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Cour fédérale

 

Federal Court

 

 

 

Date : 20120321


Dossier : IMM-2086-11

Référence : 2012 CF 335

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 21 mars 2012

En présence de monsieur le juge Zinn

 

ENTRE :

 

ALMASOOD QURESHI
SAUDA LIYA

 

demandeurs

 

et

 

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ
ET DE L’IMMIGRATION

 

défendeur

 

 

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

[1]               Les demandeurs souhaitent faire infirmer une décision par laquelle un agent d’immigration a rejeté la demande d’Almasood Qureshi en vue d’obtenir le statut de résident permanent dans la catégorie du regroupement familial parce qu’il y avait des motifs raisonnables de croire qu’il était interdit de territoire au sens de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27.

 

Le contexte

[2]               Monsieur Qureshi est citoyen de l’Inde. Il a présenté une demande d’asile en mars 1994, invoquant son appartenance à l’organisation Hizbul Moudjahideen. À l’audition de sa demande, il a déclaré qu’il soutenait ce groupe en assistant à des rassemblements et à des réunions, ainsi qu’en contribuant de l’argent et en offrant un endroit où des membres pouvaient se cacher. Sa demande d’asile a été rejetée en février 1996 par un tribunal, formé de deux commissaires, de la Section du statut de réfugié (SSR) de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié. L’un de ces commissaires a conclu que la prétention de M. Qureshi, à savoir son appartenance au Hizbul Moudjahideen, n’était pas crédible; n’étant pas membre de cette organisation, il ne courait pas de risques en Inde. Le second commissaire a conclu que M. Qureshi et sa prétention d’appartenance au Hizbul Moudjahideen étaient crédibles; étant membre de cette organisation, il était exclu de la Convention aux termes de l’alinéa 1Fa) de cette dernière, pour complicité à l’égard de crimes commis contre l’humanité. Les deux commissaires ont donc conclu que M. Qureshi n’avait pas le statut de réfugié au sens de la Convention; cependant, ils l’ont fait pour des raisons fort différentes.

 

[3]               Le 13 mai 1996, M. Qureshi a épousé Patricia Mathew Lewis et a demandé le statut de résident permanent dans la catégorie du regroupement familial. Cette demande a été rejetée le 20 janvier 2003, parce qu’il a été conclu que le mariage n’était pas authentique. M. Qureshi reconnaît maintenant que cela était exact; il avait tenté de frauder le système d’immigration canadien.

 

[4]               Le 21 juillet 2002, M. Qureshi s’est fiancé à Sauda Liya dans le cadre d’une cérémonie officielle. Il a divorcé d’avec Mme Lewis en janvier 2003 et, quelques jours plus tard, a épousé Mme Liya, sa répondante.

 

[5]               Le 10 mars 2003, M. Qureshi a été renvoyé du Canada. Le 29 mars suivant, sa répondante et lui ont alors présenté une demande dans la catégorie du regroupement familial, combinée à des motifs d’ordre humanitaire. Cette demande a été rejetée; cependant, après le dépôt d’une demande de contrôle judiciaire, le ministre a consenti à ce que l’on rende une ordonnance renvoyant l’affaire en vue d’un nouvel examen.

 

[6]               Après le renvoi de la demande, la répondante l’a retirée. M. Qureshi dit que sa première demande de parrainage a été retirée parce qu’elle tombait sous le coup de l’article 40 de la Loi, qui impose une interdiction de deux ans à l’égard du dépôt d’une demande suite à la découverte d’une fausse déclaration. La première demande a été retirée afin de pouvoir en déposer une seconde qui, compte tenu du temps écoulé, échappait à l’article 40 de la Loi.

 

[7]               L’agent chargé de la demande a eu des doutes, et ceux-ci se reflètent dans les notes du STIDI inscrites à la date du 16 décembre 2009 et dont le texte est en partie le suivant :

[Traduction] Le demandeur d’asile est toujours interdit de territoire selon les alinéas 34(1)c) – 43(1)f) et 35(1)a) de la LIPR car il a été membre d’une organisation terroriste d’origine pakistanaise appelée le Hizbul Moudjahideen. À l’évidence, il n’a jamais renoncé à son appartenance à cette organisation et, en fait, il a soutenu activement cette dernière en recueillant des fonds, en offrant un refuge à ses membres et un soutien direct en assistant à des réunions et à des manifestations publiques, ainsi qu’en fermant les yeux sur les crimes et les actes de terreur commis par elle.

[…]

À cause du rejet de la demande, je convoquerai le requérant à une entrevue B […] [Non souligné dans l’original.]

 

[8]               L’agent a conclu qu’il y avait des motifs raisonnables de croire que M. Qureshi appartenait à la catégorie des personnes interdites de territoire au sens des alinéas 34(1)c), 34(1)f) et 35(1)a) de la Loi.

[Traduction] J’ai des informations concernant la demande d’asile que vous avez présentée au Canada en mars 1994. À l’audience vous avez dit être membre d’une organisation appelée « Hizbul Moudjahideen », et vous vous en êtes servi comme fondement pour demander l’asile au Canada. Le Hizbul Moudjahideen est une organisation terroriste islamiste, qui lutte contre les forces de sécurité indiennes au Cachemire et est responsable de nombreux actes de terrorisme ayant fait de nombreuses victimes civiles et militaires. À l’époque de l’audience relative à votre demande d’asile, vous n’avez pas renoncé à votre appartenance à cette organisation et, en fait, vous avez déclaré avoir fourni une aide matérielle à cette organisation et à ses membres en recueillant des fonds, en offrant un lieu de refuge à ses militants ainsi qu’en assistant à des réunions, des rassemblements et des manifestations publiques en sa faveur. De plus, vous n’avez exprimé aucun regret pour les crimes et les actes de terreur que cette organisation a commis. De ce fait, votre demande d’asile a été rejetée en 1997, il a été conclu que vous étiez membre d’une catégorie non admissible d’immigrants en vertu de l’ancienne Loi sur l’immigration et une mesure de renvoi a été prise à votre endroit et exécutée en mars 2003.

 

Lors de votre entretien du 7 décembre 2010, vous m’avez dit que vous aviez inventé l’histoire de votre appartenance au Hizbul Moudjahideen comme stratagème pour obtenir le statut de réfugié en 1994. Vous avez dit qu’après être entré au Canada illégalement, vous étiez allé dans une bibliothèque à Toronto, que vous y aviez lu de nombreux documents écrits, livres et revues (dont vous n’avez pas pu vous souvenir des titres) à propos du conflit au Cachemire et que vous aviez choisi au hasard le nom d’une organisation – le Hizbul Moudjahideen – afin de présenter un récit de persécution digne de foi à l’audience relative à votre demande d’asile qui allait avoir lieu sous peu. Vous m’avez dit que vous n’avez pris conscience du fait que ce groupe – auquel vous disiez appartenir – était une organisation terroriste qu’au moment où eu a lieu votre seconde audience relative à la demande d’asile.

 

Cependant, d’après moi, votre récit actuel n’est pas crédible. Vous m’avez dit avoir lu de nombreux documents sur le conflit au Cachemire, mais vous avez pourtant choisi un groupe au hasard, sans vérifier ce qu’il représentait, comme fondement d’une demande d’asile. Quand je vous ai confronté au fait qu’au moment de votre audience vous n’aviez jamais renoncé à votre appartenance à ce groupe, pas plus que vous ne vous étiez dissocié de ses visées et de ses méthodes violentes, vous m’avez dit que vous vous en étiez tenu à votre récit pour qu’il soit plus crédible. En fait, j’ai tout lieu de mettre en doute votre crédibilité car vous avez admis avoir utilisé et payé les services d’un passeur (dont vous ne pouviez pas vous souvenir du nom, ni du montant que vous lui avez payé) pour entrer illégalement au Canada et avoir contracté  par la suite un mariage de convenance afin de pouvoir rester au pays en cas d’échec de votre tentative d’obtention du statut de réfugié.

 

Je vous ai donné l’occasion de réfuter mes arguments ou de donner une réponse satisfaisante, mais vous avez rétorqué que vous détenez un brevet de pilote et une attestation de sécurité en guise de preuve que vous n’êtes pas ou n’étiez pas vraiment membre d’une organisation terroriste; selon moi, ces arguments ne sont ni convaincants ni suffisants. Je crois donc que vous êtes toujours membre d’une catégorie interdite de territoire ou une personne visée par les alinéas 34(1)c) et f) et le paragraphe 35(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés.

 

 

[9]               L’agent a ensuite examiné s’il y avait des motifs d’ordre humanitaire suffisants pour dispenser M. Qureshi des exigences de la Loi, et il a conclu que non :

[Traduction] J’ai évalué s’il y avait dans votre demande des motifs d’ordre humanitaire convaincants ou impérieux. Mais je n’en ai toutefois trouvé aucun. Vous exercez un emploi rémunéré comme pilote de ligne en Inde et votre revenu est nettement supérieur à la moyenne. Vous, votre épouse et votre enfant vivez tous ensemble en Inde, êtes en bonne santé et votre situation est très confortable.

 

 

[10]           La demande a donc été refusée.

 

Les questions en litige

[11]           Les demandeurs soulèvent deux questions :

1.      La conclusion de l’agent au sujet de l’admissibilité était-elle raisonnable?

2.      La conclusion de l’agent au sujet des motifs d’ordre humanitaire était-elle raisonnable?

 

[12]           Les demandeurs conviennent que la question de savoir si un ressortissant est interdit de territoire au sens des articles 34 et 35 de la Loi est une question mixte de fait et de droit, qu’il convient donc de contrôler selon la norme de la raisonnabilité : Motehaver c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2009 CF 141. C’est également en fonction de cette norme qu’il convient d’évaluer la question des motifs d’ordre humanitaire.

 

Analyse

1. La conclusion de l’agent au sujet de l’admissibilité était-elle raisonnable?

[13]           Le demandeur principal soutient que même si les deux commissaires ont rejeté sa demande d’asile, celui qui présidait l’audience a explicitement conclu que le demandeur n’était pas exclu du fait de son appartenance au Hizbul Moudjahideen; ce commissaire a conclu par ailleurs que le demandeur n’avait jamais réellement été membre de cette organisation. Le commissaire s’est fondé sur le fait que le demandeur n’avait aucune connaissance des activités de l’organisation ou de ses visées. Seul le second commissaire a conclu que le demandeur était membre du Hizbul Moudjahideen.

 

[14]           Les demandeurs sont d’avis que l’agent a commis une erreur en considérant que les conclusions du second commissaire étaient concluantes. Ils font ressortir le paragraphe suivant, tiré de la décision de l’agent :

[Traduction] J’ai des informations concernant la demande d’asile que vous avez présentée au Canada en mars 1994. À l’audience, vous avez dit être membre d’une organisation appelée « Hizbul Moudjahideen », et vous vous en êtes servi comme fondement pour demander l’asile au Canada. […] De ce fait, votre demande d’asile a été rejetée en 1997, il a été conclu que vous étiez membre d’une catégorie non admissible d’immigrants en vertu de l’ancienne Loi sur l’immigration et une mesure de renvoi a été prise à votre endroit et exécutée en mars 2003. [Non souligné dans l’original.]

 

 

[15]           Les demandeurs soutiennent que, contrairement au passage qui précède, le tribunal a officiellement décidé que M. Qureshi n’était pas interdit de territoire. Ils signalent que, aux termes du paragraphe 69.1(1) de la Loi sur l’immigration, LRC 1985, c I‑2, qui était en vigueur à l’époque où le demandeur avait présenté sa demande d’asile, tout désaccord entre les membres du tribunal était réputé être tranché en faveur du demandeur. Le texte de cette disposition est, en partie, le suivant : « en cas de partage, la section du statut est réputée rendre une décision en faveur de l’intéressé ».

 

[16]           Les demandeurs soutiennent donc que la conclusion du second commissaire ne peut être considérée comme concluante pour ce qui est de considérer que le demandeur est interdit de territoire. Comme l’agent a fondé sa conclusion d’interdiction de territoire sur cette erreur, sa décision est déraisonnable.

 

[17]           Les demandeurs soutiennent par ailleurs que les commentaires que l’agent a faits dans les notes du STIDI suscitent une crainte raisonnable de partialité. Ils soulignent notamment le passage suivant, daté du 16 décembre 2009, lequel, disent-ils, montre que l’agent n’a pas fait preuve d’ouverture d’esprit :

[Traduction] Le demandeur d’asile est toujours interdit de territoire selon les alinéas 34(1)c) – 43(1)f) et 35(1)a) de la LIPR car il a été membre d’une organisation terroriste d’origine pakistanaise appelée le Hizbul Moudjahideen. À l’évidence, il n’a jamais renoncé à son appartenance à cette organisation et, en fait, il a soutenu activement cette dernière en recueillant des fonds, en offrant un refuge à ses membres et un soutien direct en assistant à des réunions et à des manifestations publiques, ainsi qu’en fermant les yeux sur les crimes et les actes de terreur commis par elle.

 

Il n’existe aucune prescription légale en ce qui concerne l’interdiction de territoire visée aux L34 et 35. Le requérant est donc toujours interdit de territoire. Le fait qu’il ait une fille au Canada n’y change rien non plus. En fait, le requérant et son épouse ont peut-être conçu un enfant pour donner plus de poids à ce parrainage et tenter d’influencer notre décision.

 

De plus, du fait de son renvoi du Canada, le requérant a besoin d’une ARC. Je ne suis pas obligé d’en demander une.

 

Vu le rejet de la présente demande, je convoquerai le requérant à une entrevue B prévue pour le mois de mars 2010.

 

 

[18]           Le défendeur convient que l'on ne peut pas considérer que la conclusion tirée par l’un des commissaires est une conclusion de fait définitive. Il allègue toutefois que l'agent a procédé à sa propre évaluation indépendante de la preuve, qu’il conclu de manière indépendante que M. Qureshi était interdit de territoire et qu'il lui était raisonnablement loisible de le faire.

 

[19]           Le défendeur allègue que l'agent, pour arriver à sa conclusion, s'est fondé sur les faits suivants :

1.      le demandeur d’asile a déclaré de lui-même qu'il était membre du Hizbul Moudjahideen;

2.      il a maintenu cette allégation dans le cadre de deux audiences relatives à sa demande d'asile, et il ne s'est rétracté qu'en décembre 2010;

3.      le demandeur d’asile savait au moment de la seconde audience que l'organisation était violente, mais il a persisté à dire qu'il en était membre;

4.      le demandeur d’asile a prétendu avoir lu de nombreux documents sur le conflit au Cashmire, mais il a porté son choix sur une organisation au hasard, en ne sachant censément rien de ses activités violentes;

5.      le seul élément qu'avait le demandeur d’asile pour prouver qu'il n'était pas membre du Hizbul Moudjahideen était qu'il avait obtenu un brevet de pilote et une attestation de sécurité de l'Inde.

 

[20]           Le défendeur déclare que l'agent a conclu avec raison que M. Qureshi manquait de crédibilité parce qu'il a démontré qu'il était disposé à contrevenir à la loi pour pouvoir entrer au Canada (en retenant les services d'un passeur et en contractant un mariage de convenance). De plus, il était loisible à l'agent de considérer avec scepticisme la rétractation ultérieure des déclarations de M. Qureshi, après que ce dernier eut pris conscience qu'il risquait d'être interdit de territoire.

 

[21]           Pour ce qui est de l'allégation de partialité, le défendeur signale que le seuil à franchir pour arriver à une conclusion de partialité est élevé. Il allègue que l'agent a eu des doutes après avoir étudié le dossier et qu'il l’a, de ce fait, convoqué à un entretien; cela ne veut pas dire que l'agent avait l'esprit fermé. Il affirme que l’agent a fondé ses conclusions principalement sur les réponses que M. Qureshi a données à l’entretien et cela démontre que l'agent a abordé cet entretien l'esprit ouvert. Le défendeur ajoute qu'aucune personne raisonnable, étudiant la question en profondeur et de manière réaliste, ne conclurait que l'agent était partial ou avait l'esprit fermé avant d’avoir son entretien avec M. Qureshi : Committee for Justice and Liberty c Canada (Office national de l'énergie), [1978] 1 RCS 369.

 

[22]           Je suis d'accord avec le demandeur que l'agent a déclaré à tort que le tribunal de la Section du statut de réfugié a conclu qu'il était interdit de territoire. Cependant, je conviens aussi avec le défendeur que la décision de l'agent ne reposait pas uniquement sur sa croyance erronée selon laquelle le tribunal de la Section du statut de réfugié avait tiré cette conclusion; l'agent a plutôt procédé à sa propre évaluation de la preuve.

 

[23]           L'agent a pris en considération la prétention de M. Qureshi selon laquelle il avait inventé l'histoire de son appartenance au Hizbul Moudjahideen; cependant, il n'a pas trouvé vraisemblable que le demandeur ait pu avoir fait des recherches aussi étendues sur le conflit au Cashmire sans avoir une idée quelconque du genre d'organisation qu'était le Hizbul Moudjahideen quand il l'avait choisi. Il était raisonnable que l'agent rejette l'explication, et sa conclusion appartient aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit.

 

[24]           Il est souligné que le critère qui s'applique à l'interdiction de territoire pour raisons de sécurité est relativement peu strict – l'agent doit avoir des motifs raisonnables de croire que le demandeur appartenait au Hizbul Moudjahideen. Au vu des faits présentés, il lui était loisible de conclure qu'il existait en l'espèce des motifs raisonnables, et la Cour n'a donc pas de raison  d’intervenir.

 

[25]           Quant à l'allégation d'une crainte raisonnable de partialité, la Cour reconnaît que certains des commentaires faits dans les notes du STIDI sont troublants : notamment la déclaration non fondée de l'agent selon laquelle les demandeurs ont peut-être conçu leur fille pour rehausser leurs chances de succès. Cependant, la Cour ne juge pas que ce commentaire est susceptible de donner ouverture à une crainte raisonnable de partialité. Elle convient avec le défendeur que l'agent a pris en considération les réponses données à l'entretien, mais que celles‑ci ne l'ont pas convaincu. Je conclus donc à l'inexistence d'une crainte raisonnable de partialité.

 

2. La conclusion de l’agent au sujet des motifs d’ordre humanitaire était-elle raisonnable?

[26]           Au dire des demandeurs, l'agent a commis une erreur en appliquant un critère exagérément strict à la demande fondée sur des motifs d'ordre humanitaire. Il a déclaré qu'il n'y avait pas de [traduction] « motifs d'ordre humanitaire impérieux », ce qui, selon le demandeur, n'est pas le critère exact.

 

[27]           Les demandeurs soutiennent de plus que l'agent a fait abstraction d’éléments de preuve quand il a conclu que M. Qureshi et [traduction] « son épouse et son enfant sont en bonne santé, mènent une vie très confortable en Inde et gagnent un revenu nettement supérieur à la moyenne ». Cette conclusion, disent-ils, fait abstraction des éléments de preuve que le couple a présentés à propos des difficultés de la vie en Inde, dont : le sentiment de stress et de frustration, les enfants qui ne reçoivent pas les éléments nutritifs dont ils ont besoin, les inquiétudes au sujet de la salubrité des aliments, les problèmes d'approvisionnement en eau, la saleté, les routes dangereuses, les allergies chroniques des enfants à la poussière, les approvisionnements peu fiables en médicaments; les écoles de mauvaise qualité et les châtiments corporels infligés à l'école.

 

[28]           Ils soutiennent de plus que l'agent a tiré une conclusion sans tenir compte de la preuve quand il a dit, dans les notes du STIDI : [traduction] « Son épouse, bien que citoyenne du Canada, est d'origine indienne et, sur le plan linguistique et culturel, elle est à sa place en Inde ». Le demandeur soutient que, au contraire, la répondante est née en Zambie, est arrivée au Canada il y a de nombreuses années de cela et n'a jamais vécu auparavant en Inde.

 

[29]           Les demandeurs disent que, comme dans le cas de la question de l'interdiction de territoire, l'agent a accordé une importance exagérée aux conclusions de l'un des commissaires au sujet de l'appartenance du demandeur au Hizbul Moudjahideen et qu’il a fait référence par erreur au retrait de la demande de parrainage comme étant un facteur défavorable quand cette demande a été retirée pour des raisons d'ordre tactique; par ailleurs, il n'y avait aucune raison de tirer une conclusion défavorable à propos de l'authenticité du mariage des demandeurs.

 

[30]           L'octroi d'une dispense pour motifs d'ordre humanitaire est une mesure de nature exceptionnelle et hautement discrétionnaire, qui mérite donc une déférence considérable de la part de la Cour : Za’Rour c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), 2007 CF 1281. Lorsqu'une conclusion d'interdiction de territoire a été tirée, les facteurs d'ordre humanitaire doivent être mis en balance avec l'intérêt public qu'il y a à exclure du Canada les personnes interdites de territoire.

 

[31]           Je conviens avec le défendeur qu'il était raisonnablement loisible à l'agent de conclure que les demandeurs n'avaient pas fourni assez de preuves que, si la demande était rejetée, ils s'exposeraient à des difficultés excessives. Les demandeurs gagnent un revenu élevé, possèdent une maison de grande taille et du personnel domestique, et les difficultés dont ils font état n'équivalent à rien de plus que les conditions de vie générales régnant en Inde.

 

[32]           L'agent semble effectivement tenir compte du retrait de la demande de parrainage en rapport avec la demande fondée sur des motifs d'ordre humanitaire, comme en fait foi l’énoncé suivant, extrait des notes du STIDI datées du 7 janvier 2011 :

[traduction] Il n'y a pas de motifs CH impérieux pour demander une dispense pour motifs d'ordre humanitaire. Le requérant et son épouse et son enfant sont en bonne santé, mènent une vie très confortable en Inde et gagnent un revenu nettement supérieur à la moyenne. Je signale aussi que sa répondante a retiré sa demande de parrainage antérieure.

 

 

Cependant, il m'est impossible de conclure que la prise en compte de ce facteur ou l'erreur relative à l'origine ethnique de l'épouse a pour effet de rendre la décision de l'agent déraisonnable lorsqu'on considère la totalité des éléments de preuve qui lui ont été présentés et qui figurent dans le dossier.

 

[33]           Enfin, je ne suis pas persuadé qu’en disant qu'il n'y avait pas de « motifs d’ordre humanitaire impérieux » l’agent a commis une erreur susceptible de contrôle. Je suis convaincu, après avoir examiné la décision dans son ensemble, que l'agent connaissait le bon critère et qu'il l'a appliqué. Cette tournure de phrase, selon moi, était un raccourci pour dire qu'il fallait que les facteurs d'ordre humanitaire soient importants au regard des motifs d'interdiction de territoire de M. Qureshi. Cela est juste et approprié.

 

[34]           Ni l'une ni l'autre des parties n'ont proposé une question à certifier.


 

JUGEMENT

LA COUR ORDONNE que la présente demande soit rejetée, et aucune question n'est certifiée.

 

« Russel W. Zinn »

Juge

 

Traduction certifiée conforme

Claude Leclerc, LL.B.

 

 


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

 

DOSSIER :                                        IMM-2086-11

 

INTITULÉ :                                       ALMASOOD QURESHI et autres c. LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

 

LIEU DE L'AUDIENCE :                 TORONTO (ONTARIO)

 

DATE DE L’AUDIENCE :               LE 23 FÉVRIER 2012

 

MOTIFS DU JUGEMENT

ET JUGEMENT :                              LE JUGE ZINN

 

DATE DES MOTIFS  :                     LE 21 MARS 2012

 

 

 

COMPARUTIONS :

 

Gregory James

 

POUR LES DEMANDEURS

Alexis Singer

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

GREGORY JAMES

Avocat

Toronto (Ontario)

 

POUR LES DEMANDEURS

MYLES J. KIRVAN

Sous-procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

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