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Date : 20120420

Dossier : IMM‑5229‑11

Référence : 2012 CF 463

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 20 avril 2012

En présence de monsieur le juge Mandamin

 

 

ENTRE :

 

CLAUDIA MARIA MALDONADO VENTURA,

JOSE ENRIQUE URBINA BELGARA,

SEBASTIAN ALBERTO URBINA

MALDONADO

 

 

demandeurs

 

et

 

 

 

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L’IMMIGRATION

 

 

défendeur

 

 

 

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

[1]               Il s’agit d’une demande de contrôle judiciaire de la décision rendue le 20 juin 2011 par la Section de la protection des réfugiés (SPR) de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié qui a conclu que les demandeurs n’étaient ni des réfugiés au sens de la Convention ni des personnes à protéger.

 

[2]               Les demandeurs ont quitté leur Honduras natal le 27 août 2009 et ont demandé l’asile au Canada le jour suivant. Les demandeurs ont allégué craindre avec raison d’être persécutés et craindre d’autres risques de préjudice du fait de leurs opinions politiques. Ils ont soutenu être persécutés parce que la demanderesse avait travaillé pour le mouvement « Todos Somos Honduras » (Todos Somos), une composante du Parti national du Honduras.

 

[3]               La SPR a jugé que les allégations des demandeurs relativement à la persécution causée par les activités politiques de la demanderesse n’étaient pas crédibles. N’étant pas convaincue que la demanderesse travaillait pour un parti politique, la SPR a refusé la demande d’asile des demandeurs.

 

[4]               J’ai conclu que la demande de contrôle judiciaire devait être accueillie pour les motifs ci‑après.

 

Contexte

 

[5]               La demanderesse, Claudia Maria Maldonado Ventura, son mari Jose Enrique Urbina Belgara et leur fils mineur Sebastian Alberto Urbina Maldonado sont tous citoyens du Honduras.

 

[6]               La demanderesse a travaillé comme assistante technique du directeur de campagne de Todos Somos, un mouvement relevant du Parti national, du 2 juin au 15 décembre 2008. Elle travaillait à la campagne de son patron, Mario Canahuati, ci‑après appelé Mario. La demanderesse avait été embauchée par Mario dans l’entreprise de mode de ce dernier, Creaciones Vantage, en tant que coordonnatrice régionale.

 

[7]               Une semaine après les élections internes du Parti national en vue de la sélection des candidats, la demanderesse a eu vent de plusieurs allégations concernant des fraudes électorales qui auraient été commises par un mouvement rival, autre composante du Parti national, appelé « Cambio Ya », dirigé par le président en poste, Lobo Sosa. La demanderesse et son frère, un avocat qui avait aussi participé aux activités de Todos Somos, ont rencontré des candidats le 1er décembre 2008 afin de recueillir des éléments de preuve relativement à ces allégations; ils ont reçu une vidéo et ont aussi appris que les originaux de bulletins de vote avaient été volés.

 

[8]               Le 3 décembre 2008, la demanderesse s’est rendue au tribunal suprême national (TSE) pour prendre connaissance des résultats des élections dans les zones visées par des allégations de fraude. Pendant qu’elle attendait, la demanderesse a donné une entrevue à un reporter de la radio et a transmis des renseignements au sujet des allégations de fraude. Plus tard le même jour, Mario a communiqué avec la demanderesse et lui a demandé de ne plus parler publiquement de ces questions et a ajouté qu’il s’en chargerait lui‑même, après l’avoir menacée de congédiement.

 

[9]               Le 6 décembre 2008, le frère de la demanderesse a reçu un appel de menace; son interlocuteur disait qu’il serait tué s’il continuait d’enquêter sur les allégations de fraude électorale. Le frère de la demanderesse a remis tous les éléments de preuve à cette dernière. Le 11 décembre 2008, un vol par effraction a eu lieu au domicile du frère de la demanderesse. Le 7 janvier 2009, le frère de la demanderesse a présenté la première allégation de fraude au TSE. Pendant le reste du mois de janvier, le frère de la demanderesse a été visé par de nombreuses menaces de mort. À la fin du mois, il a dit à leur mère qu’il entrerait dans la clandestinité et qu’il ne communiquerait avec personne pendant une certaine période.

 

[10]           Les deux mouvements constitutifs du Parti national, Todos Somos et Cambio Ya, avaient fusionné pour garantir de meilleurs résultats à l’élection nationale suivante qui était prévue le 29 novembre 2009. Selon la demanderesse, vu la fusion des deux mouvements, Mario a essayé d’éviter que les renseignements relatifs à la fraude électorale soient rendus publics, car cette situation aurait pu nuire à sa candidature. Le 23 juillet 2009, Mario a envoyé son garde du corps, Rivera, se faire remettre les éléments de preuve par la demanderesse. Cette dernière a refusé et Rivera l’a menacée.

 

[11]           Le 30 juillet 2009, la demanderesse a constaté que la porte de son bureau avait été forcée et que son ordinateur ainsi que d’autres éléments de preuve avaient été dérobés. Cependant, elle en avait caché des copies. La demanderesse s’est rendue au bureau général des enquêtes criminelles afin de faire une dénonciation. L’agent en poste a répondu à la demanderesse que la dénonciation avait déjà été réglée par Mario et a refusé de lui remettre une copie du document de règlement de la dénonciation.

 

[12]           Rivera l’a rappelée plus tard le même jour pour exiger les bulletins de vote et, par suite du refus de la demanderesse, il a menacé cette dernière et les membres de sa famille. Le jour suivant, soit le 31 juillet 2009, après que la demanderesse eut été déposée près de son travail par son mari, un homme a saisi cette dernière par les cheveux et a tenté de la faire entrer de force dans une autre voiture. Un collègue a demandé de l’aide et les agresseurs ont fui à l’arrivée d’agents de sécurité. Le mari de la demanderesse a été blessé et hospitalisé jusqu’au 9 août 2009.

 

[13]           Le 11 août 2009, le mari de la demanderesse a tenté de déposer une dénonciation contre les auteurs de la tentative d’enlèvement, mais il a été informé que le système était en panne; la même chose s’est produite le jour suivant lorsqu’il a de nouveau tenté de déposer sa dénonciation.

 

[14]           Le 14 août 2009, la demanderesse et son mari se sont rendus à un centre local de réception des plaintes pour faire rapport sur la tentative d’enlèvement. Un procureur de l’État a reçu la dénonciation, mais la demanderesse allègue que tous les renseignements n’ont pas été enregistrés et que le procureur de l’État l’a menacée indirectement, en lui demandant de [traduction] « mettre fin aux scandales ».

 

[15]           Le 17 août 2009, la demanderesse et son mari se sont rendus à San Pedro Sula pour s’y cacher chez une tante. Trois jours plus tard, ils ont commencé à recevoir des appels sur leurs cellulaires et les parents de la demanderesse ont aussi été appelés; les interlocuteurs voulaient savoir où se trouvaient la demanderesse et son mari, en prétendant vouloir leur remettre un prix qu’ils auraient gagné. La demanderesse s’est informée auprès de la société qui faisait cette promotion et elle a appris qu’il n’y avait pas de prix.

 

[16]           Le 21 août 2009, la demanderesse et son mari ont été suivis pendant qu’ils cherchaient une maison à louer. Le jour suivant, des coups de feu ont été tirés à partir d’une motocyclette qui est passée devant la maison de la tante de la demanderesse. Les demandeurs sont allés au poste de police pour porter plainte, mais ils ont été informés que le système était en panne. Ils sont revenus à Tegucigalpa et ont déposé une dénonciation devant le commissaire des droits de la personne le 23 août 2009. Ils ont quitté le Honduras quatre jours plus tard.

 

Décision faisant l’objet du contrôle judiciaire

 

[17]           Pour la SPR, la crédibilité de la demanderesse constituait la question principale à trancher. La SPR a établi que le témoignage de la demanderesse, relativement aux aspects importants de sa demande, n’était pas crédible.

 

[18]           Plus précisément, la SPR a jugé que les allégations de la demanderesse concernant les actes criminels perpétrés contre elle, par suite de ses activités politiques, n’étaient pas crédibles. La SPR a estimé que la demanderesse ne travaillait pas pour un parti politique, mais plutôt pour son patron, Mario. La SPR a établi que Mario avait « sommé » la demanderesse de faciliter certaines activités pour lui en ce qui a trait à sa candidature, tandis qu’elle était rémunérée par l’entreprise de mode. La SPR a statué qu’il ne s’agissait pas d’une activité politique directe ni indirecte, mais plutôt d’une « fonction » découlant de son rôle d’employée de Mario.

 

[19]           La SPR a aussi établi que la demanderesse avait fait plusieurs déclarations à caractère hypothétique alimentées par ses craintes et qu’elle était incapable d’étayer ses accusations au moyen d’éléments de preuve. La SPR a cité comme exemple les allégations suivantes de la demanderesse : Mario avait ordonné qu’elle soit tuée, la police l’avait menacée, les policiers sont embauchés par les riches pour tuer des gens et elle craint le gouvernement actuel étant donné que Mario a été nommé ministre des Affaires étrangères.

 

[20]           La SPR a souligné qu’elle était tenue de rendre une décision selon des éléments de preuve crédibles et dignes de foi et qu’elle n’en avait trouvé aucun. La SPR a établi que la demanderesse n’avait pas démontré que sa crainte reposait sur un fondement objectif ni fourni d’éléments de preuve détaillant d’autres aspects importants de sa demande. La SPR a conclu qu’il n’existait aucun fondement crédible à la demande conformément au paragraphe 107(2) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c. 27 (LIPR).

 

Lois et règlements

 

[21]           Voici un extrait de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c. 27 :

96. A qualité de réfugié au sens de la Convention – le réfugié – la personne qui, craignant avec raison d’être persécutée du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de son appartenance à un groupe social ou de ses opinions politiques :

 

a) soit se trouve hors de tout pays dont elle a la nationalité et ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut se réclamer de la protection de chacun de ces pays;

 

b) soit, si elle n’a pas de nationalité et se trouve hors du pays dans lequel elle avait sa résidence habituelle, ne peut ni, du fait de cette crainte, ne veut y retourner.

 

 

97. (1) A qualité de personne à protéger la personne qui se trouve au Canada et serait personnellement, par son renvoi vers tout pays dont elle a la nationalité ou, si elle n’a pas de nationalité, dans lequel elle avait sa résidence habituelle, exposée :

a) soit au risque, s’il y a des motifs sérieux de le croire, d’être soumise à la torture au sens de l’article premier de la Convention contre la torture;

 

b) soit à une menace à sa vie ou au risque de traitements ou peines cruels et inusités dans le cas suivant :

 

(i) elle ne peut ou, de ce fait, ne veut se réclamer de la protection de ce pays,

 

 

(ii) elle y est exposée en tout lieu de ce pays alors que d’autres personnes originaires de ce pays ou qui s’y trouvent ne le sont généralement pas, […].

 

[…]

 

107. (2) Si elle estime, en cas de rejet, qu’il n’a été présenté aucun élément de preuve crédible ou digne de foi sur lequel elle aurait pu fonder une décision favorable, la section doit faire état dans sa décision de l’absence de minimum de fondement de la demande.

96. A Convention refugee is a person who, by reason of a well‑founded fear of persecution for reasons of race, religion, nationality, membership in a particular social group or political opinion,

 

 

 

(a) is outside each of their countries of nationality and is unable or, by reason of that fear, unwilling to avail themself of the protection of each of those countries; or

 

(b) not having a country of nationality, is outside the country of their former habitual residence and is unable or, by reason of that fear, unwilling to return to that country.

 

97. (1) A person in need of protection is a person in Canada whose removal to their country or countries of nationality or, if they do not have a country of nationality, their country of former habitual residence, would subject them personally

 

(a) to a danger, believed on substantial grounds to exist, of torture within the meaning of Article 1 of the Convention Against Torture; or

 

(b) to a risk to their life or to a risk of cruel and unusual treatment or punishment if

 

 

(i) the person is unable or, because of that risk, unwilling to avail themself of the protection of that country,

 

(ii) the risk would be faced by the person in every part of that country and is not faced generally by other individuals in or from that country….

 

 

 

107. (2) If the Refugee Protection Division is of the opinion, in rejecting a claim, that there was no credible or trustworthy evidence on which it could have made a favourable decision, it shall state in its reasons for the decision that there is no credible basis for the claim.

 

[22]           Voici un extrait de la Loi sur les Cours fédérales, LRC 1985, c. F‑7 :

18.1(4) Les mesures prévues au paragraphe (3) sont prises si la Cour fédérale est convaincue que l’office fédéral, selon le cas :

 

[…]

 

d) a rendu une décision ou une ordonnance fondée sur une conclusion de fait erronée, tirée de façon abusive ou arbitraire ou sans tenir compte des éléments dont il dispose;

18.1(4) The Federal Court may grant relief under subsection (3) if it is satisfied that the federal board, commission or other tribunal

 

 

(d) based its decision or order on an erroneous finding of fact that it made in a perverse or capricious manner or without regard for the material before it;

 

Question à trancher

 

[23]           À mon avis, il s’agit d’établir si la conclusion négative de la SPR relativement à la crédibilité de la demanderesse est raisonnable.

 

Norme de contrôle judiciaire

 

[24]           Les conclusions de la SPR sur les faits et sur les questions mixtes de fait et de droit doivent être examinées selon la norme de la décision raisonnable : Dunsmuir c. Nouveau‑Brunswick, 2008 CSC 9, [2008] 1 RCS 190. Les conclusions de la SPR en matière de crédibilité doivent faire l’objet d’une grande retenue judiciaire : Aguebor c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) (1993), 160 NR 315 (CAF), par. 3 et 4.

 

Analyse

 

[25]           Même si les conclusions de la SPR en matière de crédibilité doivent faire l’objet d’une grande retenue judiciaire, l’alinéa 18.1(4)d) de la Loi sur les Cours fédérales prévoit que la Cour peut intervenir si elle est convaincue que la SPR a fondé sa décision sur une conclusion de fait erronée, tirée de façon abusive ou arbitraire, ou sans tenir compte des éléments dont elle disposait. À mon avis, l’intervention de la Cour est justifiée en vertu dudit alinéa.

 

[26]           Les demandeurs ont demandé l’asile à cause de leurs opinions politiques. Les actions des demandeurs qui ont débouché sur les actes criminels perpétrés contre la demanderesse et son mari sont au centre de leurs demandes. La SPR a refusé de prendre en compte ces activités parce qu’il ne s’agissait que d’une « fonction » du rôle de la demanderesse comme employée de Mario et non d’une conséquence d’opinions et d’actions à caractère politique de la demanderesse. Voici l’extrait pertinent de la décision de la SPR :

Je dois établir si la demandeure d’asile a présenté des éléments de preuve crédibles et dignes de foi à l’appui de sa demande d’asile. Tenue de préciser si elle figurait parmi les membres en règle d’un quelconque parti politique, la demandeure d’asile a répondu par la négative, bien qu’elle se dise affiliée depuis 18 ans au Parti national du Honduras. J’accepte que les opinions politiques présumées puissent également figurer parmi les motifs à prendre en considération au regard des demandes d’asile présentées au titre de l’article 96. En l’espèce, la demandeure d’asile soutient qu’elle a été victime d’actes criminels du fait de ses activités politiques. Je ne suis pas convaincue de la crédibilité de cette affirmation, puisque la demandeure d’asile ne travaillait pas pour le compte d’un parti politique, mais plutôt indirectement pour son patron, Mario, propriétaire d’une entreprise de mode et candidat aux élections. Il a [traduction] « sommé » la demandeure d’asile de faciliter certaines activités pour lui en ce qui a trait à sa candidature, tandis qu’elle était rémunérée par l’entreprise de mode. À mon sens, il ne s’agit pas d’une activité politique directe ni indirecte, mais plutôt d’une « fonction » découlant de son rôle d’employée de Mario.

 

[Non souligné dans l’original]

 

[27]           Les demandeurs soutiennent que la conclusion de la SPR selon laquelle la demanderesse ne se livrait pas directement ou indirectement à des activités politiques était déraisonnable compte tenu de la preuve qui lui était soumise. Les demandeurs évoquent spécifiquement une lettre de Todos Somos soumise à la SPR selon laquelle la demanderesse « du 2 juin au 15 décembre 2008 […] a travaillé […] » à la campagne électorale « […] au sein du mouvement Todos Somos […] ». Les demandeurs soutiennent que la SPR a commis une erreur en ne tenant pas compte de cet élément de preuve, particulièrement parce qu’il contredit directement les conclusions de la SPR selon lesquelles la demanderesse ne travaillait pas pour un parti politique et qu’elle n’avait pas participé directement ou indirectement à des activités politiques.

 

[28]           De son côté, le défendeur reconnaît que la déclaration de la SPR selon laquelle la demanderesse ne se livrait pas à « une activité politique directe ni indirecte » est de nature à semer la confusion. Cependant, le défendeur soutient que cet élément de preuve ne constitue ni un facteur essentiel dans la décision de la SPR, ni une erreur susceptible de contrôle judiciaire. Le défendeur allègue que la SPR a poursuivi l’analyse de la preuve soumise par la demanderesse et que, par conséquent, le fait que la SPR ait commis une erreur dans la définition du caractère politique ou non politique des activités n’est pas pertinent.

 

[29]           Dans la décision Cepeda‑Gutierrez c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1998] ACF no 1425, 157 FTR 35 [Cepeda‑Gutierrez], souvent invoquée, le juge Evans (maintenant juge à la Cour d’appel fédérale) s’est exprimé en ces termes :

[15]      La Cour peut inférer que l’organisme administratif en cause a tiré la conclusion de fait erronée " sans tenir compte des éléments dont il [disposait] " du fait qu’il n’a pas mentionné dans ses motifs certains éléments de preuve dont il était saisi et qui étaient pertinents à la conclusion, et en arriver à une conclusion différente de celle de l’organisme. Tout comme un tribunal doit faire preuve de retenue à l’égard de l’interprétation qu’un organisme donne de sa loi constitutive, s’il donne des motifs justifiant les conclusions auxquelles il arrive, de même un tribunal hésitera à confirmer les conclusions de fait d’un organisme en l’absence de conclusions expresses et d’une analyse de la preuve qui indique comment l’organisme est parvenu à ce résultat.

 

[16]      Par ailleurs, les motifs donnés par les organismes administratifs ne doivent pas être examinés à la loupe par le tribunal (Medina c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration) (1990) 12 Imm. L.R. (2d) 33 (C.A.F.)), et il ne faut pas non plus les obliger à faire référence à chaque élément de preuve dont ils sont saisis et qui sont contraires à leurs conclusions de fait, et à expliquer comment ils ont traité ces éléments de preuve (voir, par exemple, Hassan c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration) (1992), 147 N.R. 317 (C.A.F.)). Imposer une telle obligation aux décideurs administratifs, qui sont peut‑être déjà aux prises avec une charge de travail imposante et des ressources inadéquates, constituerait un fardeau beaucoup trop lourd. Une simple déclaration par l’organisme dans ses motifs que, pour en venir à ses conclusions, il a examiné l’ensemble de la preuve dont il était saisi suffit souvent pour assurer aux parties, et au tribunal chargé du contrôle, que l’organisme a analysé l’ensemble de la preuve avant de tirer ses conclusions de fait.

 

[17]      Toutefois, plus la preuve qui n’a pas été mentionnée expressément ni analysée dans les motifs de l’organisme est importante, et plus une cour de justice sera disposée à inférer de ce silence que l’organisme a tiré une conclusion de fait erronée « sans tenir compte des éléments dont il [disposait] » : Bains c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration) reflex, (1993), 63 F.T.R. 312 (C.F. 1re inst.). Autrement dit, l’obligation de fournir une explication augmente en fonction de la pertinence de la preuve en question au regard des faits contestés. Ainsi, une déclaration générale affirmant que l’organisme a examiné l’ensemble de la preuve ne suffit pas lorsque les éléments de preuve dont elle n’a pas discuté dans ses motifs semblent carrément contredire sa conclusion. Qui plus est, quand l’organisme fait référence de façon assez détaillée à des éléments de preuve appuyant sa conclusion, mais qu’elle passe sous silence des éléments de preuve qui tendent à prouver le contraire, il peut être plus facile d’inférer que l’organisme n’a pas examiné la preuve contradictoire pour en arriver à sa conclusion de fait.

 

[Non souligné dans l’original]

 

[30]           La SPR ne mentionne pas la lettre de Todos Somos qui précise que la demanderesse a travaillé pour ce mouvement au cours de la campagne électorale. Il s’agit d’un élément de preuve qui contredit clairement la conclusion centrale de la SPR selon laquelle la demanderesse ne travaillait pas pour un parti politique, mais plutôt pour Mario. À mon avis, la SRP a tiré cette conclusion sans tenir compte de la preuve qui lui était soumise.

 

[31]           Je ne suis pas d’accord avec le défendeur qui soutient que l’existence de cette lettre et le défaut de la SPR de la prendre en compte ne sont pas importants et que ce défaut ne constitue pas une erreur susceptible de contrôle judiciaire. En effet, la conclusion de la SPR selon laquelle la demanderesse ne travaillait pas pour un parti politique et ne se livrait pas directement ou indirectement à des activités politiques constituait la conclusion centrale de la décision de la SPR. Les demandeurs ont demandé l’asile par suite des activités politiques de la demanderesse et la conclusion de la SPR selon laquelle la demanderesse ne se livrait pas aux activités politiques alléguées constituait le cœur même de la décision de la SPR de refuser l’asile.

 

[32]           Je conclus que la SPR a commis une erreur en omettant de tenir compte d’un élément de preuve contraire à sa conclusion finale. La conclusion de la SPR est déraisonnable.

 

Conclusion

 

[33]           La demande de contrôle judiciaire est accueillie et l’affaire est renvoyée à un tribunal différemment constitué pour qu’il statue à nouveau sur l’affaire.

 

[34]           Les parties n’en ayant proposé aucune, je ne certifie pas de question de portée générale.


JUGEMENT

 

LA COUR ORDONNE :

 

1.      La demande de contrôle judiciaire est accueillie et l’affaire est renvoyée à un tribunal différemment constitué pour qu’il statue à nouveau sur l’affaire.

 

2.      Aucune question de portée générale n’est certifiée.

 

 

« Leonard S. Mandamin »

Juge

 

 

 

 

Traduction certifiée conforme

Édith Malo, LL.B.

 


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

DOSSIER :                                                    IMM‑5229‑11

 

 

INTITULÉ :                                                   CLAUDIA MARIA MALDONADO VENTURA, JOSE ENRIQUE URBINA BELGARA, SEBASTIAN ALBERTO URBINA MALDONADO c. LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                             Toronto (Ontario)

 

 

DATE DE L’AUDIENCE :                           Le 14 février 2012

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT

ET JUGEMENT :                                          LE JUGE MANDAMIN

 

 

DATE DES MOTIFS :                                  Le 20 avril 2012

 

 

 

COMPARUTIONS :

 

Micheal Crane

 

POUR LES DEMANDEURS

 

Bridget O’Leary

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Micheal Crane

Avocat

Toronto (Ontario)

 

POUR LES DEMANDEURS

 

Myles J. Kirvan

Sous‑procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

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