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Date : 20120321

Dossier : IMM-1961-11

Référence : 2012 CF 334

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

 

Ottawa (Ontario), le 21 mars 2012

En présence de monsieur le juge Zinn

 

ENTRE :

 

 

JANOSNE REZMUVES

JANOS RESMUVES

HELENA KOVACS

 

 

 

demandeurs

 

et

 

 

 

LE MINISTRE DE CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

 

 

défendeur

 

 

 

 

 

           MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

[1]               Les demandeurs, une mère et ses deux enfants mineurs, sont Roms et tous citoyens de la Hongrie. Ils prient la Cour d’annuler la décision par laquelle la Section de la protection des réfugiés de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié a conclu qu’ils n’étaient ni des réfugiés au sens de la Convention ni des personnes à protéger selon la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27. 

 

[2]               La Commission a estimé que les questions déterminantes étaient la crédibilité, la discrimination par opposition à la persécution, et la protection offerte par l’État. Je suis d’avis que l’analyse de chacune de ces questions par la Commission comporte un certain nombre d’erreurs, ce qui m’amène à conclure que la décision est peu fiable et, par conséquent, déraisonnable. Les demandes d’asile des demandeurs doivent faire l’objet d’un nouvel examen.

 

[3]               À propos de son analyse de la crédibilité, les demandeurs soutiennent que c’est à tort que la Commission a déclaré que les incidents mineurs survenus entre 2001 et 2008, dont Mme Rezmuves avait parlé dans son témoignage, ne figuraient pas dans son formulaire de renseignements personnels (le FRP), alors qu’elle y avait fait état de [traduction] « petits incidents » qui s’étaient produits durant cette période. Les demandeurs ont raison.

 

[4]               Il est impossible de savoir si la Commission a fondé en partie sa conclusion relative à la crédibilité sur cette incompatibilité ou si elle a accepté la preuve comme étant crédible tout en concluant simplement que ces incidents ne constituaient pas de la persécution. L’analyse par la Commission du témoignage de la demanderesse sur cette question, reproduite ci-dessous, n’est pas intelligible.

La Commission conclut que les incidents (survenus de 2001 à 2008) décrits par la demandeure d’asile principale sont une tentative de renforcer sa demande d’asile. Ces incidents ne figurent pas dans le FRP, et le tribunal est d’avis qu’il est flagrant qu’une telle période où aucun incident particulier n’a été indiqué donne à penser que la plupart des préjudices subis par la demandeure d’asile principale lorsqu’elle vivait à Budapest ne seraient pas considérés comme de la persécution.

 

[5]               La conclusion de la Commission en ce qui a trait à la crédibilité reposait en partie sur l’omission de Mme Rezmuves de mentionner dans son FRP qu’une plainte avait été déposée auprès de la fondation des Roms concernant l’attaque à la maison de sa grand‑mère en 1999, plainte dont elle a fait état dans le témoignage qu’elle a livré à l’audience. Or, il est bel et bien mentionné dans le FRP que la fondation des Roms avait été contactée.

 

[6]               La conclusion relative à la crédibilité repose également sur l’incompatibilité que la Commission a relevée entre le témoignage de Mme Rezmuves à l’audience et une déclaration contenue dans le formulaire de demande d’asile qu’elle a rempli le lendemain de son arrivée au Canada. À l’audience, la Commission a demandé à Mme Rezmuves si elle avait déjà été battue par la police et elle a répondu qu’elle l’avait été en 1996. Elle avait témoigné précédemment concernant cet incident où sa mère avait été grièvement blessée et elle avait alors affirmé qu’elle n’avait pas subi de blessures majeures et que la police [traduction] « [l’avait] juste frappée à la tête quelques fois ». La Commission a ensuite contesté la preuve comme suit :

[traduction]

COMMISSAIRE : Pourquoi est‑il indiqué dans les notes de Citoyenneté et Immigration Canada que vous avez été battue devant vos enfants alors que vos enfants n’étaient pas nés en 96?

 

DEMANDEURE D’ASILE : Je ne me souviens pas avoir dit une chose pareille.

 

COMMISSAIRE : Je vous en fais lecture.

 

« Je crains pour ma vie parce que je suis Rom. J’ai été battue par la police chez moi, en public et devant mes enfants, du fait de mon origine ethnique. »

 

DEMANDEURE D’ASILE : Bien, je suppose qu’il s’agit d’une erreur de l’interprète, parce que, devant mes enfants, jamais, je ne me souviens pas avoir dit cela.

 

[7]               La Commission affirme qu’il s’agissait d’une incompatibilité importante et que « [s]elon le tribunal, l’explication de la demandeure d’asile concernant la mauvaise traduction manque de crédibilité ». Par conséquent, la Commission conclut que « les éléments qui précèdent » – ce qui, je présume, sous‑entend la déclaration contenue dans sa demande d’asile – constituaient une tentative d’étayer la demande d’asile.

 

[8]               La Commission ne fournit aucune explication ni aucun motif pour expliquer pourquoi elle juge que l’allégation selon laquelle il devait s’agir d’une erreur de traduction n’est pas crédible. C’est la seule fois où il est fait mention qu’elle avait été battue par la police en présence de ses enfants. Il n’en a pas été fait mention dans son FRP ni dans son témoignage, et elle a nié ce fait de manière plutôt catégorique lorsqu’il a été soulevé à l’audience. Elle a été battue en présence de ses enfants par des personnes qui n’étaient pas des policiers. Compte tenu de ces faits, il est déraisonnable de la part de la Commission d’avoir retenu cette incompatibilité et d’avoir rejeté son explication sans fournir de motifs. En outre, la tentative d’« étayer la demande d’asile », s’il y en a eu une, n’a pas été faite dans son témoignage sous serment devant la Commission, lequel était compatible avec son affirmation portant que la déclaration contenue dans sa demande d’asile avait été faite par erreur.

 

[9]               La demanderesse principale soutient que la Commission n’a pas bien examiné la question de savoir si la discrimination dont les demandeurs ont été victimes durant ces années équivalait à de la persécution. Je conviens que le raisonnement de la Commission sur cette question n’est pas intelligible et que sa conclusion est déraisonnable. La Commission a passé en revue les trois incidents qui se seraient produits depuis 2001. La Commission a affirmé que l’incident du tramway qui s’est produit en janvier 2008 ne constituait pas de la persécution et, en ce qui concerne les deux autres incidents, elle a seulement fait remarquer que les demandeurs n’avaient pas porté plainte à la police, ce qui ne revient pas à dire que ces incidents ne constituaient pas de la persécution.

 

[10]           En outre, on peut soutenir que deux des trois incidents évoqués par la Commission dans cette section, si l’on y ajoute foi, constituent de la persécution, et non simplement de la discrimination : l’agression dont a été victime le frère de Mme Rezmuves et d’autres membres de sa famille à la célébration en plein air d’août 2008 et l’agression sauvage de son mari perpétrée par la police en décembre 2008.

 

[11]           L’analyse de la Commission sur la protection offerte par l’État pose également problème. La Commission examine la preuve concernant la détention arbitraire en Hongrie, la structure des forces policières hongroises, la corruption policière, l’association des agents de police roms qui voit à la protection des Roms qui sont policiers et militaires, d’autres associations connexes en Hongrie et en Europe visant les policiers et les militaires roms, l’expert indépendant et l’organisme chargé de surveiller la mise en application des mesures législatives visant à enrayer la discrimination. Toutefois, la Commission ne s’est pas penchée sur la question pertinente : la protection offerte aux Roms par l’État est‑elle suffisante en Hongrie?

 

[12]           En outre, je suis d’accord avec les demandeurs pour dire que la Commission n’a ni examiné ni admis la preuve récente que les demandeurs présentent comme suit dans leur mémoire : [traduction] « il y a eu une forte montée des actes extrémistes commis à l’endroit des Roms et, de plus, la preuve démontrant le manque d’intervention du gouvernement pour prévenir la violence faite aux Roms est abondante (par exemple le rapport du Centre européen des droits des Roms et un rapport récent d’Amnistie Internationale, soit deux documents volumineux et très détaillés sur cette question précise) ».

 

[13]           Le défaut d’analyser la véritable question et de tenir compte de la preuve la plus récente sur ce point m’amène à conclure que la décision concernant la protection offerte par l’État est déraisonnable. Il se peut qu’un tribunal différemment constitué parvienne, après avoir examiné l’ensemble de la preuve pertinente, à la même conclusion que celle à laquelle est arrivé le tribunal en l’espèce; toutefois, il appartient à la Commission, et non à la Cour, d’examiner cette preuve et de trancher cette question.

 

[14]           Ni l’une ni l’autre des parties n’a proposé une question aux fins de certification.

 


JUGEMENT

LA COUR STATUE que la présente demande est accueillie, que la décision par laquelle la Section de la protection des réfugiés de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié a conclu que les demandeurs n’étaient ni des réfugiés au sens de la Convention ni des personnes à protéger est annulée, que les demandes d’asile des demandeurs sont renvoyées à un tribunal différemment constitué pour qu’il effectue un nouvel examen et qu’aucune question n’est certifiée.

 

« Russel W. Zinn »

Juge

 

 

 

Traduction certifiée conforme

Sandra de Azevedo, LL.B.

 

 


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

 

DOSSIER :                                                    IMM-1961-11

 

INTITLUÉ :                                                  JANOSNE REZMUVES ET AL c.

                                                                        LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                          Toronto (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :                         Le 23 février 2012

 

MOTIFS DU JUGEMENT

ET JUGEMENT :                                        LE JUGE ZINN

 

DATE DES MOTIFS :                                 Le 21 mars 2012

 

 

 

COMPARUTIONS :

 

Maureen Silcoff

 

POUR LES DEMANDEURS

Ada Mok

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Maureen Silcoff

Avocate

Toronto (Ontario)

 

POUR LES DEMANDEURS

Myles J. Kirvan

Sous‑procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

 

 

 

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