Décisions de la Cour fédérale

Informations sur la décision

Contenu de la décision

Date : 20120417


Dossier : IMM-4997-11

Référence : 2012 CF 444

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 17 avril 2012

En présence de monsieur le juge Scott

 

 

ENTRE :

 

SHU AN JIA

 

 

 

demandeur

 

et

 

 

 

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L’IMMIGRATION

 

 

 

défendeur

 

 

 

 

 

           MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

I.          Introduction

 

[1]               Il s’agit d’une demande faite par Shu An Jia (le demandeur) en vertu du paragraphe 72(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés (LC 2001, c 27) (la LIPR), visant le contrôle judiciaire de la décision rendue le 15 juin 2011par la Commission de l’immigration et du statut de réfugié (la Commission), par laquelle la Commission a conclu que le demandeur n’est ni un réfugié au sens de la Convention ni une personne à protéger au sens de l’article 96 et du paragraphe 97(1) de la LIPR.

 

[2]               Pour les motifs qui suivent, la présente demande de contrôle judiciaire est rejetée.

 

II.        Faits

 

[3]               Le demandeur est citoyen de la Chine.

 

[4]               En 2003, le demandeur a investi 100 000 yuans pour ouvrir un dépanneur dans le comté de Xu Chang. Il allègue que son commerce était très prospère. Toutefois, le 12 septembre 2007, le bureau de démolition du comté de Xu Chang a avisé le demandeur qu’il serait exproprié. Le bureau a accepté de verser au demandeur un dédommagement de 100 000 yuans pour son investissement.

 

[5]               Le demandeur estimait que ce dédommagement était injuste. Il a déposé une requête auprès du bureau local du gouvernement, mais sans succès.

 

[6]               Le demandeur a par la suite sombré dans une dépression. En mars 2008, M. Zhang Guang Jun a suggéré au demandeur de fréquenter une église clandestine. Il l’a prévenu que les églises clandestines étaient illégales en Chine, mais l’a rassuré en lui disant que sa congrégation était très prudente et prenait les précautions nécessaires pour éviter les autorités chinoises.

 

[7]               Le 9 mars 2008, le demandeur s’est rendu à l’église clandestine. Son état s’est amélioré peu à peu et il assistait au service tous les dimanches. De plus, il a trouvé du travail à la Shang Cheng Logistics Company du comté de Xu Chang à la fin de mars 2008.

 

[8]               Le 6 juillet 2008, le demandeur a assisté à un mariage et a par conséquent manqué le service religieux ce dimanche-là. Il a reçu un appel téléphonique de sa belle-mère. Le Bureau de la sécurité publique (le BSP) le cherchait en raison de ses pratiques religieuses. Le demandeur a emmené immédiatement les membres de sa famille vivre chez son cousin.

 

[9]               Alors qu’il se cachait, il s’est informé des huit autres membres de l’église et a appris qu’ils avaient tous été détenus.

 

[10]           Comme le demandeur ne se sentait pas en sécurité, son cousin a communiqué avec un passeur pour lui afin de lui obtenir un visa. Le 10 décembre 2008, le demandeur a été informé que son visa avait été délivré le 3 décembre 2008. Malheureusement, son cousin n’a pas été en mesure d’amasser l’argent nécessaire pour payer le passeur avant mars 2009.

 

[11]           Pendant les préparatifs en vue du départ du demandeur, le BSP continuait de le chercher.

 

[12]           Le 20 avril 2009, le passeur a appelé le cousin du demandeur et lui a dit que ce dernier pouvait prendre un vol de Beijing à destination du Canada le 30 avril 2009.

 

[13]           Le demandeur est arrivé au Canada le 30 avril 2009. Il a présenté une demande d’asile le 7 mai 2009. À ce jour, il allègue que les membres de son église sont encore détenus et que le BSP le cherche en Chine.

 

[14]           Dans sa décision, la Commission a conclu que le demandeur n’était ni un réfugié au sens de la Convention ni une personne à protéger en raison de son manque général de crédibilité comme témoin. Pour ce seul motif, sa demande d’asile a été rejetée.

 

III.       Dispositions législatives

 

[15]           Les articles 96 et 97 de la LIPR prévoient ce qui suit :

 

Définition de « réfugié »

Convention refugee

 

 A qualité de réfugié au sens de la Convention — le réfugié — la personne qui, craignant avec raison d’être persécutée du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de son appartenance à un groupe social ou de ses opinions politiques :

 

96. A Convention refugee is a person who, by reason of a well-founded fear of persecution for reasons of race, religion, nationality, membership in a particular social group or political opinion,

 

asoit se trouve hors de tout pays dont elle a la nationalité et ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut se réclamer de la protection de chacun de ces pays;

 

(ais outside each of their countries of nationality and is unable or, by reason of that fear, unwilling to avail themself of the protection of each of those countries; or

bsoit, si elle n’a pas de nationalité et se trouve hors du pays dans lequel elle avait sa résidence habituelle, ne peut ni, du fait de cette crainte, ne veut y retourner.

 

(bnot having a country of nationality, is outside the country of their former habitual residence and is unable or, by reason of that fear, unwilling to return to that country.

Personne à protéger

 

Person in need of protection

 

 (1) A qualité de personne à protéger la personne qui se trouve au Canada et serait personnellement, par son renvoi vers tout pays dont elle a la nationalité ou, si elle n’a pas de nationalité, dans lequel elle avait sa résidence habituelle, exposée :

 

97. (1) A person in need of protection is a person in Canada whose removal to their country or countries of nationality or, if they do not have a country of nationality, their country of former habitual residence, would subject them personally

 

asoit au risque, s’il y a des motifs sérieux de le croire, d’être soumise à la torture au sens de l’article premier de la Convention contre la torture;

 

(ato a danger, believed on substantial grounds to exist, of torture within the meaning of Article 1 of the Convention Against Torture; or

bsoit à une menace à sa vie ou au risque de traitements ou peines cruels et inusités dans le cas suivant :

 

(bto a risk to their life or to a risk of cruel and unusual treatment or punishment if

 

(i) elle ne peut ou, de ce fait, ne veut se réclamer de la protection de ce pays,

 

(i) the person is unable or, because of that risk, unwilling to avail themself of the protection of that country,

(ii) elle y est exposée en tout lieu de ce pays alors que d’autres personnes originaires de ce pays ou qui s’y trouvent ne le sont généralement pas,

 

(ii) the risk would be faced by the person in every part of that country and is not faced generally by other individuals in or from that country,

(iii) la menace ou le risque ne résulte pas de sanctions légitimes — sauf celles infligées au mépris des normes internationales — et inhérents à celles-ci ou occasionnés par elles,

 

(iii) the risk is not inherent or incidental to lawful sanctions, unless imposed in disregard of accepted international standards, and

 

(iv) la menace ou le risque ne résulte pas de l’incapacité du pays de fournir des soins médicaux ou de santé adéquats.

 

(iv) the risk is not caused by the inability of that country to provide adequate health or medical care.

 

Personne à protéger

 

Person in need of protection

 

(2) A également qualité de personne à protéger la personne qui se trouve au Canada et fait partie d’une catégorie de personnes auxquelles est reconnu par règlement le besoin de protection.

 

(2) A person in Canada who is a member of a class of persons prescribed by the regulations as being in need of protection is also a person in need of protection.

 

IV.       Questions et normes de contrôle

 

A.        Questions

 

[16]           La présente demande soulève les questions suivantes :

1.         La Commission a-t-elle commis une erreur en ne jugeant pas le demandeur crédible?

2.         La Commission a-t-elle commis une erreur dans son évaluation de la demande d’asile sur place du demandeur?

 

B.        Norme de contrôle

 

[17]           La crédibilité est une question de fait qui doit être examinée en fonction de la norme de la raisonnabilité (voir Lawal c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2010 CF 558, [2010] ACF no 673, au paragraphe 11).

 

[18]           L’évaluation de la preuve concernant la demande d’asile sur place du demandeur est également susceptible de contrôle selon la norme de la décision raisonnable (voir Li c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2011 CF 941, au paragraphe 15; Aleziri c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2009 CF 38, au paragraphe 38). La Cour doit décider si la décision du tribunal « […] appart[ient] […] aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit » (voir Dunsmuir c Nouveau-Brunswick, 2008 CSC 9, [2008] ACS no 9, au paragraphe 47 [Dunsmuir]).

 

V.        Observations des parties

 

A.        Observations du demandeur

 

[19]           La Commission a conclu que la crédibilité est un facteur déterminant en l’espèce et que le demandeur n’était pas un témoin crédible. Le demandeur allègue que la Commission a mal interprété la preuve produite et en a fait abstraction. Il soutient en outre que la Commission a formulé un raisonnement non étayé et conjectural reposant sur des hypothèses illogiques et contradictoires (voir Magham c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [2001] ACF no 439, 2001 CFPI 117; B’Ghiel c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1998] ACF n1023, 43 Imm LR (2d) 198; Giron c Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1992] ACF no 481, 143 NR 238; Divsalar c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [2002] ACF no 875, 2002 CFPI 653; Sadique c Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1993] ACF no 1325, 71 FTR 37).

 

[20]           D’après le demandeur, la Commission a posé des questions trop limitatives sans égard à l’équité procédurale (voir Valverde c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2008 CF 1418, aux paragraphes 6 à 11). L’omission de poser d’autres questions a donné lieu à des problèmes apparents alors qu’il n’y en avait pas. Le demandeur allègue que les interventions et les questions de son conseil étaient valides, car elles ont permis de clarifier et de dissiper certaines des incohérences apparentes ainsi que les conclusions erronées de la Commission.

 

B.        Observations du défendeur

 

[21]           Le défendeur souligne que la Commission a tiré plusieurs conclusions relativement à la crédibilité. La Commission a le droit de formuler des conclusions défavorables en matière de crédibilité à partir du témoignage du demandeur en évaluant l’imprécision, les hésitations, les incohérences, les contradictions et le comportement, pour lesquels elle doit faire preuve de déférence lorsqu’il y a contrôle judiciaire (voir Zheng c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2007 CF 673, au paragraphe 17).

 

[22]           Dans son mémoire, le demandeur fait valoir que la Commission a établi des inférences conjecturales et sans fondement, a tiré des conclusions illogiques et contradictoires, a posé des questions étroites et a mal interprété et ignoré la preuve. En guise de réponse, le défendeur allègue que la Commission n’a pas accepté les explications données par le demandeur relativement aux nombreuses incohérences, contradictions et omissions dans sa preuve écrite et orale. Il appartient à la Commission de soupeser la preuve (voir Ma c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2011 CF 417, au paragraphe 39).

 

[23]           En ce qui concerne la demande d’asile sur place, le défendeur soutient que compte tenu du manque général de crédibilité du demandeur et de sa connaissance du christianisme, il était loisible à la Commission de conclure que le demandeur s’est joint à une église chrétienne au Canada essentiellement pour appuyer une demande d’asile frauduleuse.

 

[24]           D’après le défendeur, aucune des observations du demandeur ne prouve quelque erreur susceptible de contrôle. Le défendeur affirme que les conclusions de la Commission étaient raisonnables.

 

VI.       Analyse

 

1.         La Commission a-t-elle commis une erreur en ne jugeant pas le demandeur crédible?

 

[25]           La Commission n’a pas commis d’erreur en jugeant le demandeur non crédible.

 

[26]           La détermination de la crédibilité d’un demandeur est une question de nature factuelle. « Il ressort clairement de la jurisprudence que l’analyse que fait la Commission quant à la crédibilité d’un demandeur d’asile et à la vraisemblance de son récit est intimement liée à son rôle d’arbitre des faits et que, en conséquence, ses conclusions en la matière devraient bénéficier d’une retenue appréciable. » (Voir Lin c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2008 CF 1052, [2008] ACF no 1329, au paragraphe 13.) « Il ne fait pas de doute que le tribunal spécialisé qu’est la section du statut de réfugié a pleine compétence pour apprécier la plausibilité d’un témoignage. Qui, en effet, mieux que lui, est en mesure de jauger la crédibilité d’un récit et de tirer les inférences qui s’imposent? Dans la mesure où les inférences que le tribunal tire ne sont pas déraisonnables au point d’attirer notre intervention, ses conclusions sont à l’abri du contrôle judiciaire. » (Voir Aguebor c Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1993] ACF no 732, au paragraphe 4 [Aguebor].)

 

[27]           De plus, « [i]l est établi dans la jurisprudence que l’évaluation de la preuve et des témoignages, ainsi que de leur accorder ou non de la valeur probante appartient à la [Commission]. La norme de contrôle est celle de la décision raisonnable et un certain degré de déférence est due envers la décision du tribunal spécialisé […] » (Voir El Romhaine c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [2011] ACF no 693, au paragraphe 21; Aguebor et Dunsmuir, précités.)

 

[28]           La Commission a établi qu’il y avait plusieurs incohérences dans l’exposé circonstancié du demandeur. Elle a conclu que le demandeur avait continué à présenter des explications incohérentes au sujet de sa carte d’identité de résident et avait adapté ses réponses et adopté les explications de son conseil pour écarter ces incohérences. Elle a également tiré une inférence défavorable des hésitations et des explications du demandeur au sujet de ses passeports chinois.

 

[29]           En outre, la Commission a tiré des conclusions en matière de crédibilité et a établi des inférences défavorables cumulatives en raison de l’absence d’éléments de preuve convaincants portant sur le BSP, et elle a conclu que le demandeur n’était pas crédible. Le tribunal a également conclu que le demandeur avait eu du temps pour modifier son Formulaire de renseignements personnels (le FRP) sur la question de sa crainte à l’égard des [traduction] « fonctionnaires du gouvernement », mais qu’il ne l’avait pas fait.

 

[30]           La Commission a en outre établi que le demandeur n’était pas un vrai chrétien en Chine ou au Canada. Elle a fait observer qu’il s’est joint à une église au Canada uniquement pour appuyer une demande d’asile frauduleuse.

 

[31]           La Cour est d’avis que les conclusions de la Commission concernant les passeports du demandeur n’étaient pas au cœur de la demande.

 

[32]           La Cour fait observer que la conclusion de la Commission concernant la première visite des représentants du BSP au domicile du demandeur est déraisonnable (voir les pages 680 et 681 du dossier du tribunal). Pendant l’audience, l’agent du tribunal a posé les questions suivantes au demandeur :

 

[traduction]

Q. Ont-ils fouillé votre maison? Excusez‑moi. Je m’apprêtais à revenir sur un point secondaire, si je puis me permettre. Le BSP avait - - cette conversation dont vous venez de parler, à laquelle ont pris part les représentants du BSP et votre épouse, a‑t‑elle eu lieu la première fois qu’ils se sont présentés chez vous? Est-ce exact?

 

R. Non. Non, pas la première fois. Elle a eu lieu après plusieurs visites. Ils ne pouvaient pas me trouver, puis ils ont dit cela.

 

Q. D’accord. Cependant, je veux m’assurer de comprendre la teneur de la conversation entre les représentants de la police et votre épouse la première fois qu’ils se sont présentés chez vous. La toute première fois.

 

R. La première fois, ils ont dit : « vous - - votre mari a commencé à contester et il s’est joint au groupe maléfique ». Ils croient que l’église clandestine est le groupe maléfique. Nous voulions - - nous voulons qu’il vienne au poste du BSP pour faire des aveux.

 

Q. D’accord. Mais cela pose un problème, d’accord. Voici le problème. Votre épouse n’était pas à la maison la première fois que le BSP s’y est présenté. Entendu? D’après votre formulaire de renseignements personnels, votre épouse, vos enfants et vous étiez à un mariage le 6 juillet 2008. Cependant, votre belle-mère - - un instant. Votre belle-mère, qui vivait avec vous, vous a téléphoné pour vous dire que le BSP s’était présenté chez vous pour vous mettre en détention et qu’ils étaient au courant de votre participation à une église clandestine.

 

[. . .]

 

Ainsi, vous venez de nous parler d’une conversation entre la police et votre épouse qui, selon vos dires, a eu lieu lors de la première visite de la police, mais votre épouse n’était pas à la maison. D’après l’exposé circonstancié, votre épouse n’était pas à la maison lors de la première visite de la police. Veuillez donc nous expliquer cette incohérence apparente.

 

R. Je croyais que vous veniez de m’interroger au sujet de la première conversation entre le BSP et mon épouse.

 

Q. Oui, c’est ce dont nous parlons. D’accord? Mais cette discussion s’inscrivait clairement dans le contexte des propos tenus par la police à votre épouse la première fois que la police s’est présentée à votre maison.

 

[. . .] Cependant, le problème, c’est que vous dites que la première fois que les représentants de la police se sont rendus chez vous, ils ont eu cette conversation avec votre épouse. Cependant, d’après votre exposé circonstancié, elle n’y était pas; voilà donc l’incohérence.

 

R. J’avais compris que vous veniez de m’interroger au sujet de la première fois que le BSP avait eu une conversation avec mon épouse.

 

CONSEIL DU DEMANDEUR : Je reviendrai de manière plus exhaustive sur cette question ultérieurement, je suis certain que (inaudible), mais si vous vous penchez sur l’interrogatoire, je peux constater la confusion, parce que vous posez des questions au sujet de l’épouse et du BSP, puis au sujet de la première conversation. C’est – vous allez et venez, puis l’épouse est mentionnée de nouveau, en alternance avec un autre sujet, et par intermittence.

 

[33]           En ce qui concerne cette question, la Cour souscrit à la position du conseil du demandeur. L’interrogatoire de l’agent a été mené de façon à contraindre le demandeur à répondre de manière incohérente. Cette erreur n’est pas déterminante quant à la présente demande de contrôle judiciaire.

 

[34]           La Commission a également tiré des conclusions en matière de crédibilité en ce qui concerne la lettre de l’épouse du demandeur, les nouvelles allégations du demandeur au sujet des fonctionnaires, ses croyances religieuses et la crainte du BSP.

 

[35]           En ce qui touche la lettre de l’épouse, la Commission a conclu qu’il était impossible de confirmer qui était l’auteur de la lettre parce que celle-ci n’était pas notariée. Elle a raisonnablement accordé peu de poids à cette preuve documentaire. La Commission est la mieux placée pour « évaluer les forces et les faiblesses de la preuve, et pour déterminer si elle est ou non admissible et si elle contient ou non des éléments dignes de foi et crédibles permettant de conclure que le demandeur craint avec raison d’être persécuté » (voir Olgin c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2009 CF 193, aux paragraphes 10 et 11).

 

[36]           La Commission a considéré que la crainte qu’éprouvait le demandeur à l’égard des fonctionnaires constituait une nouvelle allégation qui n’était pas comprise initialement dans le FRP du demandeur. Le demandeur a comparu trois fois devant la Commission mais n’a jamais modifié son exposé circonstancié. La Commission a raisonnablement tiré une inférence défavorable de cette omission importante sur le plan de la preuve. Le conseil du demandeur a expliqué à l’audience qu’il n’a jamais modifié son FRP et que l’audience avait pour objet d’expliciter les éléments de base divulgués dans le FRP. Malgré cette explication, il demeure que le demandeur n’a pas mentionné un élément aussi primordial relativement à sa demande (voir Lobo c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1995] ACF no 597).

 

[37]           En ce qui concerne la question des croyances religieuses du demandeur, la Commission a souligné le fait qu’il n’avait pas fourni d’éléments de preuve convaincants selon lesquels il était poursuivi par le BSP en raison de sa foi chrétienne. Compte tenu de l’exposé circonstancié et de l’insistance du demandeur, il était également raisonnable pour la Commission de présumer qu’une assignation aurait été délivrée parce que le BSP avait davantage qu’un simple intérêt à l’égard du demandeur.

 

[38]           La Cour est convaincue que la décision, prise globalement, était raisonnable en ce qui concerne la crédibilité du demandeur. Certaines des conclusions relatives à la crédibilité peuvent être contestées comme nous l’avons mentionné. Il demeure néanmoins que l’accumulation de contradictions et d’incohérences appuie les autres conclusions défavorables quant à la crédibilité auxquelles la Commission en est venue. Prise globalement, la décision de la Commission est solide et appartient aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit (voir Lin c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2011 CF 1235, [2011] ACF n1514, au paragraphe 59).

 

2.         La Commission a-t-elle commis une erreur dans son évaluation de la demande d’asile sur place du demandeur?

 

[39]           La Cour juge que la Commission n’a pas commis d’erreur dans son évaluation de la demande d’asile sur place du demandeur. Dans Song c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2008 CF 1321, au paragraphe 71, la Cour a statué qu’« elle disposait d’amplement de preuve démontrant que la religion n’est pas pratiquée librement dans les églises reconnues en Chine et que les membres d’églises clandestines sont persécutés ». Même s’il était bien connu que le christianisme n’est pas pratiqué librement en Chine, la Commission a statué raisonnablement que le manque de crédibilité du demandeur démontrait qu’il n’était pas un véritable chrétien dans son pays d’origine. En ce qui a trait à sa pratique religieuse au Canada, la Commission a écrit au paragraphe 20 de sa décision :

[. . .] Prié d’expliquer la raison pour laquelle il n’avait pas obtenu plus tôt des éléments de preuve démontrant qu’il fréquentait la Living Stone Assembly, le demandeur d’asile a déclaré avoir ignoré qu’il devait présenter des documents religieux jusqu’à ce que son conseil l’en informe à la première audience, en décembre 2010. Il a ajouté ne pas avoir réussi à les obtenir à temps pour la deuxième séance, qui a eu lieu en février 2011. Le tribunal rejette l’explication du demandeur d’asile. Ce dernier est représenté par le même conseil depuis la signature de son FRP, le 25 juin 2009. Le conseil du demandeur d’asile est compétent et expérimenté, et l’importance de fournir des preuves des activités religieuses du demandeur d’asile au Canada devrait être une évidence. En outre, un formulaire d’examen initial a été rempli le 29 mai 2009, puis remis au conseil et au demandeur d’asile. Le formulaire d’examen initial indique précisément que le demandeur d’asile doit produire des éléments de preuve pour établir son appartenance religieuse […] (Voir la décision de la Commission au paragraphe 20.)

 

[40]           La Commission a ajouté au paragraphe 22 de sa décision :

Lorsqu’il lui a été demandé quand il était retourné à l’église au Canada, le demandeur d’asile a répondu qu’il était retourné à l’église quand il était devenu membre de la Living Stone Assembly, en novembre 2010. Il n’a donné aucune explication concernant la période durant laquelle il n’a pas fréquenté l’église. Le tribunal tire une conclusion défavorable du fait que le demandeur d’asile n’a pas fréquenté l’église de la fin de décembre 2009 jusqu’à novembre 2010. Le tribunal estime également que le fait que le demandeur d’asile n’a fréquenté aucune église pendant cette période porte atteinte à sa prétendue identité religieuse.

 

[41]           Dans Ejtehadian c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2007 CF 158, au paragraphe 11 [Ejtehadian], le juge Blanchard a déclaré :

[. . .]

Dans le cadre d’une demande d’asile sur place, la preuve crédible des activités d’un demandeur au Canada susceptibles d’attester le risque d’un préjudice dès son retour doit être expressément prise en considération par la CISR, même si la motivation derrière ces activités n’est pas sincère : Mbokoso c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1999] A.C.F. no 1806 (QL). La décision défavorable de la CISR est fondée sur la conclusion que la conversion du demandeur n’est pas authentique et est « seulement une solution pour demeurer au Canada et demander l’asile ». La CISR a reconnu que le demandeur s’est converti et qu’il a même été ordonné prêtre de la confession mormone.  La CISR a aussi accepté la preuve documentaire voulant que les apostats sont persécutés en Iran. En évaluant les risques auxquels le demandeur pourrait faire face à son retour, dans le cadre d’une demande d’asile sur place, il est nécessaire de tenir compte de la preuve crédible de ses activités au Canada, indépendamment des motifs derrière sa conversion. Même si les motifs de conversion du demandeur ne sont pas authentiques, tel que l’a conclu la CISR en l’espèce, l’imputation possible d’apostasie à l’égard du demandeur par les autorités iraniennes peut néanmoins être suffisante pour qu’il réponde aux exigences de la définition de la Convention [. . .]

 

[42]           D’après le juge Blanchard, la Commission ne devrait pas prendre en compte l’authenticité de la foi du demandeur, mais plutôt se pencher sur les conséquences des croyances du demandeur développées au Canada, sur la base de la preuve crédible et de la possibilité de persécution dans son pays d’origine.

 

[43]           Dans la présente affaire, le demandeur a fourni un certificat de baptême, des photographies de la cérémonie de baptême et une lettre du révérend David Ko datée du 1er mai 2011. Il a également produit de la preuve documentaire dans le but d’établir que les chrétiens sont persécutés en Chine. Toutefois, la Commission a raisonnablement conclu que le demandeur ne s’est pas acquitté de son fardeau de prouver l’existence d’une possibilité sérieuse qu’il serait persécuté ou personnellement exposé à une menace à sa vie ou au risque de traitements cruels et inusités en Chine. La preuve présentée était insuffisante pour que la Commission puisse conclure que le demandeur serait exposé à un risque s’il était renvoyé en Chine. Dans Alfaro c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2011 CF 912, [2011] ACF no 1152, au paragraphe 25, le juge Rennie a écrit :

[25] Le second motif pour lequel la présente demande est accueillie est le fait que la Commission n’a pas considéré la demande comme une demande présentée sur place. Le Guide des procédures et critères à appliquer pour déterminer le statut de réfugié du Haut Commissariat des Nations Unies pour les réfugiés (HCNUR) décrit deux situations dans lesquelles peut se présenter une telle demande. La première, attribuable à un changement de situation dans le pays d’origine pendant que le demandeur d’asile se trouve à l’étranger, n’est pas pertinente. Cela n’est toutefois pas le cas de la seconde circonstance :

 

Une personne peut devenir un réfugié «sur place» de son propre fait, par exemple en raison des rapports qu’elle entretient avec des réfugiés déjà reconnus comme tels ou des opinions politiques qu’elle a exprimées dans le pays où elle réside. La question de savoir si de tels actes suffisent à établir la crainte fondée de persécution doit être résolue à la suite d’un examen approfondi des circonstances. En particulier il y a lieu de vérifier si ces actes sont arrivés à la connaissance des autorités du pays d’origine et de quelle manière ils pourraient être jugés par elles.

 

[44]           En l’espèce, les conclusions de la Commission quant à la crédibilité étaient raisonnables. Par conséquent, la Commission n’a pas commis d’erreur en jugeant que les autorités de la Chine n’étaient pas à la recherche du demandeur. Partant, il est très peu probable que sa pratique religieuse limitée au Canada soit venue à l’attention des autorités en Chine. Le demandeur n’est donc pas un demandeur d’asile sur place.

 

VII.     Conclusion

 

[45]           La Commission a raisonnablement conclu que le demandeur n’était ni un réfugié au sens de la Convention ni une personne à protéger en raison de son manque de crédibilité. Il était également raisonnable de conclure que le demandeur n’était pas un demandeur d’asile sur place. La présente demande est donc rejetée.


 

JUGEMENT

LA COUR STATUE que :

1.                  La présente demande de contrôle judiciaire est rejetée.

2.                  Il n’y a aucune question de portée générale à certifier.

 

 

« André F.J. Scott »

Juge

 

 

Traduction certifiée conforme

Julie Boulanger, LL.M.


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

DOSSIER :                                        IMM-4997-11

 

INTITULÉ :                                      SHU AN JIA

                                                            c

                                                            LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

                                                            ET DE L’IMMIGRATION

 

LIEU DE L’AUDIENCE :              Toronto (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :             Le 21 mars 2012

 

MOTIFS DU JUGEMENT

ET JUGEMENT :                            LE JUGE SCOTT

 

DATE DES MOTIFS

ET DU JUGEMENT :                     Le 17 avril 2012

 

 

 

COMPARUTIONS :

 

Marvin Moses

 

POUR LE DEMANDEUR

 

Norah Dorcine

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Marvin Moses Law Office

Toronto (Ontario)

 

POUR LE DEMANDEUR

Myles J. Kirvan

Sous-procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

 

 

 

 

 Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.