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Date : 20120221

Dossier : IMM‑4194‑11

Référence : 2012 CF 236

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 21 février 2012

En présence de monsieur le juge Rennie

 

 

ENTRE :

 

ARLINE TINDALE

 

 

 

demanderesse

 

et

 

 

 

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L’IMMIGRATION

 

 

 

défendeur

 

 

 

 

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

[1]               La demanderesse sollicite l’annulation de la décision par laquelle une agente d’immigration de Citoyenneté et Immigration Canada (CIC) a rejeté la demande qu’elle avait présentée en vertu de l’article 25 de la Loi de l’immigration et de la protection des réfugiés, 2001, ch. 27 (la LIPR) en vue d’obtenir la résidence permanente sur le fondement de raisons d’ordre humanitaire. L’agente d’immigration de CIC (l’agente) a estimé que la demanderesse ne serait pas exposée à des difficultés inhabituelles et injustifiées ou excessives si elle devait présenter sa demande de visa de résidence permanente de l’extérieur du Canada. Pour les motifs qui suivent, la présente demande de contrôle judiciaire est accueillie.

 

Les faits

[2]               La demanderesse est originaire de la Jamaïque. Son premier mari la maltraitait. Elle l’a fui en venant au Canada en compagnie de son plus jeune fils, laissant derrière elle plusieurs autres enfants. Elle n’a plus de contact avec les enfants en question et affirme qu’il n’y a plus personne qui l’attend en Jamaïque, même si sa mère et sept de ses frères et sœurs y vivent toujours.

 

[3]               La demanderesse est au Canada depuis une vingtaine d’années sans statut juridique. Elle a entrepris de nombreuses démarches pour régulariser sa situation : en octobre 2013, treize ans après être arrivée au Canada, elle a été déboutée de sa demande de résidence permanente fondée sur des raisons d’ordre humanitaire; en septembre 2004, sa demande d’asile a été rejetée; en décembre 2004, elle a été déboutée de sa demande de contrôle judiciaire de la décision par laquelle sa demande d’asile avait été rejetée; en novembre 2006, sa première demande d’examen des risques avant renvoi (ERAR) s’est soldée par une décision défavorable; en avril 2007, sa demande de contrôle judiciaire de la décision d’ERAR a été rejetée; en octobre 2009, son répondant a retiré sa demande de parrainage de la demande de résidence permanente de la demanderesse; en mai 2011, sa seconde demande d’ERAR a elle aussi fait l’objet d’une décision négative, et la demanderesse a sollicité un contrôle judiciaire de cette décision (Arline Tindale c MCI, 2012 CF 237 (IMM‑4197‑11)); et, en juin 2011, sa seconde demande fondée sur des raisons d’ordre humanitaire a été rejetée. Le juge James Russell a sursis à l’exécution du renvoi de la demanderesse en attendant l’issue du contrôle judiciaire de la décision dans le présent dossier et l’issue du contrôle judiciaire d’une décision d’ERAR négative. La décision relative à cette affaire a été rendue en même temps que la présente décision.

 

Question en litige

[4]               La question en litige dans la présente affaire est de savoir si la décision de l’agente de rejeter la demande présentée par la demanderesse sur le fondement de raisons d’ordre humanitaire est raisonnable au sens de l’arrêt Dunsmuir c Nouveau‑Brunswick, 2008 CSC 9, [2008] 1 RCS 190.

 

Analyse

[5]               Il est évident qu’il n’appartient pas à la Cour de substituer ses conclusions et sa décision à celles de l’agente et que le rôle de notre Cour consiste plutôt à réviser la décision rendue par l’agente pour s’assurer qu’elle est conforme à la loi. En conséquence, la Cour ne peut modifier les décisions des tribunaux administratifs dès lors qu’elles sont raisonnables, et ce, même si la Cour serait arrivée elle‑même à une décision différente si elle avait exercé son pouvoir d’appréciation.

 

[6]               L’agente a structuré son analyse de la demande d’asile en fonction des rubriques suivantes : difficultés ou sanctions en cas de retour en Jamaïque, liens personnels ou familiaux qui créeraient des difficultés s’ils étaient rompus, degré d’établissement au Canada, établissement, liens avec d’autres pays ou résidence dans d’autres pays, et retour au pays de la nationalité. La demanderesse conteste la conclusion à laquelle l’agente est arrivée aux termes de son analyse de la question du « degré d’établissement au Canada ». Voici cette conclusion :

[traduction]

Tout en reconnaissant que quitter le Canada après plus d’une vingtaine d’années puisse être difficile, les éléments de preuve dont je dispose ne permettent pas de penser que la demanderesse est établie au Canada au point où le fait pour elle de quitter le Canada équivaudrait à des difficultés inhabituelles et injustifiées ou excessives.

 

 

[7]               La demanderesse soutient que cette conclusion [traduction] « ne permet pas de savoir à quel critère elle devait satisfaire pour convaincre l’agente que son établissement était suffisant ».

 

[8]               La demanderesse invoque Cobham c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2009 CF 585, à l’appui de cet argument. Dans la décision Cobham, le juge John O’Keefe a fait droit à la demande de dispense fondée sur les raisons d’ordre humanitaire à l’égard des exigences normales de présentation de la demande de résidence permanente à l’extérieur du Canada au motif que « [...] le niveau d’établissement de la demanderesse est un facteur important en l’espèce; le caractère inadéquat des motifs sur ce point a donc une incidence sur le caractère équitable de la décision dans son ensemble ». En l’espèce, bien que l’agente ait mentionné certains des facteurs pertinents permettant d’apprécier le degré d’établissement, elle n’a pas précisé les raisons pour lesquelles elle est parvenue à sa conclusion. D’ailleurs, une lecture juste et objective de ses motifs laissait entrevoir une conclusion opposée à celle à laquelle l’agente est arrivée.

 

[9]               Les décisions rendues au sujet des demandes fondées sur des raisons d’ordre humanitaire sont des décisions discrétionnaires et non des décisions « arbitraires et inéquitables sur le plan procédural ». Ainsi qu’il a été jugé dans la décision Jurado Tobar c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2011 CF 1111 :

Il est de jurisprudence constante que les demandes fondées sur des raisons d’ordre humanitaire (les décisions CH) ne doivent être accueillies que dans des circonstances exceptionnelles. De plus, compte tenu de l’aspect hautement discrétionnaire de toute décision CH, notre Cour fait preuve d’un degré élevé de retenue envers ce genre de décision, d’autant plus qu’elles se prêtent à une gamme plus vaste d’issues possibles acceptables (Inneh c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2009 CF 108, au paragraphe 13; et Del Melo Gomes c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2009 CF 98, au paragraphe 9). Pour obtenir gain de cause dans sa demande de contrôle judiciaire, le demandeur doit démontrer que l’agent a ignoré ou mal interprété la preuve ou qu’il a commis une erreur susceptible de révision dans la façon dont il a analysé les facteurs pertinents pour l’exercice de son pouvoir discrétionnaire.

 

 

[10]           Dans la décision Adu c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2005 CF 565, la juge Anne Mactavish a déclaré ce qui suit, aux paragraphes 14 et 20 :

À mon avis, ces « motifs » n’en sont pas du tout. Il s’agit plutôt essentiellement d’un résumé des faits et de l’énoncé d’une conclusion, sans aucune analyse étayant celle‑ci. L’agente a simplement examiné les facteurs favorables pour lesquels la demande pourrait être accueillie, concluant que, à son avis, ces facteurs n’étaient pas suffisants pour justifier l’octroi d’une dispense. Elle n’a cependant pas expliqué pour quelles raisons. Or, cela n’est pas suffisant puisque les demandeurs se trouvent ainsi dans une position peu enviable où ils ignorent pourquoi leur demande a été rejetée.

 

[…]

 

En l’espèce par contre, l’agente a examiné la preuve de l’établissement au Canada produite par les demandeurs au soutien de leurs demandes et a simplement conclu que cette preuve n’était pas suffisante. Il ressort de ses motifs qu’elle ne pensait pas que les demandeurs subiraient des difficultés inhabituelles, injustifiées ou excessives s’ils devaient présenter leurs demandes de résidence permanente de l’extérieur du Canada. Ces motifs n’indiquent pas cependant pourquoi elle est arrivée à cette conclusion.

 

 

[11]           Ce raisonnement est tout aussi applicable à la présente espèce. Il n’y a aucun lien entre les facteurs énumérés par l’agente et la conclusion à laquelle elle est arrivée, de sorte que la Cour ignore pourquoi l’agente a tiré cette conclusion. On ne trouve pas non plus dans ses motifs un « mode d’analyse » qui pouvait raisonnablement amener l’agente, au vu de la preuve, à conclure comme elle l’a fait (Barreau du Nouveau‑Brunswick c Ryan, 2003 CSC 20, [2003] 1 RCS 247, au paragraphe 55. En conséquence, la demande de contrôle judiciaire est accueillie.

 

[12]           Il n’y a aucune question à certifier et la présente affaire n’en soulève aucune.

 


JUGEMENT

LA COUR ACCUEILLE la demande de contrôle judiciaire et RENVOIE l’affaire pour qu’elle soit jugée de nouveau par un autre agent de Citoyenneté et Immigration Canada. Aucune question n’a été proposée aux fins de certification et la Cour estime que la présente affaire n’en soulève aucune.

 

 

« Donald J. Rennie »

Juge

 

 

 

 

Traduction certifiée conforme

Sandra de Azevedo, LL.B.

 


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

DOSSIER :                                                    IMM‑4194‑11

 

INTITULÉ :                                                   ARLINE TINDALE c.
MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ
ET DE L’IMMIGRATION

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                             Toronto

 

DATE DE L’AUDIENCE :                           Le 20 décembre 2011

 

MOTIFS DU JUGEMENT

ET JUGEMENT :                                          LE JUGE RENNIE

 

DATE DES MOTIFS :                                  Le 21 février 2012

 

 

COMPARUTIONS :

 

Osborne G. Barnwell

 

POUR LA DEMANDERESSE

 

Christopher Ezrin

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Osborne G. Barnwell
Avocat

North York (Ontario)

 

POUR LA DEMANDERESSE

 

Myles J. Kirvan

Sous‑procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

 

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