Indiens au sens de la Loi sur les Indiens avant l’adoption du projet de loi C-31 » et qu’ils ne sont devenus membres de Fort McKay qu’au cours des années 1990, lorsque leurs grand-mères et leurs mères le sont elles-mêmes devenues.

 

                        La directrice du scrutin a commis une erreur en acceptant des candidats qui s’étaient livrés à des manoeuvres électorales frauduleuses.

 

[25]           Le demandeur fait valoir que la directrice du scrutin a commis une erreur en acceptant comme candidats David Bouchier, Jim Boucher et Gerald Gladue, qui s’étaient tous livrés à des manoeuvres électorales frauduleuses.

 

[26]           David Bouchier aurait formulé des propos diffamatoires au sujet de candidats concurrents et fait délibérément de fausses déclarations au cours d’une conversation téléphonique avec une personne qui se trouvait à la résidence de Clara Bouchier le 23 mars 2011, ce qui constitue un manquement aux articles 23.1.1 et 23.1.3 du Code électoral.

 

[27]           Jim Boucher aurait pris des mesures pour que l’agent financier du groupe d’entreprises de Fort McKay remette à Ruth McKenzie une lettre qui autorisait effectivement celle‑ci à se présenter comme candidate à l’élection générale, malgré la dette qu’elle avait envers la bande et le groupe d’entreprises en question. Il aurait agi ainsi afin de faire élire ses partisans au conseil. Le demandeur soutient que cette mesure constitue une entrave au processus électoral et une fausse déclaration.

 

[28]           Gerald Gladue aurait fait de fausses déclarations en acceptant de l’agent financier du groupe d’entreprises de Fort McKay une lettre qui l’autorisait effectivement à présenter sa candidature à l’élection générale, malgré la dette qu’il avait envers la bande et le groupe d’entreprises en question. De plus, le demandeur soutient que Gerald Gladue a entravé indûment la tenue du vote visant à déterminer la date de l’élection générale en disant aux membres de l’électorat que l’assemblée extraordinaire du 3 mars 2011 au cours de laquelle le vote devait avoir lieu avait été annulée.

 

[29]           Le demandeur allègue que les actions susmentionnées vont à l’encontre des dispositions relatives à l’équité des activités de campagne qui sont énoncées à l’article 23 du Code électoral et constituent également des manoeuvres électorales frauduleuses, c’est-à-dire, selon la définition qu’a donnée la juge Eleanor Dawson de la Cour dans Wilson et al. c Ross et al., 2008 CF 1173, au paragraphe 23, « [toute] tentative pour éviter, entraver ou influencer le libre exercice du droit d’un électeur de choisir pour qui voter » avec l’intention d’influencer irrégulièrement le résultat d’une élection. Dans Sideleau c Davidson (1942), [1942] SCR 306, 3 DLR 609, la Cour suprême du Canada a décidé qu’une manoeuvre électorale frauduleuse visant à influencer le résultat d’une élection entraînera l’annulation de celle-ci. L’article 81.1.5 du Code électoral énonce qu’un membre de l’électorat peut interjeter appel d’une élection lorsqu’[traduction] « un candidat a été reconnu coupable d’une manoeuvre électorale frauduleuse ».

 

[30]           Le demandeur ajoute que, compte tenu de ce qui précède, la directrice du scrutin a commis une erreur en acceptant David Bouchier comme candidat à l’élection générale. De plus, elle a commis une erreur en n’examinant pas les allégations formulées contre Jim Boucher et Gerald Gladue, ayant conclu dans sa décision que [traduction] « le Code électoral n’autorise pas le directeur du scrutin à éliminer des candidats reconnus coupables d’avoir contrevenu aux règles relatives aux campagnes électorales énoncées à la partie 2 [y compris l’article 23.1] du Code électoral ».

 

                        Le Code électoral ne prévoyait aucun autre recours approprié

[31]           Le demandeur souligne que l’article 78.1 du Code électoral prévoit la nomination d’un arbitre des appels en matière d’élection [traduction] « afin de trancher toute controverse découlant d’une élection ». Cependant, dans sa décision, la directrice du scrutin n’a pas informé le demandeur de l’existence de cet arbitre.

 

[32]           De plus, le demandeur estime qu’il a suivi la bonne procédure aux termes du Code électoral en interjetant appel auprès de la directrice du scrutin, étant donné qu’il sollicitait la révision des candidatures. Le Code électoral énonce une procédure distincte à l’égard des mises en candidature; en conséquence, ce sont les dispositions du Code électoral concernant les mises en candidature plutôt que les dispositions générales relatives aux élections qui s’appliquent dans les circonstances. Comme l’indique la partie 7 du Code électoral, il convient de saisir l’arbitre des appels des controverses [traduction] « découlant d’une élection ». À l’article 1.1.14 du Code électoral, le mot « élection » est défini comme suit : [traduction] « élection générale, élection partielle ou scrutin de ballottage tenu conformément au présent code ». Or, la plainte du demandeur portait explicitement sur la procédure de mise en candidature et non sur l’élection de façon générale.

 

[33]           Subsidiairement, le demandeur affirme que l’article 78.1 du Code électoral obligeait la directrice du scrutin à nommer un arbitre des appels. Cependant, du 23 mars au 31 mars 2011, aucun arbitre des appels n’était disponible pour recevoir les plaintes. L’arbitre des appels qui avait été nommé avait été blessé et était incapable d’exercer les fonctions de son poste. Son remplaçant n’a été nommé officiellement que le 31 mars 2011. Le demandeur fait valoir que le contrôle judiciaire est la bonne procédure à suivre lorsque, comme c’est le cas en l’espèce, les dispositions du Code électoral ne s’appliquent pas.

 

Les défendeurs

            Le demandeur disposait d’un autre recours approprié en vertu du Code électoral

 

[34]           Les défendeurs font valoir que le Code électoral énonce un processus d’appel exhaustif visant à assurer le règlement rapide des différends, ce qui offre au gouvernement de la Première nation de Fort McKay de la certitude quant aux personnes habilitées à prendre des décisions liant la Première nation. Le demandeur s’est prévalu de ce processus en interjetant appel auprès de l’arbitre des appels le 20 avril 2011. L’arbitre des appels a entendu l’appel le 27 avril 2011 et l’a rejeté dans une décision motivée le 2 mai 2011. En introduisant la présente demande de contrôle judiciaire, le demandeur porte atteinte aux choix procéduraux de Fort McKay et au désir de celle-ci d’obtenir une justice rapide en engageant une série de litiges ou en tentant de scinder ses recours.

 

[35]           Les moyens d’appel sont énumérés aux articles 81.1.1 à 81.1.5 et les qualités de l’arbitre des appels sont énoncées aux articles 80.1.1 et 80.1.2 du Code électoral. L’arbitre des appels est investi de larges pouvoirs juridictionnels, dont le pouvoir de trancher les questions de droit et de contraindre le directeur du scrutin à témoigner et à rendre compte du déroulement de l’élection.

 

[36]           L’article 90.2 du Code électoral prévoit expressément que les décisions de l’arbitre des appels peuvent faire l’objet de procédures de contrôle judiciaire devant la Cour fédérale, mais l’article 90.1 interdit toute procédure qui priverait l’arbitre du pouvoir de trancher les questions de son ressort. Voici le texte de ces dispositions :

 

[traduction]

90.1     Aucune décision, ordonnance, directive ou jugement déclaratoire de l’arbitre des appels ou instance portée devant lui ne peut être contesté ou révisé devant un tribunal judiciaire, que ce soit au moyen d’une demande de contrôle judiciaire ou autrement, et il n’est admis aucun recours ou décision judiciaire, notamment par voie d’injonction, de jugement déclaratoire, de prohibition ou de quo warranto, visant à contester, réviser, empêcher ou limiter l’action de l’arbitre des appels, ou une décision de celui‑ci.

 

90.2     Malgré l’article 90.1, les décisions, ordonnances, directives et jugements déclaratoires de l’arbitre des appels et les instances portées devant lui peuvent être contestées ou révisées au moyen d’une demande de contrôle judiciaire devant la Cour fédérale du Canada, mais uniquement au motif que l’arbitre des appels a commis une erreur de droit ou n’a pas respecté un principe de justice naturelle.

 

 

[37]           Les défendeurs soutiennent que le contrôle judiciaire est une réparation discrétionnaire qui ne devrait pas être accordée lorsqu’un autre recours approprié existe, comme c’est le cas en l’espèce. Ce principe repose sur le souci d’assurer l’administration efficace de la justice. Comme la Cour suprême du Canada l’a expliqué dans Harelkin c Université de Regina, [1979] 2 RCS 561, [1979] ACS no 59 (QL), « [l]es cours ne doivent pas se servir de leur pouvoir discrétionnaire pour favoriser les retards et les dépenses à moins qu’elles ne puissent faire autrement pour protéger un droit ». Appliquant ce principe aux décideurs des Premières nations, la Cour suprême du Canada a conclu, au paragraphe 44 de l’arrêt Bande indienne de Matsqui, précité, que lorsque le régime s’inscrit dans la politique d’encouragement de « l’autonomie gouvernementale des autochtones, […] toute question litigieuse devrait être tranchée d’abord dans le cadre du régime mis en place par les autochtones, avant qu’on ait recours à des institutions externes ».

 

[38]           Les défendeurs ajoutent que le processus d’appels du Code électoral offre de la certitude aux gouvernements des Premières nations.

 

[39]           Les défendeurs contestent l’allégation du demandeur selon laquelle sa plainte concernant la procédure de mise en candidature ne constitue pas une plainte au sujet d’une élection, de sorte que le contrôle judiciaire convient pour le règlement de cette plainte, puisque celle-ci ne relève pas de la compétence de l’arbitre des appels. Au paragraphe 66 de l’arrêt Laurent CAF, précité, la Cour d’appel fédérale a conclu que le demandeur disposait d’un autre recours approprié en vertu de l’article 81.1.1 (les dispositions d’appel) du même Code électoral dans le cas de différends concernant les erreurs que le directeur du scrutin aurait commises lors du traitement des mises en candidature. De même, si le demandeur croyait, dans la présente affaire, que la directrice du scrutin avait commis une erreur en acceptant Jim Boucher, Raymond Powder, David Bouchier, Ruth McKenzie, Angela McKenzie et Gerald Gladue comme candidats à l’élection générale, il aurait dû interjeter appel auprès de l’arbitre des appels, comme le prévoit expressément le Code électoral. Il a plutôt soulevé certaines questions devant l’arbitre des appels et d’autres questions devant la Cour fédérale.

 

[40]           Subsidiairement, le demandeur invoque l’accident qu’a subi l’arbitre des appels pour justifier le fait qu’il a contourné le mode de règlement des différends choisi par la Première nation de Fort McKay. Les défendeurs soutiennent qu’un arbitre compétent était en place bien avant l’élection et la déclaration du résultat de celle-ci. Aucune question de prescription n’empêchait le demandeur de faire valoir ses préoccupations à l’aide du processus d’appel prévu par le Code électoral et il n’a nullement été sous-entendu que ce processus était inadéquat ou empreint de partialité. Effectivement, le demandeur s’est prévalu de ce processus. Par souci d’efficacité et de certitude, il aurait pu et aurait dû inclure dans son appel les questions soulevées en l’espèce, parce qu’elles sont explicitement prévues aux articles 81.1.1 et 81.1.3 à 81.1.5 du Code électoral.

 

ANALYSE

[41]           Après avoir entendu les avocats et lu le dossier en entier, je dois conclure que, malgré les arguments habiles de l’avocate du demandeur, Mme Kennedy, les défendeurs ont raison de dire que la demande de contrôle judiciaire ne devrait pas être accueillie et que la réparation sollicitée par le demandeur ne devrait pas être accordée en l’espèce, parce que celui-ci ne s’est pas prévalu d’un autre recours approprié.

 

[42]           Le 22 mars 2011, le demandeur s’est plaint verbalement auprès de la directrice du scrutin. Le lendemain, il a formulé ses plaintes dans une lettre qu’il lui a adressée le 23 mars 2011. Le 24 mars 2011, la directrice du scrutin a rendu sa décision et, le même jour, l’arbitre des appels a été blessé et ne pouvait plus exercer les fonctions de son poste. Le 25 mars 2011, le demandeur a déposé auprès de la Cour fédérale un avis de demande de contrôle judiciaire à l’égard de la décision de la directrice du scrutin. Le 29 mars 2011, un deuxième arbitre des appels a été nommé, mais il a dû se récuser plus tard le même jour, en raison d’un conflit d’intérêts. Le 31 mars 2011, le troisième et dernier arbitre des appels a été nommé. Le 5 avril 2011, l’élection a été tenue et les bulletins de vote ont été dépouillés; il est probable que les résultats ont été déclarés le même jour.

 

[43]           L’article 82.1 du Code électoral énonce qu’un appel d’une élection doit être déposé auprès du directeur du scrutin au plus tard 14 jours après la déclaration du résultat de ladite élection, ce qui, en l’espèce, signifierait au plus tard le 19 avril 2011. En conséquence, il me semble que les défendeurs ont raison de dire qu’aucun problème de prescription n’aurait empêché le demandeur d’interjeter appel devant l’arbitre des appels. Les résultats de l’élection ont été déclarés le 5 avril et un arbitre des appels était disponible pour entendre la plainte du demandeur ce jour-là et même dès le 31 mars.

 

[44]           Le demandeur soutient que la directrice du scrutin ne l’a pas informé, dans sa décision, de l’existence d’un arbitre des appels. Cela ne signifie pas qu’il ignorait que cet arbitre existait. Le demandeur a interjeté appel auprès de l’arbitre des appels et il a lui-même été membre du conseil de bande; en conséquence, il connaissait et avait les moyens de trouver les mesures qu’il pouvait prendre pour contester la décision de la directrice du scrutin. Aucun élément de preuve n’établit que le demandeur ignorait le processus d’appel prévu au Code électoral ou qu’il devait être mis au courant de quoi que ce soit.

 

[45]           Le demandeur ajoute que la partie 7 du Code électoral montre qu’il convient de saisir l’arbitre des appels uniquement des controverses [traduction] « découlant d’une élection ». À son avis, la présente controverse ne découle pas de l’élection, mais plutôt de la procédure de mise en candidature et la compétence de l’arbitre des appels se limite à l’audition des questions liées aux élections, ce qui exclut les questions se rapportant aux candidatures. En conséquence, le contrôle judiciaire doit être la procédure qui convient aux termes du Code électoral.

 

[46]           Je ne suis pas convaincu par l’argument du demandeur. À mon avis, en ce qui concerne la procédure à suivre pour le règlement des différends liés aux mises en candidature, le fait que la partie 7 du Code renvoie aux controverses [traduction] « découlant d’une élection » a très peu d’importance. Pour en arriver à cette conclusion, j’ai tenu compte du fait, même si le Code est appelé Code « électoral », il traite de la procédure de mise en candidature à la partie 1. De plus, cette partie 1 est intitulée [traduction] « Procédure électorale », mais traite néanmoins de la procédure de mise en candidature. À mon avis, il est raisonnable de déduire que la procédure de mise en candidature fait partie de la procédure électorale et que, par conséquent, l’arbitre des appels est responsable des deux procédures. De plus, les moyens d’appel renvoient expressément aux plaintes que le demandeur désire formuler en l’espèce.

 

[47]           Par ailleurs, en supposant que les membres de Fort McKay aient adopté le Code électoral afin d’avoir un code complet régissant les élections, il semble peu probable qu’ils aient souhaité avoir une procédure de règlement des controverses [traduction] « découlant d’une élection », mais une procédure différente (et, de par sa nature, moins rapide) pour l’examen des controverses résultant d’une mise en candidature. Cette idée n’est guère logique, pour toutes les raisons que les défendeurs ont mentionnées au sujet de l’importance de l’autonomie gouvernementale et du règlement rapide des différends pour les collectivités des premières nations.

 

[48]           Le demandeur tente de s’appuyer sur la décision que le juge Paul Rouleau a rendue dans Bande indienne de Sucker Creek c Calliou, [1999] ACF n1135; cependant, à mon avis, le contexte de cette affaire‑là et les questions qui y sont soulevées ont peu à voir avec les circonstances dont la Cour est saisie en l’espèce. Le juge Rouleau examinait un code électoral différent un an après l’événement, alors qu’il n’y avait pas de préposé aux élections et que des questions de temps étaient soulevées, ce qui donnait lieu à des problèmes d’application des dispositions du code en question. Aucun problème de cette nature ne se pose en l’espèce et, en tout état de cause, la Cour d’appel fédérale a souligné, dans l’arrêt Laurent, qu’un appel relatif à une mise en candidature doit être interjeté auprès de l’arbitre des appels au moyen des dispositions pertinentes du Code électoral. Voir l’arrêt Laurent, au paragraphe 66.

 

[49]           La Première nation de Fort McKay est régie par ce Code électoral, qui est une loi coutumière édictée par ses membres.

 

[50]           Le Code électoral énonce un processus d’appel exhaustif.

 

[51]           Le Code électoral énonce des moyens d’appel précis, dont les suivants :

[traduction]

 

81.1.1 le directeur du scrutin a fait une erreur dans l’interprétation ou l’application du code, ce qui a influencé le résultat des élections;

 

81.1.2 une personne inhabile à voter a voté aux élections et a fourni des renseignements faux ou n’a pas fourni de renseignements pertinents quant à son droit de vote, et sa participation a influencé le résultat des élections;

 

81.1.3 un candidat qui s’est présenté aux élections était inhabile à se présenter et a fourni des renseignements faux ou n’a pas fourni de renseignements pertinents quant à la validité de sa candidature;

 

81.1.4 un candidat s’est livré à une conduite contraire à l’article 23, et celle‑ci a influencé le résultat des élections;

 

81.1.5 un candidat a été reconnu coupable d’une manoeuvre électorale frauduleuse ou a consenti à une telle manoeuvre et en a tiré profit.

 

[52]           Les appels sont entendus par une personne qui doit posséder certaines qualités professionnelles et être impartiale. Le Code électoral prévoit ce qui suit :

80.1     L’arbitre des appels

 

80.1.1  est soit un avocat habilité à exercer en Alberta, soit un juge de toute juridiction ou de tout niveau à la retraite;

 

80.1.2  ne peut avoir déjà représenté ni la Première nation, ni le candidat en question, ni l’appelant, ni une société par actions apparentée ou autre entité qui appartient à la Première nation ou au Conseil tribal d’Athabaska, ou qui est sous sa responsabilité, en tout ou en partie.

 

 

[53]           L’arbitre des appels est investi de larges pouvoirs juridictionnels, dont le pouvoir de trancher les questions de droit et de contraindre le directeur du scrutin à témoigner et à rendre compte du déroulement de l’élection.

 

[54]           Le Code électoral exige le règlement rapide des différends et une décision doit être rendue au plus tard 27 jours après la déclaration du résultat des élections :

a.                   l’avis d’appel doit être déposé dans les 14 jours suivant la déclaration du résultat de l’élection;

b.                  un avis d’audience doit être envoyé à toutes les parties concernées dans les trois jours de l’expiration du délai de prescription;

c.                   l’audience doit avoir lieu au plus tard cinq jours après la délivrance de l’avis d’audience;

d.                  l’arbitre doit rendre sa décision au plus tard cinq jours après l’audition de l’appel.

 

[55]           Le Code électoral prévoit expressément que les décisions de l’arbitre des appels peuvent faire l’objet d’une demande de contrôle judiciaire devant la Cour fédérale et interdit toute procédure qui priverait l’arbitre du pouvoir de trancher les questions de son ressort. Voici le texte des dispositions pertinentes du Code électoral :

[traduction]

90.1     Aucune décision, ordonnance, directive ou jugement déclaratoire de l’arbitre des appels ou instance portée devant lui ne peut être contesté ou révisé devant un tribunal judiciaire, que ce soit au moyen d’une demande de contrôle judiciaire ou autrement, et il n’est admis aucun recours ou décision judiciaire, notamment par voie d’injonction, de jugement déclaratoire, de prohibition ou de quo warranto, visant à contester, réviser, empêcher ou limiter l’action de l’arbitre des appels, ou une décision de celui‑ci.

 

90.2     Malgré l’article 90.1, les décisions, ordonnances, directives et jugements déclaratoires de l’arbitre des appels et les instances portées devant lui peuvent être contestées ou révisées au moyen d’une demande de contrôle judiciaire devant la Cour fédérale du Canada, mais uniquement au motif que l’arbitre des appels a commis une erreur de droit ou n’a pas respecté un principe de justice naturelle.

 

 

[56]           Le contrôle judiciaire est une réparation discrétionnaire et il est bien établi qu’il ne devrait pas être accordé lorsque le demandeur dispose d’un autre recours approprié. Ce principe repose sur le souci d’assurer l’administration efficace de la justice. Comme la Cour suprême du Canada l’a affirmé dans l’arrêt Harelkin, précité, « [l]es cours ne doivent pas se servir de leur pouvoir discrétionnaire pour favoriser les retards et les dépenses à moins qu’elles ne puissent faire autrement pour protéger un droit ».

 

[57]           L’intention du législateur est également un facteur important. Les remarques suivantes ont été formulées dans l’arrêt Harelkin :

Bien qu’elles n’équivalent pas à des clauses privatives, des dispositions comme les art. 55, 66, 33(1)e) et 78(1)c) préviennent clairement les cours de faire preuve de réserve et de ne pas se hâter à intervenir dans les affaires de l’université en émettant des brefs discrétionnaires chaque fois que l’université peut encore corriger ses erreurs par ses propres moyens. En faisant preuve de réserve, les cours ne refusent pas d’assurer l’application des obligations statutaires imposées aux organes directeurs de l’université. Elles exercent simplement leur pouvoir discrétionnaire de façon à réaliser l’intention générale de la législature

 

 

[58]           Comme les défendeurs le soulignent, ces mêmes principes ont été appliqués à des organes décisionnels des Premières nations. Au paragraphe 44 de l’arrêt Bande indienne de Matsqui, où elle a confirmé une décision de la Cour d’appel fédérale, la Cour suprême du Canada s’est exprimée comme suit :

Le juge Joyal pouvait à bon droit conclure que permettre aux intimées de contourner les procédures de contestation prévues par les bandes dans leurs règlements d’évaluation nuirait à l’ensemble du régime, compte tenu des objectifs d’ordre public qu’il vise. Comme le régime s’inscrit dans la politique d’encouragement de l’autonomie gouvernementale des autochtones, il n’est pas déraisonnable d’estimer que toute question litigieuse devrait être tranchée d’abord dans le cadre du régime mis en place par les autochtones, avant qu’on n’ait recours à des institutions externes.

 

 

[59]           Comme les défendeurs le soulignent, Fort McKay a établi dans ses propres lois coutumières un processus pour trancher les différends découlant d’élections de manière rapide et efficace. À l’instar de tout autre gouvernement, les gouvernements des Premières nations ont besoin de certitude. Tous les membres, tous les candidats et tous les tiers avec lesquels le gouvernement de la Première nation traite tous les jours doivent savoir qui est habilité à prendre des décisions qui lient celle-ci. Si un différend existe à ce sujet, il doit être tranché rapidement.

 

[60]           Reconnaissant qu’il n’est nullement avantageux de laisser traîner ces types de question, le Code électoral assure l’examen rapide des différends. Il n’y a pas lieu de compromettre les choix procéduraux et le désir d’une justice rapide en permettant qu’un autre processus fonctionne en parallèle avec le régime de règlement des différends expressément choisi par la Première nation.

 

[61]           À mon avis, le demandeur tente de s’appuyer sur le jugement que la Cour d’appel fédérale a rendu dans Laurent CAF, précité, mais il ne commente pas la décision que celle-ci a rendue au sujet de l’existence d’un autre recours approprié. Examinant le même Code électoral qui s’applique en l’espèce, la Cour d’appel fédérale a décidé que le demandeur disposait d’un autre recours approprié en vertu des dispositions du Code concernant l’appel. Plus précisément, ce recours couvrirait les erreurs que la directrice du scrutin aurait commises lors du traitement des mises en candidature :

66.       M. Laurent aurait pu contester la décision par laquelle la directrice du scrutin avait rejeté sa mise en candidature sur le fondement des alinéas 9.1.4, 9.1.6 et 9.1.8. Il aurait pu fonder son appel sur le moyen prévu à l’alinéa 81.1.1 du Code électoral, c’est‑à‑dire - plus précisément - qu’il aurait pu faire valoir que la directrice du scrutin s’était trompée dans l’application à son cas des alinéas 9.1.4, 9.1.6 et 9.1.8 au motif que cette application portait atteinte aux droits que lui garantissent la Charte et le paragraphe 35(1) de la Loi constitutionnelle de 1982.

 

 

[62]           La présente affaire porte sur des questions semblables. Si le demandeur croyait que la directrice du scrutin avait commis des erreurs lors de l’examen de l’admissibilité d’un candidat, il avait le droit d’interjeter appel devant l’arbitre des appels, comme le prévoit expressément le Code électoral.

 

[63]           Subsidiairement, le demandeur tente d’invoquer un subterfuge du temps et un accident (au sens littéral), étant donné que l’arbitre nommé à l’origine a été blessé et ne pouvait plus exercer ses fonctions.

 

[64]           Je conviens avec les défendeurs qu’il n’y a pas lieu d’invoquer l’accident d’un arbitre pour mettre de côté ou ignorer un système de règlement des différends qui a été mûrement réfléchi et adopté au moyen d’un vote de ratification des membres de Fort McKay. Le demandeur n’a nullement été lésé au cours de la brève période qu’a nécessitée la nomination d’un autre arbitre.

 

[65]           Un arbitre compétent était en place bien avant l’élection et la déclaration du résultat de celle‑ci. Aucun problème de prescription ne touchait le demandeur et celui-ci a eu la possibilité de faire valoir ses préoccupations à l’aide du processus d’appel prévu par le Code électoral. Aucun élément de preuve ne donne à penser que le processus d’appel était inadéquat ou qu’il était entaché de partialité ou d’une autre irrégularité. Effectivement, le demandeur s’est prévalu du processus d’appel avec l’aide de son conseiller juridique.

 

[66]           Le demandeur pouvait et aurait dû inclure dans son appel toutes les questions soulevées en l’espèce. Les questions et allégations mentionnées dans la présente affaire sont expressément prévues aux articles 81.1.1, 81.1.3, 81.1.4 et 81.1.5 du Code électoral. Si le demandeur avait utilisé le processus d’appel pour soulever ces questions, celles-ci auraient été réglées bien avant la présente demande, ce qui aurait permis d’éviter l’utilisation inutile et coûteuse de ressources judiciaires précieuses.

 

[67]           Pour tous les motifs exposés plus haut, je suis d’avis que la présente demande doit être rejetée.

 

 

Traduction certifiée conforme

Julie Boulanger, LL.M.


JUGEMENT

 

LA COUR ORDONNE :

 

1.         La demande est rejetée avec dépens en faveur de la Première nation de Fort McKay.

 

 

 

« James Russell »

Juge

 

 

 

Traduction certifiée conforme

Julie Boulanger, LL.M.


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

 

DOSSIER :                                                    T-507-11

 

 

INTITULÉ :                                                  MIKE ORR c. JIM BOUCHER et al.

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                          Edmonton (Alberta)

 

DATE DE L’AUDIENCE :                         Le 9 août 2011

 

MOTIFS DU JUGEMENT

ET JUGEMENT :                                        LE JUGE RUSSELL

 

 

DATE DES MOTIFS

ET DU JUGEMENT :                                 Le 1er septembre 2011

 

 

COMPARUTIONS :

 

Priscilla Kennedy

POUR LE DEMANDEUR

 

Trina Kondro

POUR LA DÉFENDERESSE

(Première nation de Fort McKay)

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Davis LLP

Edmonton (Alberta)

 

POUR LE DEMANDEUR

 

Ackroyd LLP

Edmonton (Alberta)

POUR LA DÉFENDERESSE

(Première nation de Fort McKay)

 

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