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 Date: 20120322


Dossier : IMM-3178-11

Référence : 2012 CF 341

Montréal (Québec), le 22 mars 2012

En présence de monsieur le juge Simon Noël

 

ENTRE :

 

EMMANUEL DUROSEAU

 

 

 

demandeur

 

et

 

 

MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L'IMMIGRATION

 

 

 

défendeur

 

 

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

[1]               Il s’agit d’une demande de contrôle judiciaire déposée en vertu du paragraphe 72(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, ch 27 [LIPR] à l’encontre d’une décision de la Section de la protection des réfugiés [SPR] concernant l’inclusion rendue le 21 avril 2011, jugeant que le demandeur n’est ni un réfugié au sens de l’article 96 de la LIPR, ni une personne à protéger au sens de l’article 97 de la LIPR.

 

I.          Faits

[2]               Le demandeur, M. Emmanuel Duroseau, est un citoyen haïtien âgé de 80 ans. Il est arrivé au Canada des États-Unis le 28 mars 2009 et a déposé une demande d’asile ce même jour.

 

[3]               Selon son Formulaire de renseignements personnels [FRP], M. Duroseau aurait fait partie des Volontaires de la sécurité nationale [VSN] (aussi connu sous le nom de Tontons Macoutes) de 1968 jusqu’à 1985. Il aurait alors quitté ce groupe parce qu’il n’aimait pas comment ses membres se comportaient, c’est-à-dire comment ils arrêtaient, battaient et envoyaient en prison ceux qui s’opposaient au régime Duvalier. M. Duroseau aurait alors été arrêté et détenu pendant un jour pour ne pas s’être présenté au service. Il aurait alors quitté Haïti par bateau en 1987 et fait une demande d’asile aux États-Unis. Toutefois, à cause d’une erreur, sa demande n’aurait jamais été complétée et il était à risque de se faire déporter en Haïti. C’est alors qu’il est venu au Canada demander asile.

 

[4]               Dans son FRP, M. Duroseau dit craindre que s’il doit retourner en Haïti, les membres des VSN le pourchasseraient pour les avoir trahis ou bien ceux qui s’opposaient aux VSN le poursuivraient pour avoir fait partie du groupe.

 

[5]               Dans un Avis d’intervention, le ministre de la Sécurité publique et de la Protection civile a signalé que si M. Duroseau a été membre des VSN, un groupe dont les violations des droits humains sont bien documentées, il y aurait des raisons sérieuses de croire qu’il avait participé ou s’était rendu complice de crimes contre l’humanité ou d’agissements contraires aux buts et principes des Nations unies au sens de la Convention des Nations Unies relative au statut des réfugiés. Dans un tel cas, en vertu de l’article 98 de la LIPR, il ne pourrait avoir la qualité de réfugié ni de personne à protéger.

 

[6]               M. Duroseau a alors envoyé une réponse à la Commission de l’immigration et du statut de réfugié dans laquelle il explique que c’est sa belle-fille qui a écrit son récit initial et qu’il se rendait compte maintenant qu’elle avait mal traduit ses pensées. Il affirme qu’il n’était pas membre des VSN, mais simplement un tailleur. Le chef local des VSN était un de ses clients et il lui aurait offert une carte des VSN pour qu’il puisse se protéger et protéger sa famille. Toutefois, lorsque ce chef est décédé, son remplaçant insistait que tous ceux qui possédaient une carte des VSN devaient fournir quelques heures de service au bureau. M. Duroseau s’y opposa et c’est alors qu’il fut battu et incarcéré pendant un jour. Par peur de persécution, il quitta le pays par bateau vers les Bahamas en 1985 et arriva finalement aux États-Unis en 1987.

 

II.        Décision contestée

 

[7]               L’audience pour examiner la demande d’asile de M. Duroseau a été tenue le 30 mars 2011. Dans ses motifs, la SPR explique qu’elle a invité M. Duroseau à préciser ce qu’il craignait s’il devait retourner en Haïti. Il a d’abord dit craindre Duvalier, les Tontons Macoutes et leurs partisans. Il a ensuite précisé qu’il ne craignait pas tous les Tontons Macoutes, mais plutôt M. Fritz Philippe, celui qui avait remplacé l’ancien chef des VSN et avec qui il avait eu des problèmes à l’époque. Questionné si M. Fritz Philippe était toujours au pouvoir, le demandeur a dit que non, mais qu’il était toujours en Haïti.

 

[8]               La SPR note que le demandeur n’a présenté aucun témoignage ou preuve documentaire pouvant établir qu’il était toujours recherché par M. Fritz Philippe ou par d’autres anciens membres des VSN. Elle note également que la preuve documentaire relative aux conditions régnant dans un pays n’établit pas à elle seule l’existence d’une crainte bien fondée de persécution ou d’un risque personnalisé et que le demandeur d’asile se doit de démontrer un lien entre cette preuve et sa situation personnelle. En l’espèce, la SPR a conclu que M. Duroseau n’a pas établi ce lien, n’a pas établi l’existence d’une possibilité sérieuse ou raisonnable qu’il soit persécuté du fait de ses opinions politiques, ni qu’il soit plus probable que sa vie soit menacée ou qu’il soit exposé à la torture s’il devait retourner vivre en Haïti. M. Duroseau n’aurait donc pas la qualité de réfugié ou de personne à protéger en vertu de l’article 97 de la LIPR.

 

III.       Question en litige

a.       Est-ce que la SPR a erré en concluant que le demandeur n’était pas un réfugié ni une personne à protéger en vertu de l’article 97 de la LIPR?

 

IV.       Norme de contrôle applicable

[9]               Puisque les conclusions de la SPR quant à la demande d’asile de M. Duroseau soulèvent des questions mixtes de fait et de droit, la Cour se doit d’appliquer la norme de la décision raisonnable (Soimin c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2009 CF 218, [2009] ACF n246). Conséquemment, la Cour n’interviendra que si la décision n’appartient aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit (Dunsmuir c Nouveau-Brunswick, 2008 CSC 9 au para 47, [2008] 1 RCS 190).

 

V.        Analyse

[10]           Le demandeur note que la SPR a remarqué qu’il n’avait pas soumis de preuve documentaire établissant qu’il serait persécuté. Le demandeur est d’avis qu’il serait très difficile d’obtenir des documents pour soutenir son histoire et ne sait d’ailleurs même pas quelle sorte de document il pourrait bien soumettre. Toutefois, la SPR a également noté que M. Duroseau n’a présenté aucun témoignage pour démontrer qu’il était toujours recherché aujourd’hui, plus d’un quart de siècle depuis les événements qu’il allègue, ni par M. Fritz Philippe ou par d’autres anciens membres des VSN. Sans cette preuve, il était raisonnable pour la SPR de conclure qu’il ne s’est pas acquitté de son fardeau d’établir que sa demande satisfait aux critères (Kante c Canada (Ministre de l'Emploi et de l’Immigration) (1994) 47 ACWS (3d) 798 au para 8, [1994] ACF no 525 [Kante]).

 

[11]           Le demandeur souligne que la SPR a jugé son témoignage comme étant crédible, mais qu’elle n’a pas cru qu’il risquait la persécution. Le demandeur est d’avis que si la SPR l’a jugé crédible, elle aurait dû accepter le fait qu’il serait persécuté advenant son retour en Haïti et qu’il n’y avait aucune raison de douter de cette partie de son témoignage. Cette affirmation est tout à fait inadéquate pour satisfaire aux critères. Le simple fait que le demandeur allègue qu’il ne veut pas retourner en Haïti en raison d’événements qui y auraient eu lieu il y a plus d’un quart de siècle est insuffisant en soi. Le demandeur se doit de justifier objectivement cette crainte (Kante, précité, et Canada (Procureur général) c Ward, [1993] 2 RCS 689, [1993] ACS 74). Si le risque personnalisé n’est pas démontré par le demandeur, il ne s’est pas acquitté de son fardeau de la preuve. Donc, la décision de la SPR jugeant que M. Duroseau n’est ni un réfugié au sens de l’article 96 de la LIPR ni une personne à protéger au sens de l’article 97 de la LIPR n’est pas déraisonnable et la Cour n’a pas à intervenir.

 

[12]           Les parties furent invitées à soumettre une question aux fins de certification, mais aucune ne fut soumise.

 

 


 

JUGEMENT

 

LA COUR STATUE que la demande de contrôle judiciaire concernant l’inclusion est rejetée. Aucune question ne sera certifiée.

 

 

 

 

« Simon Noël »

Juge

 


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

DOSSIER :                                        IMM-3178-11

 

INTITULÉ :                                       EMMANUEL DUROSEAU  et  MCI

 

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                 Montréal (Québec)

 

DATE DE L’AUDIENCE :               le 20 mars 2012

 

MOTIFS DU JUGEMENT

ET JUGEMENT :                              LE JUGE SIMON NOËL

 

DATE DES MOTIFS :                      le 22 mars 2012

 

 

 

COMPARUTIONS :

 

Stéphanie Valois

 

POUR LE DEMANDEUR

 

Normand Lemyre

POUR LE DÉFENDEUR

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Stéphanie Valois

Montréal (Québec)

POUR LE DEMANDEUR

 

 

Myles J. Kirvan

Sous-procureur général du Canada

Montréal (Québec)

POUR LE DÉFENDEUR

 

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