Décisions de la Cour fédérale

Informations sur la décision

Contenu de la décision

Date : 20120411


Dossier : IMM-5949-11

Référence : 2012 CF 412

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 11 avril 2012

En présence de monsieur le juge Near

 

 

ENTRE :

 

CID ONASIS CALDERON GARCIA

JUAN JAVIER CALDERON MOLINA

 

 

 

demandeurs

 

et

 

 

 

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L’IMMIGRATION

 

 

 

défendeur

 

 

 

 

 

           MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

[1]               Les demandeurs sollicitent le contrôle judiciaire d’une décision de la Section de la protection des réfugiés de la Commission de l'immigration et du statut de réfugié (la Commission), datée du 15 juillet 2011. La Commission a jugé que les demandeurs n’étaient pas des réfugiés au sens de la Convention ni des personnes à protéger, aux termes des articles 96 et 97 de la Loi sur l'immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27.

 

[2]               Pour les motifs exposés ci-après, la demande est rejetée.

 

I.          Les faits

 

[3]               Cid Onasis Calderon Garcia et son père, Juan Javier Calderon Molina, (ci-après les demandeurs) sont Mexicains. Ils ont présenté des demandes d’asile au Canada en affirmant être menacés par des membres d’un groupe criminel organisé appelé Los Zetas. Le père a fait état de vols qualifiés, de faits d’extorsion et d’agressions physiques sur le lieu de son entreprise tandis que le fils a évoqué deux cas de vol qualifié et d’agression ayant conduit à des blessures qui avaient nécessités des soins médicaux. Les demandeurs soutenaient également que la police n’avait pas donné suite à leurs plaintes.

 

II.         La décision faisant l’objet du présent contrôle

 

[4]               La Commission s’est d’abord expliquée sur sa décision d’aller de l’avant alors même que les demandeurs n’avaient pas d’avocat pour les représenter à l’audience. Les demandeurs avaient été informés que l’audience aurait lieu impérativement à la date prévue. Malgré l’opposition du père, la Commission a estimé devoir aller de l’avant puisqu’il « n’a[vait] pas fait d’efforts concertés pour trouver un représentant » par un simple appel téléphonique.

 

[5]               S’exprimant sur la période de dix-neuf mois qui s’était écoulée avant le dépôt d’une demande d'asile au Canada, la Commission a estimé que ce retard affaiblissait la crédibilité des demandeurs, qui disaient être exposés à des sévices ou à une menace à leurs vies s’ils étaient renvoyés au Mexique. Le retard, selon la Commission, portait un coup fatal aux deux demandes d’asile.

 

[6]               La Commission a également mis en doute la crédibilité des demandeurs parce qu’ils n’avaient pas produit de documents corroborants se rapportant explicitement à l’entreprise du père ni de document émanant de la police mexicaine. La Commission a souligné que, sur ces aspects, le témoignage était vague et évasif. En outre, les raisons données par les demandeurs pour expliquer la perte de leurs documents mexicains n’ont pas été jugées crédibles.

 

[7]               Au paragraphe 25, la Commission s’exprimait ainsi :

Pour tous ces motifs, le tribunal ne peut pas accorder le bénéfice du doute au demandeur d’asile principal en ce qui concerne la crédibilité de son exposé circonstancié parce qu’il n’a pas prouvé qu’il a fait de véritables efforts pour fournir une preuve quelconque de l’existence de son entreprise de fabrication de portes et de matériel pour placards à Mexico ni des supposés vols qualifiés et tentatives d’extorsion faites par le groupe Los Zetas, soit des éléments centraux de sa demande.

 

[8]               À titre de victimes d’actes criminels, les demandeurs ne justifiaient pas d’un lien avec un motif prévu par la Convention. Pareillement, la Commission a conclu que, selon la prépondérance des probabilités, le risque que couraient les demandeurs était un risque auquel est exposé l’ensemble de la population au Mexique.

 

III.       Les questions en litige

 

[9]               La présente demande soulève les points suivants :

 

a)         La Commission a-t-elle commis une erreur en faisant une mauvaise interprétation de la preuve relative aux identités des demandeurs?

 

b)         La Commission a-t-elle commis une erreur en tirant une conclusion défavorable sur le plan de la crédibilité?

 

IV.       La norme de contrôle

 

[10]           Les questions de fait et de crédibilité sont contrôlées selon la norme de la décision raisonnable (Aguirre c.Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2008 CF 571, [2008] ACF n° 732, aux paragraphes 13 et 14; Canada (ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration) c Khosa, 2009 CSC 12, [2009] 1 RCS 339, aux paragraphes 45 et 46).

 

[11]           Dans l’application de cette norme, la Cour doit s’attacher « à la justification de la décision, à la transparence et à l’intelligibilité du processus décisionnel, ainsi qu’à l’appartenance de la décision aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit » (arrêt Dunsmuir c. Nouveau-Brunswick, 2008 CSC 9, [2009] 1 R.C.S. 190, au paragraphe 47).

 

V.        Analyse

 

A.        Erreur sur les identités des demandeurs

 

[12]           Les demandeurs s’élèvent contre l’erreur contenue dans le premier paragraphe de la décision de la Commission, où Cid Onasis Calderon Garcia est désigné comme le « demandeur d’asile principal » et Juan Javier Calderon Molina comme son fils. En réalité, c’est l’inverse qui est vrai, Juan Javier Calderon Molina étant le père de Cid Onasis Calderon Garcia. Selon les demandeurs, cette conclusion de fait erronée entache l’ensemble de la décision. Ils font valoir que la confusion de la Commission à propos de leurs identités signifie nécessairement que leurs demandes d'asile n’ont pas été bien évaluées.

 

[13]           Le défendeur soutient que l’inversion des noms des demandeurs était une erreur typographique qui se limitait au premier paragraphe de la décision. Cette erreur n’a eu aucune incidence sur l’analyse ou sur la conclusion de la Commission. Il n’y a pas eu confusion sur le fond des demandes d’asile ni sur les aspects se rapportant à la crédibilité des demandeurs. Par ailleurs, nombre des conclusions s’appliquent simultanément aux deux demandeurs. Il n’y a pas eu véritablement de méprise à propos de la preuve.

 

[14]           Après examen de la décision, je dois me ranger à l’avis du défendeur. Bien que regrettable, l’erreur n’a pas influé sur l’évaluation globale des demandes d’asile par la Commission. Le père, demandeur d’asile principal, est toujours désigné comme le propriétaire d’une entreprise en proie aux menaces du gang Los Zetas. L’exposé circonstancié de son fils parle d’une agression et d’un vol qualifié ayant entraîné des blessures qui ont nécessité des soins médicaux. Sur ce point, il n’y avait pas confusion entre les deux récits. L’erreur est sans conséquence pour les conclusions globales tirées par la Commission à propos des deux demandeurs.

 

[15]           Pour conclure de la sorte, je me fonde sur le raisonnement figurant au paragraphe 7 de la décision Huseynova c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2011 CF 408, [2011] ACF n° 527, un raisonnement mis en relief par les conclusions du défendeur. Le juge Michael Phelan était troublé par une erreur portant sur le nom du pays et sur l’organisation à laquelle appartenait la demanderesse, mais il a estimé qu’elle « n’était pas fatale pour ce qui est de la raisonnabilité de la décision », vu que la Commission avait compris de quelle nationalité était la demanderesse et qu’elle avait évalué son cas d’une manière qui en tenait compte. Il s’agissait d’une erreur sans conséquence.

 

[16]           En l’espèce, la confusion qui apparaît au premier paragraphe de la décision de la Commission à propos des noms des demandeurs ne suffit pas elle non plus à rendre déraisonnable la décision de la Commission.

 

B.         Conclusions sur la crédibilité

 

[17]           S’agissant de la manière selon laquelle la Commission a évalué la crédibilité des demandeurs, je ne vois aucune erreur pouvant justifier l’intervention de la Cour.

 

[18]           Les demandeurs affirment que la Commission a commis une erreur en rejetant leurs demandes d'asile du seul fait qu’ils avaient tardé à les présenter et qu’ils n’avaient pas produit les documents à l’appui. Cependant, cette opinion n’est pas étayée par la décision de la Commission ni par la jurisprudence pertinente.

 

[19]           Le fait de tarder à présenter une demande d’asile « n’est pas un facteur déterminant en soi », mais c’est « un élément pertinent dont le tribunal peut tenir compte pour apprécier les dires ainsi que les faits et gestes d’un revendicateur » (Huerta c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration) (1993), 157 NR 225, [1993] ACF n° 271 (CA)). Il est raisonnable de penser que les demandeurs présenteraient une demande d'asile à la première occasion possible (voir la décision Jeune c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2009 CF 835, [2009] ACF n° 965, au paragraphe 15).

 

[20]           La jurisprudence récente donne aussi à penser que, bien que la lenteur à déposer une demande d'asile ne soit pas déterminante, elle « peut, dans les cas appropriés, constituer un motif suffisant de rejet de la demande » (Duarte c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2003 CF 988, [2003] ACF n° 1259, au paragraphe 14). Sans une explication satisfaisante du demandeur pour justifier sa lenteur à agir, la demande d’asile « peut être déclarée irrecevable, même si les allégations de son auteur sont jugées par ailleurs crédibles » (Velez c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2010 CF 923, [2011] ACF n° 1138, au paragraphe 28).

 

[21]           La Commission a donné à entendre que le retard de dix-neuf mois dans le cas présent rendrait les demandes d’asile irrecevables, mais elle soulevait ensuite plusieurs autres points intéressant la crédibilité des demandeurs, notamment le caractère évasif des témoignages et l’absence de documents corroborants. Il ressort du reste de la décision de la Commission que la lenteur des demandeurs à agir était un facteur important, mais qu’elle n’était certainement pas la seule raison pour laquelle la Commission avait tiré une conclusion défavorable quant à leur crédibilité. La Commission a souligné que c’était « pour tous ces motifs » que ses conclusions touchant les demandeurs étaient justifiées.

 

[22]           En conséquence, le précédent invoqué par les demandeurs, Juan c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2006 CF 809, [2006] ACF n° 1022, au paragraphe 11, n’est guère pertinent. Dans cette affaire-là, la juge Eleanor Dawson avait trouvé une faille dans le raisonnement de la Commission, estimant « que la conclusion que la Commission [avait] tirée au sujet du retard ne saurait à elle seule justifier la confirmation de son rejet de la demande ». Ici en revanche, les doutes de la Commission à propos du récit des demandeurs résultaient de leur lenteur à agir, ce à quoi s’ajoutaient d’autres facteurs pertinents. En outre, la jurisprudence plus récente susmentionnée donne à penser qu’il y a des cas où la lenteur à agir suffira à rendre la demande d'asile irrecevable.

 

[23]           Vu les doutes de la Commission sur la crédibilité des demandeurs, il était raisonnable également pour la Commission de les inviter à lui présenter des preuves documentaires corroborantes. C’était l’un de plusieurs facteurs ayant influé sur l’évaluation de leurs demandes d’asile. Comme le souligne le défendeur, les facteurs touchant la crédibilité des demandeurs étaient les suivants : leur lenteur à présenter leurs demandes d'asile, leur peu d’empressement à obtenir les documents nécessaires, enfin leurs réponses évasives à des questions qui les concernaient.

 

[24]           Les demandeurs sont donc malvenus à invoquer la décision Ahortor c Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration) (1993), 65 FTR 137, [1993] ACF n° 705, au paragraphe 45, et la décision Zheng c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2007 CF 974, [2007] ACF n° 1267, au paragraphe 9. Ces précédents donnent à penser que, en l’absence d’une preuve contradictoire, la Commission ne peut exiger d’un demandeur d’asile qu’il produise des preuves corroborantes et qu’elle ne peut conclure à l’absence de crédibilité du demandeur d’asile du seul fait qu’il ne produit pas les preuves en question.

 

[25]           Cependant, comme je l’expliquais plus haut, ce n’est pas ce qu’a fait la Commission lorsqu’elle a examiné les demandes d'asile dont il s’agit ici. La crédibilité des demandeurs était déjà un facteur laissant à désirer compte tenu de leur lenteur à agir et du caractère évasif de leurs réponses aux questions. Le défendeur a raison d’appeler l’attention de la Cour sur la décision JJW c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2009 CF 793, [2009] ACF 915, aux paragraphes 24 à 26, qui portait sur la lenteur de la demanderesse à agir. On peut lire dans ce précédent que « ses explications, considérées dans le contexte de l’ensemble de sa preuve non corroborée, justifiaient le rejet de sa demande par la Commission ».

 

[26]           Après lecture de la décision de la Commission dans son ensemble, on peut affirmer que les conclusions défavorables qu’elle tire sur la crédibilité des demandeurs, eu égard aux déficiences relevées par elle, s’inscrivaient tout à fait dans l’éventail des issues possibles acceptables.

 

VI.       Conclusion

 

[27]           Puisque l’erreur sur les identités des demandeurs n’était pas déterminante pour l’évaluation de leurs demandes d'asile, et puisque les conclusions de la Commission touchant leur crédibilité étaient raisonnables, la demande de contrôle judiciaire est rejetée.


JUGEMENT

 

LA COUR ORDONNE : la demande de contrôle judiciaire est rejetée.

 

 

« D. G. Near »

Juge

 

 

 

Traduction certifiée conforme

Claude Leclerc, LL.B.


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

 

DOSSIER :                                        IMM-5949-11

 

 

INTITULÉ :                                       CID ONASIS CALDERON GARCIA ET AUTRES c. MCI

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                 TORONTO

 

 

DATE DE L’AUDIENCE :               LE 7 MARS 2012

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT

ET JUGEMENT :                              LE JUGE NEAR

 

 

DATE DES MOTIFS

ET DU JUGEMENT :                       LE 11 AVRIL 2012

 

 

COMPARUTIONS:

 

Dov Maierovitz

 

POUR LES DEMANDEURS

Brad Bechard

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER:

 

Gertler, Etienne s.c.p.

Toronto (Ontario)

 

POUR LES DEMANDEURS

Myles J. Kirvan

Sous-procureur général Canada

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

 Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.