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Date : 20120413


Dossier : IMM-6096-11

Référence : 2012 CF 429

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 13 avril 2012

En présence de monsieur le juge Mandamin

 

 

ENTRE :

 

VASEEKARAN MANICKAVASAGAR

 

 

 

demandeur

 

et

 

 

 

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L’IMMIGRATION

 

 

 

défendeur

 

 

 

 

 

           MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

[1]            Monsieur Vaseekaran Manickavasagar sollicite le contrôle judiciaire de la décision d’un agent d’examen des risques avant renvoi selon laquelle il ne risquerait pas d'être soumis à la torture ou de voir sa vie menacée ou de subir des traitements et peines cruels et inusités s’il était renvoyé au Sri Lanka.

 

[2]            M. Manickavasagar est un Tamoul du Sri Lanka qui avait été expulsé du Canada pour grande criminalité. Il est retourné au Canada sans autorisation officielle et sa présence a été découverte lorsqu’il s’est fait arrêter par la police au cours d’un contrôle dans un bar. Il a fait une demande d’examen des risques avant renvoi (ERAR). L’agent d’ERAR a décidé que M. Manickavasagar ne serait exposé à aucun risque s’il retournait au Sri Lanka.

 

[3]            Il présente maintenant une demande de contrôle judiciaire dans laquelle il soutient que l’agent d’ERAR a manqué à l’équité procédurale en ne lui accordant pas une entrevue et en faisant mention de documents postérieurs à la demande sans lui donner l’occasion de répondre. Il fait également valoir que la décision de l’agent est déraisonnable compte tenu de la preuve dont l’agent a été saisi.

 

[4]            Pour les motifs qui suivent, je rejette la présente demande.

 

Le contexte

 

[5]            Le demandeur, Vaseekaran Manickavasagar, est un Tamoul âgé de 35 ans qui est venu au Canada pour la première fois â l’âge de 16 ans après avoir été parrainé par son père dont la demande d’asile avait été accueillie. Les membres de la famille sri lankaise immédiate du demandeur sont maintenant des citoyens canadiens. Le demandeur a également une épouse canadienne et deux enfants.

 

[6]            Le demandeur a perdu son statut de résident permanent et a été expulsé du Canada en 2005 pour grande criminalité. Sa mesure d’expulsion exigeait que le demandeur obtienne une autorisation écrite avant de retourner au Canada. Le demandeur est retourné sans autorisation au Canada en septembre 2010. Les agents d’immigration ont appris sa présence en juin 2011 après son arrestation par la police.

 

[7]            Le 24 juin 2011, le demandeur a de nouveau été jugé interdit de territoire au Canada, cette fois en vertu du paragraphe 44(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés (la LIPR), parce qu’il n’avait pas obtenu l’autorisation appropriée pour retourner au Canada. Le demandeur a présenté une demande d’asile, mais celle-ci a été jugée irrecevable pour grande criminalité, et ce, en vertu de l’alinéa 101(1)f) de la LIPR.

 

[8]            Le 4 juillet 2011, une deuxième mesure d’expulsion a été prononcée contre le demandeur. On lui a donné l’occasion de présenter une demande d’ERAR, sa troisième en tout. Cette dernière demande d’ERAR a été rejetée le 20 août 2011. Le demandeur a alors présenté la présente demande de contrôle judiciaire de la décision d’ERAR défavorable.

 

La décision faisant l’objet du présent contrôle

 

[9]            L’agent a résumé les faits qui ont mené à la demande d’ERAR du demandeur puis a revu la norme à laquelle doit satisfaire le demandeur. L’agent a souligné que des documents et des faits objectifs doivent démontrer une probabilité de danger pour le demandeur s'il est retourné dans son pays d'origine. La norme que doit respecter le demandeur qui allègue l’existence d’une menace à sa vie ou d’un risque de subir des traitements ou peines cruels et inusités est celle de la prépondérance des probabilités.

 

[10]        L’agent a ensuite examiné le risque au sens où l’entend le demandeur. L’agent a cité l’extrait suivant tiré des observations du demandeur :

 

[Traduction]

« Monsieur Manickvasgar ne demande pas un ERAR seulement parce qu’il est d’origine tamoule de souche, mais il demande une protection au Canada [sic] étant donné que sa vie a été menacée dans ce pays parce qu’il a été faussement accusé d’être membre de la bande VVT à Scarborough, en Ontario, dans les années 1980 […] À la suite de ces fausses accusations et de l’information donnée aux autorités sri lankaises, lors de son expulsion, il a été ciblé par ce gouvernement comme membre d’une organisation qui était affiliée aux Tigres tamouls. C’est la raison pour laquelle il a été persécuté et pour laquelle sa vie a été menacée au Sri Lanka. »

 

 

[11]        L’agent a mentionné que l’examen des risques avant renvoi est prospectif. L’agent a déclaré qu’il doit tenir compte des renseignements les plus à jour accessibles au public concernant la situation dans le pays et le respect des droits de la personne pour prendre une décision. L’agent a examiné tous les documents présentés par le demandeur ainsi que d’autres documents accessibles au public.

 

[12]        Lorsqu’il a évoqué l’exposé circonstancié du demandeur présenté à l’appui de sa demande d’ERAR, l’agent a mentionné que le demandeur avait été expulsé du Canada en raison de son casier judiciaire. Le demandeur a allégué que lorsqu’il est arrivé au Sri Lanka, il a été interrogé pendant cinq heures et s’est fait demandé s’il était membre du gang VVT affilié aux TLET. Le demandeur déclare qu’il a nié l’allégation et qu’il a fini par être libéré.

 

[13]        L’agent a de nouveau renvoyé à l’exposé circonstancié de la demande d’ERAR du demandeur qui énonce les détails des arrestations et détentions du demandeur à son retour au Sri Lanka, des démarches du demandeur pour quitter le Sri Lanka et de son retour éventuel au Canada.

 

[14]        L’agent a examiné quatre documents fournis par le demandeur, dont trois articles de journaux et le rapport de 2009 du Département d’État des États-Unis sur les droits de l’homme portant sur le Sri Lanka (U.S. Department of State 2009 Human Rights Report Sri Lanka) qui a été publié le 11 mars 2010. L’agent a également pris en compte d’autres documents et a inclus une liste des documents consultés à la fin de la décision.

 

[15]        L’agent a eu recours à la documentation sur le pays pour relever un certain nombre d’indices ou de facteurs qui accroîtraient le risque qu’une personne puisse se buter à des difficultés auprès des autorités, y compris la possibilité d’une détention. L’agent a comparé la situation du demandeur à la liste des facteurs et a décidé que, selon la prépondérance des probabilités, la preuve factuelle objective ne l’amenait pas à conclure que le demandeur pourrait être exposé à des risques s’il était renvoyé au Sri Lanka.

 

[16]        L’agent a également examiné la preuve documentaire portant sur la torture au Sri Lanka. Toutefois, comme l’agent a conclu qu’il était improbable que le demandeur vienne à l’attention des autorités sri lankaises, l’agent a conclu qu’il était peu probable que le demandeur soit exposé à un risque de torture.

 

[17]        L’agent a conclu que les conditions au Sri Lanka s’amélioraient lentement à la suite de la fin de la guerre civile en 2009. L’agent a fait observer que les Tamouls ne sont pas exposés à un risque de préjudice grave de la part des autorités du Sri Lanka à Colombo. (Colombo est le lieu de naissance du demandeur et l’endroit où il serait renvoyé.) L’agent a également souligné que les incidents d’abus et de mauvais traitements de la part des autorités du Sri Lanka qu’a allégué le demandeur sont survenus avant la fin des hostilités.

 

[18]        L’agent a décidé que les faits n’établissaient pas que le demandeur présentait le profil d’une personne qui attirerait l’attention des autorités du Sri Lanka s’il arrivait à l’aéroport sans escorte et portait des pièces d’identité. L’agent a jugé que la preuve documentaire relative à la situation du pays révélait que la plupart des facteurs présents chez les personnes qui peuvent être confrontées à des problèmes à leur retour au Sri Lanka ne sont pas présents chez le demandeur.

 

Les dispositions législatives pertinentes

 

[19]        Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27 :

 

112. (1) La personne se trouvant au Canada et qui n’est pas visée au paragraphe 115(1) peut, conformément aux règlements, demander la protection au ministre si elle est visée par une mesure de renvoi ayant pris effet ou nommée au certificat visé au paragraphe 77(1).

 

(3) L’asile ne peut être conféré au demandeur dans les cas suivants :

 

[…       3

 

b) il est interdit de territoire pour grande criminalité pour déclaration de culpabilité au Canada punie par un emprisonnement d’au moins deux ans ou pour toute déclaration de culpabilité à l’extérieur du Canada pour une infraction qui, commise au Canada, constituerait une infraction à une loi fédérale punissable d’un emprisonnement maximal d’au moins dix ans;

 

[…]

 

113. Il est disposé de la demande comme il suit :

 

 

b) une audience peut être tenue si le ministre l’estime requis compte tenu des facteurs réglementaires;

112. (1) A person in Canada, other than a person referred to in subsection 115(1), may, in accordance with the regulations, apply to the Minister for protection if they are subject to a removal order that is in force or are named in a certificate described in subsection 77(1).

 

 

(3) Refugee protection may not result from an application for protection if the person

 

 

b) is determined to be inadmissible on grounds of serious criminality with respect to a conviction in Canada punished by a term of imprisonment of at least two years or with respect to a conviction outside Canada for an offence that, if committed in Canada, would constitute an offence under an Act of Parliament punishable by a maximum term of imprisonment of at least 10 years;

 

[…]

 

113. Consideration of an application for protection shall be as follows:

 

 

b) a hearing may be held if the Minister, on the basis of prescribed factors, is of the opinion that a hearing is required;

 

[20]        Règlement sur l’immigration et la protection des réfugiés, DORS/2002-227 [le Règlement] :

 

167. Pour l’application de l’alinéa 113b) de la Loi, les facteurs ci-après servent à décider si la tenue d’une audience est requise :

 

a) l’existence d’éléments de preuve relatifs aux éléments mentionnés aux articles 96 et 97 de la Loi qui soulèvent une question importante en ce qui concerne la crédibilité du demandeur;

 

b) l’importance de ces éléments de preuve pour la prise de la décision relative à la demande de protection;

 

c) la question de savoir si ces éléments de preuve, à supposer qu’ils soient admis, justifieraient que soit accordée la protection.

 

 

 

[Non souligné dans l’original.]

167. For the purpose of determining whether a hearing is required under paragraph 113(b) of the Act, the factors are the following:

 

a) whether there is evidence that raises a serious issue of the applicant's credibility and is related to the factors set out in sections 96 and 97 of the Act;

 

b) whether the evidence is central to the decision with respect to the application for protection;

 

c) whether the evidence, if accepted, would justify allowing the application for protection.

 

Les questions en litige

 

[21]        Le demandeur soulève les questions suivantes :

 

1.         L’agent a-t-il manqué à l’obligation d’équité en ne donnant pas au demandeur l’occasion de dissiper les doutes de l’agent quant à sa crédibilité?

 

2.         L’agent a-t-il manqué aux principes d’équité procédurale et de justice naturelle en ne communiquant aucune preuve documentaire sur l’évolution de la situation au Sri Lanka?

 

3.         L’agent a-t-il commis une erreur en faisant fi de la preuve de risque présentée par le demandeur?

 

4.         L’agent a-t-il commis une erreur en excluant le demandeur du profil des personnes exposées à un risque?

 

La norme de contrôle

 

[22]        La Cour suprême du Canada a conclu, dans l’arrêt Dunsmuir c Nouveau-Brunswick, 2008 CSC 9, qu’il n’y a que deux normes de contrôle : la norme de la décision correcte pour les questions de droit, et la norme du caractère raisonnable pour les questions mixtes de fait et de droit et les questions de fait (Dunsmuir, aux paragraphes 50 et 53). Elle a indiqué également que, lorsque la norme de contrôle applicable a déjà été déterminée, il n’est pas nécessaire de reprendre l’analyse relative à la norme de contrôle applicable (Dunsmuir, paragraphe 62).

 

[23]        La Cour a conclu que l’évaluation des risques qui est faite par un agent d'ERAR doit être revue selon la norme de la décision raisonnable, en raison de son rôle en tant que tribunal administratif spécialisé, et que la décision de l’agent appelle une retenue considérable, en particulier la décision qui concerne le poids qu’il convient d’accorder à la preuve qui lui est présentée : Aragon c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2008 CF 1309, 77. La norme applicable en matière d’équité procédurale est celle de la décision correcte (Sketchley c Canada (Procureur général), 2005 CAF 404).

 

L’analyse

 

L’agent a-t-il manqué à l’obligation d’équité en ne donnant pas au demandeur l’occasion de dissiper les doutes de l’agent quant à sa crédibilité?

 

[24]        L’alinéa 113b) de la LIPR prévoit que, dans des circonstances exceptionnelles, une audience doit être tenue. Les facteurs qu’un agent d’immigration doit prendre en compte, qui sont énoncés  à l’article 167 du Règlement, résident dans l’existence d’éléments de preuve :

 

1)         qui soulèvent une question importante en ce qui concerne la crédibilité du demandeur;

2)         importants pour la prise de décision;

3)         qui, à supposer qu’ils soient admis, justifieraient que soit accordée la protection.

 

[25]        Même si l’agent n’a pas dit expressément qu’il ne croyait pas le demandeur, ce dernier soutient que l’agent n’a pas cru son récit des mauvais traitements subis parce qu’il n’a pas fourni de preuve documentaire corroborant les mauvais traitements. Le demandeur fait valoir que l’agent a tiré une conclusion défavorable en matière de crédibilité sans mentionner explicitement qu’il n’était pas crédible. Le demandeur prétend que l’agent ne l’a pas contacté pour lui donner l’occasion de dissiper ses doutes.

 

[26]        Le demandeur invoque la décision rendue par la Cour dans Alimard c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [2000] ACF no 1223, au paragraphe 15, dans laquelle le juge Hansen a déclaré :

 

Dans de telles situations, la jurisprudence prévoit clairement que dans les cas où l’agent des visas a l’impression que la preuve produite fait défaut, l’équité exige que l’agent des visas donne au demandeur l’occasion de le détromper (Muliadi c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1986] 2 A.C.F. 205).

 

 

[27]        J’estime que la présente affaire est différente de l’affaire en cause l’arrêt Alimard. Dans cette affaire, le demandeur a présenté une demande de résidence permanente dans la catégorie des entrepreneurs. Dans le cadre de sa demande, le demandeur a soumis plusieurs titres de propriété, l’évaluation de l’une de ses propriétés et un relevé bancaire indiquant un solde équivalant à 5 000 $CAN. L’agente des visas, compte tenu de son expérience quant à la fiabilité des évaluations immobilières provenant de l’Iran et compte tenu qu’elle ne connaissait pas l’organisation qui avait préparé l’évaluation, n’a pas accordé de poids à l’évaluation fournie. Le demandeur n’était pas au courant des réserves de l’agente des visas à l’égard de l’évaluation. Le juge Hansen a conclu que, comme la conclusion de l’agente des visas selon laquelle le demandeur ne disposait pas des fonds suffisants était un facteur clé dans son évaluation de la capacité de ce dernier de lancer une entreprise avec succès au Canada, le demandeur aurait dû se voir donner la possibilité de dissiper ses doutes, notamment en lui fournissant soit la preuve de l’authenticité de l’évaluation soit une nouvelle évaluation.

 

[28]        En l’espèce, le demandeur n’a pas fourni de preuve documentaire corroborant son récit des mauvais traitements qui lui auraient été infligés par les autorités sri-lankaises. Il ne s’agit pas d’un cas comme dans Alimard, où la crédibilité de la preuve justificative du demandeur était mise en doute; il n’y avait tout simplement aucune preuve autre que les déclarations du demandeur.

 

[29]        L’absence de preuve documentaire corroborante n’a pas eu pour conséquence que la crédibilité du demandeur soit mise en doute. L’absence de preuve documentaire corroborante a une incidence sur le poids des déclarations du demandeur. Dans la décision Ahmad c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2012 CF 89, aux paragraphes 37 à 39, le juge Scott, après avoir abordé cette question, a déclaré ce qui suit :

 

[37]           Le demandeur prétend que l’agente d’ERAR a tiré des conclusions sur sa crédibilité lorsqu’elle a analysé les éléments de preuve lui ayant été présentés. Il invoque la décision Zokai à l’appui de cet argument. Ayant examiné attentivement la décision contestée, le tribunal doit conclure qu’il était loisible à l’agente d’évaluer comme elle l’a fait les documents lui ayant été présentés. Dans Al Mansuri, la Cour a établi que « l’agente n’a pas rejeté la demande d’ERAR en se fondant sur la crédibilité de M. Al Mansuri. Elle a plutôt estimé que la preuve objective se rapportant aux conditions ayant cours dans le pays ne permettait pas de dire que M. Al Mansuri était exposé à un risque de torture, à une menace pour sa vie ou à un risque de subir des traitements ou peines cruels et inusités. Cette conclusion n’a rien à voir avec la crédibilité propre de M. Al Mansuri » (voir Al Mansuri, au paragraphe 43). Les conclusions de l’agente se rapportent clairement à la valeur probante de la preuve présentée, et non à la crédibilité de l’intéressé.

 

[38]           Il est bien établi que, dans le contexte d’une demande d’ERAR, une audience constitue l’exception et n’est justifiée que si la demande d’ERAR soulève des questions importantes à l’égard de la crédibilité. Il ressort clairement de la décision de l’agente qu’il n’existait aucune question de la sorte.

 

[39]           L’agente n’a pas manqué à son obligation d’équité procédurale. Comme dans la décision Yousef c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2006 CF 864, [2006] A.C.F. no 1101 (QL), au paragraphe 36, « la décision de l’agente d’ERAR était motivée par l’insuffisance de la preuve produite par le demandeur à l’appui de sa prétention selon laquelle il serait exposé à des risques nouveaux ou accrus s’il devait retourner en Égypte ». Enfin, il convient aussi de préciser que le demandeur n’a pas satisfait aux critères énoncés à l’article 167 du RIPR.

 

[Non souligné dans l’original.]

 

 

[30]        Je souscris à l’analyse du juge Scott et je ferais mien son raisonnement. En l’espèce, la crédibilité du demandeur ne constituait pas un problème pour l’agent. L’agent n’a pas refusé de croire le témoignage du demandeur; il lui a plutôt accordé moins de poids en raison l’absence d’une preuve documentaire justificative.

 

[31]        Je conclus que l’agent n’était pas tenu d’accorder une entrevue au demandeur parce que les critères de l’article 167 n’étaient pas respectés.

 

L’agent a-t-il manqué aux principes d’équité procédurale et de justice naturelle en ne communiquant aucune preuve documentaire sur l’évolution de la situation au Sri Lanka?

 

[32]        Dans son évaluation du risque auquel serait exposé le demandeur à son arrivée à l’aéroport du Sri Lanka, l’agent s’est référé à des rapports publiés au Royaume-Uni qui explicitaient le risque auquel 40 demandeurs d’asile sri lankais déboutés pourraient être exposés. Le demandeur soutient que l’agent a invoqué des reportages sri lankais publiés après la présentation de sa demande d’ERAR qui indiquaient que les rapatriés sont tous sortis de l’aéroport sri lankais sans incident.

 

[33]        Le demandeur conteste l’indépendance de ces sources. Il prétend que [traduction] « l’agent s’est fortement appuyé sur ces articles en les citant afin de prouver que M. Manickavasagar ne serait exposé à aucun risque en retournant à l’aéroport du Sri Lanka, malgré le fait qu’ils ont été publiés après la présentation de la demande d’ERAR ». [Non souligné dans l’original.] Le demandeur ajoute que l’agent n’a jamais communiqué avec lui pour lui dire qu’il s’appuyait sur ces rapports. Le demandeur soutient que, dans les circonstances de la présente affaire, cette non-divulgation de nouveaux éléments de preuve sur la situation dans le pays sur lesquels l’agent entendait se fonder constitue un manquement à l’obligation d’équité.

 

[34]        Je dois conclure que l’argument du demandeur est erroné. La demande d’ERAR du demandeur était datée du 18 juillet 2011. D’après la liste des sources citées par l’agent, les trois documents contestés par le demandeur ont été publiés le 19 juin 2011, le 18 juin 2011 et le 26 juin 2011. Ces trois documents invoqués par l’agent ont été publiés avant que la demande d’ERAR du demandeur soit remplie. Comme les trois documents étaient des documents généraux sur le pays accessibles au public au moment où le demandeur remplissait sa demande d’ERAR, je conclus que l’agent n’a pas commis d’erreur susceptible de révision en ne fournissant pas ces documents au demandeur.

 

[35]        Ma conclusion trouve appui dans l’arrêt de la Cour d’appel fédérale Mancia c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1998] 3 CF 461, [1998] ACF no 565, aux paragraphes 26 et 27, dans lesquels le juge Décary a statué ce qui suit :

 

Les documents sont du domaine public. Ils sont de nature générale et neutres, en ce qu'ils ne renvoient pas expressément à un demandeur et que le Ministère ne les rédige pas ni ne cherche à les obtenir aux fins de la procédure en cause. Ils ne font pas partie des « prétentions » auxquelles un demandeur doit répondre. Ils sont accessibles et peuvent être consultés, sauf preuve du contraire, dans les dossiers, répertoires et registres des Centres de documentation. Ils sont généralement préparés par des sources dignes de confiance. Ils peuvent être répétitifs. Le fait qu'un document ne devienne accessible qu'après le dépôt des observations d'un demandeur ne signifie pas qu'il contient des renseignements nouveaux ni que ces renseignements sont pertinents et qu'ils auront une incidence sur la décision. L'obligation de communiquer un document au demandeur se limite aux cas où un agent d'immigration s'appuie sur un document important postérieur aux observations et où ce document fait état de changements survenus dans la situation générale du pays qui risquent d'avoir une incidence sur sa décision

 

[Non souligné dans l’original.]

 

 

[36]        Comme les trois articles contestés étaient accessibles au public avant que le demandeur présente sa demande d’ERAR, je conclus que l’agent n’a pas commis d’erreur susceptible de révision en les citant dans la décision.

 

L’agent a-t-il commis une erreur en faisant fi de la preuve de risque présentée par le demandeur?

 

[37]        L’essentiel de l’argumentation du demandeur est que l’évaluation faite par l’agent du risque auquel le demandeur serait exposé était déraisonnable.

 

[38]        Le demandeur soutient qu’il a évoqué dans sa demande d’ERAR des cas précis de mauvais traitements infligés par les autorités sri lankaises. Le demandeur fait valoir que même si l’agent a cité les arguments du demandeur, il n’a fait aucun effort pour discuter de ces déclarations spécifiques, pour les analyser ou pour leur attribuer une valeur probante. Le demandeur prétend que l’agent a plutôt choisi de se fonder sur certains rapports généraux sur la situation dans le pays et certains articles de journaux pour dépeindre le Sri Lanka comme un pays qui revient à la normale après 26 ans de guerre civile.

 

[39]        Le demandeur fait valoir que l’agent a tout simplement conclu qu’aucun document n’étayait les déclarations du demandeur selon lesquelles il avait subi un préjudice et il n’a donc pas accepté celles-ci. Le demandeur soutient que l’agent ne pouvait tout simplement pas fermer les yeux sur les déclarations du demandeur et en faire fi dans son analyse. Au dire du demandeur, il s’agissait d’une erreur. Plus particulièrement, le demandeur souligne dans son témoignage que les autorités sri lankaises l’ont interrogé en raison de son association avec le gang VVT, un gang de rue sri lankais qui était lié aux TLET et qui n’existe plus.

 

[40]        J’aborderai en premier lieu un point en litige.  Le demandeur croit que les autorités canadiennes ont informé le Sri Lanka au sujet des liens du demandeur avec le gang VVT. Le demandeur souligne que l’agent aurait été au courant de l’allégation selon laquelle il était lié au gang VVT. Le dossier certifié du tribunal ne renferme aucune preuve à cet effet. Plus important encore, le dossier certifié du tribunal ne renferme aucune preuve selon laquelle le gouvernement canadien a fourni au Sri Lanka un tel renseignement sur le demandeur. Enfin, le demandeur a affirmé qu’il a été interrogé au sujet du VVT. Il ne mentionne pas qu’on lui a dit que des fonctionnaires du gouvernement canadien ont fourni ce renseignement au Sri Lanka. Il émet maintenant l’hypothèse que c’est le cas.

 

[41]        Le demandeur fait valoir, pour l’essentiel, que les motifs de l’agent sont inadéquats parce qu’ils ne mentionnent pas spécifiquement que l’agent accorde peu ou pas de valeur aux éléments de preuve personnels du demandeur.

 

[42]        La Cour suprême du Canada a récemment statué dans Newfoundland and Labrador Nurses’ Union c Terre-Neuve-et-Labrador (Conseil du Trésor), 2011 CSC 62, aux paragraphes 14, 16, 18, 21 et 22, que la suffisance des motifs ne constitue ni un fondement distinct de contrôle judiciaire ni une question d’équité procédurale. Les motifs doivent plutôt être considérés globalement en tenant compte du dossier soumis à l’instance décisionnelle dans le contexte de l’examen de la raisonnabilité. Dans le cadre de l’examen, il y a lieu d’adopter le principe directeur de la déférence et une décision ne doit pas être infirmée tout simplement parce que les motifs fournis ne sont pas aussi complets que ce qu’aurait souhaité la cour de révision.

 

[43]        Dans le cas qui nous occupe, l’agent était conscient des prétentions de préjudice et de mauvais traitements infligés au demandeur par les autorités sri lankaises. L’agent a fait mention à plusieurs reprises des divers incidents allégués par le demandeur. En affirmant que des les documents factuels objectifs ne prouvent pas l’existence d’une probabilité de risque pour le demandeur s’il est renvoyé au Sri Lanka, l’agent a implicitement accordé peu de poids aux prétentions de mauvais traitements du demandeur.

 

[44]        Je conclus que l’agent n’a pas omis de tenir compte de la preuve du demandeur quant au risque auquel il serait exposé et n’a donc pas commis d’erreur.

 

L’agent a-t-il commis une erreur en excluant le demandeur du profil des personnes exposées à un risque?

 

[45]        Le demandeur soutient que la conclusion de l’agent selon laquelle il ne correspondait pas au profil d’une personne exposée à un risque en cas de retour au Sri Lanka est abusive. Le demandeur soutient que l’agent a examiné de manière sélective des documents sur la situation dans le pays et a relevé plusieurs indices de risque advenant un retour au Sri Lanka. Je constate que le demandeur a énuméré seulement 8 des 13 facteurs énoncés par l’agent dans les motifs.

 

[46]        Le demandeur prétend que le dossier mis à la disposition de l’agent établit clairement que le demandeur présentait la plupart des facteurs de risque relevés par l’agent.

 

[47]        Selon moi, le demandeur demande à la Cour de réévaluer la preuve au regard des divers indices de risque relevés  par l’agent. La Cour ne devrait pas faire cela, car la conclusion de fait de l’agent selon laquelle [traduction] « le demandeur ne présente pas un profil qui ferait en sorte que les autorités s’intéresseraient à lui s’il était en mesure de se présenter avec ses propres documents d’identité en mains » mérite de la déférence.

 

[48]        L’agent a énuméré les facteurs qui feraient augmenter le risque qu’une personne puisse avoir des difficultés avec les autorités sri lankaises, dont une possibilité de détention :

 

·           origine ethnique tamoule

·           existence d’un dossier à titre de membre ou de partisan soupçonné ou véritable des TLET

·           dossier criminel antérieur et (ou) mandat d’arrestation non exécuté

·           violation de cautionnement et (ou) évasion

·           confession ou document similaire signé

·           a reçu une demande des forces de sécurité de devenir informateur

·           présence de cicatrices

·           retour de Londres ou d’un autre centre d’activité ou de collecte de fonds des TLET

·           départ illégal du Sri Lanka

·           absence de carte d’identité ou d’autres documents

·           avoir fait une demande d’asile à l’étranger

·           avoir des parents dans les TLET

·           implication dans les médias ou les ONG.

 

[49]        L’agent a ensuite appliqué la situation du demandeur aux divers facteurs. En passant en revue la liste des facteurs, l’agent a constaté ce qui suit :

 

·           Le demandeur est Tamoul.

·           Le conseil du demandeur a déclaré que le gang VVT était lié aux Tigres tamouls. Toutefois, le demandeur a déclaré qu’il a nié être membre des VVT. L’agent a également conclu que le demandeur n’avait pas fourni de preuve établissant qu’il avait subi des mauvais traitements pour ce motif la dernière fois qu’il se trouvait au Sri Lanka. De plus, la guerre est terminée au Sri Lanka et le gang VVT ne serait plus actif. L’agent a conclu, selon la prépondérance des probabilités, que le gouvernement sri lankais ne percevrait pas le demandeur comme étant associé ou lié aux TLET.

·           L’agent a souligné que le demandeur avait un casier judiciaire au Canada. L’agent a également déclaré que le demandeur n’a pas fourni de preuve qu’il fait l’objet d’un mandat d’arrestation non exécuté.

·           L’agent n’a formulé aucune observation et aucune preuve n’a été présentée selon laquelle le demandeur aurait violé son cautionnement ou se serait évadé, se serait fait demander par les forces de sécurité de devenir informateur, ou porterait des cicatrices.

·           Bien que l’agent n’ait pas tiré de conclusion spécifique sur ce point, il a constaté que la grande majorité des Tamouls qui retournent actuellement sont exposés à un risque minimal de subir un examen à l’aéroport et que seules les personnes qui présentent un profil clair de LTET ou qui sont soupçonnées de transfert d’argent seraient détenues en vue d’enquêtes complémentaires.

·           L’agent a conclu que le demandeur avait indiqué qu’il avait un statut de visiteur en Inde, au Pérou et au Mexique, ce qui l’a amené à croire que le demandeur n’avait pas quitté le Sri Lanka illégalement.

·           L’agent a constamment déclaré que le degré de risque serait atténué si le demandeur retournait dans son pays avec ses propres documents d’identité comme un passeport sri lankais ou une carte d’identité valide.

·           L’agent a cité un document sur l’Iran qui contenait des renseignements sur le processus de l’ASFC concernant l’expulsion d’étrangers. L’agent a cité le document selon lequel [traduction] « [e]n aucun temps au cours du processus d’expulsion, les autorités iraniennes ou d’autres autorités d’accueil n’ont été informées qu’une personne avait présenté une demande d’asile au Canada. » L’agent a ensuite conclu qu’il n’y avait pas de preuve établissant que le processus d’expulsion dont le demandeur faisait l’objet était différent de celui qui était décrit quant aux expulsions en Iran ou qu’il serait différent advenant l’expulsion du demandeur au Sri Lanka.

·           Enfin, aucun commentaire n’a été formulé quant à la question de savoir si le demandeur avait des parents dans les TLET ou quant à son implication dans les médias ou les ONG. En fait, le dossier indique que tous les membres de la famille du demandeur sont maintenant citoyens canadiens.

 

[50]        L’agent était chargé de déterminer si la situation du demandeur cadrait avec ces indices. L’agent devait tirer des conclusions de fait fondées sur le dossier et sur la preuve qui lui était soumise. Les conclusions de fait de l’agent doivent faire l’objet d’une grande déférence et être revues selon la norme de la décision raisonnable.

 

[51]        À mon avis, l’agent a comparé adéquatement le profil personnel du demandeur aux indices de risque. Toutes les conclusions de l’agent reposent sur la preuve. Le demandeur peut être en désaccord avec le poids qu’il convient d’accorder ou avec les conclusions finales de l’agent. Toutefois, la Cour est chargée de déterminer si la décision de l’agent était raisonnable.

 

[52]        Il ressort de mon examen de la décision et de la preuve que la décision de l’agent était raisonnable. Je suis en désaccord avec le demandeur qui soutient que la décision de l’agent était abusive. Je conclus qu’aucune erreur susceptible de révision n’a été commise.

 

Conclusion

 

[53]        Je conclus que l’agent n’a pas manqué à son obligation d’équité procédurale envers le demandeur.

 

[54]        De plus, comme la décision de l’agent d’ERAR doit faire l’objet d’une grande retenue, je conclus que le demandeur n’a pas prouvé en quoi la décision de l’agent est déraisonnable.

 

[55]        Je suis d’avis de rejeter la demande de contrôle judiciaire.

 

[56]        Ni le demandeur ni le défendeur n’a proposé de question de portée générale à certifier. Je ne certifie aucune question.


 

JUGEMENT

 

LA COUR ORDONNE :

 

1.         La demande de contrôle judiciaire est rejetée.

 

2.         Aucune question de portée générale n’est certifiée.

 

 

 

« Leonard S. Mandamin »

Juge

 

 

 

Traduction certifiée conforme

Claude Leclerc, LL.B.


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

DOSSIER :                                        IMM-6096-11

 

 

INTITULÉ :                                       VASEEKARAN MANICKAVASAGAR c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                 TORONTO (ONTARIO)

 

 

DATE DE L’AUDIENCE :               LE 28 MARS 2012

 

 

MOTIFS DE JUGEMENT

ET JUGEMENT :                              LE JUGE MANDAMIN

 

 

DATE DES MOTIFS :                      LE 13 AVRIL 2012

 

 

 

COMPARUTIONS :

 

Barbara Jackman

 

POUR LE DEMANDEUR

 

Judy Michaely

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Jackman & Associates

Toronto (Ontario)

 

POUR LE DEMANDEUR

Myles J. Kirvan

Sous-procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

 

 

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