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Date : 20120221

Dossier : IMM‑2713‑11

Référence: 2012 CF 231

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 21 février 2012

En présence de M. le juge Scott

ENTRE :

 

ISMAEL COLIN GONZALEZ

JUANA SANCHEZ ROSAS

LEONARDO COLIN SANCHEZ

 

 

demandeurs

 

et

 

 

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L’IMMIGRATION

 

 

défendeur

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

I.          Introduction

 

[1]               La Cour est saisie d’une demande présentée par M. Ismael Colin Gonzalez (M Gonzalez), Mme Juana Sanchez Rosas (Mme Rosas) et leur fils mineur, Leonardo Colin Sanchez (L. Sanchez) (les demandeurs) en vertu du paragraphe 72(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27 [la LIPR], en vue d’obtenir le contrôle judiciaire d’une décision en date du 30 mars 2011 par laquelle la Commission de l’immigration et du statut de réfugié (la Commission) a refusé de reconnaître aux demandeurs la qualité de réfugiés au sens de l’article 96 ou celle de personnes à protéger au sens de l’article 97 de la LIPR.

 

[2]               Pour les motifs qui suivent, la présente demande de contrôle judiciaire est rejetée.

 

II.        Les faits

 

[3]               Les demandeurs sont des citoyens du Mexique.

 

[4]               Mme Rosas et son époux, M. Gonzalez, affirment qu’ils font l’objet de persécution par la police du fait de leurs opinions politiques et de leur participation active au sein du Partido Revolucionario Democratico [Parti révolutionnaire démocratique ou PRD].

 

[5]               Mme Rosas et son époux ont adhéré au PRD en 2005‑2006. Ils ont tous les deux travaillé activement en vue de faire la promotion de leur parti sur le plan local et d’appuyer le candidat à la présidence du Mexique, M. Andres Manual Lopez Obrador.

 

[6]               Le 15 février 2006, alors qu’ils installaient des affiches en vue des prochaines élections fédérales, Mme Rosas et son époux ont, avec les huit autres militants qui les accompagnaient, été agressés verbalement et physiquement par des agents de police de la municipalité d’Ecatepec. Les policiers ont confisqué les affiches, ont agressé physiquement M. Gonzalez et l’ont prévenu de ne plus afficher de publicité pour le PRD.

 

[7]               M. Gonzalez a tenté sans succès de porter plainte auprès du ministère public. On a refusé de recevoir sa plainte pour cause d’insuffisance de preuves. Le ministère public s’est dit d’avis que M. Gonzalez avait lui‑même provoqué la situation et qu’il avait endommagé des biens publics.

 

[8]               Le 20 avril 2006, Mme Rosas aurait reçu un appel au nom du commandant de la police, Urbano Lopez Hernandez, qui l’aurait avertie de cesser d’appuyer le candidat à la présidence Obrador.

 

[9]               Mme Rosas et M. Gonzalez se sont engagés activement dans la campagne électorale même si leur vie était en danger.

 

[10]           Le candidat Obrador n’a pas été élu, mais Mme Rosas et M. Gonzalez ont pris part au mouvement de protestation visant à contester les résultats de l’élection.

 

[11]           Le 20 novembre 2006, au cours d’une manifestation organisée pour soutenir la désignation de M. Obrador comme Président du Mexique, entre 80 et 100 manifestants ont marché entre Ecatepec et le district fédéral. Des agents de police ont interrompu la manifestation et agressé les manifestants, qu’ils ont dispersés au moyen de gaz lacrymogènes. Ils ont de nouveau contraint M. Gonzalez à monter dans une voiture de police où ils l’ont brutalisé. Entre 15 et 20 manifestants ont été arrêtés. Mme Rosas aurait reconnu la personne qui dirigeait l’opération policière : il s’agissait du commandant Hernandez.

 

[12]           Mme Rosas et M. Gonzalez ont alors communiqué avec l’un des organisateurs du congrès démocratique national, qui leur a suggéré de porter eux‑mêmes plainte à la police. Mme Rosas n’a cependant pas porté plainte parce qu’elle n’avait pas réussi à obtenir l’appui des autres manifestants.

 

[13]           Six mois plus tard, Mme Rosas et M. Gonzalez ont participé à l’organisation d’une manifestation nationale visant à contester les résultats des élections du 2 juillet 2006. La manifestation à eu lieu à Mexico le 1er juillet 2007. M. Gonzalez a été engagé pour faire la publicité.

 

[14]           Le 24 mai 2007, cinq hommes armés ont pénétré dans les locaux de l’entreprise de M. Gonzalez, pendant son absence. Ils ont agressé les employés et confisqué du matériel. Ils ont dit au frère de M. Gonzalez qu’ils livraient un message de la part du commandant Hernandez qui, selon Mme Rosas et M. Gonzalez, obéissait aux ordres du procureur de l’État, M. Abel Villicana Estrada, qui jouait un rôle actif au sein du Partido Revolucionario Democratico [le PRD].

 

[15]           Le lendemain matin, Mme Rosas a vu une voiture de police stationnée devant l’école de son fils. Elle a quitté rapidement les lieux, croyant que la police était à sa recherche. Les demandeurs ont alors décidé de quitter le Mexique pour leur propre sécurité. Mme Rosas a quitté son emploi chez Ford, où elle travaillait depuis cinq ans en tant qu’analyste du crédit. Les demandeurs ont obtenu des passeports, puis sont allés vivre chez l’oncle de M. Gonzalez à Ciudad Hidalgo, dans l’État de Michoacan, où ils ont passé environ quatre mois.

 

[16]           Le 27 août 2007, Mme Rosas a vu le commandant Urbano à Ciudad Hidalgo. Elle a commencé à avoir très peur, et les demandeurs ont décidé de quitter le Mexique. Ils sont arrivés à Toronto le 9 septembre 2007 et ont demandé l’asile à Montréal le 17 septembre 2007.

 

[17]           La Commission a rejeté la demande d’asile présentée par les demandeurs au motif qu’ils manquaient de crédibilité et qu’ils n’avaient pas présenté des éléments de preuve clairs et convaincants pour réfuter la présomption suivant laquelle l’État mexicain leur offrait une protection adéquate. La Commission a également fait observer que les demandeurs disposaient d’une possibilité de refuge intérieur [PRI] à Veracruz, à Acapulco et à Cancún.

 

III.       Dispositions législatives applicables

 

[18]           Les articles 96 et 97 de la LIPR disposent :

 

Définition de « réfugié »

Convention refugee

 

 

96. A qualité de réfugié au sens de la Convention – le réfugié – la personne qui, craignant avec raison d’être persécutée du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de son appartenance à un groupe social ou de ses opinions politiques :

 

 A Convention refugee is a person who, by reason of a well‑founded fear of persecution for reasons of race, religion, nationality, membership in a particular social group or political opinion,

 

a) soit se trouve hors de tout pays dont elle a la nationalité et ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut se réclamer de la protection de chacun de ces pays;

() is outside each of their countries of nationality and is unable or, by reason of that fear, unwilling to avail themself of the protection of each of those countries; or

 

 

b) soit, si elle n’a pas de nationalité et se trouve hors du pays dans lequel elle avait sa résidence habituelle, ne peut ni, du fait de cette crainte, ne veut y retourner.

 

() not having a country of nationality, is outside the country of their former habitual residence and is unable or, by reason of that fear, unwilling to return to that country.

 

 

Personne à protéger

 

Person in need of protection

 

 

97. (1) A qualité de personne à protéger la personne qui se trouve au Canada et serait personnellement, par son renvoi vers tout pays dont elle a la nationalité ou, si elle n’a pas de nationalité, dans lequel elle avait sa résidence habituelle, exposée :

 

 (1) A person in need of protection is a person in Canada whose removal to their country or countries of nationality or, if they do not have a country of nationality, their country of former habitual residence, would subject them personally

 

 

a) soit au risque, s’il y a des motifs sérieux de le croire, d’être soumise à la torture au sens de l’article premier de la Convention contre la torture;

(a) to a danger, believed on substantial grounds to exist, of torture within the meaning of Article 1 of the Convention Against Torture; or

 

 

b) soit à une menace à sa vie ou au risque de traitements ou peines cruels et inusités dans le cas suivant :

 

(b) to a risk to their life or to a risk of cruel and unusual treatment or punishment if

 

(i) elle ne peut ou, de ce fait, ne veut se réclamer de la protection de ce pays,

(i) the person is unable or, because of that risk, unwilling to avail themself of the protection of that country,

 

 

(ii) elle y est exposée en tout lieu de ce pays alors que d’autres personnes originaires de ce pays ou qui s’y trouvent ne le sont généralement pas,

 

(ii) the risk would be faced by the person in every part of that country and is not faced generally by other individuals in or from that country,

 

 

(iii) la menace ou le risque ne résulte pas de sanctions légitimes – sauf celles infligées au mépris des normes internationales – et inhérents à celles‑ci ou occasionnés par elles,

 

(iii) the risk is not inherent or incidental to lawful sanctions, unless imposed in disregard of accepted international standards, and

 

(iv) la menace ou le risque ne résulte pas de l’incapacité du pays de fournir des soins médicaux ou de santé adéquats.

 

(iv) the risk is not caused by the inability of that country to provide adequate health or medical care.

(2) A également qualité de personne à protéger la personne qui se trouve au Canada et fait partie d’une catégorie de personnes auxquelles est reconnu par règlement le besoin de protection.

(2) A person in Canada who is a member of a class of persons prescribed by the regulations as being in need of protection is also a person in need of protection.

 

 

 

 

IV.       Questions en litige et norme de contrôle

 

A.                 Questions en litige

 

[19]           La Cour doit répondre aux questions suivantes :

 

1.                  La Commission a‑t‑elle commis une erreur en concluant que les demandeurs n’étaient pas crédibles?

 

2.                  La Commission a‑t‑elle commis une erreur en concluant que les demandeurs n’avaient pas réfuté la présomption que la protection de l’État était suffisante au Mexique?

 

3.                  La Commission a‑t‑elle commis une erreur en concluant qu’il existait une PIR viable à Veracruz, Acapulco ou Cancún?

 

4.                  La conduite de la Commission soulève‑t‑elle une crainte raisonnable de partialité?

 

B.        Norme de contrôle

 

[20]           La première question est une question de fait qui est assujettie à la norme de contrôle de la décision raisonnable. L’appréciation de la crédibilité et de la preuve relève de la compétence spécialisée de la Commission et commande de ce fait la déférence (Aguebor c Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1993] ACF no 732 (CAF); et Mailvakanam c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2011 CF 1422, au paragraphe 15).

 

[21]           La deuxième question a trait au caractère suffisant de la protection de l’État; il s’agit d’une question mixte de fait et de droit qui est assujettie à la norme de contrôle de la décision raisonnable (Lebedeva c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2011 CF 1165, [2011] ACF no 1439, au paragraphe 32).

 

[22]           La troisième question se rapporte à la conclusion tirée par la Commission au sujet de la viabilité de la PIR proposée. Il s’agit d’une question mixte de droit et de fait qui est également assujettie à la norme de contrôle de la décision raisonnable (Cruz Pineda c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2011 CF 81, [2011] ACF no 92, au paragraphe 29).

 

[23]           Quant à la quatrième question, la crainte de partialité, elle soulève une question d’équité procédurale. La norme de contrôle applicable est celle de la décision correcte (Jaroslav c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2011 CF 634, au paragraphe 31).

 

V. Prétentions et moyens des parties

 

A.        Prétentions et moyens des demandeurs

 

[24]           Les demandeurs affirment que le sort de leur demande d’asile est tributaire du degré de profondeur de l’analyse à laquelle la Commission s’est livrée au sujet de la protection de l’État, compte tenu de la gamme des éléments dont elle disposait sur cette question précise.

 

[25]           Les demandeurs reconnaissent que c’est à bon droit que la Commission s’est appuyée sur la décision rendue par le juge Lemieux dans l’affaire Mendoza c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2010 CF 119 [Mendoza], pour analyser la question de la protection de l’État au Mexique. Ils allèguent toutefois que la Commission n’a pas tenu compte, dans son examen, du contexte dans lequel l’analyse de la protection de l’État devait être effectuée. À leur avis, c’est à tort que la Commission a conclu qu’ils n’avaient pas épuisé tous les recours dont ils disposaient au sein de l’appareil de l’État.

 

[26]           Selon les demandeurs, la Commission a commis une erreur de fait et de droit en ne traitant pas des éléments de preuve ayant une très grande valeur probante qui se trouvaient dans le cartable national sur le Mexique, ainsi que les éléments de preuve qu’ils avaient présentés à l’appui de leur demande.

 

[27]           Les demandeurs affirment que l’on trouve dans le cartable en question une foule d’éléments démontrant que la protection de l’État est insuffisante au Mexique. Selon eux, ces éléments de preuve démontrent que la protection de l’État ne constitue pas une solution sûre et raisonnable dans le contexte de leur demande.

 

[28]           Qui plus est, les demandeurs ont produit une lettre de M. Martin Zepeda Hernandez, député fédéral du PRD (dossier des demandeurs aux pages 56 et 57), confirmant leur participation à des activités politiques. La lettre en question énonce que [traduction] « les réseaux de corruption et l’absence de garantie en ce qui concerne nos droits fondamentaux sont à l’origine de la situation avec laquelle notre pays est aux prises actuellement et explique la décision que mes collègues ont, à l’instar de bon nombre d’autres Mexicains, prise pour protéger leur vie et celle de leur famille ».

 

[29]           Selon les demandeurs, cette lettre touche le cœur même de leur demande d’asile et soulève la question de la corruption de l’État et de la sécurité. La Commission a mal évalué les éléments de preuve portés à sa connaissance et n’a pas tenu compte de ce que le juge Lemieux dit dans le jugement Mendoza, au paragraphe 33 : « 10) La qualité d’une telle preuve sera proportionnelle au degré de démocratie d’un État [et] « [l]e degré de démocratie peut diminuer si l’État tolère la corruption de ses institutions (voir également Avila c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2006 CF 359 [Avila]).

 

[30]           Les demandeurs soutiennent par ailleurs que la Commission aurait dû s’intéresser au rôle joué par les forces de sécurité mexicaines pour renforcer la démocratie. Le cartable national signale les lacunes des autorités chargées de veiller au maintien de l’ordre et établit un lien entre ces lacunes et la qualité de la démocratie au Mexique. Le fait que la Commission n’a pas tenu compte de ces éléments de preuve rend sa décision déraisonnable et l’intervention de notre Cour est, selon les demandeurs, justifiée.

 

[31]           Les demandeurs font valoir que la Commission n’a pas expliqué pourquoi ou comment l’Institut fédéral électoral constituerait une solution viable pour contrer le problème de l’intimidation et de la brutalité policières.

 

[32]           Les demandeurs soutiennent que la conclusion tirée par la Commission au sujet de la suffisance de la protection de l’État au Mexique est par conséquent déraisonnable et qu’elle devrait être réexaminée.

 

[33]           En ce qui concerne la crédibilité des demandeurs, la Commission écrit : « Le tribunal estime qu’il est invraisemblable que, à trois occasions, rien n’indique que des plaintes ont été déposées dans des circonstances où des personnes ont été physiquement agressées et terrorisées pendant qu’elles participaient légalement à une campagne électorale fédérale » (paragraphe 15 de la décision de la Commission). Les demandeurs soutiennent que la Commission ne possède pas de connaissances spécialisées sur la façon dont les plaintes sont ou étaient déposées ou approuvées par le PRD.

 

[34]           Selon les demandeurs, la Commission a également appliqué deux poids deux mesures lorsqu’elle écrit que « si les demandeurs d’asile avaient effectivement subi ce genre d’agressions et de menaces de mort, les terrifiant autant qu’ils l’ont déclaré, il n’est pas crédible qu’ils aient continué à appuyer ouvertement et activement le PRD et son candidat à la présidence, Obrador, du 15 avril 2006 à leur fuite alléguée de l’État de Mexico à la fin de mai 2007 » (paragraphe 15 de la décision de la Commission). Les demandeurs soulignent que, bien qu’ils aient participé activement à des activités politiques dangereuses, leurs agissements respectaient leur droit d’exprimer leurs opinions politiques.

 

[35]           La Commission a commis une erreur en ce qui concerne sa conclusion quant à l’existence d’une PRI viable. Suivant les demandeurs, la Commission exige qu’ils renoncent à leurs convictions politiques, ce qui équivaudrait dans le cas d’un demandeur d’asile qui invoque ses convictions religieuses à exiger qu’il cesse de pratiquer sa religion. Les demandeurs affirment également que le cartable national renferme une foule de renseignements au sujet des organisations qui se livrent au trafic des stupéfiants dans la région d’Acapulco, de Veracruz et de Cancún.

 

[36]           Enfin, les demandeurs affirment que la Commission a, par sa conduite, soulevé une crainte raisonnable de partialité, ce qui justifie également l’intervention de notre Cour.

 

B.                 Prétentions et moyens du défendeur

 

[37]           Malgré les attaques et les menaces dont les demandeurs ont fait l’objet, le PRD a refusé de porter plainte auprès du ministère public de l’État de Mexico, insistant pour dire que les militants auraient dû eux‑mêmes porter plainte. La Commission a estimé qu’un tel refus catégorique d’agir de la PRD était invraisemblable.

 

[38]           À l’audience, Mme Rosas a reconnu que, compte tenu du refus du ministère public de recevoir la plainte, elle aurait pu elle‑même porter plainte au niveau fédéral auprès du procureur de l’État ou du procureur général de la République. Elle a décidé de ne rien faire. La Commission a estimé qu’il était contradictoire que les demandeurs soient terrorisés à l’idée de porter plainte auprès des autorités fédérales, mais qu’ils poursuivent activement leurs activités politiques.

 

[39]           Le défendeur estime qu’il est faux de dire que la Commission a exigé des demandeurs qu’ils cessent leurs activités politiques. La Commission a simplement fait observer que les explications fournies par les demandeurs pour justifier le fait qu’ils n’avaient pas porté plainte contredisaient leur décision de poursuivre leurs activités politiques en dépit des présumées menaces dont ils faisaient l’objet.

 

[40]           Le défendeur souligne que malgré les violences physiques et verbales dont ils ont fait l’objet, les demandeurs n’ont pas porté plainte au niveau fédéral. Selon le défendeur, la Commission a conclu de façon raisonnable que le comportement des demandeurs n’était pas compatible avec la présence d’une crainte subjective d’être persécutés par la police.

 

[41]           Le défendeur affirme qu’il était raisonnable de la part de la Commission de conclure que la protection de l’État aurait raisonnablement pu leur être assurée si les demandeurs avaient porté plainte au niveau fédéral, notamment au cabinet du procureur de l’État ou au procureur général de la République du Mexique (Cordero c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2011 CF 603, au paragraphe 18).

 

[42]           Le défendeur affirme que les demandeurs n’ont pas présenté d’éléments de preuve pour démontrer qu’une plainte aux autorités fédérales les aurait mis en danger.

 

[43]           Le défendeur ajoute que la lettre de M. Hernandez n’établit aucunement qu’il n’était pas possible d’obtenir la protection de l’État au Mexique. Les demandeurs s’appuient également le cartable national, qui signale des problèmes de corruption et d’inefficacité au sein de la police mexicaine. Il n’y a aucun doute que ces problèmes existent; toutefois, ainsi qu’il est mentionné dans la jurisprudence, les demandeurs d’asile ne sont pas pour autant dispensés de l’obligation de s’adresser à d’autres autorités pour obtenir de l’aide. Le défendeur affirme qu’en l’espèce, une seule tentative a été faite en vue de porter plainte, et ce, à une seule autorité locale. Cette autorité a refusé d’intervenir. Cela ne suffit pas pour démontrer que la police mexicaine ne pouvait pas ou ne voulait pas offrir sa protection ou pour donner lieu à la protection internationale qui entre en jeu à titre de mesure auxiliaire comme il est expliqué dans l’arrêt Canada (Procureur général) c Ward, [1993] 2 RCS 689 [Ward].

 

[44]           Quant à l’existence d’une PRI, la Commission doit être convaincue qu’il n’existe aucune possibilité sérieuse de persécution ou de risque de torture dans la région en cause et qu’il ne serait pas déraisonnable que le demandeur d’asile cherche à y trouver refuge. Rien de ce que les demandeurs ont affirmé ne permet de penser qu’ils craignent d’être persécutés ou qu’ils seraient exposés à des risques de torture à Acapulco, à Veracruz ou à Cancún.

 

[45]           Le défendeur allègue que les problèmes de trafic de stupéfiants au Mexique ne sont pas pertinents dans le cas qui nous occupe et qu’ils ne peuvent servir à réfuter l’existence d’une PRI.

 

[46]           Le défendeur soutient que l’existence d’une PRI suffit pour rejeter une demande d’asile (Calderon c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2010 CF 263, au paragraphe 10).

 

[47]           Quant à la crainte de partialité, le défendeur signale qu’il n’est pas inusité de désigner les demandeurs d’asile par leur prénom dans une décision. D’ailleurs, c’est ce que la Cour fédérale a fait dans au moins une de ses décisions (Bajwa c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2003 CFPI 474).

 

[48]           Le défendeur allègue enfin que, malgré le fait que la Commission a désigné les demandeurs par leur prénom, les motifs qu’elle a exposés ne permettent pas de penser que le commissaire a manqué de respect envers les demandeurs.

 

VI.       Analyse

 

1.                  La Commission a‑t‑elle commis une erreur en concluant que les demandeurs n’étaient pas crédibles?

 

[49]           Estimant que les principaux aspects de leur exposé circonstancié manquaient de crédibilité, la Commission a conclu que les demandeurs n’avaient pas raison de craindre d’être persécutés.

 

[50]           La Cour trouve raisonnable l’appréciation que la Commission a faite de la crédibilité. La Commission a estimé que, si les demandeurs étaient aussi terrifiés qu’ils le prétendaient, ils auraient dû cesser de militer pour le PRD, sachant qu’ils étaient en danger.

 

[51]           La Cour estime également qu’il était loisible à la Commission de juger invraisemblable le fait que les dirigeants de l’exécutif national du PRD aient refusé de porter plainte auprès du ministère public de l’État de Mexico et aient insisté pour que M. Gonzalez dépose une plainte en son nom personnel. Il était également raisonnable de la part de la Commission de signaler le fait que les demandeurs n’avaient pas porté plainte auprès du procureur de l’État, au cabinet du procureur général. La jurisprudence de notre Cour est claire : les demandeurs ont l’obligation de se prévaloir de tous les recours qui leur sont ouverts dans leur propre pays avant de chercher à obtenir la protection d’un autre pays (Hinzman c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [2007] ACF no 584, au paragraphe 46). La Commission a agi de façon raisonnable en écartant les explications des demandeurs au motif qu’elles contredisaient leurs agissements, ce qui menait inévitablement à la conclusion que les demandeurs n’avaient pas de crainte subjective d’être persécutés par la police.

 

2.                  La Commission a‑t‑elle commis une erreur en concluant que les demandeurs n’avaient pas réfuté la présomption que la protection de l’État était suffisante au Mexique?

 

[52]           La Commission n’a pas commis d’erreur en concluant que les demandeurs n’avaient pas réussi à réfuter la présomption que le Mexique ne pouvait leur offrir une protection suffisante.

 

[53]           Dans la décision Mendoza, le juge Lemieux écrit, au paragraphe 33 que « [c]haque cas est un cas d’espèce. Donc, bien que l’existence de la protection de l’État au Mexique puisse avoir été reconnue, peut‑être même au niveau d’un État donné, cela n’empêche pas une cour de justice de conclure, en se fondant sur des faits différents, que le même État est incapable d’offrir une protection adéquate » (voir également le jugement Avila, ci-dessus). On s’attend à ce que le demandeur d’asile prenne toutes les mesures raisonnables dans sa situation pour se prévaloir de la protection de l’État contre ses persécuteurs (voir les décisions Ward et Avila). Il importe de signaler que le demandeur qui ne le fait pas et qui soutient que la protection de l’État est insuffisante a la charge de convaincre la Commission que la protection offerte par l’État est insuffisante (Carillo c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2008 CAF 94).

 

[54]           Il importe par ailleurs de souligner que la conclusion de la Commission selon laquelle le demandeur d’asile n’a pas pris de mesures pour obtenir la protection de l’État ne porte un coup fatal à la demande que dans le cas où la Commission estime également que la protection de l’État lui aurait été offerte. La Commission doit examiner comment l’auteur présumé des persécutions peut influer sur la capacité et la volonté de l’État d’assurer une protection (voir les décisions Ward et Avila).

 

[55]           Dans l’arrêt Ward, la Cour suprême du Canada a expliqué que le témoignage de personnes se trouvant dans une situation semblable à celle du demandeur, le témoignage du demandeur au sujet de la protection de l’État ainsi que la preuve documentaire sont des éléments de preuve pouvant être utilisés pour démontrer que la protection de l’État n’aurait pu être assurée.

 

[56]           La qualité de la preuve nécessaire pour réfuter la présomption de la protection de l’État est proportionnelle au degré de démocratie de l’État en question (voir les décisions Avila et Ward).

 

[57]           La preuve doit être pertinente, digne de foi et convaincante pour convaincre le juge des faits, selon la prépondérance des probabilités, que la protection accordée par l’État en question est insuffisante (Carrillo).

 

[58]           La Commission a pris acte de la tentative des demandeurs de porter plainte le 16 avril 2006. À l’audience, Mme Rosas a admis qu’elle aurait pu porter plainte au niveau fédéral auprès du procureur de l’État, au cabinet du procureur général de la République, mais qu’elle ne l’avait pas fait parce qu’elle était terrifiée. La Commission a conclu que « ce comportement ne s’apparente pas au fait d’avoir pris des mesures raisonnables dans les circonstances pour demander la protection de l’État. En outre, aucun élément de preuve n’appuie l’affirmation selon laquelle les demandeurs d’asile se seraient mis en danger s’ils avaient tenté de démontrer l’inefficacité de la protection de l’État au Mexique » (décision de la Commission, au paragraphe 17).

 

[59]           Bien que la Cour ne puisse savoir comment l’Institut fédéral électoral aurait pu aider les demandeurs ni quelle suite aurait été donnée à la plainte que les demandeurs auraient déposée au niveau fédéral, elle doit néanmoins prendre acte du fait que la Commission a correctement apprécié les répercussions de l’omission des demandeurs. La Commission signale à juste titre le défaut des demandeurs de présenter des éléments de preuve pour démontrer qu’il était dangereux pour eux de porter plainte au cabinet du procureur général. Cette conclusion était raisonnable et il était loisible à la Commission de la formuler.

 

[60]           La Cour prend acte de la valeur probante du cartable national. La question de savoir si la protection de l’État est suffisante doit néanmoins être examinée en fonction des faits de l’espèce. Bien que le cartable renferme des renseignements au sujet des lacunes de certaines institutions mexicaines, il incombe quand même aux demandeurs de présenter des éléments de preuve pertinents pour convaincre la Commission que, dans leur cas particulier, les lacunes en question justifiaient leur défaut de porter plainte auprès des autorités compétentes.

 

[61]           La Commission a conclu de façon raisonnable que les demandeurs n’avaient pas réfuté la présomption que le Mexique est en mesure de les protéger.

 

3.                  La Commission a‑t‑elle commis une erreur en concluant qu’il existait une PRI viable à Veracruz, Acapulco ou Cancún?

 

[62]           La Commission n’a pas commis d’erreur en concluant qu’il existait une PRI viable à Veracruz, Acapulco ou Cancún.

 

[63]           La Commission doit, lorsqu’elle détermine la viabilité d’une PRI, appliquer le critère à deux volets énoncés dans les arrêts Thirunavukkarasu c Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1994] 1 CF 589, [1993] ACF no 172 (CAF), et Rasaratnam c Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1991] ACF no 256; [1992] 1 CF 706 (CAF). Elle doit d’abord être convaincue, selon la prépondérance des probabilités, qu’il n’existe pas de possibilité sérieuse que le demandeur soit persécuté dans la région proposée comme PRI. En second lieu, la situation qui existe dans la région proposée comme PRI doit être telle qu’il n’est pas déraisonnable de la part des demandeurs d’asile de tenter d’y chercher refuge.

 

[64]           En ce qui concerne le premier volet du critère, la Commission s’est dite convaincue que les demandeurs ne seraient pas en danger dans l’une ou l’autre des trois destinations mentionnées. Elle a estimé que Mme Rosas « n’a pas expliqué la raison pour laquelle leur vie continuerait d’être en danger s’ils cessaient de participer aux activités du PRD dans l’État de Mexico » (décision de la Commission, au paragraphe 18). Cette conclusion aurait pu être déraisonnable en l’espèce étant donné que le militantisme politique des demandeurs serait au cœur même de leur crainte de persécution. La PRI doit être accessible de façon réaliste. Toutefois, la Commission a conclu que les demandeurs avaient démontré un manque de crédibilité qui entachait en fin de compte leur demande, étant donné qu’ils n’avaient aucune crainte subjective d’être persécutés par la police. « C’est donc une erreur pour la Commission de tirer une conclusion générale relative à la PRI sans se reporter à la persécution précise invoquée par le demandeur d’asile ou à la situation particulière de ce dernier » (Velasquez c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2010 CF 1201, au paragraphe 18 [Velasquez]; et Moreno c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2010 CF 993). Ce principe ne s’applique pas en l’espèce parce que la Commission a correctement examiné la version des faits fournie par les demandeurs et a conclu que M. Gonzalez et Mme Rosas n’étaient pas crédibles, étant donné qu’ils avaient continué à militer activement et qu’ils n’avaient pas pris de mesures concrètes pour chercher à obtenir la protection de l’État. Cette conclusion est raisonnable étant donné que : « Il peut toutefois y avoir chevauchement entre l’examen de la PRI invoquée par la Commission et l’analyse que fait cette dernière de la protection de l’État. (Velasquez, ci‑dessus, au paragraphe 16).

 

[65]           En ce qui concerne le second volet du critère, Mme Rosas a expliqué à l’audience qu’il aurait été possible pour elle d’obtenir une mutation dans une autre usine Ford du Mexique, mais qu’il lui aurait fallu attendre un certain temps avant d’être mutée dans l’une des trois villes désignées comme éventuelles PRI. La Commission a fait observer qu’elle et sa famille avaient passé plus de trois mois dans l’État de Michoacán à partir du mois de juin, avant de partir pour le Canada. La Commission a estimé qu’elle aurait raisonnablement pu être mutée au cours de cette période. Cette conclusion appartient « aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit » (Dunsmuir c Nouveau‑Brunswick, 2008 CSC 9, au paragraphe 47).

 

[66]           La PRI proposée constitue une solution viable et raisonnable en l’espèce.

 

4.                  La Commission a‑t‑elle soulevé une crainte raisonnable de partialité?

 

[67]           La Commission n’a pas soulevé de crainte raisonnable de partialité. Même si l’on ne doit pas encourager la Commission à désigner les demandeurs d’asile par leurs prénoms et qu’on ne peut la féliciter de l’avoir fait, on ne peut affirmer qu’elle a manqué à son obligation d’équité procédurale en l’espèce. Cet argument n’est pas fondé.

 

VII.     Dispositif

 

[68]           La Commission a conclu à bon droit que les demandeurs n’avaient ni la qualité de réfugiés au sens de la Convention ni celle de personnes à protéger. La présente demande de contrôle judiciaire est rejetée.


JUGEMENT

LA COUR :

1.                  REJETTE la présente demande de contrôle judiciaire;

2.                  DÉCLARE qu’il n’y a aucune question grave de portée générale à certifier.

 

 

« André F.J. Scott »

Juge

 

 

 

 

Traduction certifiée conforme

Chantal DesRochers, LL.B., D.E.S.S. en trad.

 

 


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

 

DOSSIER :                                                    IMM‑2713‑11

 

INTITULÉ :                                                   ISMAEL COLIN GONZALEZ JUANA SANCHEZ ROSAS LEONARDO COLIN SANCHEZ c
MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                             Montréal (Québec)

 

DATE DE L’AUDIENCE :                           Le 11 janvier 2012

 

MOTIFS DU JUGEMENT

ET JUGEMENT:                                           LE JUGE SCOTT

 

DATE DES MOTIFS :                                  Le 21 février 2012

 

 

 

COMPARUTIONS :

 

Ethan A. Friedman

 

POUR LES DEMANDEURS

 

Daniel Latulippe

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Ethan A. Friedman

Montréal (Québec)

 

POUR LES DEMANDEURS

 

Myles J. Kirvan

Sous‑procureur général du Canada

Montréal (Québec)

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

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