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Date : 20120227


Dossier : IMM‑3590‑11

Référence : 2012 CF 261

[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE, NON RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 27 février 2012

En présence de monsieur le juge Martineau

 

 

ENTRE :

 

JOEL RAVIS CUARTE

 

 

 

demandeur

 

et

 

 

 

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

 

 

défendeur

 

 

 

 

 

           MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

[1]               Le demandeur, de citoyenneté philippine, conteste la légalité du rejet de sa demande de résidence permanente. Se basant sur l’avis du médecin agréé, l’agent d’immigration a estimé que Jethro, le fils aîné du demandeur, chez qui on a décelé des signes d’un retard global du développement « risquerait d’entraîner un fardeau excessif pour les services sociaux et de santé » au sens de l’alinéa 38(1)c) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27 [LIPR].

[2]               Jethro étant interdit de territoire, ses parents et ses deux frères sont frappés eux aussi d’interdiction de territoire (paragraphe 42a) de la LIPR).

 

[3]               Pour les motifs ci‑dessous exposés, la demande de contrôle judiciaire est accueillie.

 

LES FAITS

[4]               Le demandeur est actuellement employé comme dessinateur dans un cabinet d’architectes de Saskatoon. Il a déposé une demande dans le cadre du Programme des candidats de la Saskatchewan et sa candidature a été retenue dans la catégorie des travailleurs qualifiés. Il a ensuite présenté une demande de résidence permanente au Canada. Sa femme et ses trois fils sont visés par cette demande en tant que personnes à charge.

 

[5]               Le 16 novembre 2010, le demandeur a reçu de l’agent d’immigration une première lettre [appelée lettre d’équité] lui faisant savoir que Jethro, qui doit recourir à des services d’éducation spécialisée était considéré comme une personne dont l’état de santé risquerait d’entraîner un fardeau excessif pour les services sociaux et de santé canadiens.

 

[6]               Selon la lettre d’équité [TRADUCTION] « il faut entendre par fardeau excessif des dépenses dont on prévoit qu’elles dépasseront le coût moyen par Canadien des services sociaux ou de santé, soit 4 806 $ par an », l’état de santé de Jethro exigeant « des services d’éducation spécialisée en Saskatchewan, correspondant, selon Greg Chapman [sic], surintendant des finances [sic], au niveau 2, ce qui donne lieu à une allocation supplémentaire de 13 000 $ par an ».

 

[7]               En fait, une lettre de Greg Chatlain, surintendant de l’enseignement des Écoles catholiques de l’agglomération urbaine de Saskatoon, précisait qu’en moyenne le financement public des services d’éducation spécialisée en Saskatchewan s’élève à 13 000 $ par an. Le demandeur était par conséquent invité à fournir des renseignements complémentaires concernant un plan d’enseignement individualisé qui permettrait d’éviter tout fardeau excessif.

 

[8]               En janvier 2011, le demandeur a présenté une lettre exposant les mesures envisagées par la famille pour atténuer tout fardeau excessif que pourrait entraîner l’état de santé de Jethro. Le demandeur a joint à cette lettre une déclaration personnelle dans laquelle il précisait ses moyens financiers et son intention d’assumer les coûts. Il faisait état, dans cette lettre, des divers services non gouvernementaux auxquels Jethro pourrait recourir, ainsi que du plan établi par la famille afin de réduire les dépenses médicales et d’enseignement.

 

[9]               Le 21 mars 2011, le demandeur a reçu une autre lettre lui demandant des preuves des mesures mises en place en vue de rembourser le ministère de l’Éducation de la Saskatchewan pour les services d’éducation subventionnés par la province.

 

LA DÉCISION CONTESTÉE

[10]           Par lettre en date du 20 avril 2011, le demandeur était informé qu’après examen de la documentation fournie, l’agent d’immigration avait décidé en dernier ressort que Jethro était interdit de territoire aux termes de l’alinéa 38(1)c) de la LIPR.

 

[11]           Bien que la lettre de refus envoyée par l’agent d’immigration ne l’ait pas précisé, ce qui semble avoir été déterminant est l’absence de mécanisme de remboursement des services d’éducation subventionnés par la Saskatchewan. Selon les notes du STIDI datées du 18 avril 2011, l’agent n’était pas persuadé qu’en l’absence d’un tel mécanisme le demandeur rembourserait effectivement la province de la Saskatchewan pour les services d’éducation spécialisée assurés à son fils.

 

LES QUESTIONS EN LITIGE ET LA NORME DE CONTRÔLE

[12]           Le demandeur conteste la légalité de la décision de l’agent d’immigration, faisant valoir que :

a.       le médecin agréé a eu tort de calculer les frais qu’entraînerait l’état de santé de Jethro, étant donné qu’il n’a pas procédé à l’évaluation individualisée exigée par la jurisprudence;

b.      il était déraisonnable, de la part du médecin agréé et de l’agent d’immigration, d’insister sur la question de la possibilité de recourir à un mécanisme de remboursement des frais occasionnés par les services d’éducation spécialisée; et

c.       l’agent d’immigration n’a pas respecté l’obligation qu’il avait de notifier à la province de la Saskatchewan le rejet éventuel d’un candidat provincial.

 

[13]           Les parties conviennent toutes deux que la norme de contrôle applicable à la première et à la troisième des allégations formulées par le demandeur est celle de la décision correcte. La première allégation concerne l’obligation qu’avait l’agent d’immigration, selon l’arrêt Hilewitz c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration)2005 CSC 57, [2005] 2 RCS 706 [Hilewitz], de procéder à une « évaluation individualisée » des coûts prévisibles des services sociaux ou de santé : Sapru c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2011 CAF 35, aux paragraphes 25 à 27, [2011] ACF 148. La troisième allégation a trait à l’équité procédurale.

 

[14]           Pour ce qui est de la deuxième allégation, le défendeur fait valoir qu’il convient de l’examiner selon le critère de la décision raisonnable étant donné que l’allégation met en cause les conclusions de fait auxquelles l’agent d’immigration est parvenu au sujet de l’évaluation (Chauhdry c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2011 CF 22, au paragraphe 14). Quoi qu’il en soit, le demandeur soutient qu’il était, de la part de l’agent d’immigration, déraisonnable d’exiger qu’on lui démontre l’existence d’un mécanisme de remboursement des frais excessifs. J’entends examiner la question selon la norme de la décision raisonnable, tout en faisant remarquer qu’il s’agit, à tout le moins, d’une question mixte de fait et de droit, mais aussi d’une question de droit dans la mesure où l’existence d’un mécanisme de remboursement constitue une exigence juridique.

 

L’OBLIGATION DE PROCÉDER À UNE ÉVALUATION INDIVIDUALISÉE

[15]           Dans l’arrêt Hilewitz, la juge Abella, s’exprimant au nom des juges majoritaires de la Cour suprême du Canada, a bien précisé que l’évaluation nécessaire pour déterminer s’il s’agit d’un cas d’interdiction de territoire au sens du sous‑alinéa 19(1)a)(ii) de l’ancienne LIPR, disposition remplacée par l’actuel alinéa 38(1)c), est une évaluation des besoins de l’individu plutôt que les besoins d’une personne en tant que membre d’une catégorie plus ou moins précise de gens éprouvant les mêmes troubles de santé.

Le sous‑alinéa 19(1)a)(ii) exige qu’on détermine si l’état de santé du demandeur entraînerait ou risquerait d’entraîner un fardeau excessif pour les services sociaux canadiens. Le terme « fardeau excessif » appelle intrinsèquement à l’évaluation et à la comparaison. Si l’on ne tient pas compte de la capacité et de la volonté du demandeur d’assumer le coût des services sociaux, il est impossible de déterminer d’une manière réaliste en quoi consiste le « fardeau » que devront supporter les services sociaux de l’Ontario. Le texte de la disposition indique que les médecins agréés doivent déterminer le fardeau probable pour les services sociaux, et non la simple admissibilité à ces services.

 

Pour ce faire, les médecins agréés doivent nécessairement tenir compte de critères médicaux et non médicaux — comme la disponibilité, la rareté ou le coût des services financés par l’État, ainsi que la volonté et la capacité du demandeur ou de sa famille de payer pour les services concernés.

 

Cela exige, me semble‑t‑il, des appréciations individualisées.  Il est impossible, par exemple, de déterminer la « nature », la « gravité » ou la « durée probable » d’une maladie sans le faire à l’égard d’une personne donnée. Si le médecin agréé s’interroge sur les services susceptibles d’être requis en se fondant uniquement sur la classification de la maladie ou de l’invalidité, et non sur la façon précise dont elle se manifeste, l’appréciation devient générique plutôt qu’individuelle. L’évaluation des coûts est alors faite en fonction de la déficience plutôt qu’en fonction de l’individu. Toutes les personnes atteintes d’une déficience donnée sont alors automatiquement exclues, même celles dont l’admission n’entraînerait pas, ou ne risquerait pas d’entraîner, un fardeau excessif pour les fonds publics.

 

                                                                                    [Non souligné dans l’original.]

 

[16]           Ajoutons que dans la récente affaire Perez c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2011 CF 1336, [2011] ACF 1638, la Cour a décidé que l’agent a manqué à l’obligation qu’il avait de procéder à une appréciation individualisée étant donné que le demandeur n’avait « pas fait l’objet d’une appréciation individuelle qui tient compte de sa situation particulière, mais plutôt d’une appréciation générique visant les personnes atteintes [en l’occurrence] de surdité ».

 

[17]           Le demandeur soutient que le médecin agréé n’a pas procédé à une appréciation individualisée des besoins de Jethro, et des coûts que ces besoins entraîneraient. Il n’a fait que constater que Jethro aurait, en Saskatchewan, besoin de services d’éducation spécialisée, services dont on prétend qu’ils coûteraient chaque année quelque 13 000 $ au gouvernement provincial.

 

[18]           Le défendeur fait pour sa part valoir que l’évaluation que le médecin agréé a faite des besoins probables de Jethro, ou de ce que ces besoins coûteraient devait être suffisamment individualisée puisque Jethro est maintenant inscrit à l’École catholique St. Marguerite de Saskatoon où il bénéficie effectivement de services d’éducation spécialisée. Le médecin agréé a donc retenu les bons chiffres lorsqu’il a évalué les besoins individuels de Jethro étant donné que Jethro aura certainement besoin à l’avenir des services dont il bénéficie actuellement.

 

[19]           Le défendeur fait plus particulièrement valoir que cette moyenne de 13 000 $ correspond à la subvention annuelle du gouvernement provincial aux services d’éducation spécialisée de niveau 2. Selon le défendeur, bien que les besoins précis de Jethro puissent être plus ou moins importants que ceux d’un autre élève, les services en question coûteront effectivement au contribuable 13 000 $, car c’est le montant que son école recevra pour lui. Cet argument va directement à l’encontre de ce que la Cour suprême a affirmé dans Hilewitz. Encore une fois, ce qu’il convient d’évaluer ce sont les services dont on peut prévoir que le patient aura besoin et qu’il recevra, non pas les sommes disponibles ou versées en son nom, d’où la nécessité de prendre en compte les moyens financiers du demandeur et son intention d’assumer le coût des services nécessaires.

 

[20]           Le chiffre de 13 000 $ par an correspond à la moyenne par personne des subventions publiques accordées par la province de la Saskatchewan à divers groupes de personnes, quelles que soient par ailleurs les différences existant entre elles au niveau de leurs antécédents médicaux, de leur état de santé, ou des difficultés associées aux divers types de services d’éducation spécialisée dont chacun pourrait avoir besoin. Il n’y a cependant rien dans les notes consignées dans le STIDI qui indique qu’on ait cherché à savoir si Jethro aurait besoin d’une source supérieure, inférieure ou correspondant exactement à la subvention moyenne accordée chaque année par la province aux services d’éducation spécialisée de niveau 2. Je conviens donc entièrement avec le demandeur que l’appréciation du médecin agréé, sur laquelle repose l’interdiction de territoire, ne correspond pas à l’appréciation individualisée exigée par la Cour suprême dans l’arrêt Hilewitz, précité, aux paragraphes 54 à 56.

 

[21]           J’estime, en définitive, que l’agent d’immigration n’a pas effectué une évaluation suffisamment individualisée des frais d’éducation de Jethro en décidant que ses besoins correspondent et continueront de correspondre à des services d’éducation spécialisée de niveau 2. Il s’agit là d’une évaluation généralisée, car il n’y a, dans la décision contestée, aucune indication d’une « évaluation et… comparaison » individualisée (Hilewitz, précité, au paragraphe 54). Je relève par ailleurs que le financement accordé par la province aux conseils scolaires constitue pour ceux‑ci une source de revenu global, et qu’il n’y a aucun moyen de savoir comment l’argent accordé à un conseil scolaire est employé en fait par les diverses écoles, et qu’on ne peut pas non plus établir le coût effectif du « fardeau » qu’entraîneraient les difficultés particulières éprouvées par Jethro. Sur ce point, le demandeur affirme dans son affidavit que le directeur de l’école St. Marguerite a noté une grande amélioration et des progrès sensibles dans le développement de Jethro depuis qu’il y est inscrit, ce qui laisse en suspens la question des besoins à prévoir dans les années à venir.

 

[22]           Bien que le manque d’appréciation individualisée soit déterminant, et qu’il justifie à lui seul l’annulation de la décision en cause, j’entends néanmoins me pencher sur les deux autres allégations formulées par le demandeur étant donné que l’affaire va devoir être examinée à nouveau par un autre agent d’immigration. En ce qui concerne la deuxième allégation, la Cour estime, pour les motifs exposés ci‑dessous, qu’il était, de la part de l’agent d’immigration, déraisonnable d’exiger qu’on lui démontre l’existence d’un mécanisme de remboursement. Pour ce qui est de l’accord Canada‑Saskatchewan sur l’immigration, la Cour écarte la troisième allégation voulant qu’en l’occurrence la province devait obligatoirement recevoir un préavis.

 

L’ABSENCE DE MÉCANISME DE REMBOURSEMENT

[23]           Dans sa lettre, Greg Chatlain explique que les Écoles catholiques de l’agglomération urbaine de Saskatoon sont subventionnées par l’État et que leur fonctionnement est régi par la Education Act, LS 1995, c E‑0.2. Cette loi n’instaure aucun mécanisme de remboursement applicable à la situation du demandeur. Il est, cependant, possible de conclure avec le conseil scolaire un engagement volontaire afin de contribuer aux dépenses du fils du demandeur.

 

[24]           J’ai examiné l’argument avancé par le défendeur, selon lequel pour décider si une personne risque effectivement d’entraîner un fardeau excessif, l’agent d’immigration devait apprécier non seulement l’intention d’assumer les frais de tels services, mais également les capacités financières permettant de le faire. L’argument correspondant avancé par le défendeur est, cependant, circulaire, car fondé sur un sophisme, en l’occurrence l’idée qu’étant donné le défaut de mécanisme de remboursement, le demandeur n’a pas pu démontrer qu’il était effectivement en mesure de payer les frais des services d’éducation spécialisée. Sur ce point, l’agent d’immigration n’a pas tenu suffisamment compte de l’intention manifestée par le demandeur, ainsi que des moyens qu’il aurait d’assumer effectivement les frais en question. Il a uniquement fondé sa décision sur l’absence de mécanisme de remboursement.

 

[25]           Il ressort selon moi des décisions contestées et des notes consignées dans le STIDI, que le défendeur s’appuie sur une interprétation extensive des motifs de l’agent d’immigration. Dans ses motifs, l’agent d’immigration ne met en effet jamais explicitement en doute la capacité du demandeur à assumer les frais en question et le défendeur reconnaît même que, légalement, rien n’interdit à quelqu’un de conclure auprès du conseil scolaire un engagement volontaire en vue du remboursement des frais des services d’éducation spécialisée.

 

[26]           Selon l’arrêt Dunsmuir c Nouveau‑Brunswick, 2008 CSC 9, au paragraphe 47, [2008] 1 RCS 190, « le caractère raisonnable tient principalement à la justification de la décision, à la transparence et à l’intelligibilité du processus décisionnel, ainsi qu’à l’appartenance de la décision aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit ». J’en conclus que, dans son ensemble, le raisonnement adopté par l’agent d’immigration pour rejeter la demande au motif qu’il aurait fallu qu’un mécanisme de remboursement soit préalablement mis en place est, lui aussi, déraisonnable et cette conclusion fait que la décision en cause est dans son ensemble susceptible de contrôle.

 

L’ACCORD CANADA‑SASKATCHEWAN

[27]           Le demandeur soutient, en dernier lieu, que la décision de l’agent d’immigration devrait être annulée étant donné que, contrairement à l’article 4.10 de l’Accord Canada‑Saskatchewan sur l’immigration, la Saskatchewan n’avait pas été préalablement avisée au préalable du rejet d’un de ses candidats. Selon le demandeur, un tel préavis aurait permis, avant que n’intervienne la décision de refus, d’obtenir des éclaircissements sur la question de l’existence d’un mécanisme permettant de rembourser au ministère de l’Éducation, le coût des services d’éducation spécialisée.

 

[28]           Selon le défendeur, l’absence de préavis n’a entraîné pour le demandeur aucun manquement à l’équité procédurale étant donné que l’Accord Canada‑Saskatchewan sur l’immigration est un accord interprovincial dont, n’y étant pas partie, le demandeur ne peut se prévaloir.

 

[29]           L’article 4.10 de l’Accord Canada‑Saskatchewan sur l’immigration prévoit que :

4.10 Lorsqu’un refus est probable, le Canada avise la Saskatchewan avant que l’avis de refus final ne soit délivré au candidat. La Saskatchewan peut faire valoir ses préoccupations ou obtenir des éclaircissements auprès de l’agent d’appréciation à la mission concernée, ou du gestionnaire concerné. En cas de refus pour des raisons autres que la santé, la sécurité ou la criminalité, la Saskatchewan a 60 jours pour faire valoir ses préoccupations ou obtenir des éclaircissements avant que le candidat de la province soit avisé par l’agent d’immigration

 

                                                                                    [Non souligné dans l’original.]

 

[30]           J’estime que, juridiquement, la disposition reproduite ci‑dessus ne confère à la province aucun droit d’être préalablement consultée dont le demandeur pourrait se prévaloir pour faire annuler la décision de l’agent d’immigration pour manquement à l’équité procédurale. Je conviens avec le défendeur qu’il y a lieu de distinguer la présente affaire de l’affaire Kikeshian c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2011 CF 658, au paragraphe 15, [2011] ACF 832 [Kikeshian], invoqué par le demandeur, laquelle concerne un candidat provincial dans la catégorie des entrepreneurs, qui n’était pas parvenu à persuader l’agent des visas de son aptitude à réussir son établissement économique au Canada.

 

[31]           Dans la décision Kikeshian, précitée, la Cour a conclu que l’obligation de consulter ne découle pas d’un accord intergouvernemental, mais est expressément imposée par le paragraphe 87(3) du Règlement sur l’immigration et la protection des réfugiés, DORS/2002‑227, dans le cadre d’un régime qui considère une candidature provinciale comme une preuve prima facie de l’aptitude d’un candidat à réussir son établissement économique au Canada. D’après le raisonnement suivi par la Cour, cela avait pour effet de créer, chez le demandeur, une attente raisonnable que l’agent des visas ne rejette pas sa demande sans en aviser au préalable les autorités provinciales qui l’avaient désigné au départ. Or, tel pas le cas en l’espèce.

 

[32]           Le troisième motif de contestation est donc dénué de fondement juridique. Quoi qu’il en soit, cette conclusion n’a aucune incidence sur les deux autres conclusions auxquelles la Cour est déjà parvenue. Il convient que la Cour intervienne étant donné que l’agent d’immigration n’a pas procédé à une évaluation individualisée et qu’il a de façon déraisonnable exigé la preuve de l’existence d’un mécanisme de remboursement.

 

CONCLUSION

[33]           Pour les motifs exposés ci‑dessus, la demande de contrôle judiciaire est accueillie. La décision rendue en avril 2011 par l’agent d’immigration est annulée, et la demande de résidence permanente présentée par le demandeur devra être examinée à nouveau par un autre agent d’immigration, après que le demandeur ait eu la possibilité de produire de nouveaux éléments de preuve concernant les questions à trancher par l’agent d’immigration.

 

[34]           Le demandeur propose que soient certifiées les deux questions suivantes :

[TRADUCTION]

1.      Pour apprécier ce qui constitue un fardeau excessif au sens de l’alinéa 38(1)c) de la LIPR, le médecin agréé ou l’agent d’immigration ont‑ils commis une erreur susceptible de contrôle en se basant uniquement sur le montant de la subvention gouvernementale pour calculer le fardeau excessif que le demandeur risque d’entraîner pour les services sociaux, ou le médecin agréé ou l’agent d’immigration étaient‑ils tenus de procéder à une évaluation individualisée des coûts que le demandeur risquerait d’entraîner?

 

2.      Lors de son évaluation de la volonté ou de la capacité du demandeur d’assumer les frais des services sociaux, pour juger en application de l’alinéa 38(1)c) de la LIPR du fardeau excessif qui serait imposé aux services sociaux, un médecin agréé commet‑il une erreur susceptible de contrôle judiciaire en concluant qu’un demandeur est « incapable d’en assumer le coût » en se fondant uniquement sur le fait qu’aucun mécanisme de remboursement n’a été mis en place, alors que la loi n’interdit pas le remboursement volontaire des frais en question?

 

 

[35]           Le défendeur s’oppose à la certification des deux questions proposées par le demandeur, faisant valoir qu’elles ne permettraient pas de régler un appel et qu’elles ne soulèvent aucune question grave de portée générale, soutenant notamment que la réponse à ces questions se trouve déjà dans la jurisprudence, ou qu’il s’agit essentiellement de questions de fait, et qu’elles ne tiennent pas compte que c’est au demandeur qu’il appartient de démontrer qu’il satisfait aux exigences de la loi.

 

[36]           Vu l’issue de la cause, et vu les arguments avancés par le défendeur, aucune question ne sera certifiée par la Cour.


JUGEMENT

 

LA COUR STATUE que la demande de contrôle judiciaire est accueillie. La décision rendue le 20 avril 2011 par l’agent d’immigration est annulée et la demande de résidence permanente présentée par le demandeur devra être examinée à nouveau par un autre agent d’immigration, après que le demandeur ait eu la possibilité de produire de nouveaux éléments de preuve concernant les questions à trancher par l’agent d’immigration. Aucune question n’est certifiée.

 

« Luc Martineau »

Juge

 

Traduction certifiée conforme

Chantal DesRochers, LL.B., D.E.S.S. en trad.

 

 


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

DOSSIER :                                        IMM‑3590‑11

 

INTITULÉ :                                      JOEL RAVIS CUARTE c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

LIEU DE L’AUDIENCE :              Winnipeg (Manitoba)

 

DATE DE L’AUDIENCE :             Le 16 février 2012

 

MOTIFS DU JUGEMENT:            LE JUGE MARTINEAU

 

DATE DES MOTIFS :                     Le 27 février 2012

 

 

 

COMPARUTIONS :

 

Christopher G. Veeman

 

POUR LE DEMANDEUR

 

Don Klaassen

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Veeman Law

Saskatoon (Saskatchewan)

 

POUR LE DEMANDEUR

Myles J. Kirvan,

Sous‑procureur général du Canada

Saskatoon (Saskatchewan)

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

 

 

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