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Cour fédérale

 

Federal Court

 

Date : 20120320


Dossier : T-1384-11

Référence : 2012 CF 328

[TRADUCTION FRANÇAISE]

Ottawa (Ontario), le 20 mars 2012

En présence de  monsieur le juge Boivin

 

ACTION PERSONNELLE EN MATIÈRE D'AMIRAUTÉ

ENTRE :

 

SEANAUTIC MARINE INC.

EXPLOITÉE SOUS LE NOM

(UNION AFRICA LINE)

 

 

demanderesse/intimée

 

et

 

 

 

JOFOR EXPORT INCORPORATED

 

 

 

défenderesse/requérante

 

 

 

 

 

 

  MOTIFS DE L’ORDONNANCE ET ORDONNANCE

 

  • [1] Jofor Export Incorporated (Jofor), la défenderesse/requérante, demande à se porter en appel, conformément à l'article 51 des Règles des Cours fédérales, DORS/98-106 (les règles), contre une ordonnance rendue par la protonotaire Tabib le 8 décembre 2011, qui a rejeté la requête en suspension ou radiation de l’action déposée par Seanautic Marine Inc. (Seanautic), la demanderesse/intimée.

 

Les faits

  • [2] Le présent appel découle d’un différend concernant certains événements qui remontent à novembre 2009. Les parties ont conclu un contrat de transport, dans lequel Seanautic s’est engagée à transporter deux conteneurs appartenant à Jofor à Mombassa, au Kenya. Cette entente a été consignée dans deux connaissements. Seanautic a facturé à Jofor des frais de transport et de surestarie en souffrance s’élevant à 19 429,95 $ CA, qui n’ont pas été payés par la suite par Jofor.

 

  • [3] Le 30 juillet 2010, Seanautic a déposé une demande devant la Cour supérieure de justice, Cour des petites créances, à Ottawa, en Ontario. Jofor a répondu en déposant une défense et une demande reconventionnelle.

 

  • [4] Le 2 février 2011, une conférence obligatoire en vue d’une transaction a eu lieu devant un juge de la Cour des petites créances. Les parties, représentées par M. Jide Uwechia (agissant pour Jofor) et M. Alfred Muelly (président de Seanautic), ne sont pas parvenues à un règlement et le juge de la Cour des petites créances a noté dans le procès-verbal de la conférence en vue d’une transaction que l'action devait être inscrite pour instruction.

 

  • [5] Le 16 février 2011, les parties ont été avisées que l'action pourrait être instruite et que le défaut de le faire entraînerait le rejet de la demande pour cause de désistement. Le 23 février 2011, les parties ont de nouveau été avisées que le greffier du tribunal rejetterait la demande comme ayant fait l’objet d’un désistement sans autre avis, à moins que l'action n'ait été inscrite pour instruction ou n’ait été décidée par ordonnance de la cour dans les 45 jours suivant l'avis. Le 29 juin 2011, la Cour des petites créances a rendu une ordonnance rejetant la demande comme ayant fait l’objet d’un désistement en vertu de la règle 11.101(2) des Règles de la Cour des petites créances, Règlement de l'Ontario 258 (Règles de la Cour des petites créances).

 

  • [6] Dans une lettre du 27 juin 2011, Seanautic a rappelé à Jofor que les frais de transport étaient en souffrance et l’a informée qu’elle avait l’intention de déposer une action devant la Cour fédérale si elle ne répondait pas. Seanautic a également envoyé des factures à Jofor qui faisaient état en détail des montants dus.

 

  • [7] Le 26 août 2011, Seanautic a déposé une déclaration devant la Cour fédérale. La déclaration a ensuite été modifiée le 27 septembre 2011 ou vers cette date.

 

  • [8] Jofor a déposé une défense et une demande reconventionnelle devant la Cour fédérale le 3 octobre 2011. Subséquemment, Seanautic a déposé une réponse et défensereconventionnelle le 13 octobre 2011.

 

  • [9] Le 7 novembre 2011, Jofor a déposé une requête en suspension ou radiation de l’action intentée par Seanautic, pour cause de forum non conveniens et reprochant à Seanautic un abus du processus judiciaire et une conduite susceptible de déconsidérer l’administration de la justice.

 

  • [10] Le 5 décembre 2011, Seanautic a déposé son dossier de requête qui contenait l'affidavit de M. Alfred Muelly selon lequel, au cours de la conférence en vue d’une transaction, le juge de la Cour des petites créances et les deux parties ont convenu que l’affaire soit portée devant la Cour fédérale. Dans l'affidavit, M. Muelly soutient que, malgré cette entente, le juge a autorisé Seanautic à inscrire l'action au rôle devant la Cour des petites créances si Seanautic choisissait de le faire. Cependant, en fin de compte, M. Muelly indique que Seanautic a choisi de ne pas soumettre l'affaire pour instruction à la Cour des petites créances, étant donné qu’elle avait décidé d’en saisir la Cour fédérale.

 

  • [11] La requête de Jofor a été entendue par la protonotaire le 6 décembre 2011, qui l'a rejetée avec dépens.

 

  • [12] Jofor a déposé une requête en appel de la décision de la protonotaire le 16 décembre 2011.

 

La décision faisant l’objet de l’appel

  • [13] Dans sa décision, la protonotaire a rejeté la requête de Jofor en suspension ou radiation de l'action de Seanautic puisqu’elle a conclu que les doctrines de la contestation indirecte, de la litispendance, de la chose jugée, de la préclusion découlant d’une question déjà tranchée et de la courtoisie judiciaire mises de l'avant par Jofor ne s'appliquaient pas à la présente action. La protonotaire a également conclu que la doctrine du forum non conveniens ne pouvait s'appliquer dans la présente affaire puisque la Cour des petites créances de la Cour supérieure de justice n'était pas saisie de la même action, étant donné que les parties avaient valablement accepté le désistement de l'instance ontarienne et qu'il n'y avait aucune preuve laissant entendre que la Cour supérieure de justice était une meilleure tribune pour trancher la question.

 

  • [14] La protonotaire a reconnu que le rejet administratif de l'instance ontarienne par la Cour des petites créances avait été expressément fondé sur le désistement présumé de l'action par Seanautic. Par conséquent, à la lumière de la jurisprudence, la protonotaire a affirmé que cela n'empêchait pas Seanautic de déposer une action devant la Cour fédérale puisque son action devant la Cour des petites créances ne visait pas à trancher sur le fond les différends entre les parties.

 

  • [15] De plus, la protonotaire n'a pas accepté l'argument de Jofor selon lequel, puisqu’iln'était pas fait mention dans les procès-verbaux d’instance de l’Ontario ou un autre écritque les parties s'étaient entendues pour que l'affaire soit soumise la Cour fédérale, le témoignage de M. Muelly devait être considéré comme faux, discrédité ou écarté. La protonotaire a jugé véridiques les faits allégués dans l'affidavit de M. Muelly, puisqu'elle a conclu qu’ils n’ont pas été contredits par Jofor. De plus, la protonotaire a fait observer que Jofor n'avait pas exprimé l'intention ou le désir de contre-interroger M. Muelly au sujet de son affidavit. La protonotaire a également noté que Jofor n'avait pas exprimé le désir ou l'intention d'ajourner l'audition de sa requête afin de contre-interroger M. Muelly sur son affidavit. La protonotaire a également déclaré qu’au début de l'audience, Jofor n'avait formulé aucune objection quant au respect des délais de signification ou de dépôt du dossier de requête de Seanautic et n'avait soulevé aucune préoccupation quant à la pertinence de contre-interroger M. Muelly sur son affidavit. La protonotaire a plutôt souligné que Jofor avait seulement demandé que l’audience soit ajournée afin de contre-interroger M. Muelly une fois qu'elle avait tiré ses conclusions et en avait informé Jofor. À ce titre, elle a conclu que la demande de Jofor était inopportune. Ainsi, la protonotaire a refusé la demande d'ajournement de Jofor, car elle a conclu qu'il y avait eu suffisamment d'occasions de contre-interroger M. Muelly avant l'audience et que Jofor avait choisi de ne pas le faire.

 

Les questions à trancher

  • [16] La question suivante se pose dans le présent appel :

La protonotaire a-t-elle commis une erreur en rejetant la requête en suspension ou radiation de l’action déposée par Seanautic?

 

Les dispositions législatives applicables

  • [17] Les dispositions suivantes des Règles des Cours fédérales s’appliquent dans l’affaire qui nous occupe :

Appel des ordonnances du protonotaire

 

Appel

 

51. (1) L’ordonnance du protonotaire peut être portée en appel par voie de requête présentée à un juge de la Cour fédérale.

 

 

Signification de l’appel

 

(2) L’avis de la requête est signifié et déposé dans les 10 jours suivant la date de l’ordonnance frappée d’appel et au moins quatre jours avant la date prévue pour l’audition de la requête.

Appeals of Prothonotaries' Orders

 

Appeal

 

51. (1) An order of a prothonotary may be appealed by a motion to a judge of the Federal Court.

 

Service of appeal

 

(2) Notice of the motion shall be served and filed within 10 days after the day on which the order under appeal was made and at least four days before the day fixed for the hearing of the motion.

 

Contenu

 

81. (1) Les affidavits se limitent aux faits dont le déclarant a une connaissance personnelle, sauf s’ils sont présentés à l’appui d’une requête – autre qu’une requête en jugement sommaire ou en procès sommaire – auquel cas ils peuvent contenir des déclarations fondées sur ce que le déclarant croit être les faits, avec motifs à l’appui.

 

 

 

Poids de l’affidavit

 

(2) Lorsqu’un affidavit contient des déclarations fondées sur ce que croit le déclarant, le fait de ne pas offrir le témoignage de personnes ayant une connaissance personnelle des faits substantiels peut donner lieu à des conclusions défavorables.

Content of affidavits

 

81. (1) Affidavits shall be confined to facts within the deponent’s personal knowledge except on motions, other than motions for summary judgment or summary trial, in which statements as to the deponent’s belief, with the grounds for it, may be included.

 

Affidavits on belief

 

(2) Where an affidavit is made on belief, an adverse inference may be drawn from the failure of a party to provide evidence of persons having personal knowledge of material facts.

 

Utilisation de l’affidavit d’un avocat

 

 

82. Sauf avec l’autorisation de la Cour, un avocat ne peut à la fois être l’auteur d’un affidavit et présenter à la Cour des arguments fondés sur cet affidavit.

Use of solicitor's affidavit

 

82. Except with leave of the Court, a solicitor shall not both depose to an affidavit and present argument to the Court based on that affidavit.

 

  • [18] De plus, les dispositions suivantes des Règles de la Cour des petites créances, Règlement de l’Ontario 258 (les Règles de la Cour des petites créances) s’appliquent également :

 

RÈGLE 11.1 REJET PAR LE GREFFIER

 

Rejet — Actions contestées

 

(2) Le greffier rend une ordonnance rejetant une action pour cause de désistement si les conditions suivantes sont remplies, sauf ordonnance contraire du tribunal :

 

1. Plus de 150 jours se sont écoulés depuis la date de dépôt de la première défense.

 

2. Abrogée : Règl. de l’Ont. 56/08, par. 3(2).

 

3. L’action n’a pas été décidée par ordonnance ni inscrite pour instruction.

 

4. Le greffier a donné à toutes les parties à l’action un préavis de 45 jours indiquant que l’action sera rejetée pour cause de désistement.

RULE 11.1  DISMISSAL BY CLERK

 

Dismissal — Defended Actions

 

11.1.01 (2) The clerk shall make an order dismissing an action as abandoned if the following conditions are satisfied, unless the court orders otherwise:

 

1. More than 150 days have passed since the date the first defence was filed.

 

2. Revoked: O. Reg. 56/08, s. 3 (2).

 

3. The action has not been disposed of by order and has not been set down for trial.

 

4. The clerk has given 45 days notice to all parties to the action that the action will be dismissed as abandoned.

 

RÈGLE 13  CONFÉRENCES EN VUE D’UNE TRANSACTION

 

 

Procès-verbal

 

13.06 (1) À l’issue de la conférence en vue d’une transaction, le tribunal rédige un procès-verbal dans lequel sont résumés :

 

 

a) les recommandations faites en vertu de la règle 13.04;

 

b) les questions en litige non encore réglées;

 

c) les questions sur lesquelles les parties se sont entendues;

 

d) toutes questions en matière de preuve qui sont jugées pertinentes;

 

 

e) les renseignements relatifs au calendrier des autres étapes de l’instance.

 

(2) Le procès-verbal est déposé auprès du greffier, qui en donne une copie au juge qui préside le procès.

RULE 13  SETTLEMENT CONFERENCES

 

Memorandum

 

13.06 (1) At the end of the settlement conference, the court shall prepare a memorandum summarizing,

 

(a) recommendations made under rule 13.04;

 

(b) the issues remaining in dispute;

 

(c) the matters agreed on by the parties;

 

(d) any evidentiary matters that are considered relevant; and

 

(e) information relating to the scheduling of the remaining steps in the proceeding.

 

(2) The memorandum shall be filed with the clerk, who shall give a copy to the trial judge.

 

Retrait de la demande

 

13.09 Après la tenue d’une conférence en vue d’une transaction, une demande présentée contre une partie qui n’est pas en défaut ne doit pas être retirée ni faire l’objet d’un désistement par la partie qui l’a introduite sans, selon le cas :

 

 

a) le consentement écrit de la partie contre laquelle la demande est présentée;

 

b) l’autorisation du tribunal.

Withdrawal of Claim

 

13.09 After a settlement conference has been held, a claim against a party who is not in default shall not be withdrawn or discontinued by the party who brought the claim without,

 

(a) the written consent of the party against whom the claim is brought; or

 

(b) leave of the court.

 

Analyse

  • [19] Le critère énonçant la norme de contrôle à l’égard des ordonnances discrétionnaires des protonotaires a été défini par la Cour d’appel fédérale dans l’arrêt Canada c Aqua-Gem Investments Ltd., (CAF) [1993] 2 CF 425, 149 NR 273. Ce critère a par la suite été confirmé par la Cour suprême du Canada dans l’arrêt Z.I. Pompey Industrie c ECU-Line N.V., 2003 CSC 27, [2003] 1 RCS 450, puis reformulé par la Cour d’appel fédérale dans l’arrêt Merck & Co. c Apotex Inc., 2003 CAF 488, au paragraphe 19, [2004] 2 RCF 459 :

Le juge saisi de l’appel contre l’ordonnance discrétionnaire d’un protonotaire ne doit pas intervenir, sauf dans les deux cas suivants :

a)  l’ordonnance porte sur des questions ayant une influence déterminante sur l’issue du principal,

b)  l’ordonnance est entachée d’erreur flagrante, en ce sens que le protonotaire a exercé son pouvoir discrétionnaire en vertu d’un mauvais principe ou d’une mauvaise appréciation des faits.

 

  • [20] La Cour note que la question de l'influence déterminante n’a pas été soulevée par l’une ou l’autre des parties dans l’affaire qui nous occupe. La Cour reconnaît que la jurisprudence récente a établi qu’un appel à l’encontre du rejet d’une requête en radiation ne soulève pas une question ayant une influence déterminante pour l’issue finale de l’affaire (voir Ridgeview Restaurant Ltd. c Canada (Procureur général), 2010 CF 506 au paragraphe 24, [2010] ACF no 613; Chrysler Canada Inc. c Canada, 2008 CF 1049 au paragraphe 4, [2009] 1 CTC 145; Apotex Inc. c AstraZeneca Canada Inc., 2009 CF 120 au paragraphe 25, [2009] ACF no 179; AYC Pharmacy Ltd. c Canada (Ministre de la Santé), 2009 CF 554 au paragraphe 9, 95 Admin LR (4th) 265; et Horseman c Horse Lake First Nation, 2009 CF 368 au paragraphe 2, [2009] ACF no 476; Lundbeck Canada Inc. c. Canada (Ministre de la Santé), 2008 CAF 265 au paragraphe 14, [2008] FCJ no 1275; et Peter G. White Management Ltd. c Canada, 2007 CF 686 au paragraphe 2, [2007] ACF no 931). Par conséquent, la Cour conclut que, compte tenu du contexte et de la nature des questions soulevées dans le présent appel et à la lumière de la jurisprudence, la présente affaire ne soulève pas une question ayant une influence déterminante sur l’issue de l’affaire et, par conséquent, ne doit pas faire l’objet d'un examen de novo.

 

  • [21] Ainsi, la décision de la protonotaire ne devrait être infirmée que dans le cas où la Cour parvenait à la conclusion que l’ordonnance de la protonotaire est entachée d’une erreur flagrante, en ce sens que la protonotaire a exercé son pouvoir discrétionnaire en vertu d'un mauvais principe ou d'une mauvaise appréciation des faits. La Cour se penche maintenant sur cette question.

 

  • [22] En l’espèce, Jofor fait valoir que la protonotaire a commis une erreur en refusant d’accorder un ajournement ou d’offrir à Jofor la possibilité de contre-interroger M. Muelly sur son affidavit ou de présenter son propre affidavit réfutant les déclarations de M. Muelly. Jofor allègue que le dossier de requête de Seanautic lui a été signifié un jour avant l’audience devant la protonotaire. À ce titre, Jofor prétend qu'elle n’a pas eu l'occasion de contester de façon adéquate les allégations faites par M. Muelly dans son affidavit et que, par conséquent, on lui a refusé l'occasion d'établir son dossier judiciaire. Plus précisément, Jofor conteste la déclaration de M. Muelly indiquant qu’il existait une entente entre le juge de la Cour des petites créances et les deux parties voulant que l'affaire soit portée devant la Cour fédérale. Jofor allègue que cette affirmation est fausse et soutient que la protonotaire n'aurait pas dû tenir pour véridiques les inexactitudes contenues dans l'affidavit de M. Muelly. De plus, Jofor soutient que M. Muelly est coupable de parjure, de fraude, d’outrage au tribunal et d’abus de procédure judiciaire.

 

  • [23] Seanautic est en désaccord et soutient que la protonotaire n’a pas commis d’erreur en rejetant la requête de Jofor. Seanautic soutient que Jofor a seulement demandé à la Cour la permission de contre-interroger M. Muelly après que la protonotaire a rendu sa décision. À ce titre, Seanautic souligne la déclaration de la protonotaire selon laquelle la demande de Jofor était inopportune. Seanautic soutient en outre que Jofor n'a pas demandé d’ajournement et qu’elle a également omis de déposer un autre affidavit réfutant les allégations de M. Muelly. De plus, Seanautic prétend que Jofor n'a fourni aucune preuve à l'appui de ses allégations de fraude et d'abus de procédure judiciaire. Seanautic soutient fermement que l'affidavit de M. Muelly n'est aucunement frauduleux ou faux et qu'il ne contient aucune inexactitude. En outre, Seanautic est d'avis que Jofor tente de présenter de nouveaux arguments et éléments de preuve qui n'ont jamais été présentés lors de l'audience devant la protonotaire.

 

  • [24] Après avoir examiné les observations des parties sur cette question, la Cour est d'avis que la protonotaire n'a pas commis d'erreur en refusant d'accorder à Jofor l'occasion de contre-interroger M. Muelly ou d'ajourner l'audience. De plus, la Cour conclut que la protonotaire n'a pas commis d'erreur en se fondant sur l'affidavit présenté par M. Muelly. Plus précisément, bien que le dossier indique que Seanautic n'a soumis son dossier de requête qu'un jour avant l'audience devant la protonotaire, la Cour ne peut conclure que la protonotaire a commis une erreur en acceptant le témoignage de M. Muelly à la lumière du défaut de Jofor, (i) d’indiquer son souhait de contre-interroger M. Muelly, (ii) d’ajourner l’audience ou (iii) de présenter un nouvel affidavit. D’après les éléments de preuve versés au dossier, Jofor n'a fait ces demandes qu'une fois que la protonotaire a pris sa décision, et donc après le fait. De plus, il n'y a aucune preuve pour étayer l'allégation de Jofor selon laquelle l'affidavit de M. Muelly est frauduleux ou faux et qu'il contient des inexactitudes. Cet argument échoue également.

 

  • [25] Jofor soutient également que Seanautic ne pouvait porter son action devant la Cour fédérale du fait qu'elle s'était désistée de son action devant la Cour des petites créances. Essentiellement, Jofor soutient qu'au cours de la conférence en vue d’une transaction devant la Cour des petites créances, les parties et le juge avaient convenu que l'action pouvait être inscrite pour instruction et, qu’après que Seanautic a omis de le faire, l'action a été rejetée conformément à la règle 11.1.01(2) des Règles de la Cour des petites créances, parce qu'elle était réputée avoir fait l’objet d’un désistement. Jofor soutient que, contrairement aux allégations de M. Muelly, il n'y avait pas eud'entente pour faire trancher la question par la Cour fédérale. Jofor allègue qu'en vertu de la règle 13.06(1)c) des Règles de la Cour des petites créances, une telle entente aurait été expressément incluse dans le procès-verbal de la conférence en vue d’une transaction. À ce titre, Jofor soutient que le procès-verbal de la conférence en vue d’une transaction bénéficie d'une présomption légale de validité et de la règle de la meilleure preuve et que la protonotaire a commis une erreur en privilégiant l'affidavit de M. Muelly comme preuve concluante. Jofor soutient que la contradiction entre l'affidavit de M. Muelly et le procès-verbal de la conférence en vue d’une transaction s’assimile à une fraude de la part de Seanautic. En outre, Jofor s’appuie sur la décision Sauvé c Canada, 2002 CFPI 721, [2002] ACF no 1001 [Sauvé] et laisse entendre que le rejet de l'affaire dont Seanautic avait saisi la Cour des petites créances était préjudiciable et l'empêchait de porter l'affaire devant la Cour fédérale. Jofor soutient que de permettre à Seanautic d’aller de l’avant constituerait un abus de procédure.

 

  • [26] En revanche, Seanautic fait valoir que la procédure devant la Cour des petites créances ne l'a nullement empêchée de porter l'affaire devant la Cour fédérale. Seanautic soutient que le rejet pour cause de désistement par la Cour des petites créances était simplement un rejet administratif et ne constituait pas un jugement définitif sur le fond. Seanautic affirme que le désistement était justifié dans la mesure où elle avait l'intention d'intenter une action en Cour fédérale, instancespécialisée dans le domaine du droit maritime. De plus, Seanautic prétend que la jurisprudence applicable indique que le désistement ne fait pas obstacle au dépôt d'une action devant la Cour fédérale; essentiellement, une partie est autorisée à intenter une action de nouveau tant qu'il y a une justification et qu’aucun jugement sur le fond n'a été prononcé (voir Envireen Construction (1997) Inc. c Canada, 2007 CF 70, [2007] ACF no 113, [Envireen]; Jazz Air LP c Administration portuaire de Toronto, 2007 CF 624, [2007] ACF no 841, [Jazz Air]). Seanautic soutient qu'elle a satisfait à ces exigences en l'espèce.

 

  • [27] En outre, Seanautic soutient que Jofor a suscité une confusion entre le poids juridique accordé au procès-verbal d'une conférence en vue d’une transaction et celui accordé à un jugement sur le fond. Seanautic explique que la preuve d'un consentement à ce que l'affaire soit tranchée par la Cour fédérale (apparente dans l'affidavit de M. Muelly) ne contredit pas le procès-verbal de la conférence en vue d’une transaction ou ne vise pas à contourner les règles de la Cour des petites créances. Plutôt, Seanautic prétend que ce consentement est la raison pour laquelle l'action devant la Cour des petites créances a fait l’objet d’un désistement.

 

  • [28] Après avoir passé en revue les arguments des parties et la jurisprudence applicable, la Cour ne peut accepter les prétentions de Jofor. La Cour conclut que Seanautic n'a nullement été empêchée de présenter son action à la Cour fédérale. Selon la Cour, la décision Sauvé, précitée, se distingue de la présente affaire. Dans l'affaire Sauvé, le demandeur avait intenté deux actions en Cour fédérale - bien que la première action ait été rejetée pour cause de retard - et le demandeur avait alors déposé une nouvelle demande faisant valoir la même cause d'action. La Cour a en fin de compte radié la deuxième action en concluant que, compte tenu du contexte particulier, puisque le demandeur avait délibérément contrevenu à une ordonnance de gestion de l’instance devant la Cour fédérale, le dépôt d'une deuxième action par le demandeur constituait un abus de procédure. La Cour souligne que dans la décision Sauvé, le juge Lemieux reprend également les observations du juge Rothstein dans l’affaire Lifeview Emergency Services Ltd. c Alberta Ambulance Operators Association, [1995] ACF no 1199, 64 CPR (3d) 157, dans laquelle il affirme ce qui suit  :

[traduction] [13] En ce qui concerne la question de savoir s'il s'agit d'un abus du droit au recours judiciaire lorsqu'une action est abandonnée devant une cour et qu'une nouvelle poursuite est intentée devant une autre cour ayant compétence concurrente, je ne crois pas qu'il existe une règle de droit générale à cet égard. Bien sûr, dans certaines causes, lorsqu'une action est abandonnée et qu'une poursuite est intentée de nouveau, on peut conclure qu'il s'agit d'une procédure abusive, que cette action soit intentée devant la même cour ou devant une autre cour. Cependant, une telle conclusion devrait être fondée sur les faits relatifs à l'affaire. De plus, il est possible, dans le cas d'un régime législatif particulier ou d'un ensemble de règles de procédure particulières, qu'une deuxième action intentée devant une cour ayant compétence compétente soit rejetée si une partie a d'abord choisi de poursuivre devant une autre cour.

 

  • [29] En outre, le juge Lemieux a donné les lignes directrices suivantes sur l'application du principe de l'abus de procédure :

[19] Comme je le constate, la jurisprudence a établi les paramètres suivants qui définissent la doctrine de l'abus du droit au recours judiciaire :

(1) il s'agit d'une doctrine souple qui ne se limite pas à l'une ou l'autre des nombreuses catégories établies;

(2) elle vise l'ordre public sur lequel on a recours pour prononcer l'irrecevabilité de procédures qui ne sont pas conformes à cette fin;

(3) son application dépend des circonstances et est fondée sur les faits et le contexte;

(4) elle vise à protéger les plaideurs contre des procédures abusives, vexatoires et futiles, sinon à empêcher qu'une erreur judiciaire ne soit commise;

(5) un ensemble de règles de procédure particulières peut fournir un cadre particulier en vue de son application.

 

  • [30] De plus, la Cour relève que, depuis la publication de la décision dans l’affaire Sauvé, d'autres décisions ont abordé cette question et ont souligné les éléments clés à prendre en compte pour déterminer s'il y a eu abus de procédure (Envireen, précitée, au paragraphe 14; Jazz Air, précitée, aux paragraphes 25 à 37).

 

  • [31] En l'espèce, la Cour ne se trouve pas devant une situation où Seanautic a tenté de contourner délibérément une ordonnance de la Cour fédérale ou a déposé plusieurs actions auprès de la Cour fédérale. En effet, dans sa décision, la protonotaire a reconnu que le rejet administratif de la procédure ontarienne par la Cour des petites créances avait été expressément fondé sur le désistement présumé de l'action par Seanautic. La protonotaire a conclu que ce rejet n'empêchait pas Seanautic de déposer une action devant la Cour fédérale puisque son action devant la Cour des petites créances ne visait pas à déterminer ou ne pouvait avoir pour effet de déterminer le bien-fondé des différends entre les parties et était justifiée dans les circonstances. La Cour conclut que, dans les circonstances, la protonotaire a correctement appliqué les principes élaborés dans la décision Sauvé, précitée et dans la jurisprudence subséquente (voir Envireen, Jazz Air, précitées). De plus, la Cour fait remarquer que Jofor n'a présenté aucune jurisprudence indiquant qu'une partie est empêchée d'intenter une action devant la Cour fédérale si elle a déjà intenté une action devant la Cour des petites créances de la Cour supérieure de justice dont elle s’est désistée.

 

  • [32] Bien que Seanautic ait soulevé la question subsidiaire selon laquelle l'affidavit de M. Uwechia à l'appui du dossier de requête de Jofor devrait être radié en vertu de la l'article 82 des Règles, étant donné qu'un avocat ne peut à la fois être l’auteur d’un affidavit et présenter à la cour des arguments fondés sur cet affidavit, la Cour estime qu'il n'est pas nécessaire d'examiner cette question étant donné les conclusions de la Cour qui précèdent. Enfin, les arguments de Jofor n'ont pas convaincu la Cour que la protonotaire a commis une erreur en décidant que les doctrines de la contestation indirecte, de la litispendance, de la chose jugée, de la préclusion découlant d’une question déjà tranchée, de la courtoisie judiciaire et du forum non conveniens ne sont pas applicables en l'espèce.

 

  • [33] Par conséquent, la Cour est convaincue que la protonotaire a cerné les principes de droit applicables dans les circonstances et n'a pas commis d'erreur en appliquant ces principes aux faits qui lui ont été présentés. Pour tous les motifs énoncés précédemment, la Cour conclut que l'ordonnance de la protonotaire n’est pas entachée d'erreur flagrante, en ce sens que la protonotaire aurait exercé son pouvoir discrétionnaire en vertu d'un mauvais principe ou d'une mauvaise appréciation des faits. Il s'ensuit que l'intervention de la Cour n'est pas justifiée et que l'appel sera rejeté.


ORDONNANCE

 

LA COUR ORDONNE que :

1.  l'appel interjeté par Jofor de l'ordonnance de la protonotaire rendue le 8 décembre 2011 soit rejeté;

 

 

2.  le tout avec dépens adjugés à Seanautic.

 

 

« Richard Boivin »

Juge



COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

DOSSIER :  T-1384-11

 

INTITULÉ :  Seanautic Marine Inc.

  c Jofor Export Incorporated

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :  OTTAWA (ONTARIO)

PAR VIDÉOCONFÉRENCE

 

DATE DE L’AUDIENCE :  Le 21 FÉVRIER 2012

 

MOTIFS DE L'ORDONNANCE :  LE JUGE BOIVIN

ET ORDONNANCE :

 

DATE :  Le 20 MARS 2012

 

 

 

COMPARUTIONS :

 

Flora Wahnon

 

POUR LA DEMANDERESSE/INTIMÉE

 

Jide Uwechia

POUR LA DÉFENDERESSE/REQUÉRANTE

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

De Man, Pilotte

Montréal (Québec)

 

POUR LA DEMANDERESSE/INTIMÉE

Cabinet d’avocats de Jide Uwechia

Ottawa (Ontario)

POUR LA DÉFENDERESSE/REQUÉRANTE

 

 

 

 

 

 

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