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Date : 20120305

Dossier : IMM‑4836‑11

Référence : 2012 CF 288

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 5 mars 2012

En présence de Monsieur le juge Russell

 

 

ENTRE :

 

LIEN LIN

 

 

 

demandeur

 

et

 

 

 

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L’IMMIGRATION

 

 

 

défendeur

 

 

 

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

INTRODUCTION

[1]               La Cour est saisie d’une demande présentée en vertu du paragraphe 72(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c. 27 (la Loi) en vue d’obtenir le contrôle judiciaire d’une décision en date du 29 juin 2011 (la décision) par laquelle la Section de la protection des réfugiés (la SPR) de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié a rejeté la demande présentée par le demandeur en vue d’obtenir la qualité de réfugié au sens de la Convention ou celle de personne à protéger au sens des articles 96 et 97 de la Loi.

 

CONTEXTE

[2]               Âgé de 57 ans, le demandeur est un citoyen de la République populaire de Chine (la RPC). Il affirme qu’il est un adepte du Falun Gong. Il a un fils et une fille au Canada.

 

[3]               En 2008, un ami a initié le demandeur à la pratique du Falun Gong. Le demandeur explique qu’il a commencé à pratiquer le Falun Gong chez lui en décembre 2008 et qu’il s’est joint à un groupe en janvier 2009. Il raconte que, le 22 août 2009, des agents du Bureau de la sécurité publique (le BSP) ont effectué une descente dans les locaux où se trouvait le groupe. L’animateur et deux membres du groupe ont alors été arrêtés. Le demandeur s’est alors caché et, le 23 août 2009, des agents du BSP qui étaient à sa recherche se sont présentés à son domicile, où ils ont interrogé sa mère et son frère et leur ont laissé une assignation (l’assignation) le sommant de se présenter aux bureaux du BSP à Chang Le. Les agents du BSP se sont également rendus au domicile de ses autres frères et sœurs en RPC toujours à la recherche du demandeur.

 

[4]               En février 2010, le demandeur a appris de sa mère que l’animateur de son groupe avait été condamné à quatre ans de prison et que les deux autres membres de son groupe avaient écopé d’une peine de trois ans d’emprisonnement. Craignant d’être emprisonné lui aussi, le demandeur a retenu les services d’un passeur et s’est enfui de la RPC. Arrivé à Hong Kong le 10 octobre 2009, il a poursuivi sa route vers Toronto le même jour.

 

[5]               Le 16 novembre 2009, il a demandé l’asile au Canada. La SPR a entendu sa demande le 19 mai 2011 et a rendu sa décision le 29 juin 2011. La SPR a avisé le demandeur de sa décision le 6 juillet 2011.

 

DÉCISION À L’EXAMEN

Allégations

[6]               La SPR a examiné le récit que le demandeur avait fait de sa conversion au Falun Gong, de la descente effectuée dans les locaux de son groupe, de l’interrogatoire que le Bureau de la sécurité publique (le BSP) avait fait subir aux membres de sa famille et de l’incarcération des autres membres de son groupe.

 

Identité

[7]               Avant l’audience, le demandeur a soumis à la SPR plusieurs documents pour confirmer son identité : sa carte d’identité de résident (la CIR), un certificat de résidence [hukou], un certificat de divorce, et un dossier de soins reçus en consultation externe de l’Institut médical de la ville de Fu Zhou. Pour en vérifier l’authenticité, la SPR a transmis les documents en question au laboratoire des Services des sciences judiciaires et de l’identité de la GRC pour analyse. Dans son rapport (le rapport d’expertise), le laboratoire mentionne que, comme il ne disposait d’aucun spécimen authentique aux fins de comparaison, il était impossible de confirmer l’authenticité de la CIR du demandeur. Le rapport d’expertise mentionnait par ailleurs que la CIR qui lui était soumise était imprimée au jet d’encre, une technique qui n’est généralement pas utilisée pour l’impression de CIR authentiques.

 

[8]               À l’audience, la SPR a invité le demandeur à commenter le rapport d’expertise. Le demandeur a répondu qu’il ne s’était jamais départi de sa CIR, sauf lorsque le passeur qu’il avait engagé pour l’aider à venir au Canada l’avait eu avec lui. La SPR a estimé que le demandeur ne répondait pas aux préoccupations soulevées dans le rapport d’expertise, ajoutant qu’elle accordait plus de poids au rapport qu’au témoignage du demandeur, puisque le rapport avait été rédigé par des spécialistes de la contrefaçon. La SPR a conclu que la CIR du demandeur n’était pas authentique.

 

[9]               La SPR a également fait remarquer que le hukou et le certificat de divorce produits par le demandeur portaient le même numéro d’identification que celui qui figurait sur la CIR qu’il avait soumise. La SPR a par conséquent conclu que ces documents n’étaient pas authentiques. Le dossier de soins reçus en consultation externe contenait quant à lui peu de renseignements au sujet de la citoyenneté du demandeur, de sorte que la SPR a accordé peu de poids à ce document en tant qu’indicateur de la citoyenneté chinoise du demandeur d’asile. La SPR a également pris acte du fait que, suivant la réponse à la demande d’information (RDI) CHN103134.EF, il est facile de se procurer de faux documents en Chine.

 

[10]           En plus des pièces d’identité du demandeur, la SPR a tenu compte de l’affidavit de sa fille, qui vit au Canada et qui affirmait, dans son affidavit, que le demandeur était son père et qu’il était un citoyen de la RPC. L’affidavit de la fille du demandeur a convaincu la SPR que ce dernier était bel et bien un citoyen de la RPC.

 

Autres documents

[11]           Outre les réserves qu’elle a exprimées au sujet des pièces d’identité du demandeur, la SPR s’est dite troublée par d’autres documents que le demandeur avait soumis pour établir le bien‑fondé de sa demande. La version traduite de l’assignation que le demandeur avait soumise indiquait qu’il avait été sommé de se présenter aux bureaux du BSP à Chang Le en vertu du paragraphe 92(1) du Code pénal de la République populaire de Chine. La SPR a fait observer que, suivant le document imprimé tiré du site http://www.com‑law.net: Criminal Law of the People’s Republic of China, le paragraphe 92(1) du Code pénal de la République populaire de Chine concernait [traduction] « les citoyens et le revenu légitime, l’épargne, le logement et les autres moyens de subsistance », et ne conférait à personne le pouvoir de délivrer pareille assignation.

 

[12]           La SPR a également cité la RDI CHN103134.EF, qui donne des explications au sujet des divers types d’assignations délivrées en RPC. La SPR a constaté qu’il existait une nette différence entre la présentation et le contenu des renseignements se trouvant dans l’assignation en litige et les exemples donnés dans la RDI CHN103134.EF, qui précise qu’une assignation est délivrée en vertu de l’article 92 du Code de procédure pénale de la RPC.

 

[13]           À l’audience, l’avocat du demandeur a signalé un éventuel problème en ce qui concerne la traduction de l’assignation. L’avocat a déclaré qu’il pensait que l’assignation ne parlait pas du [traduction] « droit criminel de la République populaire de Chine », contrairement à la traduction proposée par l’interprète qu’il avait engagée. L’interprète de la SPR a examiné l’assignation à l’audience et a expliqué qu’elle parlait plutôt [traduction] « du paragraphe 92(1) du Code pénal de la République populaire de Chine ». Malgré le fait que la traduction qui a été proposée à l’audience et celle que le demandeur a avancée mentionnaient toutes les deux l’article 92, la SPR a expliqué, dans sa décision, que la divergence d’interprétation ne rendait pas compte de la différence de numéro d’article. La SPR a conclu que l’assignation était un faux en raison, d’une part, de ses réserves au sujet des autres documents soumis par le demandeur et, d’autre part, des différences relevées entre l’assignation qui lui était soumise et les exemples fournis dans la RDI CHN103134.EF.

 

[14]           Le demandeur a également soumis une carte de visiteur de la prison Bai Sha, à Fu Zhou (la carte de visiteur). La SPR a estimé que ce document ne démontrait pas qu’un membre du groupe du demandeur avait été arrêté. Elle a fondé sa conclusion sur le fait que le demandeur avait soumis d’autres documents frauduleux et sur le RDI CHN103134.EF, suivant lequel il est facile de se procurer de faux documents en RPC.

 

Pratique du Falun Gong

[15]           La SPR a conclu que le demandeur n’était pas un adepte du Falun Gong en RPC, qu’aucune descente ou arrestation n’avait eu lieu et que les autorités de la RPC n’étaient pas à sa recherche.

 

[16]           La SPR a fait observer qu’il est difficile de déterminer si une personne est véritablement un adepte du Falun Gong. La SPR a tenu compte du faible niveau de scolarité du demandeur d’asile – à peine trois ans – et du fait qu’il ne pratiquait le Falun Gong que depuis deux ans et demi. La SPR a examiné le témoignage du demandeur suivant lequel il pratiquait le Falun Gong, seul, tous les jours lorsqu’il était en RPC et qu’il le pratiquait au sein d’un groupe une fois par semaine. Dans le cadre de sa pratique, il avait notamment appris les mouvements du Falun Gong et écouté l’animateur parler des bienfaits qu’il comporte. Interrogé au sujet du Zhaun Falun ¾ le texte principal du Falun Gong ¾, le demandeur n’arrivait pas à se souvenir des détails. Il a également affirmé qu’il pratiquait seul à la maison, au Canada, et qu’il s’était joint à un groupe un mois après son arrivée.

 

[17]           La SPR a constaté que, malgré le fait qu’il avait expliqué qu’il s’était inscrit à des cours pour se familiariser avec le Falun Gong, le demandeur avait donné des réponses vagues lorsqu’on lui avait demandé ce qu’il avait appris. La SPR a estimé que le demandeur connaissait les principaux livres concernant le Falun Gong, savait ce que signifie le mot « falun », mais qu’il avait de la difficulté à expliquer le but des exercices du Falun Gong. Il n’était pas en mesure de fournir des explications au sujet de certains aspects du premier et du quatrième exercices. La SPR a conclu que le demandeur n’était pas un authentique adepte du Falun Gong. Citant maître Li, le fondateur du Falun Gong, la SPR affirme que pratiquer le Falun Gong sans en comprendre les principes fondamentaux fait en sorte que cette pratique n’est pas plus bénéfique que celle de tout autre exercice de qi gong.

 

Conclusion

[18]           La SPR a conclu que le demandeur ne s’était pas acquitté du fardeau qui lui incombait d’établir l’existence d’une possibilité sérieuse qu’il soit persécuté ou personnellement exposé au risque d’être soumis à la torture, à une menace à sa vie ou au risque de traitements ou peines cruels et inusités s’il devait retourner en RPC. La SPR a par conséquent rejeté sa demande.

 

DISPOSITIONS LÉGISLATIVES APPLICABLES

[19]           Les dispositions suivantes de la Loi s’appliquent en l’espèce :

Définition de « réfugié »

 

96. A qualité de réfugié au sens de la Convention — le réfugié — la personne qui, craignant avec raison d’être persécutée du fait de sa race, de sa religion, de sa  nationalité, de son appartenance à un groupe social ou de ses opinions politiques :

 

a) soit se trouve hors de tout pays dont elle a la nationalité et ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut se réclamer de la protection de chacun de ces pays;

 

b) soit, si elle n’a pas de nationalité et se trouve hors du pays dans lequel elle avait sa résidence habituelle, ne peut ni, du fait de cette crainte, ne veut y retourner.

 

 

Personne à protéger

 

97. (1) A qualité de personne à protéger la personne qui se trouve au Canada et serait personnellement, par son renvoi vers tout pays dont elle a la nationalité ou, si elle n’a pas de nationalité, dans lequel elle avait sa résidence habituelle, exposée :

 

a) soit au risque, s’il y a des motifs sérieux de le croire, d’être soumise à la torture au  sens de l’article premier de la Convention contre la torture;

 

b) soit à une menace à sa vie ou au risque de traitements ou peines cruels et inusités dans le cas suivant :

 

(i) elle ne peut ou, de ce fait, ne veut se réclamer de la protection de ce pays,

 

 

(ii) elle y est exposée en tout lieu de ce pays alors que d’autres personnes originaires de ce pays ou qui s’y trouvent ne le sont généralement pas,

 

(iii) la menace ou le risque ne résulte pas de sanctions légitimes — sauf celles infligées au mépris des normes internationales — et inhérents à celles‑ci ou occasionnés par elles,

 

(iv) la menace ou le risque ne résulte pas de l’incapacité du pays de fournir des soins médicaux ou de santé adéquats.

 

[…]

Convention refugee

 

96. A Convention refugee is a person who, by reason of a well‑founded fear of persecution for reasons of race, religion, nationality, membership in a particular social group or political opinion,

 

 

 

(a) is outside each of their countries of nationality and is unable or, by reason of that fear, unwilling to avail themself of the protection of each of those countries; or

 

(b) not having a country of nationality, is outside the country of their former habitual residence and is unable or, by reason of that fear, unwilling to return to that country.

 

Person in Need of Protection

 

97. (1) A person in need of protection is a person in Canada whose removal to their country or countries of nationality or, if they do not have a country of nationality, their country of former habitual residence, would subject them personally

 

(a) to a danger, believed on substantial grounds to exist, of torture within the meaning ­ of Article 1 of the Convention Against Torture; or

 

(b) to a risk to their life or to a risk of cruel and unusual treatment or punishment if

 

 

(i) the person is unable or, because of that risk, unwilling to avail themself of the protection of that country,

 

(ii) the risk would be faced by the person in every part of that country and is not faced generally by other individuals in or from that country,

 

(iii) the risk is not inherent or  incidental to lawful sanctions, unless imposed in disregard of accepted international standards, and

 

 

 

(iv) the risk is not caused by the inability of that country to provide adequate health or medical care

 

 

[…]

 

 

QUESTIONS EN LITIGE

[20]           Le demandeur soulève les questions suivantes dans la présente demande :

a.                   La conclusion de la SPR suivant laquelle les documents qu’il a soumis étaient des faux était‑elle raisonnable?

b.                  La conclusion de la SPR suivant laquelle il n’était pas un véritable adepte du Falun Gong était‑elle raisonnable?

 

NORME DE CONTRÔLE

[21]           Dans l’arrêt Dunsmuir c Nouveau‑Brunswick, 2008 CSC 9, la Cour suprême du Canada explique qu’il n’est pas toujours nécessaire de se livrer à une analyse de la norme de contrôle. En fait, lorsque la norme de contrôle applicable à la question qui lui est soumise est bien arrêtée par la jurisprudence, la juridiction de révision peut adopter cette norme. C’est seulement lorsque cette recherche est infructueuse que la juridiction de révision se livre à une analyse des quatre facteurs pertinents pour l’analyse relative à la norme de contrôle.

 

[22]           Les deux questions que le demandeur soulève dans la présente affaire remettent en question les conclusions de fait tirées par la SPR. Il est de jurisprudence constante que les conclusions de fait sont assujetties à la norme de contrôle de la décision raisonnable (Dunsmuir, précité, au paragraphe 51, Mugesera c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2005 CSC 40, au paragraphe 38, et Williams c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2005 CAF 126, au paragraphe 17). La norme de contrôle qui s’applique aux deux questions en litige en l’espèce est celle de la décision raisonnable.

 

[23]           Lorsqu’une décision est contrôlée selon la norme de la décision raisonnable, l’analyse porte sur « l’existence d’une justification, la transparence et l’intelligibilité du processus décisionnel, ainsi que sur l’appartenance de la décision aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit » (Dunsmuir, au paragraphe 47, et Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c Khosa, 2009 CSC 12, au paragraphe 59). Autrement dit, la Cour ne devrait intervenir que si la décision est déraisonnable en ce sens qu’elle n’appartient pas « aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit ».

 

PRÉTENTIONS ET MOYENS DES PARTIES

Le demandeur

La conclusion de la SPR suivant laquelle ses documents étaient des faux était déraisonnable

 

[24]           Le demandeur affirme que la SPR ne possédait pas la compétence spécialisée nécessaire pour évaluer des documents étrangers. Il affirme que le jugement Rasheed c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2004 CF 587, établit qu’un document est présumé valide à moins d’une preuve contraire. Le fait qu’une pièce d’identité soit déclarée frauduleuse ne suffit pas pour démontrer que tous les documents soumis par le demandeur d’asile ne sont pas fiables.

 

[25]           En l’espèce, la SPR a fondé sa conclusion que les documents du demandeur étaient des faux sur sa conclusion que sa CIR était frauduleuse. En concluant que la CIR du demandeur était un faux, la SPR est allée plus loin que ce qu’indiquait le rapport d’expertise, en l’occurrence que l’authenticité de la CIR du demandeur était discutable. La SPR a également estimé que les renseignements indiqués sur la CIR du demandeur ne correspondaient pas à ceux que l’on trouve généralement sur les CRI authentiques, sans toutefois expliquer en quoi consistait cette différence. Contrairement à la conclusion tirée par la SPR, le demandeur affirme que sa CIR correspond à d’autres CIR authentiques et que la SPR n’avait aucune raison valable de conclure que sa CIR était un faux.

 

[26]           La SPR a conclu que le demandeur avait établi son identité. Le demandeur affirme toutefois que la conclusion de la SPR suivant laquelle sa CIR est un faux a vicié son évaluation du reste de sa demande d’asile. La SPR a conclu que le hukou et le certificat de divorce du demandeur étaient des faux parce qu’ils comportaient le même numéro d’identification que celui qui figurait dans la CIR. Cette conclusion déraisonnable tirée au sujet de la CIR a joué un rôle déterminant sur les conclusions tirées par la SPR au sujet du hukou et du certificat de divorce. Il s’ensuit que ces conclusions sont elles aussi déraisonnables.

 

[27]           En plus de rejeter sa CIR, son hukou et son certificat de divorce, la SPR a conclu que l’assignation n’était pas un document authentique. Tout en reconnaissant que l’assignation mentionnait l’article 92 du Code de procédure pénale et non du Code pénal, la SPR a estimé que l’assignation était un faux. Cette conclusion était déraisonnable parce que les exemples tirés de la RDI CHN42444.EF sur lesquels la SPR se fondait ne sont plus à jour. Les exemples donnés par la RDI remontent à 2004 et ne permettent pas de savoir à quoi ressemblerait une assignation délivrée en 2009 comme celle qui nous intéresse en l’espèce. De plus, la RDI ne précise pas que les exemples qui s’y trouvent sont les seuls types d’assignations délivrées en RPC ou que les assignations qui sont délivrées sont identiques partout sur le territoire de la RPC. En fait, la RDI CHN42444.EF précise que « l’application de la loi peut varier considérablement en fonction des régions, où les différences constituent parfois des politiques écrites, mais [traduction] “la plupart du temps, la règle écrite cède le pas aux normes de la rue” ». La SPR a rejeté de façon déraisonnable l’assignation en se fondant sur une interprétation erronée de la RDI CHN42444.EF.

 

[28]           La SPR a également rejeté l’assignation au motif que l’article du Code pénal qui était cité était différent de celui que l’on trouve dans l’exemple donné par la RDI CHN42444.EF. Le demandeur affirme que l’article mentionné tant dans l’assignation que dans l’exemple est en fait le même, de sorte qu’il était déraisonnable de la part de la SPR de rejeter l’assignation pour cette raison. La SPR a également agi de façon déraisonnable selon lui en rejetant l’assignation et la carte de visiteur en raison de sa conclusion que les autres documents soumis par le demandeur étaient des faux.

 

[29]           Comme la conclusion de la SPR suivant laquelle les documents soumis par le demandeur étaient des faux était déraisonnable et comme cette conclusion a eu pour effet d’entacher la crédibilité du demandeur, la décision de la SPR doit lui être renvoyée pour réexamen.

 

La conclusion de la SPR suivant laquelle le demandeur n’est pas un véritable adepte du Falun Gong était déraisonnable

 

[30]           Malgré le fait qu’elle a conclu que le demandeur connaissait le Falun Gong et qu’il avait produit des photographies le montrant en train de participer à des activités du Falun Gong, la SPR a conclu qu’il n’était pas un adepte véritable. Le demandeur affirme que compte tenu de son faible niveau de scolarité et du fait qu’il n’a commencé que depuis peu à pratiquer le Falun Gong, cette conclusion était déraisonnable.

 

[31]           Le demandeur affirme que le jugement Chen c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2007 CF 270, établit que le critère auquel doivent répondre les demandeurs d’asile pour démontrer leurs connaissances religieuses en vue d’établir leur identité religieuse est très peu exigeant. Le demandeur affirme qu’il a satisfait à cette norme peu exigeante étant donné que sa pratique du Falun Gong consistait à apprendre des exercices, à témoigner des bienfaits que lui procurait la pratique du Falun Gong et à expliquer en quoi sa vie s’était améliorée depuis qu’il avait commencé à pratiquer le Falun Gong.

 

[32]           Le demandeur cite également le jugement Huang c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2008 CF 346, qui invite les tribunaux à éviter de faire une analyse microscopique des connaissances religieuses des demandeurs d’asile. En l’espèce, la SPR s’est effectivement livrée à une analyse microscopique des convictions du demandeur, ce qui était inacceptable. Au lieu d’examiner l’authenticité de ses convictions, la SPR a comparé les connaissances du demandeur avec sa propre conception des connaissances que devait à son avis avoir une personne qui se trouverait dans la même situation que lui. Cette façon de procéder était déraisonnable et la décision de la SPR doit lui être renvoyée pour réexamen.

 

[33]           Dans sa décision, la SPR déclare :

Même si le tribunal tient compte du fait que le demandeur d’asile est peu instruit et que sa pratique du Falun Gong est très récente, les conclusions selon lesquelles le demandeur d’asile ne pratiquait pas le Falun Gong en Chine, n’est pas recherché par les autorités et a fourni des documents frauduleux afin d’étoffer sa demande d’asile amènent le tribunal à croire que le demandeur d’asile ne respecte par les principes fondamentaux du Falun Gong, soit la vérité, la compassion et la tolérance.

 

 

[34]           Cet extrait démontre que l’analyse à laquelle la SPR s’est livrée pour déterminer si le demandeur était ou non un véritable adepte du Falun Gong était viciée par sa conclusion déraisonnable suivant laquelle sa CIR était un faux. La décision au complet est déraisonnable.

 

Le défendeur

Les conclusions tirées par la SPR au sujet de la crédibilité étaient raisonnables

 

[35]           Le défendeur affirme que la SPR a exprimé plusieurs réserves au sujet de la crédibilité du demandeur, ce qui a eu eu pour effet de réfuter la présomption suivant laquelle les documents soumis par le demandeur étaient authentiques :

a.                   La CIR soumise par le demandeur ne correspondait pas à une CIR authentique;

b.                  Le demandeur n’a pas répondu de façon satisfaisante dans son témoignage au rapport d’expertise non concluant;

c.                   Le hukou et le certificat de divorce du demandeur indiquaient le même numéro d’identification national que celui qui figurait sur la CIR frauduleuse;

d.                  Le dossier de soins reçus en consultation externe comportait peu de renseignements au sujet de la citoyenneté du demandeur;

e.                   L’assignation était différente des exemples donnés dans la RDI CHN42444.EF;

f.                    La carte de visiteur de la prison de Bai Sha était suspecte parce que les autres documents que le demandeur avait soumis étaient des faux.

 

[36]           Le défendeur rappelle qu’il est loisible à la SPR de préférer des éléments de preuve documentaires au témoignage du demandeur d’asile et d’ajouter foi à ces éléments de preuve documentaire, et ce, même si elle estime que le demandeur est crédible et digne de foi. En l’espèce, la SPR avait des réserves au sujet de la crédibilité du demandeur et c’est pourquoi elle a préféré de façon raisonnable la preuve documentaire au témoignage du demandeur. Il était raisonnable de la part de la SPR de conclure que le demandeur n’était pas crédible en raison de sa conclusion que ses pièces d’identité, de même que l’assignation et la carte de visiteur étaient des faux.

 

[37]           La SPR a agi de façon raisonnable en concluant que le hukou et le certificat de divorce étaient des faux. Ces documents comportaient le même numéro d’identification nationale que celui que l’on trouvait sur la CIR frauduleuse, de sorte que leur authenticité dépendait de celle de la CIR. En plus de la CIR frauduleuse, la SPR a conclu, en se fondant sur des éléments de preuve documentaire qui démontraient qu’il était facile de se procurer des faux en RPC, que le hukou et le certificat de divorce étaient également des faux. La conclusion de la SPR suivant laquelle la CIR était un faux était raisonnable, de sorte que les autres conclusions qui en découlaient sont également raisonnables.

 

[38]           Bien que le demandeur reproche à la SPR de s’être fondée sur la RDI CHN42444.EF pour examiner l’assignation, le défendeur signale qu’il s’agissait des renseignements les plus récents dont disposait la SPR. La SPR a donc agi de façon raisonnable en se fiant à ce document. Bien qu’il puisse exister des variantes d’une région à l’autre en ce qui concerne la forme des assignations, le demandeur n’a pas démontré que les normes dont il est fait état dans la RDI CHN42444.EF ne sont pas respectées dans sa région. Il était donc raisonnable de la part de la SPR de rejeter l’assignation pour cette raison.

 

Le demandeur n’est pas un véritable adepte du Falun Gong

 

[39]           Indépendamment de la question de savoir si la conclusion tirée par la SPR au sujet de la crédibilité était raisonnable ou non, sa conclusion que le demandeur n’est pas un adepte authentique du Falun Gong portait un coup fatal à la demande d’asile. Outre ses réserves quant aux pièces produites par le demandeur, la SPR avait également des réserves au sujet de l’authenticité des convictions du demandeur relativement au Falun Gong. Malgré le fait qu’il avait affirmé qu’il pratiquait le Falun Gong régulièrement, le demandeur n’avait pas été en mesure de fournir des détails au sujet du Zhuan Falun. Il a également donné des réponses vagues au sujet de ce qu’il avait appris des cours qu’il avait suivis au Canada et il avait eu de la difficulté à expliquer à quoi servaient les exercices.

 

[40]           La SPR a conclu que le demandeur avait certaines connaissances du Falun Gong, mais qu’il n’en respectait pas les principes fondamentaux. Il ressort de la transcription que le demandeur n’a pas été en mesure d’expliquer les objectifs visés par le deuxième, le troisième, le quatrième et le cinquième exercices. Le demandeur a soutenu que la SPR s’était livrée de façon déraisonnable à une analyse microscopique de ses convictions en matière de Falun Gong, mais la SPR a effectivement tenu compte de la situation particulière du demandeur et de la preuve documentaire qui lui avait été soumise. La SPR a tenu compte du fait que le demandeur était peu instruit et elle a examiné la façon dont il pratiquait le Falun Gong. Elle a également tenu compte du fait qu’à son avis, le demandeur n’était pas recherché par les autorités de la RPC et qu’il avait fourni des documents frauduleux. Compte tenu de l’ensemble de ces facteurs, il n’était pas déraisonnable de la part de la SPR de conclure que le demandeur ne respectait pas les principes fondamentaux du Falun Gong et d’écarter les raisons qu’il avait fournies pour expliquer pourquoi il n’en savait pas plus au sujet du Falun Gong.

 

[41]           La conclusion suivant laquelle le demandeur n’était pas un véritable adepte du Falun Gong était une conclusion de fait qui relevait des connaissances spécialisées de la SPR et à l’égard de laquelle il convient de faire preuve de déférence. Dans le cas qui nous occupe, les conclusions tirées par la SPR reposaient sur le dossier et appartenaient aux issues possibles et acceptables au sens de l’arrêt Dunsmuir. La Cour ne devrait pas substituer sa décision à celle de la SPR même si elle serait arrivée à une conclusion différente.

 

ANALYSE

[42]           Je souscris dans l’ensemble à l’évaluation que le demandeur fait des erreurs dont serait entachée la décision et qui justifieraient l’intervention de la Cour.

 

[43]           Les conclusions tirées par la SPR au sujet de la CIR imprègnent toute sa décision. En outre, la SPR n’a pas examiné de façon raisonnable les autres documents et éléments de preuve soumis par le demandeur. Le rapport d’expertise avait conclu que l’authenticité de la CIR était « discutable », mais la SPR a rejeté la CIR, estimant qu’elle n’était pas authentique pour les motifs suivants :

 

a.                   « une note indique, à la section « Remarques » [du rapport d’expertise], que la carte d’identité de résident de la République populaire de Chine est imprimée au jet d’encre, une technique qui n’est généralement pas utilisée pour l’impression de cartes d’identité nationale authentiques »;

b.                  « en outre, les renseignements indiqués sur la carte ne correspondent pas à ceux qui se trouvent généralement sur les cartes d’identité nationale chinoise authentiques ». 

 

[44]           La SPR précise ensuite qu’elle « accorde plus d’importance au rapport du laboratoire, puisque celui‑ci a été rédigé par des spécialistes de la contrefaçon ».

 

[45]           Cette conclusion ne tient pas, selon moi. La SPR a écarté le témoignage du demandeur en se fondant sur un rapport d’expertise dans lequel il est dit que l’authenticité est « discutable » et en faisant allusion à des contradictions qui ne sont jamais expliquées. La SPR se fonde ensuite sur ces contradictions non expliquées sans se poser plus de questions. Le défendeur n’a jamais signalé de telles contradictions et je ne dispose d’aucun élément qui permette concrètement d’affirmer que la CIR soumise par le demandeur ne correspondait pas aux modèles de CIR contenus dans les propres documents de la SPR. Il est difficile de voir comment le demandeur pouvait répondre à des « contradictions » que la SPR elle‑même n’était pas en mesure de repérer ou de lui indiquer.

 

[46]           En tout état de cause, le rapport d’expertise démontre lui‑même à l’évidence que ces prétendues contradictions ne suffisent pas pour démontrer que la CIR n’était pas authentique. Le rapport d’expertise semble même se contredire lui‑même : il affirme qu’il n’existe pas de spécimen authentique auquel on pourrait comparer la CIR du demandeur, mais ajoute que « les renseignements indiqués sur la carte ne correspondent pas à ceux qui se trouvent généralement sur les cartes d’identité nationale chinoise authentiques ». Même si le rapport d’expertise a été rédigé par des spécialistes de la contrefaçon, je ne vois pas comment ces experts pouvaient affirmer que la CIR contredisait les renseignements qui existaient alors que, de leur propre aveu, ils ne disposaient pas d’échantillons authentiques.

 

[47]           Dans ces conditions, la conclusion de la SPR suivant laquelle la CIR n’était pas authentique ne reposait sur aucun fondement raisonnable. Pourtant, la SPR s’appuie sur cette conclusion pour ensuite conclure que les autres documents soumis par le demandeur ne sont pas authentiques et se sert, ensuite, de cette conclusion pour étayer sa conclusion que le demandeur n’est pas un adepte véritable du Falun Gong.

 

[48]           La juge Layden‑Stevenson a dit ce qui suit à ce propos dans le jugement Lin c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2006 CF 84, au paragraphe 12 :

Le fait que la première CR a été considérée comme un faux document ne signifie pas nécessairement que la deuxième CR, le certificat de naissance de l’enfant, le certificat d’études et la fiche de ménage le sont également. Comme il a été mentionné précédemment, la SPR a rejeté tous les documents produits au motif que la CR était un faux document et qu’il était facile d’obtenir de faux documents en Chine. Rien n’a été fait pour vérifier l’authenticité des autres documents. Mme Lin affirmait que ces documents étaient authentiques et qu’elle ignorait que la CR ne l’était pas. La seule explication qu’elle pouvait donner, c’est que la carte avait été en possession de la « tête de serpent » jusqu’à ce qu’elle paie cette personne. Cette explication n’a pas convaincu la SPR parce que Mme Lin n’en avait pas parlé auparavant dans son FRP. On ne semble pas s’être demandé pourquoi elle aurait fourni un tel renseignement alors que, d’après ce qu’elle dit, elle ignorait que la carte était un faux document. Le FRP indique en fait que la CR était en Chine.

 

 

[49]           Après avoir conclu que le demandeur était effectivement un citoyen de la RPC, la SPR a agi de façon déraisonnable en ne tenant pas compte de ce facteur pour évaluer l’authenticité des documents soumis par le demandeur. Pourquoi un citoyen authentique n’aurait‑il pas une CIR authentique?

 

[50]           La conclusion déraisonnable tirée par la SPR au sujet de la CIR a eu pour effet de vicier de façon déraisonnable toute son évaluation des autres éléments de la demande d’asile du demandeur. Elle a rejeté les autres pièces d’identité produites par le demandeur en se fondant sur les conclusions déraisonnables qu’elle avait tirées au sujet de sa CIR. Son raisonnement se résume à dire que comme la CIR n’est pas authentique, les autres documents ne le sont pas non plus. Si la première conclusion était déraisonnable ¾ et c’est ce que je crois ¾, les conclusions subséquentes que la SPR a tirées au sujet des pièces d’identité fournies par le demandeur sont tout autant déraisonnables.

 

[51]           Ainsi que le demandeur le souligne, la SPR a poursuivi en rejetant la presque totalité des autres documents qu’il avait soumis à l’appui de sa demande. La SPR a commencé par conclure que l’assignation était un faux. Le demandeur a soumis l’assignation avec une traduction anglaise. À l’audience, il a été décidé, après avoir consulté l’interprète agréé choisi par la SPR que la traduction anglaise de l’assignation que le demandeur avait fournie renfermait une erreur. La traduction anglaise parle du paragraphe 92(1) du Code pénal de la RPC alors que l’assignation originale du demandeur ne mentionne pas cette loi. La SPR a accepté que l’assignation citait en fait le Code de procédure pénale et que la traduction anglaise renfermait une erreur. La SPR a néanmoins remis en question l’authenticité du document. À cet égard, la SPR a cité des documents tirés de son propre cartable national de documentation qui donne des exemples d’assignations chinoises. La SPR a comparé l’assignation à ces exemples et a estimé que leur présentation était fort différente.

 

[52]           J’accepte l’argument du demandeur suivant lequel cette conclusion était entièrement déraisonnable. La RDI CHN42444.EF, sur laquelle la SPR s’est fondée, remonte à juin 2004. Il est fort peu probable que ce document ait pu constituer une source fiable pour savoir ce à quoi pouvait ressembler une assignation délivrée en 2009. En tout état de cause, la RDI CHN42444.EF précise bien que les assignations données à titre d’exemple ne sont que des « modèles ». La RDI n’affirme pas qu’il s’agit des seules formes d’assignation délivrées par les autorités chinoises et elle n’affirme pas non plus que le style et le contenu des assignations sont uniformes sur tout le territoire de la Chine. Au contraire, ainsi que le demandeur le souligne, le document démontre que l’application de la loi peut varier considérablement d’une région à l’autre de la RPC en ce qui concerne la procédure. En particulier :

[…] même si le droit procédural en Chine devait être appliqué uniformément et que le Ministère de la Sécurité publique avait déployé des efforts concertés afin d’améliorer les normes policières, en pratique, le [traduction] « BSP [Bureau de la sécurité publique] n’a pas encore établi la primauté du droit » (ibid. 21 avr. 2004). Selon le professeur agrégé, l’application de la loi peut varier considérablement en fonction des régions, où les différences constituent parfois des politiques écrites, mais [traduction] « la plupart du temps la règle écrite cède le pas aux normes de la rue » (ibid.).

 

 

[53]           Par conséquent, suivant les renseignements contenus dans la RDI, le fait que l’assignation soit différente sous certains aspects des modèles proposés dans la RDI n’est ni surprenant ni douteux. Je suis d’accord avec le demandeur pour dire que la SPR a commis une erreur en rejetant son assignation en se fondant sur une interprétation trop stricte et en fin de compte erronée d’un document désuet.

 

[54]           La SPR a également conclu que l’assignation n’était pas authentique parce que l’article tiré du Code de procédure pénale chinois était différent de celui qui était mentionné dans l’assignation donnée comme exemple dans la RDI CHN42444.EF. Cependant, l’assignation du demandeur et le modèle d’assignation mentionnent le même article. Ainsi que la SPR l’a déclaré, le modèle d’assignation mentionnait « l’article 92 ». Or, l’assignation du demandeur mentionne aussi l’article 92. Par conséquent, la conclusion de la SPR est, selon moi, manifestement erronée.

 

[55]           Il importe par ailleurs de signaler, en ce qui concerne l’assignation, que la SPR se fonde de nouveau sur ses « conclusions précédentes concernant la non‑authenticité des autres documents d’identité » pour justifier son rejet de l’authenticité de l’assignation. La SPR utilise le même raisonnement pour rejeter l’authenticité de la carte de visiteur que le demandeur avait soumise pour démontrer qu’un autre adepte avait été arrêté. Là encore, il est évident que la conclusion déraisonnable initiale tirée par la SPR au sujet de la CIR du demandeur a vicié toute son analyse de la demande d’asile du demandeur.

 

[56]           La SRP a également étayé sa conclusion que le demandeur n’était pas un véritable adepte du Falun Gong en tirant les conclusions suivantes sur les documents non authentiques :

Bien que le demandeur d’asile possède une certaine connaissance du Falun Gong et ait fourni des photographies de lui participant à des activités de Falun Gong, le tribunal conclut, selon la prépondérance des probabilités, qu’il n’est pas un véritable adepte du Falun Gong. Même si le tribunal tient compte du fait que le demandeur d’asile est peu instruit et que sa pratique du Falun Gong est très récente, les conclusions selon lesquelles le demandeur d’asile ne pratiquait pas le Falun Gong en Chine, n’est pas recherché par les autorités et a fourni des documents frauduleux afin d’étoffer sa demande d’asile amènent le tribunal à croire que le demandeur d’asile ne respecte par les principes fondamentaux du Falun Gong, soit la vérité, la compassion et la tolérance. Pratiquer le Falun Gong sans en comprendre les principes fondamentaux fait en sorte que cette pratique n’est pas plus bénéfique que celle de tout autre exercice de qi gong. Maître Li a affirmé [traduction] : « Pourquoi vous dis‑je d’étudier, de lire et de mémoriser le Zhuan Falun? Afin que vous soyez cultivés! Ceux qui font seulement les exercices sans étudier ne sont pas des disciples de Dafa (Falun Gong).

 

 

[57]           La SPR semble affirmer que le demandeur ne respecte pas le principe fondamental de « la vérité » parce qu’il a « fourni des documents frauduleux afin d’étoffer sa demande d’asile ». Il semblerait donc que, si les documents fournis par le demandeur n’étaient pas des faux, cet aspect aurait une importance capitale pour ce qui est de son argument qu’il est un véritable adepte du Falun Gong.

 

[58]           Comme le demandeur le souligne, son témoignage n’a finalement pas persuadé la SPR qu’il possédait des connaissances suffisantes au sujet du Falun Gong. La SPR a toutefois elle‑même reconnu que le demandeur n’avait que trois années d’études et que sa pratique du Falun Gong était très récente. De plus, le demandeur s’était exprimé de façon crédible sur plusieurs aspects du Falun Gong. Ainsi :

                                 i.            Interrogé au sujet de sa pratique, le demandeur a déclaré qu’elle comportait l’apprentissage de mouvements et que son instructeur parlait des théories et des bienfaits du Falun Gong;

                               ii.            Interrogé au sujet des enseignements précis qu’il avait reçus de son instructeur, le demandeur a répondu qu’on lui avait parlé du fondateur du Falun Gong, que de nombreuses personnes participaient, que le Falun Gong comportait des bienfaits pour la santé et qu’il se sentirait mieux sur le plan mental et serait plus honnête;

                              iii.            Interrogé au sujet du Falun Gong en général, le demandeur a parlé brièvement de cultiver son esprit, ajoutant qu’il n’était plus aussi impatient qu’auparavant et que sa santé s’était améliorée, et expliquant que la pratique, lorsqu’elle est portée à un certain degré, l’amènerait vers la vérité, la compassion et la patience. Il a également expliqué qu’il en viendrait à devenir plus serviable, plus pacifique et plus honnête.

                             iv.            Le demandeur connaissait les principaux livres concernant le Falun Gong, savait ce que signifient la tolérance et le mot « Falun », et a parlé du « karma » et du « troisième œil ». 

 

[59]           Il importe de signaler à cet égard que, suivant la jurisprudence de notre Cour, la norme à laquelle les demandeurs d’asile doivent satisfaire pour établir leur identité religieuse est très peu exigeante. Ainsi, dans le jugement Chen, précité, la Cour a annulé la décision dans laquelle la SPR avait estimé que le demandeur d’asile n’était pas un chrétien authentique en se fondant en partie sur sa conclusion que les connaissances religieuses de M. Chen étaient insuffisantes. Le juge Barnes a estimé que l’évaluation que la SPR avait faite des connaissances religieuses du demandeur d’asile était erronée et il a déclaré :

[16]      La manière dont la Commission a mesuré les connaissances religieuses de M. Chen pose problème elle aussi. Pour quelqu’un qui n’est exposé aux pratiques chrétiennes et à la doctrine chrétienne que depuis seulement deux ans et demi, M. Chen a montré un niveau de connaissance tout à fait raisonnable. Il était injuste de le condamner parce qu’il n’avait pas été en mesure de situer le récit de l’Arche de Noé dans la Bible. Nombre de gens qui ont grandi dans la foi chrétienne n’auraient pas fait mieux que M. Chen : voir le jugement Feradov c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [2007] A.C.F. n° 135, 2007 CF 101, paragraphe 16.

 

 

[60]           De même, dans le jugement Huang, précité, le juge Richard Mosley a estimé que la SPR avait agi de façon déraisonnable en concluant que le demandeur d’asile n’était pas un chrétien en raison de ses connaissances insuffisantes de la chrétienté. Le juge Mosley a conclu que la SPR s’était livrée à une analyse trop rigoureuse et microscopique des connaissances religieuses du demandeur d’asile. Le juge Mosley a déclaré, aux paragraphes 10 et 11, que le demandeur d’asile :

a grandi dans un pays où la foi chrétienne ne compose pas le tissu social. La transcription de l’audience montre clairement que ses connaissances en matière de foi chrétienne l’emportent largement sur ses quelques erreurs sur des questions de doctrine. La SPR semble avoir exagérément mis l’accent sur ces quelques erreurs ou malentendus au point d’en faire une analyse microscopique, ce qui a été critiqué dans l’arrêt Attakora c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration) (C.A.F.) (1989), 99 N.R. 168, [1989] A.C.F. n444, et dans des décisions ultérieures.

 

La commissaire a exigé des connaissances déraisonnablement élevées au sujet de la doctrine chrétienne, et elle a clairement pondéré la description donnée par le demandeur d’un service religieux ordinaire célébré à l’église clandestine en fonction de sa propre idée du déroulement d’un tel service.

 

 

[61]           Compte tenu du critère très peu exigeant que notre Cour impose aux demandeurs d’asile pour démontrer leurs connaissances religieuses, je suis d’avis que, comme dans l’affaire Huang, la SPR s’est livrée en l’espèce à une analyse trop rigoureuse et microscopique des connaissances que le demandeur avait du Falun Gong. La SPR a commis une erreur en évaluant le témoignage donné par le demandeur sur cette question à partir de sa propre conception erronée de ce qu’une personne se trouvant dans la même situation que le demandeur saurait ou comprendrait ou devrait savoir ou comprendre. Je suis d’accord avec le demandeur pour dire que, ce faisant, la SPR a fondé sa conclusion qu’il n’était pas un adepte authentique du Falun Gong sur des exigences déraisonnables et impossibles à respecter en ce qui concerne la connaissance du Falun Gong. La SPR a également négligé de tenir compte du fait, comme le juge Francis Muldoon l’a expliqué dans le jugement Valtchev c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [2001] ACF no 1131, que « les revendicateurs proviennent de cultures diverses et que des actes qui semblent peu plausibles lorsqu’on les juge en fonction des normes canadiennes peuvent être plausibles lorsqu’on les considère en fonction du milieu ».

 

[62]           Pour les motifs qui ont été exposés, la décision est déraisonnable et l’affaire doit être renvoyée à la SPR pour être réexaminée.

 

[63]           Les avocats s’entendent pour dire qu’il n’y a aucune question à certifier et la Cour est du même avis.

 


JUGEMENT

 

LA COUR :

 

1.                  ACCUEILLE la demande; ANNULE la décision et RENVOIE l’affaire à la SPR pour qu’elle soit réexaminée par un tribunal différemment constitué;

2.                  DÉCLARE qu’il n’y a aucune question à certifier.

 

 

« James Russell »

Juge

 

 

 

 

Traduction certifiée conforme

Édith Malo, LL.B.

 

 


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

DOSSIER :                                                    IMM‑4836‑11

 

 

INTITULÉ :                                                   LIEN LIN

 

demandeur

                                                                        ‑ et ‑

 

                                                                        MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

défendeur

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                             Toronto (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :                           Le 31 janvier 2012

 

MOTIFS DU JUGEMENT

ET JUGEMENT :                                          LE JUGE RUSSELL

 

DATE DES MOTIFS :                                  Le 5 mars 2012

 

 

COMPARUTIONS :

 

Elyse Korman

 

POUR LE DEMANDEUR

 

Meva Motwani

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

OTIS & KORMAN

Avocats

Toronto (Ontario)

 

POUR LE DEMANDEUR

 

Myles J. Kirvan

Sous‑procureur général du Canada

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

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