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Date : 20120228


Dossier : IMM-4004-11

Référence : 2012 CF 273

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Vancouver (Colombie-Britannique), le 28 février 2012

En présence de monsieur le juge Simon Noël

 

 

ENTRE :

 

INDERJIT KAUR

 

 

 

demanderesse

 

et

 

 

 

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

 

 

défendeur

 

 

           MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

[1]               La Cour est saisie d’une demande de contrôle judiciaire de la décision du 11 mars 2011 par laquelle le gestionnaire du Programme d’immigration [le gestionnaire] du Haut-Commissariat du Canada à New Delhi a jugé que la demanderesse était interdite de territoire au Canada en raison de fausses déclarations quant à son état matrimonial, conformément à l’alinéa 40(1)a) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, ch 27 [LIPR].

I.          Contexte

[2]               Madame Inderjit Kaur [la demanderesse], une citoyenne de l’Inde, a d’abord présenté une demande de résidence permanente à titre de membre de la catégorie des travailleurs qualifiés en mai 2009, mais a retiré sa demande par la suite.

[3]               Madame Kaur s’est ensuite mariée le 14 août 2009; elle a présenté une nouvelle demande de résidence permanente à titre de membre de la catégorie des travailleurs qualifiés le 4 janvier 2010, son époux figurait dans la demande à titre de conjoint l’accompagnant.

[4]               Le 10 janvier 2011, une agente des visas [l’agente], a examiné la demande de Mme Kaur, lui attribuant une note de 69 points, soit juste quelques points au-dessus des 67 points requis en vertu de la LIPR. Sur les 69 points, cinq d’entre eux ont été provisoirement accordés pour le diplôme de maîtrise de l’époux de la demanderesse, en attendant que soient effectués un examen du questionnaire de l’époux et une entrevue. L’agente a décidé qu’une entrevue était nécessaire afin d’évaluer pleinement la demande en raison des préoccupations suivantes, telles que décrites dans les notes versées dans le Système de traitement informatisé des dossiers d’immigration [STIDI] (dossier de première instance [DPI], à la p. 11) :

[Traduction]

[La demanderesse] a sept ans de plus que son époux, ce qui n’est pas courant dans la culture locale. L’époux est titulaire d’une maîtrise, mais ne travaille pas depuis qu’il a terminé ses études en avril 2007. [La demanderesse] et son époux se sont mariés en août 2009, soit un mois avant qu’elle ne présente une demande de résidence permanente (dossier B055333456). Le nouveau passeport délivré [à la demanderesse] en février 2010 n’indique pas qu’elle était mariée. Le certificat de police [de la demanderesse] de l’Inde délivré en mai 2010 n’indique pas qu’elle est mariée.

[Le numéro de dossier B055333456 renvoie à la première demande. Par conséquent, ce n’est pas exact. Elle s’est désistée de sa première demande en septembre 2009.]

[5]               Une lettre a été envoyée à la demanderesse pour l’informer qu’elle devait, afin d’assurer le traitement continu de sa demande, remplir un questionnaire concernant son conjoint, présenter une preuve attestant l’existence de sa relation avant et après le mariage – y compris des factures de téléphone indiquant une communication constante ou des relevés bancaires – et apporter des photos de la cérémonie et de la réception de son mariage à une entrevue à laquelle seront convoqués elle et son époux (dossier de la demanderesse [DD], à la p. 25).

II.        Décision contestée

[6]               Le 10 mars 2011, l’agente a interrogé la demanderesse et son époux, d’abord individuellement, puis ensemble. Ils ont tous deux été invités à fournir des précisions sur l’évolution de leur relation, le mariage, et la relation en cours. La demanderesse a fourni des photos de la cérémonie de mariage et de la lune de miel, qui, selon les notes de l’agente, étaient limitées, semblaient artificielles et avoir été prises à la hâte. Après avoir réalisé les deux entretiens individuels, l’agente a informé la demanderesse et son époux qu’elle avait des réserves concernant l’authenticité de leur mariage et qu’elle croyait qu’il visait principalement l’acquisition du statut de résident permanent au Canada. Elle leur a dit qu’elle dresserait la liste de ses préoccupations et leur donnerait la chance de la convaincre que le mariage était réel et authentique. Selon les notes de l’agente versées dans le STIDI, l’échange suivant a eu lieu (DPI, à la p. 15) :


[Traduction]

[Agente :] Vous avez une grande différence d’âge, peu de gens ont assisté à votre mariage et vous prétendez que vous avez eu des relations sexuelles avant le mariage, tous des points qui vont à l’encontre des coutumes locales. Votre belle-sœur Sukhdeep est plus âgée que votre époux; elle est âgée de 29 ans et non de 24 ans, comme vous l’avez déclaré. Les photos de votre mariage et lune de miel que vous m’avez montrées semblent artificielles et avoir été prises à la hâte. Vous n’avez pas l’air heureux ni festifs. La facture de téléphone que vous m’avez présentée ne semble pas provenir d’une compagnie de téléphone. Qu’avez-vous à me dire maintenant?

[Réponse :] Comme il vous plaira.

[Agente :] Y a-t-il quelque chose que vous aimeriez ajouter avant que je rende ma décision?

[Réponse :] Non, nous sommes déjà mariés et vivons ensemble depuis deux ans, que dire de plus?

L’agente a indiqué à la demanderesse qu’elle renvoyait l’affaire à un agent supérieur qui dirait s’il croyait également qu’elle avait fait une fausse déclaration au sujet de son mariage.

[7]               Le jour même, l’agente a résumé son point de vue dans les notes versées dans le STIDI (DPI, p. 15 et 16) :

[Traduction]

[La demanderesse] a d’abord présenté une demande de résidence permanente au Canada en mai 2009, puis elle l’a retirée et en a présenté une autre en février 2010. [La demanderesse] obtient à elle seule 64 points et doit obtenir 5 points pour la formation de son époux pour satisfaire aux critères de sélection. [La demanderesse] et son époux ont donné des réponses contradictoires à l’entrevue au sujet de la belle-sœur qui est censée habiter avec le couple. Ils font valoir qu’il n’y a pas eu de réception de mariage, ce qui est contraire aux coutumes locales. Cent cinquante personnes ont assisté au mariage, mais il n’y a pas assez de preuves photographiques pour le démontrer. Les photos du mariage et de la lune de miel semblent artificielles et maladroites, à la différence d’une cérémonie festive selon les coutumes et les normes locales. [La demanderesse] a 6 ans de plus que son mari, ce qui est inhabituel dans un mariage indien. Le couple a reconnu avoir eu des relations physiques deux mois après qu’ils se sont rencontrés et avant le mariage, ce qui est aussi inhabituel dans un mariage indien, même s’il s’agit d’un mariage d’amour. Interrogés sur leur chambre à coucher, ils l’ont tous deux décrite de la même manière comme si la réponse était récitée. Tous ces facteurs font qu’il est difficile de croire qu’il s’agit d’une relation authentique.

La cérémonie du mariage semblait être une affaire hâtive. Le couple ne semble pas heureux, les invités ne sont pas bien vêtus, il n’y a pas eu de réception de mariage. Aucune explication crédible n’a été proposée autre qu’une réception de mariage n’intéressait ni [la demanderesse] ni son époux. C’est rare dans les mariages hindous.

J’ai exprimé mes réserves à [la demanderesse] et à son conjoint et ils n’ont pas répondu de manière satisfaisante pour permettre de dissiper mes réserves. [La demanderesse] ne m’a pas non plus fourni de preuves/documents à l’appui d’une relation conjugale continue autre que leurs photos de lune de miel qui ne m’ont pas convaincue qu’il s’agit d’une relation authentique ainsi que des relevés d’appels téléphoniques sans en-tête qui ne semblaient pas provenir d’une compagnie de téléphonie mobile [...]

[La demanderesse a fait une fausse déclaration au sujet de son état matrimonial afin de faire venir [son époux] au Canada et d’obtenir un nombre suffisant de points à l’aide des points attribuables à l’éducation de son époux pour répondre aux critères de sélection.

[8]               Le gestionnaire a examiné la demande le lendemain et a décidé que, suivant la prépondérance de la preuve, il était plus probable que la demanderesse ait déformé les faits. Par conséquent, il a jugé que la demanderesse était interdite de territoire pour fausses déclarations en vertu de l’article 40 de la LIPR et lui a envoyé une lettre l’informant de sa décision le jour même.

III.       Arguments des parties

[9]               La demanderesse soutient que le gestionnaire n’a pas compétence pour évaluer l’authenticité de son mariage en vertu de l’article 4 du Règlement sur l'immigration et la protection des réfugiés, DORS 2002/227 [RIPR], qu’il y a eu un manquement à l’équité procédurale parce qu’elle n’a pas été informée des préoccupations relatives à son mariage et de l’interdiction de territoire pour fausses déclarations, et que la preuve à l’appui de l’authenticité de son mariage n’a pas été prise en compte dans son ensemble.

[10]           L’intimé fait valoir que la décision n’a pas été rendue en vertu de l’article 4 du RIPR, mais que son interdiction de territoire a plutôt été établie conformément à l’article 40 de la LIPR. Il soutient que l’authenticité du mariage était pertinente et importante pour le traitement de la demande et que les fausses déclarations constituaient un fondement valide justifiant une conclusion d’interdiction de territoire. Les préoccupations de la demanderesse concernant l’équité procédurale sont contestées parce qu’elle a reçu une lettre l’informant des réserves relatives aux fausses déclarations et ces réserves lui ont aussi été précisées lors de l’entrevue. Enfin, l’intimé estime que le constat d’interdiction de territoire reposait sur l’ensemble de la preuve présentée.

IV.       Questions à trancher et norme de contrôle applicable

[11]           La Cour examinera les questions suivantes :

1.      La demanderesse a-t-elle été privée de son droit à l’équité procédurale?

2.      Le gestionnaire a-t-il commis une erreur en décidant que la demanderesse avait fait une fausse déclaration concernant son état matrimonial?

[12]           L’équité procédurale est une question de droit et la Cour ne fera pas preuve de retenue si une erreur a été commise (Ha c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2004 CAF 49, [2004] ACF no 174, au paragraphe 45). En revanche, il y a lieu de faire preuve de retenue lors de l’examen d’une décision de fausses déclarations en vertu de l’article 40 de la LIPR puisque la norme de la décision raisonnable est la norme qu’il convient d’appliquer (Koo c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2008 CF 931, [2008] ACF no 1152, au paragraphe 20; Uppal c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2009 CF 445 [2009] ACF no 557, aux paragraphes 23 et 24; Nazim c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2009 CF 471, [2009] ACF no 564, au paragraphe 19). Ainsi, il suffira que la Cour confirme l’existence de la justification de la décision, la transparence et l’intelligibilité du processus décisionnel et que la décision du gestionnaire appartienne aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit (Dunsmuir c Nouveau-Brunswick, 2008 CSC 9 [2008] 1 RCS 190, au paragraphe 47, [Dunsmuir]).

V.        Analyse

A. La demanderesse a-t-elle été privée de son droit à l’équité procédurale?

[13]           La demanderesse estime qu’elle n’avait aucune raison de croire que l’enquête lors de l’entrevue qui s’inscrit dans le cadre d’une demande à titre de membre de la catégorie des travailleurs qualifiés mettrait avant tout l’accent sur l’authenticité de sa relation avec son conjoint. Étant donné qu’il existe une norme d’équité procédurale plus élevée lorsque l’article 40 de la LIPR ou l’article 4 du RIPR est appliqué (Chen c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2008 CF 1227, [2008] ACF no 1539, au paragraphe 33 [Chen] et Menon c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2005 CF 1273, [2005] ACF no 1548, au paragraphe 15), le fait de ne pas avoir été avisée que son mariage était crucial pour sa demande ou qu’il y avait des réserves quant à son authenticité constitue, selon elle, une violation de l’équité procédurale.

[14]           Étant donné la lettre envoyée à la demanderesse, je ne puis admettre qu’elle n’était pas au courant que son mariage serait attentivement examiné lors de l’entrevue. La lettre du 11 janvier 2011 informait la demanderesse qu’il lui fallait, pour assurer le traitement continu de sa demande, remplir un questionnaire concernant son conjoint, présenter une preuve attestant l’existence de sa relation avant et après le mariage et apporter des photos de la cérémonie et de la réception de son mariage à une entrevue à laquelle seraient convoqués elle et son époux (DD, à la p. 25). À la fin de l’entrevue, l’agente lui a fait part de ses réserves de façon explicite et lui a donné la chance de répondre. La demanderesse a choisi de ne pas saisir cette occasion et n’a pas poursuivi la discussion. Le sujet qui faisait l’objet des réserves soulevées par l’agent – le mariage – était clair et il n’y avait pas lieu de le préciser davantage.

B. Le gestionnaire a-t-il commis une erreur en décidant que la demanderesse avait fait une fausse déclaration concernant son état matrimonial?

[15]           Au cours de l’entrevue, l’agente a formulé les commentaires suivants consignés dans les notes versées dans le STIDI (DPI, à la p. 15) :

[Traduction]

 

D’après les renseignements qui figurent dans le dossier et ce que vous m’avez révélé au cours de cette entrevue, j’ai des réserves quant à l’authenticité de votre mariage. Selon moi, ce mariage visait principalement l’acquisition du statut de résident permanent au Canada [...] Je soumets votre dossier à un agent supérieur aujourd’hui, si elle ou il souscrit à mes réserves et conclut que vous avez fait de fausses déclarations et qu’il ne s’agit pas d’un mariage authentique, votre époux sera radié de votre demande et vous serez déclarée interdite de territoire au Canada pendant deux ans [non souligné dans l’original].

 

L’agente a utilisé pratiquement mot pour mot les termes employés dans l’article 4 du RIPR. Il ne fait aucun doute qu’elle avait des doutes quant à l’authenticité du mariage et a conclu qu’il s’agissait d’un mariage de mauvaise foi. Au lieu de rendre une décision fondée sur l’article 4 toutefois, l’agente a conclu que la demanderesse avait fait de fausses déclarations sur son état matrimonial aux termes de l’article 40 de la LIPR.

 

[16]           Ainsi qu’il est indiqué ci-dessus, le dossier a ensuite été transmis au gestionnaire, qui a conclu que, selon la prépondérance de la preuve, [traduction] « il était plus probable que la demanderesse ait déformé les faits pertinents pour une décision fondée sur la LIPR » (DPI, à la p. 16). Il a conclu que cette fausse déclaration aurait conduit à une erreur dans l’application de la LIPR qui se serait sans doute traduite par la délivrance d’un visa. En conséquence, il a conclu que la demanderesse était visée par l’article 40. Le gestionnaire confirme encore une fois dans son affidavit que les notes de l’agente versées dans le STIDI et la décision fondée sur l’article 40 lui ont été transmises pour examen. Il souligne que dans son évaluation, [traduction] « la preuve cumulative indiquait que la demanderesse avait fait de fausses déclarations sur sa relation » (affidavit du gestionnaire, au paragraphe 13) et confirme qu’il a donc conclu que la demanderesse était interdite de territoire en vertu de l’article 40. Il ne fait aucunement mention de l’article 4 du RIPR dans son affidavit.

[17]           Lors de l’audience, l’avocat de l’intimé a confirmé que la décision du gestionnaire a été prise en vertu de l’article 40 de la LIPR et qu’aucune décision n’a été rendue en vertu de l’article 4 du RIPR. D’après les notes consignées dans le STIDI par le gestionnaire et son affidavit, je suis entièrement d’accord avec celui-ci. Par conséquent, je conclus que le gestionnaire n’a pas été guidé par les considérations juridiques appropriées et a commis une erreur susceptible de contrôle (Chertyuk c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2008 CF 870 [2008] ACF no 1086, au paragraphe 29). L’agente et le gestionnaire ont exclusivement fondé leurs conclusions sur des réserves quant à l’authenticité du mariage. Une telle décision aurait donc dû être rendue en vertu de l’article 4 du RIPR. Ils auraient aussi pu conclure que les fausses déclarations étaient fondées sur l’article 40 de la LIPR. Sans d’abord décider en vertu de l’article 4 du RIPR que le mariage a été conclu de mauvaise foi, l’agente et le gestionnaire ne pouvaient pas simplement conclure que les fausses déclarations reposaient sur un doute non confirmé quant à l’authenticité du mariage.

[18]           Les parties n’ont proposé aucune question à certifier.


JUGEMENT

LA COUR STATUE que la demande de contrôle judiciaire est accueillie. Il n’y a aucune question à certifier.

 

« Simon Noël »

Juge

 

 

Traduction certifiée conforme

Linda Brisebois, LL.B.


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

DOSSIER :                                        IMM-4004-11

 

INTITULÉ :                                       INDERJIT KAUR c MCI

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                 Vancouver (Colombie-Britannique)

 

DATE DE L’AUDIENCE :               Le 22 février 2012

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT

ET JUGEMENT :                              LE JUGE NOËL

 

DATE DES MOTIFS :                      Le 28 février 2012

 

 

COMPARUTIONS :

 

Puneet Khaira

POUR LA DEMANDERESSE

 

Jennifer Dagsvik

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Lindsay Kenney LLP

Langley (C.-B.)

 

POUR LA DEMANDERESSE

 

Myles J. Kirvan

Sous-procureur général du Canada

Vancouver (C.-B.)

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

 

 

 

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