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Date : 20120227

Dossier : IMM‑5035‑11

Référence : 2012 CF 270

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Toronto (Ontario), le 27 février 2012

En présence de monsieur le juge Hughes

 

 

ENTRE :

 

OSSEL O’BRIAN FORBES

ERICA MICHELLE FORBES NEE APPLETON

(alias ERICA MICHELLE FORBES)

 

 

 

demandeurs

et

 

 

 

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L’IMMIGRATION

 

 

 

défendeur

 

 

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

[1]               Les demandeurs sont mari et femme et sont tous les deux citoyens de la Jamaïque. Le mari est arrivé au Canada en 2006 et sa femme, en 2008. Ils ont tous les deux demandé l’asile. Leur demande a été rejetée aux termes d’une décision en date du 5 juillet 2001 rendue par un commissaire de la Section de la protection des réfugiés de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié du Canada. Les demandeurs sollicitent le contrôle judiciaire de cette décision ainsi que son annulation. Je rejette la présente demande.

 

[2]               La demande d’asile des demandeurs est essentiellement fondée sur les allégations suivant lesquelles un parent connu sous le nom de Desmond, qui vivait près de chez eux en Jamaïque, les avait menacés à plusieurs reprises de s’en prendre à eux à la suite d’un différend concernant la propriété d’une terre. Les demandeurs ont qualifié ce conflit de vendetta dans le témoignage qu’ils ont livré devant la Commission. Celle‑ci a examiné leur demande en vertu de l’article 96 et de l’article 97 de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c. 27 (la LIPR) et a rejeté leur demande en vertu de ces deux articles. Les avocates s’entendent pour dire que la norme de contrôle applicable est celle de la décision raisonnable.

 

[3]               En ce qui concerne l’article 96, la Commission a conclu que les demandeurs n’avaient pas démontré qu’il existait un lien entre leur crainte et l’un des motifs prévus dans la Convention. En ce qui a trait à l’article 97, la Commission a estimé, selon la prépondérance des probabilités, qu’aucun des deux demandeurs ne serait exposé au risque d’être soumis à la torture, à une menace à sa vie ou au risque de traitements ou peines cruels et inusités de la part de Desmond. Malgré leur brièveté, je suis convaincu que les motifs de la Commission sont suffisants, compte tenu des critères énoncés par la Cour suprême du Canada dans l’arrêt Newfoundland and Labrador Nurses Union c Terre‑Neuve‑et‑Labrador (Conseil du Trésor), 2011 CSC 62.

 

[4]               En ce qui concerne l’article 96, l’avocate des demandeurs fait valoir que ses clients appartiennent un groupe social déterminé, en l’occurrence une « famille ». Le fait pour les demandeurs de constituer une famille ne suffit pas en soi pour permettre de conclure qu’ils appartiennent à un groupe social déterminé au sens de l’article 96 de la LIPR. Cette question a été abordée par la juge Sharlow (maintenant juge à la Cour d’appel) dans la décision Serrano c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 166 FTR 227, 1999 Can LII 997 (CF), aux paragraphes 40 à 42 :

40        En l’absence de pouvoirs exécutoires sur ce point, il est nécessaire de revenir aux principes exposés dans Ward pour déterminer si la « famille » est une catégorie distincte de « groupe social », comme le prétend l’avocat des demandeurs, ou simplement un groupe connexe à une autre catégorie reconnue, comme le soutient le défendeur.

41        Selon Ward, un « groupe social » est une catégorie générique qu’il est possible d’étendre à des groupes non expressément mentionnés dans la Convention, mais non au‑delà de ce qui est nécessaire pour refléter « les thèmes sous‑jacents généraux de la défense des droits de la personne et de la lutte contre la discrimination qui viennent justifier l’initiative internationale de protection des réfugiés » (Ward , le juge La Forest, p. 739 du recueil).

42        Le demandeur voudrait que je décrète que tous ceux qui craignent d’être persécutés juste à cause d’un lien familial peuvent avoir droit à la protection de la Convention. Je crois que l’on étendrait ainsi la catégorie d’un « groupe social » bien au‑delà des limites qui lui conviennent. Je ne souscris pas à l’idée qu’un lien familial est une caractéristique qui requiert la protection de la Convention, en l’absence d’un motif sous‑jacent, énoncé dans la Convention, pour la persécution alléguée. Je conclus que dans le contexte des faits de l’espèce, la position du défendeur traduit mieux les objectifs de la Convention que celles des demandeurs.

 

[5]               La juge Snider a abordé la même question dans la décision S.M. c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2011 CF 949, au paragraphe 11 :

11    Simplement être membre de la famille de la victime d’un crime n’établit pas l’existence d’un lien avec un motif prévu dans la Convention. À cet égard, la Cour a donné les explications suivantes dans Rivaldo Escorcia c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2007 CF 644, paragraphe 39 :

 

Toutefois, le fait de dire qu’une demande n’est pas éteinte ne dégage pas les membres de la famille non visés par l’exclusion de l’obligation de présenter des éléments de preuve à l’appui de leur demande. Selon la jurisprudence de la Cour, la persécution dirigée contre un membre d’une famille ne donne pas droit d’office à tous les autres membres de la famille d’être considérés comme des réfugiés (voir Pour‑Shariati c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration) (1997), 215 N.R. 174 (C.A.F.), 39 Imm. L.R. (2d) 103; Marinova c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [2001] F.C.T. 178, 103 A.C.W.S. (3d) 1198). Dans la décision Granada c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2004 CF 1766, 136 A.C.W.S. (3d) 123, [2004] A.C.F. n° 2164 (C.F.) (QL), cas analogue d’une famille dont les membres revendiquaient le statut de réfugiés en raison de la crainte d’un membre de la famille d’être persécuté par les FARC, la Cour a déclaré au paragraphe 16 :

 

La famille peut être considérée comme un groupe social uniquement dans les cas où certains éléments de preuve indiquent que la persécution vise les membres de la famille en tant que groupe social : Al‑Busaidy c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration) (1992), 139 N.R. 208 (C.A.F.); Casetellanos c. Canada (Solliciteur général), [1995] 2 C.F. 190 (C.F. 1re inst.); Addullahi c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) (1996), 122 F.T.R. 150; Lakatos c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2001 CFPI 408, [2001] A.C.F. no 657 (C.F. 1re inst.) (QL). Cependant, l’étendue du principe de l’assimilation de la famille à un groupe social n’est pas illimitée; la famille en question doit elle‑même, en tant que groupe, être l’objet de représailles et de vengeance. En d’autres termes, les demandeurs doivent être ciblés et visés simplement parce qu’ils sont membres de la famille, même s’ils ne se sont jamais mêlés de politique eux‑mêmes et ne le feront jamais (Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c. Bakhshi, [1994] A.C.F. n977 (CAF) (QL)).

 

[Souligné dans l’original.]

 

[6]               En l’espèce, le commissaire n’a pas commis d’erreur dans son analyse relative à l’article 96. En ce qui concerne son analyse relative à l’article 97, le commissaire a rendu une décision raisonnable qui appartient aux issues raisonnables au sens de l’arrêt Dunsmuir c Nouveau Brunswick, [2008] 1 RCS 190, de la Cour suprême, qui a réitéré les mêmes principes dans l’arrêt Newfoundland and Labrador Nurses, précité.

 

[7]               La demande est rejetée. Aucune des avocates n’a demandé qu’une question soit certifiée. Il n’y a rien qui justifie d’adjuger des dépens.

 


JUGEMENT

 

POUR LES MOTIFS QUI ONT ÉTÉ EXPOSÉS,

LA COUR REND LE JUGEMENT suivant :

 

1.                  La demande est rejetée.

 

2.                  Aucune question n’est certifiée.

 

3.                  Aucuns dépens ne sont adjugés.

 

 

« Roger T. Hughes »

Juge

 

 

 

 

Traduction certifiée conforme

Sandra de Azevedo, LL.B.

 

 


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

DOSSIER :                                                    IMM‑5035‑11

 

 

INTITULÉ :                                                   OSSEL O’BRIAN FORBES, ERICA MICHELLE FORBES NEE APPLETON (alias ERICA MICHELLE FORBES) c.

                                                                        LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                             Toronto (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :                           Le 27 février 2012

 

MOTIFS DU JUGEMENT

ET JUGEMENT :                                          LE JUGE HUGHES

 

DATE DES MOTIFS :                                  Le 27 février 2012

 

 

 

COMPARUTIONS :

 

Belinda Bozinovski

 

POUR LES DEMANDEURS

 

Khatidja Moloo‑Alam

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Vaska Bozinovski

Avocat

Toronto (Ontario)

 

POUR LES DEMANDEURS

 

Myles J. Kirvan

Sous‑procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

 

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