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Date : 20120321

Dossier : IMM‑5444‑11

Référence : 2012 CF 340

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Montréal (Québec), le 21 mars 2012

En présence de madame la juge Tremblay‑Lamer

 

 

ENTRE :

 

MOMIN WALIULLAH

 

 

 

demandeur

 

et

 

 

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L’IMMIGRATION

 

 

 

défendeur

 

 

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

[1]               Il s’agit d’une demande de contrôle judiciaire présentée conformément au paragraphe 72(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27 (la Loi) à l’égard de la décision par laquelle la Commission de l’immigration et de la protection des réfugiés (la Commission) a rejeté la demande d’asile du demandeur en vertu des articles 96 et 97.

 

LES FAITS

[2]               Le demandeur est un citoyen de l’Afghanistan. Il prétend craindre avec raison d’être persécuté, au sens de l’article 96 de la Loi, à cause de sa religion et de son appartenance à un groupe social et politique en particulier et être également une personne à protéger, au sens du paragraphe 97(1) de la Loi, parce qu’il est exposé au risque d’être soumis à la torture, à une menace à sa vie et au risque de traitements ou peines cruels et inusités. Plus particulièrement, le demandeur craint les trois demi‑frères de son père, à cause d’une dispute ayant trait à une propriété, ainsi que les talibans, en raison de son travail antérieur pour une organisation non gouvernementale américaine (ONG), l’Association afghane pour le développement (AAD), organisation ciblée par les talibans.

 

[3]               Le demandeur déclare que ses problèmes ont commencé en octobre 2008, lorsque son père a dit à ses demi‑frères qu’ils devaient séparer un lot de terre dont ils étaient copropriétaires. Cependant, les demi‑frères ont refusé de le faire et ont agressé le père du demandeur, qui a dû être hospitalisé. Par conséquent, la famille du demandeur a quitté sa maison.

 

[4]               Le demandeur prétend que les demi‑frères de son père le pourchassent, qu’ils ont distribué la photographie du demandeur et qu’ils l’ont pris pour cible en raison de son association avec l’AAD. Le 1er décembre 2008, un étranger aurait abordé son père et lui aurait dit que son fils serait tué à cause de cette association avec l’AAD. Le demandeur a pour cette raison été forcé de se cacher et de vivre chez un ami de son père.

 

[5]               Le 21 janvier 2009, avec l’aide d’un agent, le demandeur a trouvé le moyen de quitter l’Afghanistan et, finalement, d’arriver au Canada le 10 février 2009, où il a revendiqué le statut de réfugié. Le demandeur a par la suite modifié son formulaire de renseignements personnels (FRP) de manière à y inclure l’agression de son frère (quelqu’un a tiré sur lui) perpétrée le 14 novembre 2010 par les talibans. La Commission a rendu une décision défavorable le 19 juillet 2011, concluant que le demandeur n’était ni un réfugié au sens de la Convention, ni une personne à protéger en vertu de la Loi.

 

LA DÉCISION CONTRÔLÉE

[6]               La Commission n’a pas cru l’histoire du demandeur et a conclu qu’il n’était pas crédible en raison de contradictions et omissions importantes. Premièrement, la Commission a estimé que la crainte du demandeur envers les talibans n’était pas vraisemblable, cette crainte reposant sur les liens des demi‑frères de son père (les oncles) avec le groupe.

 

[7]               Le demandeur n’a pas donné de réponses cohérentes aux questions sur les liens de ses oncles avec les talibans. Dans ses FRP révisés du 6 mars 2009 et du 22 février 2011, le demandeur a déclaré que ses oncles étaient des membres des talibans. Cependant, dans ses FRP et témoignage initiaux, le demandeur avait déclaré qu’ils étaient seulement liés aux talibans, ne sachant pas avec certitude s’ils étaient réellement des membres. Par conséquent, la Commission a tiré une inférence défavorable de cette incohérence, rejetant l’explication du demandeur selon laquelle le fait d’appartenir et celui d’avoir des liens étaient des synonymes pour lui. De l’avis de la Commission, le demandeur ne peut pas maintenant prétendre que les termes sont synonymes, puisqu’il leur a donné antérieurement des sens distincts dans son témoignage. Par conséquent, le demandeur n’a pas expliqué de manière satisfaisante pourquoi il s’était contredit quant aux liens de ses oncles avec les talibans, ce qui diminue la vraisemblance de ses prétentions concernant sa crainte d’être persécuté et la prétendue association de sa famille avec les talibans.

 

[8]               De plus, la Commission a également conclu que le demandeur s’était contredit dans ses réponses à la question de savoir comment il savait que ses oncles étaient liés aux talibans. Initialement, le demandeur avait déclaré qu’il savait que ses oncles appartenaient aux talibans à cause de la façon dont ils étaient habillés lorsqu’ils visitaient son père. Par la suite, dans un témoignage distinct, il a déclaré qu’il le savait à cause du fait qu’ils étaient armés. À la question de savoir pourquoi il n’avait pas d’abord déclaré qu’ils étaient armés, il a répondu qu’ils n’étaient armés qu’occasionnellement. La Commission a rejeté cette explication, concluant qu’une caractéristique distinctive comme une arme aurait été mentionnée dès le début.

 

[9]               De même, lorsqu’on lui a demandé comment il savait que l’individu ayant menacé son père était un taliban, le demandeur a répondu que l’individu s’était identifié comme tel. Cependant, par la suite, le demandeur a déclaré que son père supposait que l’homme qui l’avait menacé était un membre des talibans. De plus, le demandeur n’avait pas mentionné dans son FRP que l’homme qui avait proféré la menace était un membre des talibans. Étant donné cette omission, ces déclarations contradictoires et l’absence d’une explication valable, la Commission a conclu que la crédibilité du demandeur relativement à sa prétendue crainte était davantage mise à mal. Par conséquent, la Commission n’a pas cru que les oncles du demandeur étaient liés aux talibans ni que le demandeur était pourchassé par les talibans en raison de la dispute susmentionnée liée à une propriété ou de son emploi auprès de l’AAD. La Commission s’est néanmoins penchée sur la question de savoir si le demandeur pouvait être considéré comme une personne à protéger à cause des opinions politiques qui lui seraient imputées en raison de son emploi antérieur auprès de l’AAD.

 

[10]           Renvoyant à une preuve documentaire précise et reconnaissant que les employés des ONG sont ciblés par les talibans en Afghanistan, la Commission a noté que le demandeur ne travaillait plus pour l’AAD et qu’il n’avait pas démontré que, ayant été dans le passé un concierge et un technicien en informatique pour l’ONG, il serait considéré comme lié à l’organisation deux ans et demi plus tard. Par conséquent, la Commission a conclu que le demandeur ne serait plus associé à l’AAD s’il retournait en Afghanistan.

 

[11]           Le demandeur conteste les conclusions de la Commission sur sa crédibilité et sur le risque auquel il est exposé en Afghanistan en raison de son travail antérieur pour une ONG.

 

LA NORME DE CONTRÔLE

[12]           Les conclusions de la Commission sur la crédibilité et sur l’insuffisance de la preuve ayant trait au risque de persécution sont susceptibles de révision selon la norme de conclusion raisonnable (Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigrationc Khosa, 2009 CSC 12, [2009] 1 RCS 339, au paragraphe 46 [Khosa]; Dong c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2010 CF 55, [2010] ACF no 54, au paragraphe 17 [Dong]; Pinon c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’ Immigration), 2010 CF 413, [2010] ACF no 500, au paragraphe 10; Aguebor c Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration) (1993), 160 NR 315, [1993] ACF no 732, au paragraphe 4). Par conséquent, il convient de faire preuve de retenue (arrêt Khosa, précité, au paragraphe 59, décision Dong, précitée, au paragraphe 17, Solis c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1999] ACF no 372, 87 ACWS (3d) 532). La Cour ne peut donc substituer son avis à celui de la Commission, mais elle doit plutôt déterminer si les conclusions et la décision de la Commission appartiennent « aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit » (Dunsmuir c Nouveau‑Brunswick, 2008 CSC 9, [2008] ASC no 9, au paragraphe 47 [Dunsmuir]).

 

ANALYSE

[13]           Le demandeur soutient que la Commission a commis une erreur dans son appréciation de sa crédibilité. Premièrement, il était déraisonnable de la part de la Commission de fonder sa décision sur la distinction entre « le fait de faire partie » et « le fait d’avoir des liens », cette distinction reposant simplement sur une question sémantique et sur une analyse microscopique. La preuve démontrait clairement que les notions ayant trait à l’appartenance aux talibans étaient fluides et ambigües. Par conséquent, la Commission n’a une fois de plus pas tenu compte de la preuve dont elle disposait. Elle n’a pas non plus tenu compte des explications du demandeur : la conseil du demandeur avait demandé qu’il modifie son FRP et indique que ses oncles étaient des « membres », sans l’assistance d’un interprète. En fait, les deux FRP ont été remplis sans l’aide d’un traducteur. La conseil du demandeur à l’époque a accepté entièrement le blâme pour l’utilisation incohérente des termes « appartenance » et « liens », déclarant qu’elle avait dit au demandeur d’utiliser le mot « appartenance ». De plus, il était déraisonnable de la part de la Commission de conclure que le fait d’être armé constituait une caractéristique distinctive des talibans. Il était également déraisonnable de sa part de conclure que le témoignage du demandeur était contradictoire quant à l’identification de l’homme qui avait sa photo comme étant un taliban. Il n’y a pas de contradiction : le père du demandeur croyait qu’il était un membre des talibans et il s’est identifié lui‑même comme tel. Au contraire, la Commission n’a tenu aucun compte du contexte social en Afghanistan en ce qui a trait aux talibans et a procédé à une analyse microscopique.

 

[14]           Le défendeur soutient que la Commission a relevé des contradictions dans le témoignage du demandeur en ce qui avait trait à l’appartenance aux talibans et aux liens avec ceux‑ci, qu’elle avait exposé ses préoccupations au demandeur et qu’elle avait expliqué pourquoi elle rejetait l’explication du demandeur quant à ces contradictions. Le lien des oncles du demandeur avec les talibans avait une importance centrale pour démontrer les risques allégués, ce fardeau incombant au demandeur. Or, les réponses du demandeur à des questions fondamentales portant directement sur sa prétendue crainte étaient contradictoires, comme la Commission l’a expliqué dans sa décision : le demandeur s’était contredit quant au lien de sa famille avec les talibans (appartenance/lien) et son FRP ne faisait pas mention du fait que l’homme qui avait montré sa photographie à son père était un membre des talibans. Par conséquent, il était raisonnable de la part de la Commission de s’appuyer sur ces omissions dans le FRP du demandeur pour étayer sa conclusion sur la crédibilité, tous les faits importants ayant été pris en compte pour parvenir à cette conclusion (Basseghi c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1994] ACF no 1867).

 

[15]           Après examen de la transcription de l’audience et des observations des deux parties, je suis d’accord avec le demandeur : la Commission a commis une erreur dans son appréciation de la crédibilité du demandeur.

 

[16]           Au début de la partie de sa décision portant sur la crédibilité, la Commission a déclaré s’appuyer sur « les importantes contradictions et omissions » ayant trait aux liens des oncles du demandeur avec les talibans et a énuméré plusieurs prétendues incohérences et contradictions (voir le paragraphe 10 de la décision de la Commission). Cependant, la lecture de la transcription révèle que la Commission a fondé sa conclusion sur des incohérences ou des détails sans importance, en insistant beaucoup sur les notions d’appartenance et de liens (décision Dong, précitée, aux paragraphes 27 et 28; Attakora c Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1989] ACF no 444, 99 NR 168). Quoique le demandeur ait utilisé les termes de manière incohérente, les notions elles‑mêmes sont ambigües, comme il ressort de la preuve documentaire. On ne parle pas de partis politiques élus avec des cartes de membres, mais plutôt d’une structure organisationnelle sans grande cohésion responsable d’assassinats de civils. Par conséquent, rien ne permet de déterminer clairement ou de savoir si un individu est un membre des talibans ou simplement lié à l’organisation. Les notions sont fluides.

 

[17]           Le demandeur a expliqué pourquoi il avait, à certains moments, déclaré que ses oncles étaient liés aux talibans, plutôt que des membres des talibans. Au commencement de l’audience, le demandeur a affirmé que son FRP et les modifications qu’il y avait apportées par la suite ne lui avaient jamais été traduits et il a répété qu’un traducteur/interprète compétent n’était pas présent lorsque la Commission lui a posé explicitement la question. La conseil du demandeur a ensuite demandé à la Commission d’expliquer la différence entre appartenance et lien afin que le demandeur comprenne les questions de la Commission. Cependant, la Commission n’a pas expliqué la distinction, mais plutôt n’a pas arrêté de demander au demandeur d’expliquer pourquoi à un certain moment il avait déclaré que ses oncles étaient membres des talibans et non simplement liés à ceux‑ci, même si le demandeur avait déjà déclaré que c’était en raison d’une question de traduction (voir la transcription de l’audience à la page 449 du dossier du tribunal). Le demandeur a même déclaré qu’il ne comprenait pas la différence entre appartenance et lien.

 

[18]           La Commission a également estimé que le témoignage du demandeur était incohérent quant à ce qui lui avait permis de déterminer que ses oncles étaient des membres des talibans, le demandeur ayant déclaré à un certain moment que c’était la façon dont ils étaient habillés, puis que c’était parce qu’ils étaient armés. Cependant, la lecture de la transcription révèle que les réponses du demandeur n’étaient pas contradictoires. Le demandeur a déclaré que c’était par la façon dont ils s’habillaient et agissaient qu’il savait que ses oncles étaient des talibans. Lorsque la Commission lui a demandé d’expliquer cela plus clairement, il a ajouté que :

[traduction]

[l]a façon dont les talibans se comportent et dont ils (inaudible) et demandent à plusieurs personnes précises, et alors les talibans demandent aux gens de faire – demandent à nos oncles de donner de l’argent comme soutien. Mes oncles soutenaient (inaudible) et les gens qui venaient étaient lourdement armés, restaient dans la maison (inaudible). (Voir la transcription de l’audience à la page 451 du dossier du tribunal).

 

 

[19]           Comme le montre le passage cité ci‑dessus, le demandeur ne s’est jamais contredit et il n’a pas dit non plus que le fait d’être armé était un signe distinctif des talibans, contrairement aux conclusions de la Commission.

 

[20]           La décision de la Commission ne prend pas correctement en compte les explications du demandeur, ce qui justifie l’intervention de la Cour. Quoiqu’il convienne de faire preuve d’une grande retenue, la conclusion de la Commission quant à la crédibilité du demandeur est déraisonnable, étant donné qu’elle repose sur des détails insignifiants et que la Commission n’a pas apprécié de manière appropriée les explications du demandeur. Ces erreurs suffisent pour que j’accueille la présente demande de contrôle judiciaire et il n’est pas nécessaire que je décide si la Commission a commis une erreur dans son appréciation du risque de persécution auquel était exposé le demandeur en raison de son association antérieure avec l’AAD : la décision de la Commission est déraisonnable.

 

[21]           Pour les motifs exposés ci‑dessus, la présente demande de contrôle judiciaire est accueillie.

 


JUGEMENT

 

LA COUR STATUE :

 

1.                  La demande de contrôle judiciaire est accueillie.

2.                  L’affaire est renvoyée à un tribunal constitué différemment de la Commission pour qu’il rende une nouvelle décision conformément aux motifs exposés dans le présent jugement.

3.                  Aucune question de portée générale n’est certifiée.

 

 

 

 

« Danièle Tremblay‑Lamer »

Juge

 

 

 

 

Traduction certifiée conforme

Sandra de Azevedo, LL.B.

 

 


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

DOSSIER :                                                    IMM‑5444‑11

 

 

INTITULÉ :                                                   MOMIN WALIULLAH et MCI

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                             Montréal (Québec)

 

DATE DE L’AUDIENCE :                           Le 19 mars 2012

 

MOTIFS DU JUGEMENT

ET JUGEMENT :                                          LE JUGE TREMBLAY‑LAMER

 

DATE DES MOTIFS :                                  Le 21 mars 2012

 

 

COMPARUTIONS :

 

Peter Shams

 

POUR LE DEMANDEUR

 

Daniel Baum

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Peter Shams

Montréal (Québec)

 

POUR LE DEMANDEUR

Myles J. Kirvan

Sous‑procureur général du Canada

Montréal (Québec)

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

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