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 Date: 20120217


Dossier : IMM-3994-11

Référence : 2012 CF 222

Montréal (Québec), le 17 février 2012

En présence de monsieur le juge Boivin

 

ENTRE :

 

FAZIA TOUILEB OUSMER

 

 

partie demanderesse

 

et

 

 

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L'IMMIGRATION

 

 

partie défenderesse

 

 

 

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

[1]               Il s’agit d’une demande de contrôle judiciaire présentée en vertu du paragraphe 72(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, ch 27 (la Loi), relativement à une décision datée du 24 mai 2011 par laquelle la Section de la protection des réfugiés de la Commission de l’immigration et du statut du réfugié (le Tribunal) a conclu que la demanderesse n’avait pas la qualité de réfugiée ou d’une personne à protéger au sens des articles 96 et 97 de la Loi.

 

 

I.                    Le contexte

 

A.   Le contexte factuel

 

[2]               Madame Fazia Touileb Ousmer (la demanderesse) est une citoyenne algérienne âgée de 60 ans. La demanderesse est musulmane, séparée de son mari et elle est mère de quatre enfants.

 

[3]               La demanderesse allègue qu’elle craint la persécution en Algérie en raison du fait qu’elle est une femme seule et de sa situation familiale. Plus particulièrement, sa fille aînée est mariée avec un conjoint juif et vit en France.

 

[4]               La demanderesse soutient que ses problèmes ont commencé en 2006 quand sa fille l’a avisée qu’elle est tombée enceinte de son conjoint juif hors les liens du mariage. La demanderesse allègue que cette nouvelle a été mal reçue par sa famille puisque les relations sexuelles hors mariage sont sanctionnées par la loi musulmane et il est interdit pour une musulmane d’épouser un non‑musulman.

 

[5]               Les difficultés de la demanderesse sont devenues apparentes lorsque sa fille l’a visitée en octobre 2006 et en octobre 2007. En raison de la situation de sa fille, et puisque la demanderesse refusait de la désavouer, la demanderesse allègue qu’elle était considérée déshonorée et elle a été traitée comme une paria par ses voisins et sa famille. Elle a fait l’objet d’insultes, d’ostracisme, de menaces de mort, d’une agression physique; son logement a été incendié et sa chienne a été empoisonnée et battue.

 

[6]               La demanderesse a obtenu un visa canadien et est arrivée au Canada – où deux de ses enfants résident – le ou vers le 19 septembre 2008. Elle a fait une demande d’asile dans les semaines suivant son arrivée.

 

[7]               Le Tribunal a entendu sa demande le 1er avril 2011.

 

B.   La décision contestée

 

[8]               Le Tribunal a conclu que la demanderesse n’était pas une réfugiée ou une personne à protéger au sens des articles 96 et 97 de la Loi en raison de l’existence d’une possibilité de refuge intérieur (PRI) et de son absence de crédibilité quant à certains éléments de son récit.

 

[9]               Dans sa décision, le Tribunal a indiqué qu’il a tenu compte des Directives du président concernant les Revendicatrices du statut de réfugié craignant d’être persécutées en raison de leur sexe.

 

[10]           Quoique le Tribunal ait constaté que la demanderesse avait fait preuve de grandes difficultés, le Tribunal a estimé que l’ampleur, la fréquence et la gravité de ces problèmes ont été exagérées par la demanderesse afin d’embellir sa demande. Le Tribunal a qualifié certaines explications offertes par la demanderesse de déraisonnables et incompatibles avec ses actions. De plus, le Tribunal a noté que les explications de la demanderesse changeaient continuellement au fil de son témoignage. Par conséquent, le Tribunal a tiré certaines conclusions négatives quant à la crédibilité de la demanderesse.

 

[11]           Le Tribunal a conclu que l’isolement et l’exclusion vécus par la demanderesse en raison de son statut de femme divorcée ne constituent pas un préjudice suffisamment grave ou répétitif pour établir une forme de persécution. Le Tribunal a aussi expliqué que la demanderesse n’avait pas démontré que sa situation personnelle l’ait réellement fait craindre de rester en Algérie.

 

[12]           En ce qui concerne l’existence d’une PRI, le Tribunal a conclu, à la lumière de la preuve au dossier, qu’il n’était pas objectivement déraisonnable pour la demanderesse de se réinstaller à Alger où ses nouveaux voisins ne seraient pas au courant des problèmes de sa fille et où ses anciens voisins ne seraient pas intéressés ou en mesure de la persécuter.

 

 

II.                 La question en litige

 

[13]            La Cour estime que la question déterminante en l’espèce est la suivante :

 

Le Tribunal a-t-il erré en faits et en droit dans son évaluation de :

a.      la crédibilité de la demanderesse;

b.      l’existence d’une PRI à Alger?

 

 

III.               Les dispositions législatives applicables

 

[14]           Les articles 96 et 97 de la Loi se lisent comme suit :

Notions d’asile, de réfugié et de personne à protéger

 

 

 

Définition de « réfugié »

 

 A qualité de réfugié au sens de la Convention — le réfugié — la personne qui, craignant avec raison d’être persécutée du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de son appartenance à un groupe social ou de ses opinions politiques :

 

a) soit se trouve hors de tout pays dont elle a la nationalité et ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut se réclamer de la protection de chacun de ces pays;

 

b) soit, si elle n’a pas de nationalité et se trouve hors du pays dans lequel elle avait sa résidence habituelle, ne peut ni, du fait de cette crainte, ne veut y retourner.

Refugee Protection, Convention Refugees and Persons in Need of Protection

 

Convention refugee

 

 A Convention refugee is a person who, by reason of a well-founded fear of persecution for reasons of race, religion, nationality, membership in a particular social group or political opinion,

 

 

 

(a) is outside each of their countries of nationality and is unable or, by reason of that fear, unwilling to avail themself of the protection of each of those countries; or

 

(b) not having a country of nationality, is outside the country of their former habitual residence and is unable or, by reason of that fear, unwilling to return to that country.

 

Personne à protéger

 

 (1) A qualité de personne à protéger la personne qui se trouve au Canada et serait personnellement, par son renvoi vers tout pays dont elle a la nationalité ou, si elle n’a pas de nationalité, dans lequel elle avait sa résidence habituelle, exposée :

 

a) soit au risque, s’il y a des motifs sérieux de le croire, d’être soumise à la torture au sens de l’article premier de la Convention contre la torture;

 

b) soit à une menace à sa vie ou au risque de traitements ou peines cruels et inusités dans le cas suivant :

(i) elle ne peut ou, de ce fait, ne veut se réclamer de la protection de ce pays,

(ii) elle y est exposée en tout lieu de ce pays alors que d’autres personnes originaires de ce pays ou qui s’y trouvent ne le sont généralement pas,

(iii) la menace ou le risque ne résulte pas de sanctions légitimes — sauf celles infligées au mépris des normes internationales — et inhérents à celles-ci ou occasionnés par elles,

(iv) la menace ou le risque ne résulte pas de l’incapacité du pays de fournir des soins médicaux ou de santé adéquats.

 

Personne à protéger

 

(2) A également qualité de personne à protéger la personne qui se trouve au Canada et fait partie d’une catégorie de personnes auxquelles est reconnu par règlement le besoin de protection.

Person in need of protection

 

 (1) A person in need of protection is a person in Canada whose removal to their country or countries of nationality or, if they do not have a country of nationality, their country of former habitual residence, would subject them personally

 

(a) to a danger, believed on substantial grounds to exist, of torture within the meaning of Article 1 of the Convention Against Torture; or

 

(b) to a risk to their life or to a risk of cruel and unusual treatment or punishment if

(i) the person is unable or, because of that risk, unwilling to avail themself of the protection of that country,

(ii) the risk would be faced by the person in every part of that country and is not faced generally by other individuals in or from that country,

(iii) the risk is not inherent or incidental to lawful sanctions, unless imposed in disregard of accepted international standards, and

(iv) the risk is not caused by the inability of that country to provide adequate health or medical care.

 

 

 

 

Person in need of protection

 

(2) A person in Canada who is a member of a class of persons prescribed by the regulations as being in need of protection is also a person in need of protection.

 

 

 

IV.              La norme de contrôle applicable

 

[15]            Les arrêts Dunsmuir c Nouveau-Brunswick, 2008 CSC 9, [2008] 1 RCS 190 [Dunsmuir] et Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c Khosa, 2009 CSC 12, [2009] 1 RCS 339, enseignent que les conclusions factuelles tirées par un tribunal sont révisables selon la norme de la décision raisonnable. Or, les conclusions du Tribunal quant à la crédibilité et aux risques auxquels le demandeur d’asile feraient face advenant son retour dans son pays sont assujetties à cette norme (Aguebor c Ministre de l'Emploi et de l'Immigration, [1993] ACF no 732 (CA)). En ce qui concerne la question de l’existence d’une PRI, la norme de contrôle applicable est également celle de la décision raisonnable (H.V.L.M. c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), 2010 CF 550, [2010] ACF no 709; Corona c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), 2010 CF 508, [2010] ACF no 636). Par conséquent, l’intervention de la Cour ne serait justifiée que si la décision du Tribunal n’appartient pas « aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit » (Dunsmuir, ci-dessus, au para 47).

 

V.                 Analyse

 

[16]           En l’espèce, la Cour est appelée à déterminer si le Tribunal a erré dans son évaluation de la crédibilité de la demanderesse et de l’existence d’une PRI à Alger.

 

a.      La crédibilité de la demanderesse

[17]           La demanderesse avance que la conclusion du Tribunal quant à sa crédibilité est déraisonnable. La demanderesse soutient qu’en reconnaissant qu’elle a témoigné avec beaucoup d’émotions quant aux problèmes qu’elle a dû confronter en Algérie et qu’en reconnaissant pour avérés les faits allégués, le Tribunal ne pouvait raisonnablement conclure à son absence de crédibilité. La demanderesse avance qu’en jugeant qu’elle avait exagéré les faits, le Tribunal contredit sa propre appréciation des faits.

 

[18]           De plus, la demanderesse prétend que certaines parties de la décision du Tribunal ne sont pas intelligibles ni transparentes et que l’appréciation de sa crédibilité est laconique et incohérente. Elle soutient que le Tribunal s’est erronément livré à une analyse microscopique de son témoignage. En outre, la demanderesse maintient que le Tribunal a ignoré la distinction entre une analyse objective d’une personne raisonnable placée dans les mêmes circonstances et celle de l’analyse subjective in concreto, soit l’état d’esprit de la personne faisant l’objet de la décision. Finalement, la demanderesse affirme que le Tribunal a omis de traiter de certains éléments de preuve importants, notamment le certificat médical.

 

[19]           Pour sa part, le défendeur affirme que les conclusions du Tribunal quant à la crédibilité de la demanderesse sont raisonnables : le Tribunal a fourni des motifs clairs et non équivoques sur l’absence de crédibilité de la demanderesse quant à certains éléments de son témoignage. Par ailleurs, le Tribunal a soulevé plusieurs invraisemblances dans ce témoignage, notamment elle avait permis à sa fille de venir la visiter en octobre 2006 malgré les difficultés qu’elle éprouvait et sa fille serait revenue en octobre 2007. De plus, le défendeur confirme la raisonnabilité de la conclusion du Tribunal que les difficultés vécues par la demanderesse, en raison de sa situation personnelle et de son statut de femme divorcée, ne représentent pas un préjudice suffisamment grave ou répétitif pour constituer une forme de persécution. À l’encontre de l’argument de la demanderesse concernant certaines preuves documentaires, le défendeur soumet qu’il est bien établi qu’il relève de l’expertise du Tribunal d’analyser la preuve et de choisir les éléments les plus pertinents. Le défendeur soutient que la demanderesse ne peut demander à la Cour de réévaluer la preuve soumise et de substituer son opinion à celle du Tribunal.

 

[20]           Lecture faite du dossier et après avoir entendu les parties, la Cour ne peut partager l’opinion de la demanderesse. La Cour estime que l’analyse du Tribunal ne peut être qualifiée d’imparfaite, d’incomplète ou contradictoire au point où l’intervention de cette Cour soit justifiée.  Au contraire, la décision du Tribunal est articulée et détaillée.  Il était raisonnable pour le Tribunal de rejeter les explications de la demanderesse et de conclure que les actes de cette dernière ne concordaient pas avec sa crainte de persécution alléguée. En outre, la Cour rappelle qu’une présomption existe à l’effet que le tribunal a pris en considération toutes les preuves produites au dossier, incluant le certificat médical, dans ce cas-ci (Cepeda‑Gutierrez c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [1998] ACF no 1425, (1998) 157 FTR 35). Par conséquent, la Cour conclut que l’évaluation de la crédibilité de la demanderesse par le Tribunal était raisonnable.

 

b)      L’existence d’une PRI à Alger

[21]           La demanderesse estime qu’en l’espèce, le Tribunal a déraisonnablement conclu qu’elle ne s’est pas déchargée de son fardeau d’établir que l’existence d’une PRI n’est pas une option viable. La demanderesse soutient que la preuve documentaire et son témoignage démontrent les grandes difficultés et les obstacles confrontés par les femmes seules en Algérie, ainsi que la persécution à laquelle fera face la demanderesse advenant son retour.

 

[22]           Pour sa part, le défendeur maintient que le Tribunal pouvait raisonnablement conclure que la demanderesse pouvait s’établir dans la ville d’Alger. Le défendeur explique que la demanderesse avait le fardeau de démontrer par « une preuve réelle et concrète » qu’elle ne pouvait bénéficier d’aucune possibilité de refuge intérieure en Algérie, qu’elle risquait sérieusement d’être persécutée partout dans son pays, et qu’il était objectivement déraisonnable pour elle de se prévaloir d’un refuge intérieur. Le défendeur rajoute que le Tribunal a bien appliqué le test à deux volets établi dans l’arrêt Thirunavukkarasu c Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration), [1994] 1 CF 589. Le défendeur avance que le Tribunal a analysé attentivement chacune des explications proposées par la demanderesse pour écarter l’existence d’une PRI et a rejeté chacune d’entre elles.

 

[23]           La Cour est également d’avis que le Tribunal n’a pas erré dans sa détermination de l’existence d’une PRI à Alger, une ville de plusieurs millions d’habitants où la demanderesse peut se fondre dans la population. De plus, la preuve documentaire est à l’effet qu’Alger ne figure pas parmi les régions où il peut y avoir des risques d’insécurité liés au terrorisme (Dossier du Tribunal, p 143).  En fait, tout au cours de ses représentations devant la Cour, le procureur de la demanderesse a tenté de greffer et d’extrapoler la situation de la fille de la demanderesse et les conséquences qu’y pourraient s’y rattacher à la demanderesse elle-même.  Cependant, sur la base de la preuve au dossier, cet argument ne peut être retenu par la Cour (Dossier du Tribunal, pp 78-79, 236).

 

[24]           Les conclusions du Tribunal relatives à l’existence d’une PRI sont bien étayées et appartiennent aux issues possibles acceptables (Dunsmuir). Il est également bien établi par la jurisprudence que l’existence d’une PRI, comme en l’espèce, est fatale à toute demande d’asile (Pena c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2009 CF 616 et Lopez c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2010 CF 990).

 

[25]           La Cour sympathise avec la situation de la demanderesse mais, dans les circonstances, l’intervention de la Cour n’est pas justifiée.  Par conséquent, la demande de contrôle judiciaire est rejetée. Les parties n’ont proposé aucune question aux fins de certification et ce dossier n’en soulève aucune.

 

 


 

JUGEMENT

 

LA COUR STATUE que

 

1.                  La demande est rejetée;

 

2.                  Il n’y a aucune question à certifier.

 

 

« Richard Boivin »

Juge

 

 


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

DOSSIER :                                        IMM-3994-11

 

INTITULÉ :                                       FAZIA TOUILEB OUSMER   et  MCI

 

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                 Montréal (Québec)

 

DATE DE L’AUDIENCE :               le 15 février 2012

 

MOTIFS DU JUGEMENT

ET JUGEMENT :                              LE JUGE BOIVIN

 

DATE DES MOTIFS :                      le 17 février 2012

 

 

 

COMPARUTIONS :

 

Jean-Robert Cadet

 

POUR LA PARTIE DEMANDERESSE

 

Pavol Janura

POUR LA PARTIE DÉFENDERESSE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Jean-Robert Cadet

Montréal (Québec)

POUR LA PARTIE DEMANDERESSE

 

 

Myles J. Kirvan

Sous-procureur général du Canada

Montréal (Québec)

POUR LA PARTIE DÉFENDERESSE

 

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