Décisions de la Cour fédérale

Informations sur la décision

Contenu de la décision

Date : 20120412

Dossier : T‑1360‑10

Référence : 2012 CF 403

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 12 avril 2012

En présence de monsieur le juge Blanchard

 

 

ENTRE :

DANADA ENTERPRISES LTD.

 

demanderesse

 

et

 

LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

 

défendeur

 

 

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

NATURE ET RÉSUMÉ DE L’INSTANCE

[1]               La demanderesse sollicite le contrôle judiciaire d’une décision de la Division des appels de l’Agence du revenu du Canada (la Division des appels) et de trois décisions de la Division du recouvrement des recettes de la même agence (la Division du recouvrement des recettes). Les quatre demandes ont été réunies conformément à une ordonnance du protonotaire Lafrenière datée du 20 décembre 2010. Les demandes ont été présentées en application de l’article 18.1 de la Loi sur les Cours fédérales, LRC 1985, c F‑7.

 

[2]               Dans ses avis de demande, la demanderesse allègue que l’Agence du revenu du Canada (l’ARC) a commis, en rendant ses décisions, les erreurs susceptibles de contrôle suivantes :

 

(i)                       la Division des appels ne lui a pas envoyé de confirmation en bonne et due forme de la nouvelle cotisation, comme elle s’était engagée à le faire;

(ii)                     la Division du recouvrement des recettes a refusé de faire annuler le jugement obtenu par l’ARC à l’égard de deux des trois propriétés de la demanderesse, même si la valeur nette de la troisième propriété aurait suffi à couvrir la somme due à l’ARC;

(iii)                   la Division du recouvrement des recettes a refusé d’appliquer les crédits existants à une dette de 2008, comme l’avait demandé la demanderesse, et les a plutôt appliqués à la dette la plus ancienne;

(iv)                   la Division du recouvrement des recettes a refusé d’examiner la question des privilèges sur trois propriétés de la demanderesse relatifs à des dettes contestées pour les années d’imposition 2000, 2002 et 2003, jusqu’à ce que les dettes se rapportant à l’année d’imposition 2008 aient été réglées.

 

[3]               Dans ses avis de demande, la demanderesse sollicite les réparations suivantes :

Avis de demande T‑1360‑10

a)         Un jugement déclarant que la décision allait à l’encontre de la politique de l’ARC selon laquelle les contribuables peuvent se soustraire à la règle générale de l’application des crédits à la dette la plus ancienne, à condition qu’ils présentent une demande expresse en ce sens (comme celle dont il est question dans la présente demande).

 

b)         Un mandamus enjoignant à l’ARC d’appliquer le crédit de la manière précisée par le représentant autorisé de la demanderesse.

 

c)         Toute autre réparation que la Cour estime juste.

 

d)         Les dépens.

 

Avis de demande T‑1362‑10

a)         Un mandamus enjoignant à l’ARC de délivrer les avis modifiés de confirmation relatifs aux nouvelles cotisations, comme elle s’était engagée à le faire dans sa lettre du 13 mars 2009.

 

b)         Subsidiairement, un jugement déclarant que l’ARC n’a pas résolu l’opposition déposée le 14 décembre 2006, dans la mesure où elle n’a pas encore examiné la question touchant la pénalité et qu’à ce titre, les avis de confirmation délivrés le 11 février 2009 sont inadéquats, incomplets et doivent être annulés.

 

c)         Un jugement déclarant que tout retard survenu entre le 11 février 2010 et la délivrance des avis modifiés de confirmation ou l’annulation des avis originaux de confirmation est imputable aux agissements de l’ARC aux fins d’une éventuelle exemption d’intérêts, en cas de rejet du dernier appel interjeté par la demanderesse relativement à la présente affaire devant la Cour canadienne de l’impôt.

 

d)         Toute autre réparation que la Cour estime juste.

 

e)         Les dépens.

 

Avis de demande T‑1363‑10

a)         Un jugement déclarant que la décision était déraisonnable. Il est normal que l’ARC cherche à protéger ses intérêts en tant que créancière, mais elle ne devrait pas chercher à user des pouvoirs qui lui sont conférés par la Loi de l’impôt sur le revenu pour obtenir un résultat plus avantageux que celui prévu par la loi. Par exemple, l’ARC ne devrait pas chercher à grever de façon excessive la propriété d’un contribuable pour forcer celui‑ci à régler une dette déjà pleinement garantie.

 

b)         Un jugement déclarant que Leslie Green a indûment entravé son pouvoir discrétionnaire en rendant la décision, dans la mesure où elle n’a pas tenu compte du préjudice que la demanderesse continue de subir du fait de privilèges excessifs.

 

c)         Un jugement déclarant que la décision était incorrecte en droit puisque la dette sous‑jacente n’était pas passible de poursuite : en effet, les avis de confirmation délivrés par l’ARC le 11 février 2009 étaient incomplets, comme l’a reconnu le chef des Appels dans sa lettre du 13 mars 2009.

 

d)         Une ordonnance annulant la décision et radiant sur‑le‑champ les privilèges sur les deux autres propriétés.

 

e)         Toute autre réparation que la Cour estime juste.

 

f)         Les dépens.

 

Avis de demande T‑1364‑10

a)         Un jugement déclarant que la décision était incorrecte en droit.

 

b)         Un jugement déclarant que la décision n’était pas conforme à la politique de l’ARC ou, subsidiairement, que cette politique est incorrecte en droit et entrave indûment le pouvoir discrétionnaire des agents de recouvrement des recettes.

 

c)         Toute autre réparation que la Cour estime juste.

 

d)         Les dépens.

 

[4]               Depuis le dépôt des avis de demande, la demanderesse prétend que [traduction] « [l]es faits [qui y sont] allégués ont été confirmés ou réfutés dans le cadre du litige et [que] de nouveaux faits sont apparus ». Par conséquent, la demanderesse sollicite dans ses observations écrites les [traduction] « réparations essentielles » suivantes :

 

[traduction]

(i)            un mandamus pour que soit produit l’avis modifié de confirmation promis et un jugement déclaratoire confirmant à présent que l’Agence du revenu du Canada (l’ARC) ne peut antidater des documents;

(ii)           un jugement déclarant que l’ARC doit prendre acte de sa politique concernant l’application des crédits et s’y conformer;

(iii)          un jugement déclarant que la dette alléguée de 436 446,80 $ pour l’année 2008 a été payée en juin 2009 (comme l’attestent désormais les relevés de l’ARC), et que les privilèges et autres mesures de recouvrement engagées en 2010 sur le fondement que la dette de 2008 était en souffrance étaient injustifiés;

(iv)          un jugement déclarant que les agents de la Division de recouvrement des recettes de l’ARC n’exercent pas leur pouvoir discrétionnaire de manière transparente ou intelligible lorsqu’ils rendent une décision (dans ce cas‑ci sur de multiples privilèges se rapportant à la nouvelle cotisation de 2003) sans examiner le dossier et qu’ils reviennent ensuite sur leur position en ce qui a trait à l’identité de la personne qui a pris cette décision et à son fondement.

 

QUESTIONS À TRANCHER

[5]               La demanderesse soulève les questions suivantes qui devront être tranchées par la Cour :

[traduction]

(i)         L’ARC peut‑elle antidater des documents?

(ii)               L’ARC devrait‑elle être forcée à délivrer l’avis modifié de confirmation qu’elle s’était engagée à fournir (avis qui ne soit pas antidaté)?

(iii)             L’ARC est‑elle tenue de savoir qui rend une décision et de communiquer cette décision de manière uniforme dans les documents de procédure?

(iv)             L’ARC devrait‑elle examiner les dossiers dont elle est saisie avant de rendre des décisions discrétionnaires qui mettent en jeu des propriétés valant des millions de dollars?

(v)               Un agent de recouvrement des recettes de l’ARC peut‑il rendre une décision (dans ce cas‑ci sur des privilèges multiples se rapportant à la nouvelle cotisation de 2003) sans examiner son dossier?

(vi)             L’ARC devrait‑elle connaître et suivre ses politiques d’application des crédits?

(vii)           L’ARC ne devrait‑elle attacher des privilèges à des dettes déjà acquittées que si elle a corrigé ses erreurs liées à l’application de paiements antérieurs et à l’inobservance de ses politiques?

 

[6]               La présente demande, qui réunit les demandes susmentionnées, concerne un certain nombre de décisions et soulève des questions se rapportant à des faits différents. Le défendeur fait valoir que certaines questions sont devenues théoriques et qu’il n’y a pas lieu de les trancher. Dans les circonstances, il sera utile de reformuler ainsi les questions en litige :

 

I.          Le ministre a‑t‑il manqué à l’équité procédurale en délivrant l’avis de confirmation? Dans la négative, la validité juridique de l’avis est‑elle un motif légitime de contrôle judiciaire?

II.        Le fait que la demanderesse ait pleinement acquitté sa dette et que les jugements touchant ses propriétés aient été annulés rend‑il théoriques les autres questions ayant trait aux décisions de la Division du recouvrement des recettes?

III.       Dans l’affirmative, la Cour doit‑elle, dans l’exercice de son pouvoir discrétionnaire, statuer sur les questions théoriques?

IV.       Dans l’affirmative, les décisions de la Division du recouvrement des recettes sont‑elles susceptibles de contrôle aux termes de l’article 18.1 de la Loi sur les Cours fédérales?

V.        Dans l’affirmative,

a.       La Division du recouvrement des recettes a‑t‑elle commis une erreur en enregistrant un jugement à l’encontre des propriétés de la demanderesse sur la foi de l’avis de cotisation de 2008?

b.      La Division du recouvrement des recettes a‑t‑elle commis une erreur en refusant d’annuler des jugements relatifs à deux propriétés appartenant à la demanderesse?

c.       La Division du recouvrement des recettes a‑t‑elle commis une erreur en ne prenant pas acte de ses politiques d’application des crédits et en ne s’y conformant pas?

 

[7]               Je me propose d’examiner tour à tour chacune de ces questions ainsi que les faits qui les sous‑tendent.

 

Décision de la Division des appels – Avis de confirmation

FAITS

[8]               Le 23 octobre 2006, le ministre a délivré de nouvelles cotisations relativement aux années d’imposition 2000, 2002 et 2003 de la demanderesse (les nouvelles cotisations). Ces nouvelles cotisations comprenaient des pénalités pour faute lourde en application du paragraphe 163(2) de la Loi de l’impôt sur le revenu, LRC 1985, c 1 (5e suppl.) (LIR). Le 14 décembre 2006, la demanderesse a déposé une opposition aux nouvelles cotisations.

 

[9]               Le 11 février 2009, l’ARC a délivré un avis de confirmation des nouvelles cotisations et informé la demanderesse de la procédure à suivre si elle souhaitait les contester en appel devant la Cour canadienne de l’impôt.

 

[10]           En réponse à l’avis de confirmation, M. Davis, le représentant et comptable de la demanderesse, a envoyé le 17 février 2009 une lettre à la Division des appels de l’ARC dans laquelle il accusait réception de la confirmation des nouvelles cotisations et s’informait de la raison pour laquelle la Division des appels n’avait pas tenu compte des discussions que sa cliente avait eues avec la division des vérifications, à l’issue desquelles, si l’on en croit la demanderesse, les parties avaient convenu que l’avis de cotisation contenait des erreurs. M. Davis faisait également remarquer que l’avis de confirmation était muet quant aux pénalités.

 

[11]           Dans une lettre datée du 13 mars 2009, la Division des appels a répondu aux demandes de renseignements de la demanderesse et expliqué les raisons de la confirmation des nouvelles cotisations, déclarant [traduction] « [p]our ce qui est de la question des pénalités, nous avons omis de vous informer que les pénalités calculées en application du paragraphe 163(2) de la Loi de l’impôt sur le revenu ont également été confirmées. Nous vous transmettrons les copies modifiées des documents de confirmation de manière à tenir compte de ce fait ». Le ou vers le 13 mars 2009, l’ARC a envoyé à la demanderesse une version révisée de l’avis de confirmation (la version révisée) dans laquelle il était question des [traduction] « pénalités calculées en application du paragraphe 163(2) de la Loi de l’impôt sur le revenu ». Le document révisé est rédigé comme suit :

 

[traduction] Vos avis d’opposition concernant les cotisations établies pour les années d’imposition 2000, 2002 et 2003 ont été examinés avec diligence conformément au paragraphe 165(3) de la Loi de l’impôt sur le revenu. Le ministre du Revenu national a considéré les motifs que vous avez fait valoir dans votre opposition ainsi que tous les faits pertinents. Il est par les présentes confirmé que la cotisation a été établie conformément aux dispositions de la Loi de l’impôt sur le revenu sur la base des éléments suivants : les gains en capital imposables établis aux termes de l’alinéa 69(1)b) de la Loi de l’impôt sur le revenu, les pertes en capital refusées aux termes de l’article 38 de la même loi, les pénalités calculées en application du paragraphe 163(2) de la Loi de l’impôt sur le revenu et les pertes en capital reportées rétrospectivement aux années 2000 et 2002 et refusées en vertu de l’alinéa 111(1)b ) ont été correctement calculées. [Non souligné dans l’original.]

 

L’ARC a daté la version révisée du jour de la signature de l’avis de confirmation original, soit le 11 février 2009. La version révisée a été envoyée par courrier ordinaire.

 

 

QUESTION I :          Le ministre a‑t‑il manqué à l’équité procédurale en délivrant l’avis de confirmation? Dans la négative, la validité juridique de l’avis est‑elle un motif légitime de contrôle judiciaire?

 

ARGUMENTS DE LA DEMANDERESSE

[12]           La demanderesse fait valoir que la Division des appels ne lui a jamais envoyé de confirmation en bonne et due forme d’une nouvelle cotisation, comme elle l’avait promis. Elle soutient que l’avis modifié de confirmation, daté du 11 février 2009, mais signé le ou vers le 13 mars 2009, est un document antidaté et donc nul. La demanderesse allègue que le fait d’avoir antidaté l’avis de confirmation révisé au 11 février 2009 revenait en fait à [traduction] « écourter » l’« important délai de 90 jours » prévu par la loi pour interjeter appel de l’avis puisque ce délai commence à courir à partir de la date de la délivrance de l’avis. La demanderesse soutient que cela équivaut à un manquement à l’équité procédurale, révisable selon la norme de la décision correcte. Elle sollicite une déclaration portant que l’avis de confirmation révisé est frappé de nullité et nul ab initio, ainsi qu’un bref de mandamus enjoignant au défendeur de délivrer un nouvel avis de confirmation.

 

ARGUMENTS DU DÉFENDEUR

[13]           Le défendeur soutient qu’en délivrant l’avis de confirmation le 11 février 2009, le ministre se conformait au paragraphe 165(3) de la LIR, et notifiait ainsi la demanderesse qu’il confirmait les nouvelles cotisations. Ce faisant, le ministre a été dessaisi de l’affaire à cet égard. La demanderesse a été avisée qu’elle pouvait interjeter appel de la confirmation des nouvelles cotisations par le ministre devant la Cour canadienne de l’impôt en vertu du paragraphe 169(1) de la LIR. Le défendeur fait valoir que l’avis de confirmation révisé ne remplaçait pas le document original, mais qu’il avait simplement été transmis à la demanderesse par courtoisie et pour préciser que les pénalités avaient également été confirmées. Le défendeur soutient que bien qu’elle ait reçu l’avis de confirmation, la demanderesse a continué de [traduction] « soulever la question du bien‑fondé des nouvelles cotisations devant la Division des appels de l’ARC » plutôt que d’interjeter appel de la décision devant la Cour canadienne de l’impôt dans le délai prescrit.

 

[14]           Le défendeur allègue en outre que la demanderesse ne peut solliciter un jugement déclaratoire relativement au fait que les [traduction] « documents étaient antidatés », car cette mesure n’a pas été plaidée dans l’avis de demande de la demanderesse et la preuve établit qu’elle avait connaissance du document révisé lorsqu’elle a rédigé l’avis de demande.

 

[15]           Le défendeur soutient également que la demanderesse ne devrait pas être autorisée à recourir au contrôle judiciaire pour interjeter appel des nouvelles cotisations et se soustraire ainsi au régime législatif complet établi par la LIR et la Loi sur la Cour canadienne de l’impôt, LRC 1985, c T‑2. Il fait remarquer qu’en vertu de l’article 12 de la Loi sur la Cour canadienne de l’impôt, la Cour canadienne de l’impôt a compétence exclusive pour entendre les appels portés devant elle sur les questions découlant de l’application de la LIR. Il ajoute que la Cour suprême du Canada a d’ailleurs précisé dans l’arrêt Canada c Addison & Leyen Ltd., 2007 CSC 33, au paragraphe 11 [Addison & Leyen], qu’il ne fallait pas autoriser les contribuables à se servir du processus de demande de contrôle judiciaire devant la Cour fédérale comme d’une nouvelle forme de procédure connexe alors qu’il existe un droit d’appel devant la Cour canadienne de l’impôt.

 

ANALYSE

[16]           Que la Cour examine une décision au regard de l’équité procédurale, ou qu’elle ait à décider si les questions soulevées relèvent effectivement de sa compétence d’exercer un contrôle judiciaire, la norme applicable est celle de la décision correcte (Walker c Canada, 2005 CAF 393, paragraphe 10 [Walker]; Ellis‑Don Ltd. c Ontario (Labour Relations Board), 2001 CSC 4, paragraphe 65; Dunsmuir c. Nouveau‑Brunswick, 2008 CSC 9, paragraphes 59 et 129).

 

[17]           Je me pencherai tout d’abord sur l’argument touchant l’équité procédurale avancé par la demanderesse. Cet argument est pertinent puisque la question concerne probablement le droit de la demanderesse d’interjeter appel devant la Cour canadienne de l’impôt.

 

[18]           Après que la demanderesse eut déposé son opposition aux nouvelles cotisations conformément à l’article 165 de la LIR, le ministre les a confirmées et en a informé la demanderesse par un avis délivré le 11 février 2009. Il faisait ainsi savoir que ses décisions relatives aux nouvelles cotisations restaient inchangées, notamment celle d’imposer des pénalités pour faute lourde, même si l’avis de confirmation n’en faisait pas expressément mention. Comme nous l’avons indiqué précédemment, l’ARC l’a confirmé dans une lettre envoyée à la demanderesse le 13 mars 2009, ainsi que dans le document révisé envoyé à peu près à la même date. Le dossier atteste que la demanderesse a reçu cette lettre et ce document.

 

[19]           À mon avis, une fois que le ministre décide de confirmer une cotisation ou une nouvelle cotisation et qu’il le notifie par écrit au contribuable conformément au paragraphe 165(3) de la LIR, il s’est acquitté de ses obligations en matière de réexamen des cotisations au titre de cette même loi. Dans les circonstances, j’estime que le ministre a effectivement confirmé les nouvelles cotisations le 11 février 2009 et qu’il l’a notifié par écrit à la demanderesse. Cette dernière pouvait porter la décision en appel devant la Cour canadienne de l’impôt, mais elle ne l’a pas fait. La LIR ne prévoit pas d’autre processus de réexamen des mesures prises par le ministre. L’avis de confirmation du 11 février 2009 en représente la seule notification effective du ministre dans les circonstances. Tout avis révisé ou modifié qui ne change rien à la décision du ministre ne peut être considéré comme un substitut à l’avis de confirmation.

 

[20]           Par ailleurs, contrairement à ce que prétend la demanderesse, rien ne prouve qu’un engagement a été pris au nom du ministre en vue de la délivrance d’un nouvel avis de confirmation. La lettre du 13 mars 2009 de l’ARC informait la demanderesse que les pénalités étaient également confirmées et que des [traduction] « copies modifiées » des documents de confirmation lui seraient transmises pour tenir compte de ce fait. À mon avis, l’engagement de remettre des [traduction] « copies modifiées » confirmant les nouvelles cotisations n’équivaut pas à une promesse de délivrer un nouvel avis de confirmation. En outre, le dossier de la transcription du contre‑interrogatoire des agents de l’ARC appuie l’affirmation du ministre voulant que l’avis révisé ait été envoyé pour rappeler que les pénalités pour faute lourde étaient toujours dues, conformément aux nouvelles cotisations et à l’avis de confirmation :

[traduction

Q :       Si vous pensiez alors que l’avis initial de confirmation était suffisamment clair, [la version révisée] a‑t‑elle simplement été fournie par courtoisie?

 

R :       C’est bien cela.

 

Contre‑interrogatoire de Ron Brass, auteur d’un affidavit, dossier de la demanderesse, page 260.

 

 

[21]           J’estime que la version révisée de l’avis de confirmation a été envoyée pour clarifier la position du ministre, mais qu’elle n’était pas destinée à remplacer l’avis de confirmation. J’accepte la prétention du ministre selon laquelle la date du document révisé était la même que celle de l’avis de confirmation pour ne pas induire la demanderesse en erreur quant à la date de ce document ou à l’éventualité que la version révisée constitue un nouveau document remplaçant l’avis de confirmation initial. Par conséquent, je conclus que la version révisée n’a pas servi à antidater l’avis de confirmation.

 

[22]           Une fois les mesures concernant l’opposition prises et communiquées à la demanderesse, le ministre ne pouvait pas revenir sur sa décision. Le document révisé ne changeait rien à la décision du ministre concernant l’opposition de la demanderesse aux nouvelles cotisations, qui lui avait été communiquée par voie d’avis de confirmation daté du 11 février 2009, conformément au paragraphe 165(3) de la LIR.

 

[23]           En l’occurrence, la demanderesse a reçu l’avis de confirmation de même que sa version révisée. Elle connaissait la décision du ministre et savait qu’elle avait le droit de porter l’affaire en appel. La lettre qui accompagnait l’avis de confirmation précise que si la demanderesse [traduction] « est en désaccord avec cette décision, [elle] peut déposer un appel devant les tribunaux. Vous trouverez ci-joint des renseignements sur la manière de procéder ». Ces renseignements exposent clairement les démarches devant être faites pour interjeter appel de la décision devant la Cour canadienne de l’impôt, et rappellent notamment que [traduction] « l’appel doit être reçu par la Cour au plus tard 90 jours après la date d’envoi de notre avis de confirmation ou de l’avis de (nouvelle) cotisation ». Nonobstant cet avis, la demanderesse n’a pas agi pour protéger ses droits en interjetant appel devant la Cour canadienne de l’impôt, mais a plutôt persisté à faire valoir ses contestations devant les agents de l’ARC. Dans les circonstances, j’estime que les mesures prises par le ministre n’équivalent pas à un manquement à l’équité procédurale.

 

[24]           En dépit de cette conclusion, il aurait été préférable que le ministre clarifie autrement les pénalités pour faute lourde. Une simple lettre avisant la demanderesse que les pénalités avaient été confirmées dans l’avis de confirmation du 11 février 2009 aurait suffi et peut‑être rendu la présente demande inutile.

 

[25]           Ayant conclu que la délivrance de l’avis de confirmation n’a entraîné aucun manquement à l’équité procédurale, je me demanderai à présent si la validité juridique de l’avis de confirmation peut être légitimement examinée par notre Cour dans le cadre d’un contrôle judiciaire.

 

[26]           Dans l’affaire Walker, précitée, le contribuable que l’ARC avait contacté à propos d’un montant en souffrance prétendait n’avoir jamais reçu d’avis de nouvelle cotisation. Après plus d’un an, il a introduit une demande de contrôle judiciaire devant la Cour fédérale et a sollicité une ordonnance portant qu’aucun montant n’était dû puisqu’aucun avis n’avait été envoyé. La Cour d’appel fédérale a confirmé la décision de la Cour fédérale de ne pas instruire la demande de contrôle judiciaire. La Cour d’appel fédérale a estimé que la question de la validité juridique de l’avis de nouvelle cotisation devait être tranchée par la Cour canadienne de l’impôt dans une procédure d’appel en matière d’impôt sur le revenu. Au paragraphe 13 de sa décision, la Cour d’appel fédérale a écrit que « [e]n l’espèce, l’article 18.5 [de la Loi sur les Cours fédérales] empêche la Cour fédérale d’examiner une demande de contrôle judiciaire portant essentiellement sur la validité juridique de ce document clé ». La Cour suprême avait adopté un raisonnement analogue dans l’arrêt Addison & Leyen.

 

[27]           En l’espèce, la demanderesse prétend que la version révisée de l’avis de confirmation qui était censé modifier l’avis de confirmation n’a aucun effet juridique. La demanderesse conteste la « validité juridique » d’un « document clé ». Guidé par la jurisprudence de la Cour d’appel fédérale et de la Cour suprême du Canada évoquée plus haut, j’estime qu’il appartient à la Cour canadienne de l’impôt de statuer sur cette question dans le cadre d’une procédure d’appel en matière d’impôt sur le revenu.

 

[28]           Il était loisible à la demanderesse d’interjeter appel de l’avis de confirmation devant la Cour canadienne de l’impôt. Conformément à l’article 18.5 de la Loi sur les Cours fédérales et de l’article 12 de la Loi sur la Cour canadienne de l’impôt, la demande de contrôle judiciaire touchant cette question ne sera donc pas instruite. Par conséquent, la demande visant l’obtention d’un bref de mandamus et d’autres réparations de nature déclaratoire accessoires se rapportant à cette question sera rejetée.

 

Décisions de la Division du recouvrement des recettes

[29]           Les autres questions concernent les décisions de la Division du recouvrement des recettes. J’exposerai donc maintenant les faits sous‑jacents à chacune de ces décisions.

 

FAITS

(i)   Enregistrement d’un jugement sur les propriétés de la demanderesse sur la foi de la cotisation de 2008

[30]           Le 15 avril 2009, l’ARC a établi une cotisation de 436 446,80 $ à l’encontre de la demanderesse pour l’année d’imposition se terminant le 31 octobre 2008 (la cotisation de 2008).

 

[31]           Le 19 juin 2009, la demanderesse a versé 387 031 $ dans le compte se rapportant à la cotisation de 2008. L’ARC a, par mégarde, déposé ce montant dans un autre compte appartenant aussi à la demanderesse.

 

[32]           Dans le courant de l’année 2009, M. Davis a demandé que les crédits de la demanderesse se rapportant aux années d’imposition 2005 et 2006 et s’élevant à 24 076 $, soient appliqués à sa cotisation de 2008.

 

[33]           La déclaration de revenus des sociétés de 2008 déposée par la demanderesse indique une retenue d’impôt à la source de 17 996 $.

 

[34]           Le 1er avril 2010, la Division du recouvrement des recettes avertissait par lettre la demanderesse qu’il ne lui restait que 21 jours pour acquitter les montants impayés au titre des nouvelles cotisations et de la cotisation de 2008 avant qu’une action en justice ne soit intentée contre elle.

 

[35]           Dans le courant du mois d’avril 2010, la Division du recouvrement des recettes a été avisée que le paiement du 19 juin 2009 avait été affecté par l’ARC par mégarde au mauvais compte alors que la demanderesse le destinait à la cotisation de 2008.

 

[36]           Le ou vers le 4 juin 2010, l’ARC a obtenu un certificat de la Cour fédérale relativement à la cotisation de 442 412,96 $ de 2008, qu’elle a enregistré au bureau d’enregistrement des titres fonciers à l’égard de trois propriétés appartenant à la demanderesse. À cette époque, l’ARC a également enregistré un jugement à l’encontre des propriétés de la demanderesse pour un montant de 500 488,88 $; ce jugement avait été obtenu le 19 janvier 2007 pour couvrir la moitié des sommes dues au titre des nouvelles cotisations se rapportant aux années 2000, 2002 et 2003.

 

(ii) Refus d’appliquer les crédits fiscaux à la dette de 2008

[37]           M. Davis avait demandé dans le courant de l’année 2009 que les crédits d’impôt de la demanderesse se rapportant aux années d’imposition 2005 et 2006 soient appliqués à la dette concernant la cotisation de 2008. La demande n’avait pas encore été traitée à ce moment‑là, et a été resoumise par la Division du recouvrement des recettes à la division de la comptabilité générale en avril 2010.

 

[38]           Fin juillet 2010, l’avocat de la demanderesse contactait Brian McGrath, de la Division du recouvrement des recettes, pour lui demander d’appliquer les crédits se rapportant aux années d’imposition 2005 et 2006 à la cotisation de 2008. M. McGrath a été informé par sa chef d’équipe, Leslie Green, que les crédits devaient s’appliquer à la dette la plus ancienne. M. McGrath a admis qu’il savait qu’une politique de l’ARC autorisait le contribuable à appliquer les crédits à la dette de son choix, mais il a avisé l’avocat de la demanderesse que les crédits devaient s’appliquer à la dette la plus ancienne, conformément aux instructions de Mme Green.

 

[39]           Le même jour, Mme Green s’est rendu compte de son erreur et a indiqué à M. McGrath que les crédits pouvaient être appliqués au gré du contribuable. La demanderesse n’a été informée de ce revirement que lorsque les crédits ont finalement été affichés sur le système de l’ARC en décembre 2010. À ce moment‑là, M. McGrath a avisé M. Davis que les crédits avaient été appliqués à la cotisation de 2008 et lui a fourni copie du jugement de 2008 pour traiter avec le bureau d’enregistrement des titres fonciers. L’ARC allègue que l’affichage tardif des crédits s’explique par le fait qu’elle avait dû réévaluer les déclarations de la demanderesse concernant les années 2005 et 2006 pour établir si elle avait droit aux crédits.

 

[40]           Le jugement visant la propriété de la demanderesse relativement à la dette fiscale de 2008 a été rendu le 15 décembre 2010.

 

(iii) Refus d’annuler le jugement à l’égard de deux des trois propriétés

[41]           À la fin de juillet 2010, l’avocat de la demanderesse a contacté M. McGrath pour demander que l’ARC annule le jugement relatif aux nouvelles cotisations à l’égard de deux des propriétés de la demanderesse au motif que la valeur nette de la troisième propriété était suffisante pour payer la dette. La demanderesse a fourni à l’ARC un état de compte de son prêt hypothécaire datant de décembre 2009 pour corroborer ses allégations.

 

[42]           M. McGrath a discuté de la demande avec sa chef d’équipe, Leslie Green, et une agente, Services à la clientèle T1, Kelly Ward. Mme Green a refusé de donner suite à la demande au motif qu’il s’agissait d’une dette ancienne et recouvrable et que l’ARC n’avait rien à y gagner. Mme Green n’a examiné aucun document au dossier pour parvenir à cette décision, qui a été communiquée à l’avocat de la demanderesse par M. McGrath.

 

[43]           Le 29 avril 2011, l’ARC a reçu la somme de 1 180 384,22 $ en paiement total des nouvelles cotisations. Tous les jugements rendus à l’encontre des propriétés de la demanderesse ont été annulés à partir de cette date.

 

QUESTION II :         Le fait que la demanderesse a pleinement acquitté sa dette et que les jugements touchant ses propriétés ont été annulés rend‑il théoriques les autres questions ayant trait aux décisions de la Division du recouvrement des recettes?

 

ARGUMENTS DU DÉFENDEUR

[44]           Le défendeur soutient que le critère permettant d’établir le caractère « théorique » formulé par la Cour suprême dans l’arrêt Borowski c Canada (Procureur général), [1989] 1 RCS 342, à la page 353 [Borowski], a été rempli.

 

[45]           Il fait valoir que puisque les crédits en question ont été appliqués à la dette de 2008 et que tous les montants dus ont été intégralement acquittés, le différend concret et tangible requis entre les parties a disparu et la question est devenue purement théorique.

 

[46]           Le défendeur soutient en outre que la Cour ne devrait pas user de son pouvoir discrétionnaire pour instruire les demandes parce qu’il n’y a plus de débat contradictoire entre les parties depuis que les dettes ont été entièrement acquittées, et que [traduction] « les questions soulevées dans ces demandes ne sont pas d’intérêt public, qu’elles se reposeront probablement devant la Cour dans le cadre d’autres demandes, et qu’elles n’ont aucun effet concret sur les parties. »

 

[47]           Le défendeur prétend également que les [traduction] « réparations essentielles » maintenant réclamées par la demanderesse n’ont pas été plaidées dans l’avis de demande. Il ajoute qu’une telle requête est inopportune sans modification de l’avis de demande et qu’elle ne devrait pas être instruite par la Cour.

 

ARGUMENTS DE LA DEMANDERESSE

[48]           La demanderesse soutient que le dossier ne montre pas que le différend tangible et concret a disparu entre les parties. Elle affirme par ailleurs que le dossier n’est pas clair en ce qui concerne le second jugement enregistré à l’encontre de ses propriétés entre le 11 et le 29 avril 2011. Elle s’interroge sur la raison de l’imposition de ces privilèges et sur l’impact qu’ils ont pu avoir sur la contrainte du paiement.

 

[49]           En outre, la demanderesse fait valoir qu’elle cherche à obtenir une réparation qui va au‑delà de l’annulation des jugements, c’est‑à‑dire une réparation de nature déclaratoire ainsi qu’une ordonnance infirmant la décision contestée. Elle établit une distinction entre la radiation des privilèges et une ordonnance infirmant la décision d’enregistrer les privilèges, et avance qu’une décision annulée pourrait avoir un effet rétroactif. La demanderesse affirme également que [traduction] « le fait de soulever le caractère théorique à l’audience elle‑même ne permet aucune économie de ressources judiciaires ».

 

[50]           La demanderesse fait valoir que le volet d’intérêt public du critère concernant le caractère théorique s’applique en l’espèce car [traduction] « l’identité du décideur désigné par la Couronne a changé à plusieurs reprises » et qu’un [traduction] « témoin de la Couronne a reconnu en contre‑interrogatoire qu’il y avait eu antidatation ». Elle ajoute aussi ceci, toujours au sujet de l’intérêt public :

[traduction] Si un créancier exerce des pressions sur un demandeur, par exemple en plus que doublant les privilèges en place sur trois propriétés différentes, et qu’il invoque ensuite le caractère théorique lorsque ces pressions aboutissent au paiement désiré, l’inconduite risque d’être récompensée plutôt que soumise à un examen rigoureux.

 

[51]           Compte tenu des changements factuels survenus depuis la demande initiale, la demanderesse soutient que les [traduction] « réparations essentielles » qu’elle sollicite dans son mémoire des faits et du droit doivent être pris en compte pour déterminer si les questions sont théoriques.

 

ANALYSE

[52]           La question préliminaire est de savoir si la réparation sollicitée par la demanderesse se limite à ce qui figure dans les avis de demande initiaux déposés le 24 août 2011, ou s’ils incluent les [traduction] « réparations essentielles » évoquées dans ses observations écrites.

 

[53]           En plus des éléments de la réparation expressément mentionnés dans les avis de demande de la demanderesse figure la clause « omnibus » suivante : [traduction] « Toute autre réparation que la Cour estime juste. » Une réparation de nature déclaratoire évoquée dans un mémoire des faits et du droit qui est nécessairement accessoire à la réparation demandée peut être accordée au titre d’une clause « omnibus » lorsque la partie opposée n’est pas prise au dépourvu ou qu’elle ne subit pas de préjudice (Assoc. des femmes autochtones du Canada c Canada, [1994] 3 RCS 627, paragraphe 31, et SC Prodal 94 SRL c Spirits International B.V., 2009 CAF 88).

 

[54]           Le point (i) des éléments essentiels de réparation figurant dans le mémoire des faits et du droit de la demanderesse revient maintenant à demander une réparation de nature déclaratoire relativement aux documents antidatés. En l’espèce, l’avis de demande ne mentionne aucune mesure de la sorte, mais il contient notamment une demande d’ordonnance pour qu’un avis de confirmation modifié soit délivré, et un jugement déclarant que l’avis de confirmation du 11 février 2009 était inadéquat et incomplet et que toute délivrance tardive de l’avis de confirmation modifié est imputable aux agissements de l’ARC. La question des [traduction] « documents antidatés » est différente et n’a pas été soulevée dans l’avis de demande. J’estime que la réparation qui se rapporte expressément à ce point n’est pas nécessairement accessoire à la réparation demandée dans l’avis de demande. Par conséquent, le défendeur n’a pas été avisé qu’une telle réparation serait réclamée. L’omission de fournir les avis appropriés entache l’équité procédurale du processus. Par conséquent, la demande de jugement déclaratoire concernant les documents antidatés figurant dans les [traduction] « réparations essentielles » ne sera pas instruite dans le cadre de la présente demande. Quoi qu’il en soit, j’ai déjà décidé, relativement à la question de l’équité procédurale, que l’avis de confirmation n’avait pas été antidaté.

 

[55]           Pour ce qui est des trois autres réparations de nature déclaratoire sollicitées dans le mémoire des faits et du droit de la demanderesse, je suis convaincu qu’elles sont accessoires ou subordonnées à celles qui figurent dans les avis de demande et qu’elles peuvent être accordées au titre des clauses « omnibus ». Je conclus également que, dans les circonstances, le défendeur ne sera pas pris au dépourvu et ne subira pas de préjudice si la Cour acceptait d’examiner la demande de réparation. Par conséquent, les trois conclusions additionnelles réclamées par la demanderesse dans les [traduction] « réparations essentielles » sont dûment soumises à l’examen de la Cour.

 

[56]           Ayant tiré cette conclusion, il me reste maintenant à déterminer si les questions soulevées sont théoriques.

 

[57]           Dans l’arrêt Borowski, la Cour suprême a formulé, à la page 353, la démarche en deux étapes pour l’application de la doctrine du caractère théorique : « En premier, il faut se demander si le différend concret et tangible a disparu et si la question est devenue purement théorique. En deuxième lieu, si la réponse à la première question est affirmative, le tribunal décide s’il doit exercer son pouvoir discrétionnaire et entendre l’affaire. »

 

[58]           Dans cet arrêt, la Cour suprême aborde les circonstances dans lesquelles la doctrine du caractère théorique est généralement appelée à s’appliquer :

La doctrine relative au caractère théorique est un des aspects du principe ou de la pratique générale voulant qu’un tribunal peut refuser de juger une affaire qui ne soulève qu’une question hypothétique ou abstraite. Le principe général s’applique quand la décision du tribunal n’aura pas pour effet de résoudre un litige qui a, ou peut avoir, des conséquences sur les droits des parties. Si la décision du tribunal ne doit avoir aucun effet pratique sur ces droits, le tribunal refuse de juger l’affaire. Cet élément essentiel doit être présent non seulement quand l’action ou les procédures sont engagées, mais aussi au moment où le tribunal doit rendre une décision. (page 353)

 

 

[59]           La Cour précise clairement que l’analyse permettant d’établir si une question est théorique « exige qu’on se demande s’il reste un litige actuel ». Les cas dans lesquels le « critère du litige actuel » n’est pas rempli sont théoriques (Borowski, pages 353 et 354).

 

[60]           La jurisprudence nous apprend également que les jugements déclaratoires ne constituent pas en soi un fondement susceptible d’établir l’existence d’un litige actuel (Fogal c Canada, 167 FTR 266, [1999] ACF no 788 (QL)).

 

[61]           En l’espèce, toutes les dettes dues à l’ARC ont été acquittées et tous les jugements enregistrés à l’encontre des propriétés de la demanderesse ont été annulés. Par conséquent, les principaux éléments de la réparation sollicités dans les avis de demande de la demanderesse ne sont plus actuels. Ce qu’elle peut toujours réclamer, comme réparation potentielle, c’est le jugement déclaratoire quant aux mesures d’exécution déjà prises par l’ARC. Lorsque le jugement déclaratoire ne se rattache pas à un litige actuel, comme c’est le cas ici, la deuxième étape de l’analyse énoncée dans Borowski entre en jeu. En conséquence, j’estime qu’il ne reste aucun litige actuel et que les questions soulevées relativement aux décisions de la Division du recouvrement des recettes sont théoriques.

 

QUESTION III :       La Cour doit‑elle, dans l’exercice de son pouvoir discrétionnaire, statuer sur les questions théoriques?

 

[62]           En exerçant son pouvoir discrétionnaire quant à l’instruction d’une affaire théorique, la Cour doit se demander dans quelle mesure les trois raisons suivantes d’appliquer la doctrine du caractère théorique sont présentes (Borowski, pages 358 à 363) :

a.       l’absence d’un débat contradictoire;

b.      la préoccupation touchant les ressources judiciaires limitées (il convient de se demander si la décision aura un effet concret sur les parties, si elle est de nature répétitive mais de courte durée, si elle soulève une question indépendante qui, prise isolément, pourrait échapper à l’examen judiciaire, ou si elle pose une question d’importance publique qu’il est dans l’intérêt public de trancher);

c.       la nécessité pour la Cour de prendre en considération sa fonction véritable dans l’élaboration du droit et de ne pas outrepasser sa fonction juridictionnelle au sein de notre structure politique.

 

i) Débat contradictoire

[63]           La demanderesse estime qu’il existe encore à certains égards un débat contradictoire avec l’ARC. Elle soutient que certaines mesures prises par l’ARC étaient déplacées, notamment l’inscription de certains privilèges à l’encontre de ses propriétés, leur radiation à point nommé ainsi que l’application opportune de crédits fiscaux à ses dettes. Le défendeur fait valoir que toutes les questions ont été résolues et que tous les privilèges à l’encontre des propriétés de la demanderesse ont été radiés. Il affirme également que l’ARC a toujours agi de manière appropriée.

 

[64]           Les questions en litige concernent essentiellement les mesures que le ministre a prises pour s’acquitter de son obligation de recouvrer des dettes fiscales en souffrance conformément aux dispositions de la LIR. Ces mesures procèdent de décisions administratives discrétionnaires.

 

[65]           La preuve des effets collatéraux de l’issue du litige doit être faite pour établir le contexte contradictoire requis dans les circonstances. Il n’y en a aucune en l’espèce. Dans ses observations écrites, la demanderesse indique que [traduction] « le dossier n’établit pas clairement » l’impact des privilèges contestés sur la contrainte exercée quant aux paiements. Elle ajoute qu’il est [traduction] « loin d’être évident » que la radiation des privilèges supprime tout différend tangible entre les parties. Au mieux, la demanderesse s’appuie sur des inférences hypothétiques pour établir les effets collatéraux de l’issue du litige.

 

[66]           À mon avis, le premier fondement du critère Borowski, le contexte contradictoire, est défavorable à l’exercice de mon pouvoir discrétionnaire d’instruire les questions théoriques dans le cadre de la présente instance.

 

ii) Préoccupation touchant l’économie judiciaire

[67]           Quant au deuxième fondement, la Cour doit déterminer s’il existe des circonstances spéciales justifiant de consacrer les ressources judiciaires limitées aux questions théoriques (Borowski, page 360). Cette préoccupation se trouve dissipée si la décision de la Cour a un effet concret sur les droits des parties. Il en va de même lorsque la Cour examine une demande de jugement déclaratoire. Pour accorder un tel jugement, [traduction] « le cas dont la Cour est saisie doit être véritable, autrement dit ni théorique ni hypothétique; et le jugement déclaratoire doit pouvoir avoir un effet concret dans la résolution des questions que soulève l’affaire » (Solosky c La Reine, [1980] 1 RCS 821, pages 832 et 833; Monachino c Liberty Mutual (2000), 47 OR (3d) 481 (CA), paragraphe 20).

 

[68]           Par ailleurs, « [p]our garantir que sera soumise aux tribunaux une question importante qui, prise isolément, pourrait échapper à l’examen judiciaire, on peut décider de ne pas appliquer strictement la doctrine du caractère théorique » (Borowksi, page 360). La Cour suprême ajoute que « [i]l est préférable d’attendre et de trancher la question dans un véritable contexte contradictoire, à moins qu’il ressorte des circonstances que le différend aura toujours disparu avant d’être résolu » (Borowski, page 361).

 

[69]           Enfin, la Cour est en droit de consacrer des ressources judiciaires limitées à l’instruction d’affaires théoriques qui soulèvent des questions d’importance pour le public qu’il est dans l’intérêt public de trancher.

 

[70]           En l’espèce, comme nous l’avons déjà indiqué, la demanderesse n’a pas été en mesure d’énoncer clairement les effets collatéraux de la résolution des questions en litige. Elle n’a fait la preuve d’aucun préjudice subi du fait des présumés agissements déraisonnables de l’ARC. Par ailleurs, le jugement déclaratoire demandé se rapporte à d’anciennes mesures d’exécution prises par l’ARC. Ces mesures ont été déjà prises et il ne s’agit pas de mesures récurrentes ou qui s’inscrivent dans une relation toujours en cours. À mon avis, trancher les questions soulevées par la demanderesse n’aura aucun effet concret sur les droits des parties.

 

[71]           La demanderesse n’a soulevé aucune question qui n’est pas appelée à se poser devant la Cour dans d’autres circonstances. Je suis convaincu qu’il n’existe aucune question importante qui, prise isolément et bien que théorique, puisse échapper à l’examen judiciaire.

 

[72]           La demanderesse fait valoir que les points suivants soulevés dans les demandes justifient que la Cour exerce son pouvoir discrétionnaire pour entendre les questions théoriques : l’avis de confirmation était antidaté, l’identité du décideur désigné par l’ARC a changé à plusieurs reprises, et de nouveaux privilèges ont été placés sur ses propriétés entre le 11 et le 29 avril 2011, pour un montant correspondant à plus du double des privilèges existants. À mon avis, ces questions n’entraînent aucun coût social lié à la persistance d’un flou juridique. Elles se rapportent plutôt à des faits propres à la situation de la demanderesse et ne sont pas des questions d’importance pour le public. Par conséquent, je suis convaincu que les demandes ne soulèvent aucun enjeu de ce genre.

 

[73]           Par conséquent, le deuxième fondement du critère Borowski ne justifie pas que la Cour exerce son pouvoir discrétionnaire d’entendre des questions théoriques.

 

iii) La fonction d’élaboration du droit de la Cour

[74]           « Au moment de décider d’exercer le pouvoir discrétionnaire d’entendre une affaire théorique, la Cour doit être consciente de la mesure dans laquelle elle pourrait s’écarter de son rôle traditionnel. » (Borowski, page 363) Les questions en jeu en l’espèce concernent essentiellement le caractère raisonnable d’anciennes mesures d’exécution prises par l’ARC, et son application de politiques administratives touchant le recouvrement de dettes fiscales en souffrance conformément aux dispositions d’exécution de la LIR. En statuant sur de telles questions, la Cour ne s’écarterait pas de son rôle traditionnel. Cependant, il serait préférable, dans les circonstances de la présente affaire, de trancher ces questions sur la base d’un litige actuel. Par conséquent, j’estime que le troisième fondement du critère Borowski est un facteur neutre eu égard à l’exercice de mon pouvoir discrétionnaire.

 

[75]           En conclusion, ayant examiné en l’espèce les trois grands fondements de l’application de la doctrine du caractère théorique, je refuse, en vertu de mon pouvoir discrétionnaire, d’entendre et de trancher les questions théoriques soulevées dans les demandes en cause.

 

[76]           Si j’avais décidé d’examiner les questions théoriques soulevées dans chacune des décisions contrôlées prises par la Division du recouvrement des recettes, la preuve produite par la demanderesse n’aurait de toute façon pas justifié d’accorder le jugement déclaratoire sollicité.

 

[77]           En ce qui a trait à la demande se rapportant au refus de la Division du recouvrement des recettes d’appliquer les crédits fiscaux pour les années d’imposition 2005 et 2006 à la dette fiscale de 2008, la preuve démontre que ces crédits ont finalement été appliqués comme le réclamait la demanderesse et conformément à la politique de l’ARC. La croyance erronée que les crédits se rapportant aux années d’imposition 2005 et 2006 devaient s’appliquer à la dette la plus ancienne, et non comme le souhaitait la contribuable, a été corrigée par les agents le jour même où elle a été commise. Les crédits ont finalement été appliqués lorsque l’ARC a établi que la demanderesse y avait droit, après le calcul d’une nouvelle cotisation pour les années d’imposition 2005 et 2006.

 

[78]           La demanderesse allègue que le refus de l’ARC de radier les privilèges à l’encontre de deux de ses propriétés était déraisonnable puisque la valeur nette suffisait à couvrir la dette. Pour corroborer ses dires, elle n’a produit qu’un état de compte de son prêt hypothécaire, ce qui est manifestement insuffisant pour établir la valeur nette des propriétés visées. Par ailleurs, la demanderesse n’a cité aucune source qui indique que la Division du recouvrement des recettes était tenue de radier les privilèges dans ces circonstances ou qu’elle devait procéder à une estimation indépendante de la valeur nette des propriétés de la demanderesse.

 

[79]           Le dossier ne justifie pas davantage la réparation sollicitée par la demanderesse quant aux privilèges basés sur la cotisation de 2008. Il montre que tous ces privilèges ont été dûment enregistrés en vertu de jugements légalement obtenus à l’égard des dettes en souffrance. Même si je devais souscrire aux arguments de la demanderesse selon lesquels l’ARC a commis une erreur en obtenant un jugement sur la foi de la cotisation de 2008 et en l’enregistrant à l’encontre de ses propriétés, celles‑ci auraient tout de même été grevées de privilèges compte tenu des nouvelles cotisations. Dans les circonstances, la demanderesse n’a fait la preuve d’aucun effet concret justifiant un jugement déclaratoire sur cette question.

 

[80]           Compte tenu des conclusions qui précèdent, il n’est pas nécessaire d’examiner les deux autres questions énoncées plus haut au paragraphe 6.

 

CONCLUSION

[81]           Pour les motifs susmentionnés, les demandes de contrôle judiciaire réunies en vertu de l’ordonnance du protonotaire Lafrenière datée du 20 décembre 2010 seront rejetées avec dépens.


 

JUGEMENT

 

LA COUR STATUE que les demandes de contrôle judiciaire réunies en vertu de l’ordonnance du protonotaire Lafrenière datée du 20 décembre 2010 sont rejetées avec dépens.

 

 

 

« Edmond P. Blanchard »

Juge

 

 

 

 

Traduction certifiée conforme

Sandra de Azevedo, LL.B.

 


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

DOSSIER :                                                    T‑1360‑10

 

INTITULÉ :                                                  DANADA ENTERPRISES LTD. c.
LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                          Vancouver (Colombie‑Britannique)

 

DATE DE L’AUDIENCE :                         Le 14 février 2012

 

MOTIFS DU JUGEMENT :                       LE JUGE BLANCHARD

 

DATE DES MOTIFS :                                 Le 12 avril 2012

 

 

 

COMPARUTIONS :

 

Gavin Laird

Melanie A. Magnusson

 

POUR LA DEMANDERESSE

 

Neva Beckie

Dave Everett

Melissa Nicolls

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Lard & Company

Avocats

Vancouver (Colombie‑Britannique)

 

POUR LA DEMANDERESSE

 

Myles J. Kirvan

Sous‑procureur général du Canada

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

 Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.