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Cour fédérale

 

Federal Court

 


Date : 20120301

Dossier : T-493-11

Référence : 2012 CF 284

Ottawa (Ontario), le 1 mars 2012

En présence de madame la juge Bédard 

 

ENTRE :

 

GILLES OUELLETTE

 

 

 

demandeur

 

et

 

 

 

LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

 

 

 

 

défendeur

 

 

 

 

         MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

[1]               Il s’agit d’une demande de contrôle judiciaire à l’encontre d’une décision de la Section d’appel de la Commission nationale des libérations conditionnelles (la Commission) qui a confirmé une décision de la Commission du 16 juin 2010. Dans cette décision, la Commission a refusé la demande de semi-liberté et de libération conditionnelle du demandeur parce qu’elle était d’avis qu’il présente un risque de récidive inacceptable pour la société.

 

[2]               Pour les motifs qui suivent, la demande de contrôle judiciaire est rejetée.

 

I. Contexte

[3]               Le demandeur purge, depuis 1989, une peine à perpétuité sans possibilité de libération avant 25 ans pour deux meurtres au premier degré. Les meurtres commis ont été violents et gratuits. Le demandeur a toujours nié avoir été l’auteur des meurtres.

 

[4]               Bien qu’il soit admissible à une semi-liberté depuis le 7 janvier 2005 et à une libération conditionnelle totale depuis le 7 janvier 2008, aucune forme d’élargissement dans la communauté n’a été accordée au demandeur à ce jour, hormis des permissions de sorties avec escorte pour des raisons médicales. Le dossier du demandeur a été analysé par la Commission à quelques reprises entre 2005 et 2010.

 

[5]               En décembre 2009, la Commission a refusé la demande de semi-liberté et de libération conditionnelle du demandeur. Toutefois, à cette occasion, la Commission a, de façon exceptionnelle, fixé une date de revue du dossier six mois plus tard. Cette revue du dossier a donné lieu à la décision du 16 juin 2010 qui fait l’objet de la présente demande de contrôle judiciaire.

 

[6]               Il est donc utile de revenir sur la décision de décembre 2009 qui a balisé le contexte de la revue du dossier du demandeur.

 

[7]               Dans la décision du 16 décembre 2009, la Commission a refusé d’accorder au demandeur une semi-liberté et une liberté conditionnelle totale. Elle a jugé que ces élargissements étaient prématurés parce qu’elle était d’avis que le demandeur présentait un risque inacceptable pour la société. Cette décision était notamment fondée sur les éléments suivants :

a.       La fiche criminelle du demandeur débute en 1974 et comporte des crimes planifiés et structurés, dont certains comportaient de la violence, incluant le recours à des armes;

b.      Les principaux facteurs contributifs de la criminalité du demandeur sont liés à l’appât du gain, des troubles de la personnalité, un potentiel de violence non négligeable, des carences affectives et des lacunes au niveau du développement structurel et social;

c.       Les différents professionnels qui ont évalué le demandeur ont posé des diagnostics de trouble de la personnalité narcissique avec des caractéristiques paranoïaques ainsi que des traits antisociaux. Ils ont évalué le risque de récidive violente du demandeur à modéré, à court, moyen et long terme, associé à un caractère imprévisible et impulsif;

d.      La dernière évaluation psychologique datée du 26 octobre 2009 réitère les diagnostics déjà posés. La psychologue a entre autres noté que certains éléments paranoïdes paraissaient compliquer la remise en question du demandeur et sa capacité de faire confiance et de construire une alliance positive avec autrui. Elle a aussi noté que le demandeur est toujours rébarbatif à l’encadrement et qu’il utilise des mécanismes de défense qui sont très rigides. Elle a évalué le risque de récidive violente comme étant modéré et conclu à la nécessité d’un retour très graduel du demandeur dans la communauté;

e.       L’équipe de gestion de cas (ÉGC) du demandeur indique qu’il a toujours nié avoir commis les crimes pour lesquels il a été reconnu coupable et que son cycle de délinquance et ses facteurs contributifs n’ont pas été traités. Elle a évalué le potentiel de réinsertion sociale du demandeur comme étant faible et considère qu’il présente toujours un risque élevé de récidive criminelle;

f.        L’ÉGC trouve inquiétant de constater qu’après plus de 20 ans d’incarcération, le demandeur n’est toujours pas en mesure d’identifier les sources de sa criminalité et qu’il n’est pas réellement disposé à en connaître les raisons. L’ÉGC a également noté, comme plusieurs intervenants, que le demandeur fait preuve d’une certaine instabilité émotionnelle;

g.       L’ÉGC estime de plus que le demandeur n’a pas fait de progrès observables et mesurables depuis le début de son incarcération et recommande le refus de la semi‑liberté et de la libération conditionnelle totale;  

h.       Le demandeur présente des résistances évidentes aux traitements puisqu’il n’a participé à aucun programme carcéral pour contrer les facteurs contributifs de sa criminalité;

i.         La Commission a déjà rappelé au demandeur, en 2005 et en 2007, qu’il était essentiel qu’il développe des liens de confiance avec les membres de son ÉGC et qu’il participe à son plan correctionnel.

 

[8]               La Commission a également noté que toutes les décisions négatives depuis 2005 l’ont été en raison de la rigidité du demandeur et du fait qu’il n’a pas travaillé, à partir des programmes internes, sur les facteurs contributifs à sa criminalité.

 

[9]               La Commission a par ailleurs indiqué que le demandeur avait fait un certain cheminement et qu’elle notait une certaine souplesse, ce qui était nouveau. Elle a notamment fait référence au fait qu’il avait débuté un suivi psychologique avec un psychologue, le Dr. Saint-Amant, dans le cadre duquel il semblait amorcer une réflexion sur sa criminalité. La Commission a noté que le psychologue avait souligné que le demandeur faisait des efforts pour s’ouvrir malgré le fait qu’il était encore difficile d’établir un lien de confiance avec lui et il jugeait nécessaire de poursuivre le suivi.

 

[10]           La Commission a également noté que le demandeur rencontrait aussi un représentant d’Option-Vie sur une base régulière, qu’il entretenait un bon lien avec lui et qu’il avait démontré une ouverture sur le plan émotif. La Commission a indiqué que cette démarche semblait lui avoir permis de mieux comprendre sa criminalité et de diminuer l’aspect légaliste négatif de ses arguments.

 

[11]           Malgré ces démarches, la Commission a jugé que le demandeur présentait toujours un risque inacceptable pour la société. Les démarches entreprises par le demandeur ont toutefois amené la Commission à fixer une date de réexamen de son dossier six mois plus tard. La Commission a par ailleurs énoncé les attentes suivantes à l’endroit du demandeur : (1) il devait travailler en étroite collaboration avec son agent de libération conditionnelle (ALC) pour cibler des objectifs en vue de faire baisser sa cote de sécurité et d’obtenir une déclassification institutionnelle; (2) il devait continuer son suivi psychologique; (3) il devait se concentrer à développer une plus grande souplesse et ouverture; et (4) il devait travailler avec son ALC à l’élaboration d’un projet de sortie.

 

[12]           C’est donc dans ce contexte précis que s’est tenue l’audience du 16 juin 2010. La Commission avait en main l’ensemble du dossier du demandeur, incluant le rapport de thérapie psychologique préparé le 10 février 2010 par le Dr. St-Amant et l’évaluation en vue d’une décision préparée le 11 avril 2010 à l’intention de la Commission par l’ÉGC du demandeur. Le demandeur a également témoigné lors de l’audience.

 

[13]           Le rapport de thérapie du Dr. Saint-Amant résume le suivi dont a profité le demandeur pour la période du 14 septembre 2009 au 21 janvier 2010. Le Dr. Saint-Amant indique que le demandeur a offert une bonne participation dans le cadre du suivi, mais qu’il reste du travail à faire sur son cycle d’infraction et sur ses habiletés sociales. Il a également noté que le demandeur a démontré sa capacité à s’impliquer de façon profitable, ce qui constitue un progrès. Il a par ailleurs indiqué que la démarche n’avait pas réduit le risque de récidive.

 

[14]           L’ÉGC a préparé une évaluation en vue d’une décision dans laquelle elle a recommandé que la demande de semi-liberté et de libération conditionnelle totale du demandeur soit refusée parce qu’elle était d’avis qu’il représentait toujours un risque de récidive inacceptable pour la société. L’ÉGC a refait un historique complet du dossier du demandeur, de ses diverses évaluations psychiatriques et psychologiques, de ses démarches et de son cheminement depuis l’audience de décembre 2009. L’ÉGC a indiqué n’avoir noté aucun progrès significatif et durable durant la période visée par l’évaluation, et ce, bien que le demandeur ait complété son suivi psychologique. De plus, l’ÉGC a indiqué que le demandeur n’avait toujours pas créé de lien de confiance avec son ALC, que ces demandes demeuraient utilitaires et qu’il n’abordait pas les aspects de sa criminalité. L’ÉGC a en outre noté que le demandeur semblait croire qu’il ne récidiverait pas, mais ce, sans avoir démontré qu’il se connaissait bien et en faisant abstraction des principaux anxiogènes qui pourraient survenir lors de sa sortie.

 

[15]           La Commission a refusé d’acquiescer à la demande du demandeur, jugeant qu’il présentait encore un risque de récidive inacceptable pour la société. Dans sa décision, la Commission a refait un sommaire de l’ensemble du dossier du demandeur et de son cheminement et traité des attentes fixées par la Commission lors de l’audience de décembre 2009.

 

[16]           Premièrement, la Commission a indiqué que l’objectif relatif au travail étroit que le demandeur devait faire avec son ÉGC pour l’amener à une baisse de sa cote de sécurité et à une déclassification institutionnelle n’était pas atteint. La Commission a noté que le demandeur demeurait un individu revendicateur, justificateur et centré sur lui-même et qu’il semblait déterminé à demeurer sur ses positions.

 

[17]           Deuxièmement, la Commission a reconnu que le demandeur avait complété le suivi psychologique amorcé avec le Dr. Saint-Amant. Elle par ailleurs noté que le psychologue n’avait pas été en mesure de conclure que le suivi psychologique avait permis de réduire le risque de récidive du demandeur. Elle a toutefois noté que le fait qu’il ait pu s’engager dans cette démarche avec une personne du service correctionnel était un signe d’ouverture. La Commission a aussi noté le suivi fait par le demandeur avec un représentant d’Option-Vie.

 

[18]           La Commission a par ailleurs jugé que le demandeur aurait avantage à poursuivre son travail d’introspection par le biais d’une thérapie. La Commission a noté que le demandeur était incapable d’identifier les obstacles qui pourraient surgir à sa sortie ce qui témoignait d’une méconnaissance de la réalité quotidienne à laquelle il serait confronté.

 

[19]           Troisièmement, la Commission a noté que le demandeur avait présenté un projet de sortie dans le cadre duquel il pourrait bénéficier de divers appuis, notamment de celui de membres de sa famille. Elle a toutefois jugé que le projet de sortie du demandeur était « nettement prématuré ». La Commission a émis les commentaires suivant à l’égard du projet de sortie du demandeur :

Après vingt-huit années d’incarcération, il faut être bien naïf et présomptueux pour croire que votre retour en communauté se fera sans problème. La Commission peut difficilement croire que vous serez capable de faire preuve d’ouverture, de collaboration et de transparence envers les intervenants du SCC dans la communauté alors que vous êtes incapable de le faire en institution.

 

Votre projet de sortie est peut-être bien préparé mais il est nettement prématuré. Tous les intervenants professionnels qui ont eu à se pencher sur votre dossier sont unanimes à savoir, la nécessité pour vous d’une déclassification institutionnelle et d’un programme de sorties graduelles. Il ne servirait à rien de brûler les étapes puisque les conséquences risqueraient d’être encore plus graves pour la société et pour vous-même. 

 

II. Décision de la Section d’appel de la Commission

[20]           Le demandeur a porté la décision de la Commission devant la Section d’appel. Dans le cadre de son appel, le demandeur soutenait, dans un premier temps, que la Commission avait violé les règles d’équité procédurale parce qu’il n’avait pas été en mesure de livrer un témoignage complet en raison des nombreuses interruptions et interventions des commissaires qui l’ont empêché de donner des réponses complètes à leurs questions.    

 

[21]           Le demandeur a également reproché à la Commission d’avoir fait des affirmations qui n’étaient pas fondées sur la preuve et qui étaient incomplètes. Le demandeur reprochait également à la Commission de ne pas avoir pris en compte la situation particulière existant entre lui et le service correctionnel et qui a mené au versement d’un dédommagement substantiel de la part du gouvernement. Le demandeur reprochait également à la Commission d’avoir erré dans son évaluation du risque de récidive violente qu’il présentait. La Section d’appel de la Commission a rejeté l’appel dans une décision datée du 17 février 2011.

 

[22]           La Section d’appel a jugé que les règles d’équité procédurales n’avaient pas été violées et que le demandeur avait amplement eu l’occasion de présenter son dossier, d’exprimer son point de vue et de répondre aux questions de la Commission. Elle a par ailleurs estimé que les interventions des commissaires visaient à recadrer le débat sur la question relative au risque de récidive que présentait le demandeur et au cheminement qu’il avait fait depuis l’audience de décembre 2009 et que la Commission lui avait accordé une audience juste et équitable. La Section d’appel a de plus jugé que l’appréciation de la preuve par la Commission était raisonnable et conforme aux critères prévus dans la Loi sur le système correctionnel et la mise en liberté sous condition, LC 1992. ch 20 (la Loi) et aux énoncés de la Commission. La Section d’appel a également conclu que la Commission n’avait pas fait d’affirmations erronées.

 

III. Questions en litige

[23]           La Cour est saisie d’une demande de contrôle judiciaire de la décision de la Section d’appel qui a confirmé la décision de la Commission. La jurisprudence a par ailleurs reconnu que dans une telle situation, la Cour est essentiellement appelée à s’assurer de la légalité de la décision de la Commission (Cartier c Canada (Procureur général), 2002 CAF 384, [2003] 2 CF 317 [Cartier]); Mymryk c Canada (Procureur général), 2010 CF 632, 382 FTR 8).

 

[24]           Les reproches formulés par le demandeur à l’encontre de la décision de la Commission sont essentiellement les mêmes que ceux qu’il a invoqués dans le cadre de son appel. Le présent dossier soulève donc les questions en litige suivantes :

(1) La Commission a-t-elle violé les règles d’équité procédurale en ne permettant pas au demandeur de participer pleinement à l’audience du 16 juin 2010?

(2) La Commission a-t-elle erré dans son appréciation du dossier et des circonstances du demandeur?

 

IV. Les normes de contrôles

[25]           Un manquement à l’équité procédurale invalidera la décision de la Commission (Sketchley c Canada (Procureur général), 2005 CAF 404 au para 53, [2006] 3 RCF 392).

 

[26]           La Cour doit par ailleurs faire preuve de déférence à l’égard de la décision de la Commission au mérite.  La décision de la Commission relève de son expertise particulière et implique essentiellement une appréciation des faits et circonstances du dossier du demandeur. Une telle décision doit être révisée selon la norme de la décision raisonnable (Cartier, précité aux para 6‑10, Dunsmuir c Nouveau-Brunswick, 2008 CSC 9 au para 53, [2008] 1 RCS 190 [Dunsmuir]).

 

[27]           Le rôle de la Cour lorsqu’elle révise une décision selon la norme de la décision raisonnable a été énoncé comme suit dans Dunsmuir,  précité au para 47 :

 

47        La norme déférente du caractère raisonnable procède du principe à l'origine des deux normes antérieures de raisonnabilité : certaines questions soumises aux tribunaux administratifs n'appellent pas une seule solution précise, mais peuvent plutôt donner lieu à un certain nombre de conclusions raisonnables. Il est loisible au tribunal administratif d'opter pour l'une ou l'autre des différentes solutions rationnelles acceptables. La cour de révision se demande dès lors si la décision et sa justification possèdent les attributs de la raisonnabilité. Le caractère raisonnable tient principalement à la justification de la décision, à la transparence et à l'intelligibilité du processus décisionnel, ainsi qu'à l'appartenance de la décision aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit.

 

V. Analyse

(1) La Commission a-t-elle violé les règles d’équité procédurale en ne permettant pas au demandeur de participer pleinement à l’audience du 16 juin 2010?

 

[28]           Le demandeur soutient que l’audience du 16 juin 2010 a été viciée par un nombre important d’interruptions de la part des commissaires qui l’ont empêché de donner des réponses complètes, d’expliquer sa situation et de témoigner relativement au conflit existant entre lui et les représentants du service correctionnel. Le demandeur soutient qu’il a soulevé la problématique lors de l’audience et qu’il a demandé en vain aux commissaires de le laisser compléter ses réponses.

 

[29]           Le défendeur réfute cette allégation et soutient que le demandeur a bénéficié d’une audience équitable et que les interventions des commissaires visaient à encadrer la discussion et étaient appropriées.

 

[30]           Il est important de conserver à l’esprit que l’audience du 16 juin 2010 se faisait dans le contexte d’un suivi à la décision rendue par la Commission le 16 décembre 2009 et que l’objet de l’audience était de vérifier les progrès et le cheminement du demandeur en regard de l’ouverture notée six mois auparavant et des attentes précises énoncées par la Commission. L’audience avait donc un objectif et un but précis.

 

[31]           De plus, le rôle de la Commission est encadré par la Loi. L’article 100 de la Loi précise l’objet de la mise en liberté sous condition lequel « vise à contribuer au maintien d’une société juste, paisible et sûre en favorisant, par la prise de décisions appropriées quant au moment et aux conditions de leur mise en liberté, la réadaptation et la réinsertion sociale des délinquants en tant que citoyens respectueux des lois ». Le paragraphe 101 a) de la Loi précise que la protection de la société demeure le critère déterminant dans tous les cas et au terme de l’article 102 de la Loi, la Commission peut autoriser la libération conditionnelle si elle est d’avis qu’une récidive du délinquant ne présentera pas un risque inacceptable pour la société. Le mandat de la Commission consistait donc à mesurer ce risque. Pour ce faire, elle devait tenir compte de toute l’information pertinente et disponible (paragraphe 101 b) de la Loi), incluant les représentations faites par le demandeur. Les audiences de la Commission sont par ailleurs de nature inquisitoire et non contradictoire (Mooring c Canada (Commission nationale des libérations conditionnelles), [1996] 1 RCS 75, aux para 26-27 (disponible sur CanLII); Yaari c Canada (Procureur général), 2005 CF 1353 au para 7, 275 FTR 291). Il était donc normal que la Commission pose des questions ciblées.

 

[32]           J’ai relu toute la transcription de l’audience devant la Commission et je partage l’opinion de la Section d’appel de la Commission. Il est vrai que les commissaires sont intervenus à plusieurs reprises, mais leurs interventions avaient pour objet de recadrer le débat et, compte tenu du rôle de la Commission et de l’objectif de l’audience, j’estime que le demandeur a eu l’opportunité de participer pleinement au processus et de s’exprimer sur tous les volets pertinents de la décision que devait prendre la Commission. Le demandeur a été en mesure de répondre aux questions des commissaires, il a eu l’occasion de faire des représentations et de fournir à la Commission les explications qui étaient pertinentes aux fins d’examiner le cheminement qu’il avait fait au cours des six mois précédents.

 

(2) La Commission a-t-elle erré dans son appréciation du dossier et des circonstances du demandeur?

 

[33]           Le demandeur reproche à la Commission d’avoir fait des affirmations qui sont incomplètes et erronées. Il soutient que ce faisant, la Commission a tiré des conclusions en ignorant des éléments de preuve importants, ce qui contreviendrait au paragraphe 101 b) de la Loi. Il reproche également à la Commission d’avoir refusé de prendre en considération la situation très particulière qui existe entre lui et le service correctionnel, laquelle constituait une information pertinente qui ne pouvait être ignorée.

 

[34]           Le demandeur soutient de plus que la Commission a fait une analyse incomplète du risque de récidive qu’il représente et qu’elle a omis de considérer les critères fixés aux articles 100 à 102 de la Loi, lesquels découlent des critères énoncés par la Cour suprême dans Steele c Établissement Mountain, [1990] 2 RCS 1385 (disponible sur CanLII).

 

[35]           Le défendeur, pour sa part, soutient que la décision de la Commission était raisonnable. Je partage cet avis.

 

[36]           L’objectif de la revue d’examen consistait à mesurer les progrès faits pas le demandeur au cours des six derniers mois et d’évaluer si son cheminement avait réduit le risque de récidive qu’il représente pour la société. L’examen de la Commission a été concentré sur cette question et elle a analysé la preuve en regard des attentes que la Commission avait fixées en décembre 2009. Je considère que la Commission a analysé et considéré tous les éléments qui étaient pertinents aux fins de son examen et que les conclusions qu’elle a tirées étaient raisonnables en regard de l’ensemble de l’information dont elle disposait et du témoignage du demandeur. Il ressort également de la décision de la Commission qu’elle a procédé à l’examen du dossier du demandeur en respectant les paramètres fixés par la Loi; tout en voulant favoriser la réinsertion sociale du demandeur, la Commission devait déterminer si la libération du demandeur entraînerait un risque inacceptable  pour la société, la protection de la société étant le critère déterminant, et elle devait fonder son analyse sur toute l’information pertinente disponible.

 

[37]           Dans sa formulation des reproches qu’il fait à l’endroit de la Commission, le demandeur décortique et isole des éléments apparaissant à son dossier et des passages de son témoignage devant la Commission. Il invite la Cour à faire une analyse microscopique tant de la preuve que des motifs de la Commission. La Commission n’a pas à faire mention de tous les éléments apparaissant au dossier du demandeur ni de l’ensemble de son témoignage. La décision de la Commission est suffisamment détaillée et traite des éléments qui étaient pertinents pour trancher la question relative au risque de récidive du demandeur dans le contexte précis des démarches entreprises au cours des derniers six mois. Dans Newfoundland and Labrador Nurses’ Union c Terre-Neuve-et-Labrador (Conseil du Trésor), 2011 CSC 62, aux para 14-16, 424 NR 220, la Cour suprême a énoncé que les motifs d’une décision devaient être analysés en corrélation avec les résultats et à la lumière de l’ensemble du dossier :  

14        […] Il s'agit d'un exercice plus global : les motifs doivent être examinés en corrélation avec le résultat et ils doivent permettre de savoir si ce dernier fait partie des issues possibles. Il me semble que c'est ce que la Cour voulait dire dans Dunsmuir en invitant les cours de révision à se demander si "la décision et sa justification possèdent les attributs de la raisonnabilité" (par. 47).

 

15        La cour de justice qui se demande si la décision qu'elle est en train d'examiner est raisonnable du point de vue du résultat et des motifs doit faire preuve de "respect [à l'égard] du processus décisionnel [de l'organisme juridictionnel] au regard des faits et du droit" (Dunsmuir, au par. 48). Elle ne doit donc pas substituer ses propres motifs à ceux de la décision sous examen mais peut toutefois, si elle le juge nécessaire, examiner le dossier pour apprécier le caractère raisonnable du résultat.

 

16        Il se peut que les motifs ne fassent pas référence à tous les arguments, dispositions législatives, précédents ou autres détails que le juge siégeant en révision aurait voulu y lire, mais cela ne met pas en doute leur validité ni celle du résultat au terme de l'analyse du caractère raisonnable de la décision. Le décideur n'est pas tenu de tirer une conclusion explicite sur chaque élément constitutif du raisonnement, si subordonné soit-il, qui a mené à sa conclusion finale (Union internationale des employés des services, local no 333 c. Nipawin District Staff Nurses Assn., [1975] 1 R.C.S. 382, à la p. 391). En d'autres termes, les motifs répondent aux critères établis dans Dunsmuir s'ils permettent à la cour de révision de comprendre le fondement de la décision du tribunal et de déterminer si la conclusion fait partie des issues possibles acceptables.

 

[38]           En l’espèce, il était raisonnable pour la Commission de conclure que le cheminement du demandeur au cours des six mois précédents n’avait pas permis de réduire son risque de récidive. La preuve a clairement démontré que le demandeur n’avait pas amélioré sa relation avec son ÉGC durant la période visée et qu’il n’avait donc pas travaillé avec son ALC pour fixer des objectifs visant à obtenir une réduction de sa cote de sécurité. Or, il ressort clairement de l’ensemble du dossier qu’il est essentiel que le demandeur développe une relation de confiance avec son ÉGC avec qui il devra maintenir des liens étroits même après sa sortie. La preuve a également démontré que la démarche psychologique faite avec le Dr. Saint-Amant n’avait pas permis de réduire le risque de récidive qu’il représente. Je considère également, à la lumière de l’ensemble du témoignage du demandeur, qu’il était raisonnable pour la Commission de conclure que le demandeur n’avait pas pleinement pris conscience des difficultés qu’il risque d’affronter à sa sortie et qu’il avait encore un travail d’introspection à faire.

 

[39]           Les passages de la décision auxquels s’attarde le demandeur doivent être lus dans le contexte global de la décision et en considérant que la Commission n’a pas à mentionner tous les éléments de preuve. Après avoir analysé l’ensemble de la preuve au dossier, incluant le témoignage du demandeur devant la Commission, je considère que les affirmations de la Commission étaient raisonnablement fondées sur la preuve et que les conclusions qu’elle a tirées font parties « des issues possibles acceptables pouvant se justifier en regard des faits et du droit (Dunsmuir, précité, au para 47). De plus, les motifs de la décision permettent d’en comprendre le fondement.

 

[40]           Il n’y a donc pas lieu que la Cour intervienne.  

 


 

JUGEMENT

LA COUR STATUE que la demande de contrôle judiciaire est rejetée. Le tout avec dépens.

 

 

« Marie-Josée Bédard »

Juge

 

 

 

 

 


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

DOSSIER :                                        T-493-11

 

INTITULÉ :                                       GILLES OUELLETTE c LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                 Montréal (Québec)

 

DATE DE L’AUDIENCE :               Le 7 février 2012

 

MOTIFS DU JUGEMENT

ET JUGEMENT :                              LA JUGE BÉDARD

 

DATE DES MOTIFS :                      Le 1er mars 2012

 

 

 

COMPARUTIONS :

 

Me Maxime Hébert Lafontaine

 

POUR LE DEMANDEUR

Me Nicholas R. Banks

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Me Maxime Hébert Lafontaine

 

POUR LE DEMANDEUR

Myles J. Kirvan

Sous-procureur général du Canada

Montréal, Québec

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

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