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Date : 20120216

Dossier : T‑2049‑09

Référence : 2012 CF 213

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 16 février 2012

En présence de M. le juge Lemieux

 

ENTRE :

 

 

IRENE J. Bremsak

 

 

 

demanderesse

 

et

 

 

 

INSTITUT PROFESSIONNEL DE LA FONCTION PUBLIQUE DU CANADA

 

 

 

défendeur

 

 

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

I.          Introduction

[1]               Irene Bremsak (la demanderesse), une fonctionnaire fédérale, qui se représente elle‑même dans la présente instance, et dont le statut de membre de l’Institut professionnel de la fonction publique du Canada (l’Institut ou l’IPFP) a été suspendu, sollicite de notre Cour un jugement déclarant l’Institut coupable d’outrage au tribunal pour défaut d’exécuter une ordonnance datée du 26 août 2009 (l’ordonnance de la Commission ou l’ordonnance de réintégration), dont la Commission des relations de travail dans la fonction publique (la Commission) a, par une décision rendue le 4 décembre 2009, autorisé le dépôt à la Cour fédérale en vue de son exécution forcée, conformément à l’article 424 des Règles des Cours fédérales (DORS/98‑106) (les Règles). Le dépôt a eu lieu le 8 décembre 2009.

 

[2]               L’élément central de l’ordonnance de la Commission est la réintégration de la demanderesse dans son statut de dirigeante élue de l’unité de négociation, ainsi que sa réintégration dans tous les postes auxquels elle avait été élue et nommée, sous réserve de l’application régulière des statuts et des règlements administratifs de l’agent négociateur. En voici le texte :

 

[145]    L’agent négociateur doit rétablir la plaignante dans son rôle de dirigeante élue de l’unité de négociation et aviser ses membres et ses dirigeants, de la manière décrite au paragraphe 131 de la présente décision, que la plaignante a été réintégrée dans tous les postes auxquels elle a été élue et nommée, sous réserve de l’application régulière des statuts [et des règlements administratifs] de l’agent négociateur.

 

[Non souligné dans l’original.]

 

 

[3]               Irene Bremsak n’a jamais été réintégrée dans aucun des postes auxquels elle avait été élue ou nommée et tous les mandats en question ont depuis expiré et avaient déjà expiré au moment de l’audience pour outrage qui s’est déroulée devant notre Cour.

 

[4]               L’Institut affirme qu’il a bien agi en ne réintégrant pas Mme Bremsak dans ses fonctions étant donné que l’obligation qui lui était faite de la réintégrer était, de par les termes mêmes de l’ordonnance de la Commission, assujettie à l’application régulière des statuts et des règlements administratifs de cet organisme, qui prévoient que, pour être titulaire d’un poste au sein de l’Institut, il faut en être membre en règle.

 

[5]               Irene Bremsak ne satisfaisait plus à la condition l’obligeant à être membre en règle de l’Institut, et ce, depuis le 15 octobre 2009, date à laquelle elle a été suspendue pour une période de cinq ans par le comité exécutif étant donné que les deux plaintes de harcèlement qui avaient été portées contre elle ou contre son mari (qui l’a représentée dans la présente affaire) par des membres de l’Institut avaient été jugées fondées à la suite d’une enquête menée par un enquêteur externe nommé par l’Institut.

 

[6]               Irene Bremsak a contesté cette décision. Elle ne s’est pas prévalue des voies d’appel dont elle disposait au sein de l’Institut. Elle a plutôt déposé deux plaintes devant la Commission, qui n’a pas encore tranché l’affaire.

 

[7]               Notre Cour a toujours été préoccupée par le fait qu’elle était appelée à statuer sur le moyen de défense invoqué par l’Institut alors que la Commission était appelée à se prononcer sur le bien‑fondé de ce moyen de défense. Après réflexion, notre Cour a décidé d’attendre, avant de rendre son jugement, que la Commission se soit prononcée sur le bien‑fondé de la décision du comité exécutif de suspendre sans délai le statut de membre de la demanderesse. Mme Bremsak a interjeté appel de ma décision à la Cour d’appel fédérale avec l’appui de l’avocat de l’Institut. La Cour d’appel fédérale a statué que j’avais commis une erreur en reportant à plus tard le prononcé de mon jugement (Bremsak c Institut professionnel de la fonction publique du Canada, 2011 CAF 258).

 

II.        Genèse de l’instance

a)      Faits à l’origine du litige

[8]               Tous les faits pertinents en l’espèce gravitent autour de la décision du 26 août 2009 de la Commission (la décision concernant la réintégration). Mme Bremsak avait contesté avec succès la nouvelle politique adoptée par le conseil d’administration de l’Institut le 19 mars 2008 (la politique).

 

[9]               La politique en question prévoyait que le membre de l’Institut qui saisissait un organisme extérieur, comme la Commission, d’une demande ou d’une plainte portant sur une question interne était suspendu automatiquement de façon temporaire de tout poste qu’il occupait au sein de l’Institut.

 

[10]           La demanderesse avait effectivement saisi la Commission d’une plainte le 16 novembre 2007. L’Institut a appliqué sa politique à l’appelante, de sorte, qu’à compter du 7 avril 2008, la demanderesse a été suspendue des quatre postes auxquels elle avait été élue et qu’elle occupait au sein de l’Institut, dont celui de présidente du chapitre de la région métropolitaine de Vancouver, et du poste de déléguée syndicale auquel elle avait été nommée.

 

[11]           Le 7 juillet 2008, Mme Bremsak a saisi la Commission d’une plainte dans laquelle elle soutenait que la suspension dont elle avait fait l’objet en vertu de la politique contrevenait au sous‑alinéa 188e)(ii) de la Loi sur les relations de travail dans la fonction publique (LC 2003, c 22, art 2) (la Loi). Le 26 août 2009, la Commission a fait droit à sa plainte et a rendu l’ordonnance réparatrice suivante :

[140]    L’objection préliminaire de l’agent négociateur à propos de la compétence de la Commission pour se pencher sur la conduite des affaires internes de l’agent négociateur est rejetée.

 

[141]    La plainte du 16 novembre 2007 est rejetée.

 

[142]    La plainte du 11 avril 2008 est accueillie.

 

[143]    L’agent négociateur doit annuler l’application de sa « Politique relative aux membres et aux plaintes à des organismes extérieurs » à la plaignante.

 

[144]    L’agent négociateur doit modifier sa « Politique relative aux membres et aux plaintes à des organismes extérieurs » pour la rendre conforme à la Loi.

 

[145]    L’agent négociateur doit rétablir la plaignante dans son rôle de dirigeante élue de l’unité de négociation et aviser ses membres et ses dirigeants, de la manière décrite au paragraphe 131 de la présente décision, que la plaignante a été réintégrée dans tous les postes auxquels elle a été élue et nommée, sous réserve de l’application régulière des statuts [et des règlements administratifs] de l’agent négociateur.

 

[Non souligné dans l’original.]

 

 

[12]           Aux paragraphes 130, 131 et 132 de sa décision, le commissaire Stevens exprime son opinion au sujet du préjudice subi par la demanderesse et explique les motifs de son ordonnance. Je reproduis ces paragraphes :

Je conviens avec la plaignante que l’agent négociateur a contrevenu au sous‑alinéa 188e)(ii) de la Loi en lui appliquant la politique [de l’Institut] en litige et en la suspendant des postes auxquels elle avait été élue. J’enjoins donc à l’agent négociateur d’annuler l’application de la politique à la plaignante. J’ai conclu ci‑dessus que la politique visait, à juste titre, à protéger les intérêts légitimes et importants de l’agent négociateur. C’est pourquoi je ne peux conclure que la politique est totalement contraire à la Loi. J’ai également conclu que la politique avait une trop grande portée, comme en témoigne son application à la plaignante dans ce cas‑ci. La Commission est d’ailleurs arrivée à la même conclusion dans Veillette 2; j’adopte également la conclusion contenue dans cette décision et selon laquelle l’agent négociateur doit modifier sa politique pour la rendre conforme à la Loi.

 

Pour finir, j’estime que le préjudice, dans ce cas‑ci, ne peut avoir été causé que par la suspension qui a été imposée à la plaignante et que, dans la mesure du possible, la réparation accordée doit avoir pour but de corriger ce préjudice et de rétablir la plaignante dans la situation dans laquelle elle se trouvait avant d’être suspendue des postes auxquels elle avait été élue. J’enjoins donc à l’agent négociateur d’annuler les suspensions imposées à la plaignante. J’accorde également une grande importance au fait que les membres et les dirigeants de l’agent négociateur ont été informés de la suspension de la plaignante et je conclus qu’il convient d’exiger qu’ils soient avisés de l’annulation de la suspension. À la différence du commissaire qui a instruit l’affaire Veillette 2, j’estime que j’ai le pouvoir d’intervenir dans la conduite des affaires internes de l’agent négociateur pour façonner une réparation relativement aux mesures visées au sous‑alinéa 188e)(ii) de la Loi, notamment les sanctions imposées par l’agent négociateur parce qu’une personne a présenté une demande à la Commission. Dans ce cas‑ci, il s’agissait d’une suspension. L’ordonnance n’a pas pour but de contourner l’application régulière des statuts [et règlements administratifs] de l’agent négociateur régissant la durée habituelle du mandat des membres élus et nommés.

 

Pour ces motifs, j’estime indiqué dans les circonstances d’enjoindre à l’agent négociateur de publier le communiqué suivant, à un endroit bien visible, dans le prochain numéro d’une de ses publications périodiques et significatives destinées aux membres (le communiqué pourrait être affiché sur le site Web) :

 

[traduction]

Communiqué à l’intention des membres et dirigeants de l’Institut

 

Le 9 avril 2008, Mme Irene Bremsak a été suspendue temporairement de ses fonctions à titre de membre particulière, sous‑groupe SP de Vancouver, de présidente, chapitre de Vancouver; de membre particulière, Exécutif régional de la C.‑B et du Yukon; et de coordonnatrice d’un sous‑groupe, Exécutif du groupe SP. Cette suspension lui a été imposée aux termes de la « Politique relative aux membres et aux plaintes à des organismes extérieurs » de l’Institut après qu’elle eut déposé une plainte devant la Commission des relations de travail dans la fonction publique.

 

La Commission des relations de travail dans la fonction publique a récemment enjoint à l’Institut, en vertu du sous‑alinéa 188e)(ii) et de l’article 192 de la Loi sur les relations de travail dans la fonction publique, d’annuler la suspension imposée à Mme Bremsak aux termes de la politique et d’apporter les modifications nécessaires à la politique pour la rendre conforme à la Loi sur les relations de travail dans la fonction publique. La Commission a également conclu que l’Institut pouvait être fondé, dans d’autres circonstances, à suspendre un membre du poste auquel il a été élu ou nommé. Pour finir, la Commission a ordonné que le présent communiqué soit distribué aux membres et aux dirigeants de l’Institut.

 

Il s’ensuit que Mme Bremsak est réintégrée, en date d’aujourd’hui, dans tous les postes auxquels elle a été élue et nommée, sous réserve de l’application régulière des statuts de l’Institut.

 

[Non souligné dans l’original.]

 

 

b)      Faits ultérieurs

[13]           Le 1er septembre 2009, la demanderesse a, en vertu de l’article 52 de la Loi et de l’article 424 des Règles, présenté à la Commission une demande de dépôt, à la Cour fédérale, d’une copie certifiée conforme de son ordonnance réparatrice du 26 août 2009 en vue de son exécution forcée. L’Institut s’est opposé à la demande de certification.

 

[14]           Le 2 septembre 2009, l’Institut a présenté une demande de contrôle judiciaire de la décision du 26 août 2009 de la Commission en vertu de l’alinéa 28(1)i) de la Loi sur les Cours fédérales (LRC, 1985, c F‑7), qui précise que la Cour d’appel fédérale a compétence pour connaître de ce type de demande de contrôle judiciaire.

 

[15]           Le 3 septembre 2009, l’Institut a présenté une requête en sursis à l’exécution de la décision de la Commission en attendant que la Cour d’appel fédérale ait rendu sa décision dans une cause parallèle, l’affaire Veillette (Institut professionnel de la fonction publique du Canada c Veillette, 2009 CAF 256).

 

[16]           Le 21 septembre 2009, l’Institut a présenté une autre requête visant à obtenir un sursis à l’exécution de l’ordonnance de la Commission, cette fois‑ci jusqu’à ce que la Cour d’appel fédérale ait rendu sa décision au sujet de la contestation, par l’Institut, de la décision du 26 août 2009 de la Commission.

 

c)      Décision du juge Pelletier de rejeter les requêtes en sursis de l’Institut

[17]           Le 28 octobre 2009, le juge Pelletier de la Cour d’appel fédérale a rejeté les deux requêtes en sursis. Je reproduis le paragraphe 10 de ses motifs, qui étaient prophétiques :

[traduction]

Quoi qu’il en soit, la prépondérance des inconvénients favorise nettement Mme Bremsak. Durant la période qui s’est écoulée depuis sa suspension, son mandat pour un certain nombre de postes auxquels elle avait été élue a expiré. S’il est sursis à l’exécution de l’ordonnance de la Commission jusqu’au règlement définitif de la question, tous les mandats pourraient expirer avant qu’elle ait eu la possibilité de reprendre ses fonctions, en supposant qu’elle obtienne gain de cause. À ce moment‑là, il s’agirait simplement d’une question théorique du point de vue de Mme Bremsak.

 

[Non souligné dans l’original.]

 

 

d)      Décision de l’Institut de suspendre la demanderesse

[18]           Comme nous l’avons déjà fait observer, le 15 octobre 2009, le comité exécutif de l’Institut a examiné deux rapports d’enquête portant sur des accusations de harcèlement formulées contre la demanderesse par cinq membres de l’exécutif du chapitre de Vancouver. Ces rapports concluaient que les plaintes étaient fondées. À titre de sanction, le comité exécutif a temporairement retiré à la demanderesse son statut de membre de l’Institut pour une période de cinq ans; la suspension était immédiate. C’est le 20 octobre 2009 qu’Irene Bremsak a été informée par le comité exécutif de l’Institut de ce qui suit :

a.       Le 15 octobre 2009, le comité exécutif de l’Institut a examiné les rapports d’enquête que lui avait soumis un enquêteur externe qu’il avait chargé d’examiner les 19 accusations de harcèlement formulées contre elle et son mari par deux groupes de membres de l’Institut; 16 de ces accusations avaient été jugées fondées à la suite des enquêtes en question. Le comité a souligné qu’elle avait eu la possibilité de participer aux enquêtes et qu’elle avait reçu une copie des rapports préliminaires pour commentaires.

b.      Le comité exécutif a accepté les conclusions de l’enquêteur suivant lesquelles, en ce qui concerne la première série de plaintes, les plaignants s’étaient sentis, en raison des agissements de Mme Bremsak, intimidés et menacés et, en ce qui concerne la seconde série de plaintes, que Mme Bremsak était responsable des actes de harcèlement inacceptables de son conjoint.

c.       Le comportement de Mme Bremsak dénotait chez elle une propension à recourir aux menaces et à l’intimidation à l’endroit des autres membres, créant ainsi un climat toxique qui amenait des membres par ailleurs motivés à remettre en question leur rôle au sein de l’Institut. Le comité a déclaré que l’Institut ne tolérerait pas ces agissements.

d.      Par conséquent, le comité exécutif a décidé de retirer sur‑le‑champ à Mme Bremsak son statut de membre de l’Institut pour une période de cinq ans. Elle ne pouvait donc plus se porter candidate à une charge, voter pour les dirigeants de l’Institut ou participer autrement aux affaires de l’Institut.

e.       Il était loisible à Mme Bremsak d’interjeter appel au conseil d’administration en lui soumettant une réplique, mais l’examen du conseil se limiterait à déterminer si le comité exécutif avait agi dans les limites de son mandat en rendant sa décision.

[19]           Irene Bremsak n’en a pas appelé devant le Conseil d’administration, mais a contesté la décision en déposant devant la Commission deux plaintes qui n’ont pas encore été tranchées.

 

e)      L’ordonnance de certification de la Commission

[20]           Dans l’intervalle, Mme Bremsak a poursuivi ses efforts en vue de convaincre la Commission de déposer une copie certifiée de son ordonnance du 26 août 2009 à la Cour fédérale. Comme nous l’avons déjà signalé, sa première demande a été contestée par l’avocat externe de l’Institut le 22 septembre 2009.

 

[21]           Immédiatement après la décision du 28 octobre 2009 du juge Pelletier, la demanderesse a de nouveau présenté sa demande de certification. L’Institut s’y est une fois de plus opposé en invoquant un nouveau moyen, en l’occurrence, le fait que la suspension du statut de membre de la demanderesse faisait en sorte que le dépôt de l’ordonnance réparatrice de la Commission ne serait d’aucune utilité.

 

[22]           La Commission a reçu des observations sur le fond de la question et a rendu sa décision le 4 décembre 2009. La décision de la Commission a été rédigée par la vice‑présidente, Marie‑Josée Bédard, qui est maintenant juge à notre Cour. Elle a ordonné le dépôt de l’ordonnance de la Commission. Son ordonnance est ainsi libellée :

 

Ordonnance

 

33    Je déclare que le défendeur s’est conformé au paragraphe 144 de la décision de la Commission dans Bremsak c. Institut professionnel de la fonction publique du Canada, 2009 CRTFP 103.

34    Je déclare par ailleurs que le défendeur ne s’est pas conformé aux paragraphes 143 et 145 de la décision de la Commission dans Bremsak c. Institut professionnel de la fonction publique du Canada, 2009 CRTFP 103.

35    La Commission est tenue de déposer, à la Cour fédérale, l’ordonnance qu’elle a rendue dans Bremsak c. Institut professionnel de la fonction publique du Canada, 2009 CRTFP 103.

[Non souligné dans l’original.]

 

 

[23]           Dans les motifs qu’elle a prononcés le 4 décembre 2009, publiés à 2009 CRTFP 159, la vice‑présidente expliquait qu’elle était appelée à répondre aux deux questions suivantes :

a.       L’Institut s’est‑il conformé à la décision de la Commission, qui comporte quatre exigences?

b.      Dans la négative, y a‑t‑il un motif valable pour lequel le dépôt de la décision 2009 CRTFP 103 à la Cour fédérale ne serait d’aucune utilité?

[24]           Sur la première question, elle a conclu que la politique révisée de l’Institut était conforme à l’ordonnance de la CRTFP, mais que la partie de la décision portant sur le rétablissement de la demanderesse dans ses fonctions et l’annonce qui devait en être faite aux membres n’avait pas été respectée.

[25]           Sur la seconde question, la vice‑présidente Bédard a abordé l’argument de l’Institut suivant lequel la suspension du statut de membre de la demanderesse rendait la certification inutile. Voici ce qu’elle écrit :

31        J’examinerai maintenant la troisième raison avancée par le défendeur pour suggérer que le dépôt de la décision de la Commission à la Cour fédérale n’est d’aucune utilité, à savoir la suspension de l’adhésion de la demanderesse. Est‑ce que la décision du défendeur de suspendre l’adhésion de la demanderesse rend inutile le dépôt de la décision 2009 CRTFP 103? Ce n’est pas mon avis et je considère que le dépôt de la décision 2009 CRTFP 103 à la Cour fédérale est utile.

32        Le défendeur affirme essentiellement qu’étant donné la suspension de l’adhésion de la demanderesse, la décision de la Commission de la rétablir dans les postes auxquels elle avait été élue n’est plus exécutable et que, par conséquent, le dépôt de la décision 2009 CRTFP 103 à la Cour fédérale n’est d’aucune utilité.

33        La réelle question soulevée par l’argument du défendeur est de savoir si la décision de la Commission peut toujours être exécutée, et à mon avis, cette question devrait être tranchée par la Cour fédérale.

34        Le Parlement, à l’article 52 de la Loi, a investi la Commission du pouvoir de déterminer si les parties se conforment à ses décisions, mais il n’a pas investi la Commission du pouvoir de forcer l’exécution d’une décision une fois qu’il a été établi que sa décision n’a pas été respectée. Le Parlement a décidé d’investir la Cour fédérale de ce pouvoir et de prévoir, à l’article 52, un mécanisme de dépôt des décisions de la Commission à la Cour fédérale. Une fois qu’une décision a été déposée à la Cour fédérale, elle est assimilée à une ordonnance rendue par la Cour et peut être exécutée à ce titre (paragraphe 52(2)). J’estime que la question de savoir si une décision de la Commission a force exécutoire est assez différente de celle de savoir si une décision a été respectée : la première question devrait être déterminée par l’organisme investi du pouvoir de trancher les questions ayant trait à l’exécution d’une ordonnance. Pour les motifs qui précèdent, je conclus donc que le défendeur ne m’a pas convaincue que le dépôt de la décision 2009 CRTFP 103 à la Cour fédérale ne serait d’aucune utilité.

[Non souligné dans l’original.]

 

 

f)             L’ordonnance de justification du protonotaire

[26]           Le 8 décembre 2009, la Commission a déposé son ordonnance certifiée du 26 août 2009 à la Cour fédérale. Irene Bremsak a immédiatement introduit une instance en outrage en vertu des Règles. Mme Bremsak a rapidement franchi la première étape que comporte toute instance en outrage en déposant, conformément à l’article 467 des Règles, une requête ex parte visant à obtenir une ordonnance enjoignant à l’Institut de comparaître devant la Cour pour une audience pour outrage. Cette demande a été examinée par le protonotaire Lafrenière, qui a ordonné à Mme Bremsak de signifier sa demande à l’Institut et qui a ordonné aux parties de présenter des observations écrites. Le protonotaire a entendu les plaidoiries des parties. Avant de reproduire sa décision, je tiens à signaler que le protonotaire Lafrenière a tout mis en œuvre pour régler l’affaire par la voie de la médiation, mais qu’il n’a pas réussi. Notre Cour a également tenté de régler l’affaire par la voie de la médiation tant avant que pendant l’audience relative à l’outrage. Les parties n’ont pas réussi à s’entendre.

 

[27]           Le 17 juin 2010, le protonotaire Lafrenière a rendu une ordonnance et des motifs d’ordonnance (2010 CF 661), dans lesquelles il a conclu que Mme Bremsak avait présenté une preuve prima facie de l’outrage reproché à l’Institut. Il a rendu l’ordonnance suivante :

[traduction]

1. Un représentant de l’Institut devra comparaître devant un juge à la date, à l’heure et au lieu fixés par la Cour pour entendre la preuve des actes suivants qui auraient été commis par l’Institut et qui sont reprochés à l’Institut, et être préparé à présenter toute défense qu’il pourrait avoir en réponse aux accusations.

 

Il est reproché à l’Institut d’avoir désobéi à l’ordonnance du 8 décembre 2009 de la Cour en ne procédant pas à la réintégration, en temps opportun, de la demanderesse dans ses fonctions de déléguée syndicale, de membre de l’exécutif régional de la Colombie‑Britannique et du Yukon et de présidente de l’exécutif du chapitre de Vancouver, et de ne pas avoir informé ses membres et ses représentants conformément aux modalités prévues au paragraphe 131 de la décision en question que la demanderesse avait été réintégrée dans tous les postes auxquels elle avait été élue et nommée, sous réserve de l’application régulière des statuts et des règlements administratifs de l’agent négociateur.

 

2. L’adjudication des dépens de la requête de la demanderesse est réservée au juge qui présidera l’audience pour outrage.

 

[Non souligné dans l’original.]

 

 

[28]           Sur la question de savoir si l’Institut a respecté l’ordonnance de réintégration de la Commission et sur les conséquences de l’expiration des mandats, le protonotaire écrit :

[traduction]

Il est acquis aux débats que l’Institut ne s’est pas conformé à l’ordonnance de la Commission des relations de travail dans la fonction publique (la Commission) qui lui enjoignait de réintégrer Mme Bremsak dans ses fonctions de représentante élue de l’Institut. L’Institut affirme toutefois qu’il ne pouvait se conformer à l’ordonnance de réintégration parce que le statut de membre de Mme Bremsak avait été suspendu après le prononcé de l’ordonnance de la Commission, ce qui empêchait Mme Bremsak d’occuper tout poste élu au sein de l’Institut.

 

[Non souligné dans l’original.]

 

 

[29]            Sur les raisons invoquées par l’Institut pour expliquer pourquoi la demanderesse n’avait pas été réintégrée, le protonotaire a exprimé l’opinion qui suit :

[traduction]

L’Institut invoque deux motifs pour justifier la non‑réintégration de Mme Bremsak dans tous les postes auxquels elle a été élue et nommée comme la Commission le lui avait ordonné dans sa décision du 16 août 2009. En premier lieu, au moment de l’ordonnance de la Cour, deux de ses mandats avaient expiré. Deuxièmement, au moment de l’ordonnance de la Cour, le statut de membre lui avait été retiré pour une période de cinq ans après que des plaintes de harcèlement formulées à son endroit aient été jugées fondées. Selon l’Institut, la suspension était le résultat de 16 plaintes fondées de harcèlement qui avaient été portées par des membres de l’Institut contre Mme Bremsak, et cette suspension avait été imposée à la suite d’une enquête indépendante et avait pris effet le 20 octobre 2009. En tant que membre suspendue, Mme Bremsak ne pouvait pas être réintégrée dans ses fonctions.

 

[Non souligné dans l’original.]

 

 

[30]           Au sujet des conséquences de l’expiration des mandats, le protonotaire déclare :

[traduction]

Il n’existe pas de précédent où un dirigeant syndical aurait été réintégré dans leur poste après l’expiration de son mandat (Taylor c. Atkinson, [1984] O.J. no 399 (C.S.) aux paragraphes 3 et 120). De plus, la Commission a elle‑même déclaré qu’en pareil cas, il n’était pas nécessaire de procéder à la réintégration. Dans ces conditions, je conclus qu’aucune preuve prima facie de l’outrage reproché n’a été établie en ce qui concerne la réintégration de Mme Bremsak aux deux postes à l’égard desquels son mandat avait expiré au moment où la décision de la Commission a été déposée à la Cour.

 

L’Institut rappelle que, dans sa décision, la Commission précise bien que son ordonnance de réintégration n’a pas pour but de contourner l’application régulière des règlements administratifs de l’Institut qui, en l’espèce, empêchaient un membre suspendu d’occuper un poste au sein de l’Institut. L’Institut affirme que toute ambiguïté que comporte l’ordonnance de la Commission devrait être résolue en sa faveur. Il soutient qu’il s’est fondé sur une interprétation raisonnable de l’ordonnance en question, qui constitue une réponse définitive aux accusations d’outrage.

 

Selon l’Institut, la suspension, qui a été infligée de bonne foi, constitue un motif légitime pour ne pas réintégrer Mme Bremsak dans ses fonctions. La Cour d’appel elle‑même a fait observer, lorsqu’elle a rejeté les requêtes en sursis présentées par l’Institut, que l’ordonnance de la Commission n’empêchait pas l’Institut d’infliger des mesures disciplinaires à Mme Bremsak si cette dernière devait par la suite se livrer à des actes justifiant l’imposition de telles mesures.

 

Bien que la suspension de cinq ans infligée à Mme Bremsak est susceptible d’être considérée comme un fait ultérieur accessoire dont l’Institut s’est servi comme excuse légitime pour ne pas réintégrer Mme Bremsak dans ses fonctions, il s’agit là d’une question qui ne peut être tranchée à la première étape d’une audience pour outrage. Il ne convient pas d’examiner, lors de l’audition d’une demande d’audience pour outrage, les arguments invoqués pour contester des détails de l’ordonnance ou encore de statuer sur un moyen de défense dont dispose l’auteur présumé de l’outrage.

 

Vu le dossier qui m’a été soumis, je suis convaincu qu’il a été établi prima facie que l’Institut a désobéi à l’ordonnance par laquelle notre Cour lui avait enjoint de réintégrer Mme Bremsak dans les deux postes à l’égard desquels ses mandats n’avaient pas encore expiré en date du 8 décembre 2009.

 

[Non souligné dans l’original.]

 

 

[31]           Sur la question de la modification apportée à la politique de l’Institut, le protonotaire a déclaré :

[traduction]

Compte tenu de la conclusion tirée par la Commission le 4 décembre 2009 suivant laquelle la politique révisée était satisfaisante et se conformait à la décision du 26 août 2009, je conclus qu’aucune preuve prima facie de l’outrage reproché n’a été établie en ce qui concerne la modification apportée à la politique de l’Institut.

 

[Non souligné dans l’original.]

 

 

[32]           S’agissant de la publication du communiqué exigé, le protonotaire écrit ce qui suit :

[traduction]

Au paragraphe 145 de sa décision, la Commission a ordonné à l’Institut d’aviser ses membres et ses dirigeants, de la manière décrite au paragraphe 131 de la présente décision, que Mme Bremsak « a été réintégrée dans tous les postes auxquels elle a été élue et nommée » sous réserve de l’application régulière des statuts et des règlements administratifs de l’agent négociateur. Au paragraphe 132, la Commission ordonnait à l’Institut de publier un communiqué à un endroit bien visible dans le prochain numéro d’une de ses publications périodiques et significatives destinées à ses membres.

 

L’Institut ne s’est de toute évidence pas conformé à l’ordonnance de la Commission lui enjoignant de publier un communiqué à un endroit bien visible « dans le prochain numéro d’une de ses publications périodiques et significatives destinées à ses membres ». L’obligation de respecter l’ordonnance de la Commission s’est cristallisée le 8 décembre 2009 lorsque la décision de la Commission est devenue une ordonnance de la Cour. Bien que l’Institut ait publié un communiqué le 22 décembre 2009, il s’était déjà écoulé deux semaines. Ce communiqué a été publié à la fin de la page Web de l’Institut pendant la période des vacances d’hiver alors que peu de membres consultent ce site. Il était également accompagné d’une clause de non‑responsabilité. Vu l’ensemble de la preuve dont je dispose, je conclus qu’en publiant ce communiqué et en l’accompagnant d’une clause de non‑responsabilité, et en laissant s’écouler un délai, n’ayant pas été expliqué, avant de les publier sur son site Internet, l’Institut ne s’est pas conformé aux modalités et à l’esprit de l’ordonnance de la Cour.

 

La présence ou l’absence de bonne foi de la part de l’auteur présumé de l’outrage n’entre pas en ligne de compte lorsqu’il s’agit de déterminer si une preuve prima facie d’outrage a été présentée. Compte tenu des circonstances de l’espèce, je conclus à l’existence d’une preuve prima facie d’outrage en ce qui concerne la publication de l’annonce.

 

[Non souligné dans l’original.]

 

 

[33]           Comme nous l’avons déjà signalé, aucune des parties n’a interjeté appel de l’ordonnance du protonotaire devant la Cour fédérale en vertu de l’article 51 des Règles.

 

III.       Le régime législatif

[34]           Comme le souligne la vice‑présidente Marie‑Josée Bédard, maintenant juge de la Cour fédérale, « [l]e Parlement, à l’article 52 de la Loi, a investi la Commission du pouvoir de déterminer si les parties se conforment à ses décisions, mais il n’a pas investi la Commission du pouvoir de forcer l’exécution d’une décision une fois qu’il a été établi que sa décision n’a pas été respectée ». [Non souligné dans l’original.]

 

[35]           La vice‑présidente Bédard fait également observer que, en vue de l’exécution des décisions de la Commission, le législateur a prévu à l’article susmentionné un mécanisme de dépôt des décisions de la Commission à la Cour fédérale visant à faire en sorte qu’une fois déposée à la Cour fédérale, la décision de la Commission soit assimilée à une ordonnance rendue par la Cour et peut être exécutée à ce titre.

 

[36]           L’article 424 des Règles est la disposition d’application de l’article 52 de la Loi. Voici le texte de ces deux dispositions :

 

L’article 52 de la Loi dispose :

 

Dépôt à la Cour fédérale

 

 

52. (1) Sur demande écrite de la personne ou de l’organisation touchée, la Commission dépose à la Cour fédérale une copie certifiée conforme du dispositif de l’ordonnance sauf si, à son avis :

 

a) soit rien ne laisse croire qu’elle n’a pas été exécutée ou ne le sera pas;

 

b) soit, pour d’autres motifs valables, le dépôt ne serait d’aucune utilité.

 

 

Exécution des ordonnances

 

(2) En vue de son exécution, l’ordonnance rendue par la Commission, dès le dépôt à la Cour fédérale de la copie certifiée conforme, est assimilée à une ordonnance rendue par celle‑ci.

 

[Non souligné dans l’original.]

Filing of Board’s orders in Federal Court

 

52. (1) The Board must, on the request in writing of any person or organization affected by any order of la Commission, file a certified copy of the order, exclusive of the reasons for the order, in the Federal Court, unless, in its opinion,

(a) there is no indication of failure or likelihood of failure to comply with the order; or

(b) there is other good reason why the filing of the order in the Federal Court would serve no useful purpose.

 

Effect of filing

 

(2) An order of la Commission becomes an order of the Federal Court when a certified copy of the order is filed in that court, and it may subsequently be enforced as such.

 

 

[Emphasis added]

 

 

L’article 424 des Règles est ainsi libellé :

 

Exécution de l’ordonnance d’un office fédéral

 

424. (1) Lorsque la Cour est autorisée, en vertu d’une loi fédérale, à poursuivre l’exécution forcée de l’ordonnance d’un office fédéral et qu’aucune autre procédure n’est prévue aux termes de cette loi ou de ses textes d’application, l’exécution forcée de l’ordonnance est assujettie à la présente partie.

 

Dépôt de l’ordonnance

 

(2) L’ordonnance visée au paragraphe (1) est déposée avec un certificat de l’office fédéral ou un affidavit de la personne autorisée à la déposer, attestant l’authenticité de l’ordonnance.

 

[Non souligné dans l’original.]

Enforcement of order of tribunal

 

 

424. (1) Where under an Act of Parliament the Court is authorized to enforce an order of a tribunal and no other procedure is required by or under that Act, the order may be enforced under this Part.

 

 

 

 

Filing of order

 

(2) An order referred to in subsection (1) shall be filed together with a certificate from the tribunal, or an affidavit of a person authorized to file such an order, attesting to the authenticity of the order.

 

[Emphasis added]

 

 

[37]           La partie 12 des Règles est intitulée « Exécution forcée des ordonnances ». Un examen des dispositions de cette partie révèle qu’il existe plusieurs façons différentes de poursuivre l’exécution forcée d’une ordonnance d’un tribunal administratif. La demanderesse a opté pour l’une des voies les plus ardues, en choisissant de faire exécuter l’ordonnance réparatrice de la Commission au moyen d’une poursuite pour outrage.

 

[38]           Le 26 octobre 2011, la Cour d’appel fédérale a rendu sa décision dans l’affaire Canada (Commission des droits de la personne) c Warman, 2011 CAF 297 (Warman). Le contexte de cette affaire ressemble à celui de la présente espèce; elle mettait en cause (1) une décision d’un tribunal administratif, le Tribunal canadien des droits de la personne (le TCDP ou le Tribunal), qui avait prononcé une ordonnance de cesser et de s’abstenir contre M. Tremaine; (2) l’obligation de déposer l’ordonnance du TCDP devant la Cour fédérale en vue de son exécution (voir l’article 57 de la Loi canadienne sur les droits de la personne (LRC, 1985, c H‑6) (la LCDP)); (3) la prise en compte de l’article 424 des Règles; (4) une demande présentée par un intéressé en vue d’obtenir une ordonnance pour outrage visant à sanctionner la présumée désobéissance à l’ordonnance du tribunal administratif. Notre Cour a porté l’arrêt Warman à l’attention des parties et a tenu compte de leurs observations à ce sujet.

 

[39]           À mon avis, l’arrêt Warman est important dans le cas qui nous occupe, et ce, pour diverses raisons. Premièrement, l’article 57 de la LCDP ressemble beaucoup à l’article 52 de la Loi sur les relations de travail dans la fonction publique (la LRTFP). L’arrêt Warman a tranché la question de savoir si l’ordonnance exécutée par la Cour fédérale en vertu de l’article 57 de la LCDP est l’ordonnance du Tribunal ou celle de la Cour fédérale.

 

[40]           Le juge Marc Noël, qui s’exprimait au nom de la majorité, a statué que, suivant le régime prévu par la Loi, la seule ordonnance qui était exécutée était celle du Tribunal. Il écrit :

Il est aujourd’hui bien établi que les décisions des tribunaux de juridiction inférieure peuvent être exécutées en elles‑mêmes par l’entremise de procédures d’outrage parce que, comme pour les décisions des cours supérieures, le législateur estime qu’elles méritent le respect que les procédures d’outrage sont censées assurer. C’est ce que fait l’article 57 pour les ordonnances rendues par le Tribunal en vertu des articles 53 et 54 de la Loi.

 

Il s’ensuit que, dans la présente affaire, il n’y a qu’une seule ordonnance – l’ordonnance du Tribunal – qui est exécutée par la Cour fédérale conformément à l’article 57, comme si elle était une ordonnance de cette Cour. Cette intention est on ne peut mieux exprimée par la version française, selon laquelle : « [L]es ordonnances rendues en vertu des articles 53 et 54 […] peuvent […] être assimilées aux ordonnances rendues par celle‑ci [c’est‑à‑dire la Cour fédérale].

 

Le juge de la Cour fédérale a donc commis une erreur lorsqu’il a conclu que la violation délibérée de l’ordonnance du Tribunal ne pouvait pas à elle seule donner lieu à une conclusion d’outrage (motifs, paragraphe 28).

 

[Non souligné dans l’original.]

 

 

[41]           En deuxième lieu, le juge Noël s’est attaqué à la question de savoir si le juge de la Cour fédérale pouvait dire, dans le cas précis où une ordonnance du Tribunal avait été déposée au greffe de la Cour fédérale en vue de son exécution, que la connaissance de l’ordonnance du Tribunal (plutôt que la connaissance de son enregistrement) ne pouvait à elle seule donner lieu à une conclusion d’outrage. Pour trancher cette question, la Cour d’appel fédérale a accepté l’idée qu’une personne ne peut sciemment contrevenir à une ordonnance à moins d’en avoir connaissance. Le juge de la Cour fédérale avait estimé qu’il était nécessaire d’avoir connaissance de l’existence d’une « ordonnance de la Cour ». La Cour d’appel fédérale a pour sa part jugé, au paragraphe 53 :

À mon avis, l’unique exigence qui puisse être déduite de la jurisprudence de la Cour suprême quant au deuxième volet du critère de l’outrage civil est qu’il doit y avoir connaissance effective d’une ordonnance juridiquement contraignante de sorte qu’il puisse être prouvé hors de tout doute raisonnable que l’ordonnance est transgressée délibérément ou volontairement par la personne qui aurait commis l’outrage. C’est ce que la preuve établit en l’espèce.

 

[Non souligné dans l’original.]

 

 

[42]           Troisièmement, la Cour d’appel fédérale a formulé des observations au sujet du premier volet du critère permettant de conclure à un outrage civil, à savoir que l’ordonnance qui n’a pas été respectée doit énoncer clairement et sans équivoque ce qui doit être fait ou ne doit pas être fait.

 

[43]           Dans l’affaire Warman, l’ordonnance de cesser et de s’abstenir obligeait M. Tremaine « à mettre fin à l’acte discriminatoire consistant à utiliser […] un téléphone pour […] communiquer [...] », M. Tremaine soutenait que les mots « utiliser un téléphone pour communiquer » employés sans plus d’explications n’étaient pas suffisamment précis. La Cour d’appel fédérale a rejeté cet argument, déclarant au paragraphe 57 :

Sur ce point, j’observe, comme l’a fait le juge de la Cour fédérale, que l’ordonnance elle‑même du Tribunal ne peut être dissociée des motifs exposés pour la justifier (motifs, paragraphe 34). Si l’on se reporte aux motifs, il est clair qu’il était interdit à l’intimé de communiquer sur Internet – (voir par exemple la décision du Tribunal, paragraphe 149).

 

[Non souligné dans l’original.]

 

IV.       Enquête sur le harcèlement

[44]           Au milieu de l’année 2009, Irene Bremsak a fait l’objet de deux plaintes de harcèlement collectif présentées essentiellement par les mêmes personnes, à savoir cinq membres de l’exécutif du chapitre de Vancouver de l’Institut.

 

[45]           La première plainte collective a été transmise au bureau du président de l’Institut le 2 avril 2009 conformément à la politique sur le harcèlement de l’Institut. La seconde plainte a été déposée le 5 juin 2009 par un membre de l’exécutif du chapitre de Vancouver, mais a été transformée en plainte collective après que d’autres membres de la haute direction eurent formulé des plaintes analogues. Le bureau du président a décidé d’ouvrir une enquête sur les deux plaintes de harcèlement. Le 27 avril 2009 et en juin 2009, North Shore Investigation Services (North Shore) a été désigné par l’Institut pour mener une enquête sur les plaintes conformément au mandat qui a été versé au dossier et dont je reproduis deux des principales clauses :

[traduction]

DÉROULEMENT DE L’ENQUÊTE

 

L’enquêteur aura toute latitude pour mener son enquête de la manière qu’il juge approprié compte tenu des circonstances, mais il ne devra en aucun temps agir de manière arbitraire ou discriminatoire ou faire preuve de mauvaise foi. En outre, il est entendu que l’enquêteur enquêtera sur les faits entourant les plaintes sans formuler de recommandations.

 

RAPPORT D’ENQUÊTE

 

L’enquêteur soumettra au secrétaire exécutif et à la conseillère générale aux affaires juridiques un rapport dans lequel il exposera en détail ses conclusions. Une copie du rapport de l’enquêteur sera transmise au plaignant et à l’intimée, qui se verront offrir la possibilité de formuler leurs observations au sujet du rapport de l’enquêteur.

 

 

[46]           En ce qui concerne la première plainte, voici les principaux jalons de l’enquête :

a.       Les principales allégations s’expliquent par le fait que demanderesse estime que sa suspension reposait sur une politique illégale et que les membres du chapitre de Vancouver auraient dû l’appuyer et se porter à sa défense contre l’Institut. Les plaintes portées contre la demanderesse remontent essentiellement à avril 2008, peu de temps après que Mme Bremsak eut été suspendue automatiquement de son poste de présidente du chapitre de Vancouver auquel elle avait été élue. La situation s’est aggravée lorsque Mme Bremsak a envoyé le 22 mars 2009 un courriel dans lequel elle prévenait qu’elle porterait plainte contre chacune des personnes qui n’appuieraient pas sa candidature au poste de déléguée au Conseil régional de 2009.

b.      Les entrevues se sont terminées le 16 juin 2009. Un rapport d’enquête provisoire a été établi en date du 9 septembre 2009 et a été distribué en vue de recueillir des commentaires.

c.       North Shore a rédigé un rapport d’enquête définitif daté du 13 octobre 2009. Une douzaine des 15 accusations ont été jugées fondées. La Cour tient à signaler qu’une grande partie des accusations étaient pratiquement identiques et que la conclusion de harcèlement était fondée sur l’avis de North Shore [traduction] « qu’il existe suffisamment d’éléments de preuve documentaire pour penser que les agissements de Mme Irene J. Bremsak ont eu pour effet de placer chacun des plaignants dans une situation intolérable dans laquelle chacun d’entre eux s’est senti intimidé et menacé ».

[47]           La seconde plainte sur laquelle North Shore a fait enquête portait sur un fait isolé survenu dans un restaurant de Vancouver le 3 juin 2009 lors d’une rencontre conjointe entre le chapitre de Vancouver et l’Agence du revenu du Canada. L’allégation commune concerne le harcèlement dont se serait rendu coupable le mari de Mme Bremsak, John Lee (son représentant), qui aurait menacé d’entamer des poursuites judiciaires si sa femme n’était pas immédiatement réintégrée dans son poste de présidente du chapitre de Vancouver, et distribué, à l’appui de sa position, la décision récemment rendue par la CRTFP dans Veillette, qui invalidait selon lui la politique en vertu de laquelle sa femme avait été suspendue.

 

[48]           Voici les principaux jalons de la seconde enquête menée par North Shore :

a.       Désignation de North Shore en juin 2009 pour faire enquête sur la seconde plainte.

b.      Entrevues menées en juin 2009; les entrevues téléphoniques ont eu lieu au cours de la dernière semaine de juillet ainsi que la journée du 2 août 2009. Nous avons eu de la difficulté à organiser une entrevue avec Mme Bremsak; celle qui avait été fixée au 19 août 2009 a été annulée par John Lee le 17 août 2009 en raison d’un désaccord au sujet du remboursement du temps perdu et des frais engagés. L’enquêteur a expliqué à la demanderesse le 18 août 2009 qu’il était tenu envers toutes les parties de mener son enquête à terme en temps opportun et que l’entrevue prévue pour le 19 août ne serait pas reportée si Mme Bremsak décidait de ne pas y participer, ce qui s’est effectivement produit. Les démarches ultérieures entreprises à cette fin par l’Institut ont échoué.

c.       Rapport d’enquête provisoire établi sans l’apport de Mme Irene J. Bremsak. Ce rapport, qui est daté du 9 septembre 2009, ne renferme aucune conclusion.

d.      Rapport d’enquête définitif. Voici les principaux éléments de ce rapport, qui est daté du 14 octobre 2009 :

[traduction]

i.         Il incombe aux plaignants de faire la preuve des actes de harcèlement. Bien que je ne dispose pas de la réponse d’Irene J. Bremsak aux accusations pour contrebalancer les éléments de preuve, je suis d’avis que les plaignants et les témoins ont démontré que les propos et les actes de M. John Lee lors de l’assemblée conjointe du chapitre de Vancouver et de l’ARC le 3 juin 2009 étaient inopportuns, injustifiés et déplacés. Plus simplement :

Je suis d’avis qu’il n’était pas raisonnable de la part de John Lee, qui n’était ni un membre ni un invité, de perturber la rencontre en formulant des exigences et proférant des menaces à l’endroit des plaignants. J’estime donc que le comportement de John Lee était tout à fait déplacé, agressif et hostile envers chacun des plaignants.

 

La politique sur le harcèlement prévoit dans les termes les plus nets qu’elle s’applique tant aux membres qu’aux employés de l’Institut. Comme John Lee n’est ni membre ni employé de l’Institut, il appartient à l’Institut de décider si ses agissements tombent ou non sous le coup de la politique sur le harcèlement.

 

L’enquêteur a expliqué qu’il estimait que [traduction] « lorsqu’on considère les antécédents récents de la défenderesse et de l’exécutif du chapitre de Vancouver, la prépondérance des probabilités donne fortement à penser que la perturbation de l’assemblée conjointe du 3 juin 2009 de l’exécutif du chapitre de Vancouver et de la Direction générale de l’ARC avait été planifiée et orchestrée par Irene Bremsak et par John Lee. Toutefois, malgré le fait qu’il existe de solides raisons de penser que Mme Bremsak a agi dans les coulisses, il n’en demeure pas moins que la défenderesse (Irene Bremsak) n’était pas impliquée directement dans l’incident. Irene Bremsak n’a rien dit et n’a rien fait au cours de l’incident survenu au restaurant ni, à ce moment, donné des directives à John Lee.

 

 

V.        Thèse des parties

[49]           La thèse que chacune des parties a exposée dans les observations finales qu’elles ont soumises par écrit après l’audience sur l’outrage au tribunal est résumée ci‑dessous.

 

a)      Thèse de l’Institut

[50]           En premier lieu, l’Institut affirme que l’audience pour outrage qui se déroule devant notre Cour soulève les questions suivantes :

a.       Mme Bremsak a‑t‑elle démontré hors de tout doute raisonnable que l’Institut a désobéi à l’ordonnance du 8 décembre 2009 de la Cour :

i.         en ne la réintégrant pas dans les postes à l’égard desquels son mandat n’avait pas encore expiré à la date du prononcé de l’ordonnance de la Cour (le 8 décembre 2009);

ii.       en ne se conformant pas à l’ordonnance de la Cour en ce qui concerne la publication du communiqué exigé par la Commission?

[51]           Suivant l’Institut, le délai dont on doit tenir compte pour déterminer s’il y a eu outrage au tribunal pour cause de désobéissance à l’ordonnance n’a commencé à courir qu’au moment où l’ordonnance du 26 août 2009 de la Commission a été déposée à la Cour fédérale, en l’occurrence, le 8 décembre 2009, date à laquelle cette ordonnance est devenue une ordonnance de notre Cour.

 

[52]           À l’appui de cet argument, l’Institut se fonde sur : (1) l’alinéa 466b) des Règles qui dispose qu’est coupable d’outrage au tribunal quiconque « désobéit à un moyen de contrainte ou à une ordonnance de la Cour »; (2) le fait, qu’appelé à déterminer s’il était permis de conclure à l’existence d’une preuve prima facie de l’outrage reproché, le protonotaire déclare dans ses motifs, en se fondant sur l’alinéa 466b), que [traduction] « le défaut de se conformer à l’ordonnance de la Commission n’est pas la question en jeu dans le contexte de la présente requête » ajoutant que [traduction] « dans le cadre de la présente requête en audience pour outrage, l’accent doit être mis sur la question de savoir si l’Institut a désobéi à l’ordonnance de la Cour plutôt qu’à celle de la Commission »; (3) la jurisprudence suivant laquelle [traduction] « dans les affaires relatives aux ordonnances des commissions des relations de travail, il ne peut y avoir outrage avant le dépôt à la Cour de la décision rendue par la Commission des relations de travail ». [Non souligné dans l’original.]

 

[53]           Résumant sa position sur cette question, l’avocat de l’Institut écrit ce qui suit :

[traduction]

En résumé, avant de pouvoir conclure à l’outrage en l’espèce, on doit démontrer hors de tout doute raisonnable que l’Institut n’a pas respecté les conditions de l’ordonnance de la Cour qui a été déposée le 8 décembre. Il faut donc, pour que la Cour puisse conclure qu’il y a eu outrage, qu’il y ait eu manquement aux conditions de l’ordonnance du 8 décembre de la Cour et non à celles du 26 août 2009 de la Commission.

 

[Non souligné dans l’original.]

 

 

[54]           Deuxièmement, l’Institut s’inscrit en faux contre les propos suivants que le protonotaire a tenus dans ses motifs : [traduction] « Il est acquis aux débats que l’Institut ne s’est pas conformé à l’ordonnance de la Commission des relations de travail dans la fonction publique (la Commission) qui lui enjoignait de réintégrer Mme Bremsak dans ses fonctions de représentante élue de l’Institut ». L’avocat de l’Institut affirme : [traduction] « La prémisse sur laquelle le protonotaire s’est fondé était erronée ». Voici ce qu’il écrit :

[traduction]

Bien que l’Institut admette qu’il n’a pas réintégré Mme Bremsak, il a, tout au long de l’instance relative à l’outrage, soutenu qu’il s’était conformé à l’ordonnance de la Cour, dans laquelle il était expressément mentionné que la plaignante devait être réintégrée « sous réserve de l’application régulière des statuts [et des règlements administratifs] de l’agent négociateur » ce qui, à son tour, excluait toute possibilité de réintégrer Mme Bremsak en raison de la suspension de son statut de membre pour une période de cinq ans.

 

[Non souligné dans l’original.]

 

 

[55]           Troisièmement, l’Institut admet que, le 15 décembre 2009, les membres de son comité exécutif se sont rencontrés pour décider de la façon de se conformer à l’ordonnance de la Cour (l’ordonnance de réintégration prononcée par la Commission et déposée à la Cour fédérale le 8 décembre 2009). L’avocat de l’Institut écrit ce qui suit :

[traduction]

Il s’agissait de la première assemblée du comité exécutif depuis le prononcé de l’ordonnance du 8 décembre de la Cour. Le comité exécutif a estimé que Mme Bremsak ne pouvait pas être réintégrée, parce que son statut de membre avait ultérieurement été suspendu pour une période de cinq ans à compter du 20 octobre 2009. Cette mesure faisait suite à de nombreuses plaintes de harcèlement jugées fondées qui avaient été portées par des membres de l’Institut contre Mme Bremsak et bien avant que la Commission n’annule la suspension de Mme Bremsak. Un enquêteur externe nommé par l’Institut avait lui‑même recommandé que les allégations en question soient jugées fondées.

 

[Non souligné dans l’original.]

 

 

[56]           Quatrièmement, notre Cour doit s’en tenir à l’ordonnance de justification du protonotaire pour déterminer les paramètres de la présente audience pour outrage, puisque c’est dans cette décision que sont articulées les accusations portées contre l’Institut. L’avocat de l’Institut a écrit que, suivant l’ordonnance de justification du protonotaire, l’Institut n’avait à répondre qu’à deux accusations. L’avocat soutient que l’ordonnance de justification délimite la compétence de notre Cour. Voici en quels termes l’avocat de l’Institut s’est exprimé à ce sujet :

[traduction]

On reproche en premier lieu à l’Institut de ne pas avoir, à la suite de la décision du 8 décembre 2009, réintégré Mme Bremsak dans un délai raisonnable dans ses fonctions de déléguée syndicale et de membre de l’exécutif régional de la C.‑B. et du Yukon et membre d’un sous‑groupe, Exécutif du groupe SP.

 

On reproche en second lieu à l’Institut de ne pas avoir avisé ses membres et ses dirigeants, de la manière décrite au paragraphe 31 de la décision de la Commission, que Mme Bremsak avait été réintégrée dans ses fonctions, sous réserve de l’application régulière des statuts et des règlements administratifs de l’agent négociateur.

 

[Non souligné dans l’original.]

 

 

[57]           Cinquièmement, il importe, lors de l’examen de l’ordonnance de justification du protonotaire, de dresser la liste des éléments à partir desquels il a estimé que la tenue d’une audience d’outrage ne se justifiait pas, en l’occurrence : (1) que l’Institut n’a pas modifié sa politique conformément à l’ordonnance de la Cour; (2) que Mme Bremsak avait le droit d’être réintégrée dans deux postes élus à l’égard desquels son mandat avait expiré au moment de l’ordonnance du 8 décembre de la Cour; à ce sujet, le protonotaire a estimé qu’en droit, il n’existait aucun précédent justifiant de réintégrer un dirigeant syndical dans son poste une fois son mandat expiré, et ce, après avoir fait observer que la Commission avait elle‑même déclaré dans sa décision du 26 août 2009 que son ordonnance n’avait pas pour but de contourner l’application régulière des statuts et règlements administratifs de l’agent négociateur régissant la durée habituelle des mandats de Mme Bremsak. En d’autres termes, selon l’avocat de l’Institut, le protonotaire a jugé que la demanderesse n’avait pas établi une preuve prima facie d’outrage en ce qui concerne la réintégration de la demanderesse dans ses deux postes à l’égard desquels son mandat était expiré à la date du dépôt de la décision à la Cour fédérale.

 

[58]           Sixièmement, l’Institut s’est penché sur les éléments devant être établis pour pouvoir conclure à l’outrage. L’avocat de l’Institut a énoncé les propositions suivantes :

a.       Dans une instance pour outrage, le requérant doit démontrer, au‑delà de tout doute raisonnable, que :

i.         les modalités de l’ordonnance de la Cour sont claires et non ambiguës;

ii.       l’auteur présumé de l’outrage a été dûment avisé des modalités de l’ordonnance;

iii.      il existe une preuve claire que l’auteur présumé de l’outrage n’a pas respecté les modalités de l’ordonnance.

b.      Pour pouvoir justifier une conclusion d’outrage, la Cour doit être convaincue hors de tout doute raisonnable que la désobéissance était délibérée, consciente et obstinée (un refus entêté d’obéir ou d’obtempérer).

c.       Il n’y a pas outrage au tribunal lorsque l’intéressé prend un délai raisonnable pour déterminer « comment se conformer » et non pour déterminer « s’il doit se conformer ».

d.      Des éléments de preuve démontrant l’impossibilité de se conformer à l’ordonnance ou démontrant que l’intéressé a fait preuve de diligence raisonnable constituent des excuses légitimes de ne pas avoir respecté les modalités d’une ordonnance de la Cour. Lorsque des événements ont rendu impossible l’observation de l’ordonnance de la Cour, on ne conclura pas à l’outrage, à moins que la preuve démontre que l’auteur présumé de l’outrage a influencé le cours des événements en vue de se soustraire à l’ordonnance de la Cour.

e.       Lorsque l’ordonnance de la Cour n’est pas claire ou est ambiguë, toute ambiguïté doit être résolue en faveur de l’auteur présumé de l’outrage.

f.        L’auteur présumé de l’outrage qui a agi en se fondant sur une interprétation raisonnable de l’ordonnance en question dispose d’une défense complète aux accusations d’outrage.

g.       Même si celui qui cherche à obtenir une condamnation pour outrage propose une interprétation de l’ordonnance de la Cour qui est tout autant acceptable que celle de l’auteur présumé de l’outrage, cela ne suffit pas pour justifier une conclusion d’outrage. L’auteur présumé de l’outrage doit se voir accorder le bénéfice du doute en ce qui concerne l’interprétation qu’il convient de donner à l’ordonnance et, si l’ordonnance se prête à l’interprétation proposée par l’auteur présumé de l’outrage, la Cour ne peut conclure à l’outrage.

[59]           Septièmement, l’Institut a répondu aux allégations formulées par Mme Bremsak au sujet du délai écoulé avant le dépôt de l’ordonnance de la Commission à la Cour le 8 décembre 2009, et ce : [traduction] « même si ce délai n’est pas pertinent en ce qui concerne les allégations d’outrage au tribunal ». L’Institut a dit qu’il s’estimait tenu de parler de ce délai parce que la demanderesse avait tenté d’en tirer un argument visant à démontrer la mauvaise foi de l’Institut.

 

[60]           Huitièmement, l’avocat de l’Institut s’est référé à de larges extraits du procès‑verbal de l’audience pour démontrer que l’Institut s’était conformé aux directives de la Cour en ce qui concerne la publication du communiqué.

 

b)      Thèse de la demanderesse

[61]           La demanderesse a déposé des observations écrites après l’audience et a répondu à celles présentées par l’avocat de l’Institut. Voici les principaux points qu’elle a fait valoir.

 

[62]           Premièrement, elle affirme que, dans les affaires d’outrage civil, il suffit de démontrer que l’intention du tribunal qui a rendu l’ordonnance était claire et que l’auteur de l’outrage a commis l’acte interdit en connaissance de cause. Il n’est pas nécessaire de démontrer que la personne accusée d’outrage a désobéi délibérément.

 

[63]           Deuxièmement, le délai dans lequel l’ordonnance devait être exécutée était clair et non ambigu, ainsi que le démontre le communiqué que l’Institut a publié et qui prévoyait ce qui suit : « Mme Bremsak est réintégrée, en date d’aujourd’hui, dans tous les postes auxquels elle a été élue et nommée ». Le commissaire entendait donc que Mme Bremsak soit réintégrée sans délai pour mettre fin au préjudice réel qui lui était causé à son avis.

 

[64]           Troisièmement, la demanderesse affirme que l’Institut a tenté de se soustraire aux ordonnances de la Cour en suspendant son statut de membre pour une période de cinq (5) ans. Elle affirme que l’Institut s’est elle‑même contrainte en infligeant la suspension – ce qui est contesté devant la Commission – qui ne répond pas aux conditions que l’Institut doit remplir pour pouvoir exciper de l’impossibilité, étant donné qu’en tout temps, l’Institut avait le pouvoir de se conformer aux ordonnances.

 

[65]           Quatrièmement, l’Institut a agi de mauvaise foi depuis qu’il l’a suspendue en 2008 des postes auxquels elle avait été élue et nommée. Cette suspension était fondée sur une politique qui a été jugée illégale par la Commission en août 2009, et la décision de la suspension n’est plus soumise à l’examen de la Cour d’appel fédérale étant donné que l’Institut s’est désisté de sa demande de contrôle judiciaire. Les éléments de mauvaise foi avancés par Irene Bremsak sont les suivants : (1) défaut de se conformer à l’ordonnance de réintégration de la Commission après que l’Institut eut été débouté des deux requêtes en sursis dont il avait saisi le juge Pelletier, d’autant plus que la juge Trudel de la Cour d’appel fédérale avait, le 3 septembre 2009, rejeté la requête en sursis présentée dans l’affaire Veillette; (2) défaut de se libérer de sa condamnation pour outrage après la décision du 4 décembre 2009 de la vice‑présidente Bédard et le dépôt de l’ordonnance réparatrice de la Commission; (3) opposition au dépôt de l’ordonnance réparatrice de la Commission et défaut de se conformer aux ordonnances applicables, le tout s’étant soldé par l’expiration des mandats pour les postes auxquels elle avait été élue; (4) insertion d’une cause de non‑responsabilité dans le communiqué que la Commission lui avait ordonné de publier, ce qui contrevenait en fait aux prescriptions formulées par la Commission dans son ordonnance réparatrice.

 

[66]           Cinquièmement, la demanderesse invoque les autres principes juridiques applicables en matière d’outrage, en l’occurrence :

a.       l’ordonnance de la Cour est considérée comme valide jusqu’à son annulation par les voies de justice, et l’invalidité éventuelle de l’ordonnance ne constitue pas un moyen de défense opposable à une demande de comparution pour outrage (la demanderesse invoque à l’appui de cette proposition les arrêts de la Cour suprême du Canada (Commission des droits de la personne) c Taylor, [1990] 3 RCS 892, aux pages 87 et 88, et Canada (Commission des droits de la personne) c Canadian Liberty Net, [1998] 1 RCS 626, au paragraphe 51. D’autres décisions ont également été invoquées).

b.      la personne qui s’estime incapable de se conformer à une ordonnance ou à une directive de la Cour doit, sans tarder, soit demander une dispense, soit obtempérer. La demanderesse invoque à ce propos la décision rendue par la Cour du Banc de la Reine de l’Alberta dans l’affaire Point on the Bow Development Ltd. v William Kelly & Sons Plumbing Contractors Ltd., 2006 ABQB 775.

c.       Il incombe au destinataire d’une ordonnance de la Cour qui lui enjoint d’accomplir un acte quelconque d’obéir à cette ordonnance et, en cas de doute quant au sens de l’ordonnance, de faire les démarches nécessaires pour obtenir des éclaircissements. À cet égard, la demanderesse s’appuie sur l’arrêt de la Cour d’appel Ouellet c B.M., 2010 ABCA 240, au paragraphe 14.

d.      L’impossibilité de se conformer à l’ordonnance ne constitue pas un moyen de défense à une accusation d’outrage si l’intéressé n’a pas fait tout ce qu’il pouvait faire (Société canadienne de perception de la copie privée c. Fuzion Technology Corp., 2009 CF 800, aux paragraphes 73 et 74).

[67]           Sixièmement, la demanderesse fait valoir que le protonotaire a commis une erreur en ne rendant pas de décision sur la question de savoir si l’Institut s’était conformé à l’ordonnance réparatrice par laquelle la Commission lui enjoignait de soustraire la demanderesse à l’application de sa politique.

 

[68]           Septièmement, la demanderesse s’insurge contre le fait que le protonotaire s’est fondé sur la décision Taylor c Atkinson à l’appui de la proposition que la Cour ne pouvait pas réintégrer une personne dans un poste après l’expiration de son mandat. Elle signale que, dans cette affaire, M. Taylor avait été réintégré comme membre du syndicat et dans son poste de président et elle s’appuie sur la décision de la juge Trudel dans l’affaire Veillette, 2009 CAF 256, avec laquelle le juge Pelletier s’est dit d’accord en l’espèce.

 

VI.       Analyse et conclusions

[69]           C’est la Loi qui constitue le point de départ de l’analyse dans le cas qui nous occupe, étant donné que l’événement déclencheur à l’origine de tous les événements subséquents dans la présente audience pour outrage est la décision du 26 août 2009 par laquelle la Commission a conclu que la suspension temporaire de tous les postes auxquels la demanderesse avait été élue ou nommée au sein de l’Institut contrevenait au sous‑alinéa 188e)(ii) de la Loi.

 

[70]           Pour en arriver à sa décision, le commissaire Stevens a examiné l’objet de l’article 188 de la Loi, en faisant observer qu’il « existe depuis quelques années seulement et […] a créé une nouvelle sphère de compétence pour la Commission ». Le commissaire conclut, au paragraphe 60, après avoir examiné une disposition analogue du Code canadien du travail, LRC 1985, c L‑2, que l’article en question avait pour objet « de protéger et d’accroître les droits des particuliers en face des pouvoirs auparavant absolus des associations syndicales ». Cette affirmation doit être mise en balance avec la reconnaissance, par le législateur, que la loi n’a pas pour effet de retirer au syndicat son droit d’expulser ou de suspendre ses membres ou de leur infliger des sanctions disciplinaires. Le commissaire écrit, au paragraphe 61 de sa décision :

Je souscris également à une autre décision rendue sous le régime du Code, dans laquelle le CCRT observe que l’existence de l’article 185 du Code ne signifie pas que le CCRT est le dernier recours en appel contre les décisions internes de l’agent négociateur (James Carbin c. Association internationale des machinistes et des travailleurs de l’aéronautique (1984)59 di 109). J’estime que ces observations s’appliquent aussi à l’article 188 de la Loi. Cela signifie que, pour l’application de l’alinéa 188c), la Commission doit veiller à ce que les normes de discipline ne soient pas appliquées d’une manière discriminatoire par l’agent négociateur. Dans le cas de l’alinéa 188e), le rôle de la Commission est double. Dans un premier temps, la Commission doit s’assurer que l’agent négociateur ne fait pas de distinctions illicites à l’égard d’une personne en matière d’adhésion à une organisation syndicale. Elle doit ensuite veiller à ce que l’agent négociateur n’use pas de menaces ou de coercition à l’égard d’une personne ou ne lui impose pas de sanction, pécuniaire « ou autre », au motif qu’elle a présenté une demande ou déposé une plainte en vertu de la partie 1 de la Loi ou déposé un grief en vertu de la partie 2.

 

[Non souligné dans l’original.]

 

 

[71]           Au paragraphe 62, le commissaire conclut :

Ces dispositions soulèvent des questions particulières sous le régime de la Loi; une chose est sûre, elles n’autorisent pas la Commission à se faire l’arbitre final de tous les conflits internes entre des membres de l’agent négociateur. Par exemple, la Commission ne peut pas décider de la portée des délits pour lesquels un syndicat peut prendre des mesures disciplinaires à l’égard de ses membres ou leur refuser l’adhésion (Fred J. Solly; citée dans Beaudet‑Fortin c. Syndicat des travailleurs et travailleuses des postes (1997) 105 di 98, au paragr. 86). Autrement dit, la Commission n’a pas le droit de se prononcer sur la légitimité d’une politique ou d’une règle interne ou d’un article des statuts [et règlements administratifs] de l’agent négociateur, sauf dans des cas très particuliers, en l’occurrence lorsque la politique, la règle ou l’article des statuts est discriminatoire en soi ou que son application a des effets discriminatoires. De plus, la Loi interdit d’user de menaces ou de coercition.

 

[Non souligné dans l’original.]

 

 

[72]           Après avoir conclu que la Commission avait contrevenu au sous‑alinéa 188e)(ii) de la Loi en suspendant la demanderesse en 2008, le commissaire Stevens a tenté de concevoir une réparation appropriée. Voici ce qu’il écrit, au paragraphe 125 de ses motifs :

En ce qui concerne la question de la réparation, je signale que l’alinéa 192(1)f) de la Loi s’applique. Cette disposition est libellée comme suit :

 

192.(1) Si elle décide que la plainte présentée au titre du paragraphe 190(1) est fondée, la Commission peut, par ordonnance, rendre à l’égard de la partie visée par la plainte toute ordonnance qu’elle estime indiquée dans les circonstances et, notamment :

 

[…]

 

f)    en cas de contravention par l’organisation syndicale de l’un des alinéas 188c), d) et e), lui enjoindre d’annuler toute mesure disciplinaire prise et de payer au fonctionnaire touché une indemnité équivalant au plus, à son avis, à toute sanction pécuniaire ou autre imposée au fonctionnaire par l’organisation syndicale.

 

[Non souligné dans l’original.]

 

 

[73]           Comme nous l’avons déjà signalé, le commissaire a précisé en quoi consistait le préjudice que Mme Bremsak avait subi par suite de sa suspension illégale. Je répète les conclusions qu’il a formulées aux paragraphes 131 et 132 de sa décision :

Pour finir, j’estime que le préjudice, dans ce cas‑ci, ne peut avoir été causé que par la suspension qui a été imposée à la plaignante et que, dans la mesure du possible, la réparation accordée doit avoir pour but de corriger ce préjudice et de rétablir la plaignante dans la situation dans laquelle elle se trouvait avant d’être suspendue des postes auxquels elle avait été élue. J’enjoins donc à l’agent négociateur d’annuler les suspensions imposées à la plaignante. J’accorde également une grande importance au fait que les membres et les dirigeants de l’agent négociateur ont été informés de la suspension de la plaignante et je conclus qu’il convient d’exiger qu’ils soient avisés de l’annulation de la suspension. À la différence du commissaire qui a instruit l’affaire Veillette 2, j’estime que j’ai le pouvoir d’intervenir dans la conduite des affaires internes de l’agent négociateur pour façonner une réparation relativement aux mesures visées au sous‑alinéa 188e)(ii) de la Loi, notamment les sanctions imposées par l’agent négociateur parce qu’une personne a présenté une demande à la Commission. Dans ce cas‑ci, il s’agissait d’une suspension. L’ordonnance n’a pas pour but de contourner l’application régulière des statuts [et règlements administratifs] de l’agent négociateur régissant la durée habituelle du mandat des membres élus et nommés.

 

Pour ces motifs, j’estime indiqué dans les circonstances d’enjoindre à l’agent négociateur de publier le communiqué suivant, à un endroit bien visible, dans le prochain numéro d’une de ses publications périodiques et significatives destinées aux membres (le communiqué pourrait être affiché sur le site Web) :

 

[traduction]

Communiqué à l’intention des membres et dirigeants de l’Institut

Le 9 avril 2008, Mme Irene Bremsak a été suspendue de ses fonctions à titre de membre particulière, sous‑groupe SP de Vancouver, de présidente, chapitre de Vancouver; de membre particulière, Exécutif régional de la C.‑B et du Yukon; et de coordonnatrice d’un sous‑groupe, Exécutif du groupe SP. Cette suspension lui a été imposée aux termes de la « Politique relative aux membres et aux plaintes à des organismes extérieurs » de l’Institut après qu’elle eut déposé une plainte devant la Commission des relations de travail dans la fonction publique.

 

La Commission des relations de travail dans la fonction publique a récemment enjoint à l’Institut, en vertu du sous‑alinéa 188e)(ii) et de l’article 192 de la Loi sur les relations de travail dans la fonction publique, d’annuler la suspension imposée à Mme Bremsak aux termes de la politique et d’apporter les modifications nécessaires à la politique pour la rendre conforme à la Loi sur les relations de travail dans la fonction publique. La Commission a également conclu que l’Institut pouvait être fondé, dans d’autres circonstances, à suspendre un membre du poste auquel il a été élu ou nommé. Pour finir, la Commission a ordonné que le présent communiqué soit distribué aux membres et aux dirigeants de l’Institut.

 

Il s’ensuit que Mme Bremsak est réintégrée, en date d’aujourd’hui, dans tous les postes auxquels elle a été élue et nommée, sous réserve de l’application régulière des statuts de l’Institut.

 

 

[74]           Les faits ne sont pas contestés en l’espèce. La demanderesse n’a pas encore été réintégrée dans les postes qu’elle occupait auparavant et son mandat a depuis expiré en ce qui les concerne. L’Institut ne conteste pas ce fait; il plaide plutôt qu’il était justifié d’agir comme il l’a fait ou encore qu’il lui était impossible de se conformer à l’ordonnance parce qu’il avait lui‑même décidé de suspendre immédiatement le statut de membre de la demanderesse sans attendre que la Cour d’appel fédérale se soit prononcée sur ses deux requêtes en sursis. Peu de temps après la suspension du statut de membre de la demanderesse, le juge Pelletier a rejeté les deux requêtes en sursis et a signalé à l’Institut que la prépondérance des inconvénients favorisait nettement la demanderesse. Le juge a par ailleurs signalé que, depuis que la demanderesse avait été suspendue, son mandat pour un certain nombre des postes qu’elle occupait avait expiré. Il a expliqué son refus d’accorder le sursis demandé notamment par le fait qu’il estimait que [traduction] « s’il est sursis à l’exécution de l’ordonnance de la Commission jusqu’au règlement définitif de la question, tous les mandats pourraient expirer avant qu’elle ait eu la possibilité de reprendre ses fonctions, en supposant qu’elle obtienne gain de cause. À ce moment‑là, il s’agirait simplement d’une question théorique du point de vue de Mme Bremsak ». Bref, le juge Pelletier a ordonné à l’Institut de se conformer à l’ordonnance de la Commission. L’Institut n’a pas respecté cette ordonnance; devant notre Cour il adopte le point de vue qu’il n’a pas contrevenu à l’ordonnance étant donné que l’ordonnance de réintégration était conditionnelle, en ce sens qu’elle était prononcée sous réserve de l’application habituelle des règlements administratifs de l’Institut qui permettaient à ce dernier d’infliger des mesures disciplinaires à la demanderesse, ce qu’il a effectivement fait.

 

[75]           Je ne retiens pas la thèse de l’Institut. L’ordonnance de la Commission est claire et non ambiguë lorsqu’on la situe dans le contexte des motifs exposés à son appui. La Commission a ordonné la réintégration de la demanderesse dans les postes qu’elle occupait, et ce, malgré le fait que, dans la même décision, la Commission conclut que la première plainte de la demanderesse devait être rejetée. Le commissaire Stevens écrit ce qui suit aux paragraphes 121 et 122 à ce sujet :

Il y a cependant un aspect que je trouve troublant dans la présente plainte. C’est le fait que la plaignante a participé à des réunions après avoir été suspendue de son poste aux termes de la politique décrite précédemment. On l’a autorisée à prendre la parole en tant que membre, mais pas comme titulaire des postes auxquelles elle avait été élue. Malheureusement, son comportement a été si nuisible durant les réunions que d’autres membres ont été obligés d’intervenir pour rétablir l’ordre. La plaignante nie qu’elle a eu un comportement nuisible durant les réunions, mais je préfère la preuve des témoins de l’agent négociateur sur ce point. La plaignante estime également qu’elle aurait dû avoir droit au remboursement de ses frais au même titre que les autres délégués; elle conteste aussi le fait que l’agent négociateur l’ait exclue de certaines discussions durant les réunions. Je comprends que la plaignante était vexée et contrariée d’avoir été suspendue des postes auxquels elle avait été élue. Il reste que cette suspension était bien réelle; je ne peux donc que conclure que son insistance à vouloir être traitée comme si elle n’avait pas été suspendue était un comportement déraisonnable et nuisible.

 

Même si j’ai conclu que la plaignante avait eu un comportement nuisible durant les réunions d’avril 2008, je ne crois pas que cela ait porté atteinte aux intérêts de l’agent négociateur. Au bout du compte, les réunions ont été menées à terme, les points inscrits à l’ordre du jour ont été débattus et les affaires de l’agent négociateur ont continué. C’est un fait bien connu parmi les membres de la communauté des relations de travail que les réunions des agents négociateurs s’accompagnent parfois de débats houleux et acrimonieux. À cet égard, je paraphrase comme suit l’une des conclusions contenues dans Veillette 2 : « […] la plaignante a certainement eu un comportement nuisible qui a créé [un] malaise, mais cela n’a pas mis l’organisation en péril. »

 

 

[76]           Non seulement la Commission a‑t‑elle bel et bien précisé dans son ordonnance que la demanderesse devait être réintégrée, mais le commissaire Stevens en a prévu le libellé du communiqué dont il a ordonné la publication à un endroit bien visible, dans le prochain numéro d’une des publications périodiques et significatives de l’Institut destinées à ses membres, précisant que ce communiqué pouvait être publié sur son site Internet. Voici le libellé du communiqué prôné par le commissaire Stevens :

Il s’ensuit que Mme Bremsak est réintégrée, en date d’aujourd’hui, dans tous les postes auxquels elle a été élue et nommée, sous réserve de l’application régulière des statuts [et des règlements administratifs] de l’Institut.

 

 

[77]           Le commissaire a également bien précisé la portée de son ordonnance de réintégration, en expliquant que cette ordonnance n’avait pas pour but de contourner l’application régulière des statuts et des règlements administratifs de l’Institut régissant la durée habituelle des mandats des membres élus et nommés.

 

[78]           En résumé, l’ordonnance du commissaire Stevens est claire : réintégrer immédiatement Mme Bremsak pour éviter que ses mandats expirent et pour éviter qu’il devienne impossible de réparer le préjudice qui lui était causé.

 

[79]           L’Institut était pleinement conscient des obligations qui lui étaient imposées en vertu de l’ordonnance de la Commission. C’est la raison pour laquelle il a cherché à obtenir un sursis à l’exécution de l’ordonnance à un moment où l’enquête qu’il menait au sujet du harcèlement était déjà bien avancée, à tel point d’ailleurs que des rapports provisoires avaient déjà été distribués.

 

[80]           Dans ses conditions, il était déraisonnable de la part de l’Institut d’interpréter l’ordonnance de la Commission comme l’autorisant à prendre par la suite une mesure, comme la suspension du statut de membre, qui aurait pour effet d’empêcher la réintégration. Les termes de l’ordonnance ne comportent aucune ambiguïté; c’est comme si la Commission avait dit : qu’on la réintègre immédiatement dans ses fonctions! Si des questions disciplinaires surgissaient plus tard et justifiaient une intervention, il était toujours loisible à l’Institut de prendre à ce moment‑là les mesures qui s’imposaient.

 

[81]           Je tiens à aborder brièvement les motifs invoqués par l’Institut pour justifier la suspension du statut de membre de la demanderesse. La question de la suspension est devant la Commission. À cette étape‑ci du processus, suis‑je obligé de tenir pour acquis, sans procéder à un examen plus approfondi, que la décision de suspendre le statut de membre de la demanderesse est bien fondée et fait obstacle à toute conclusion d’outrage? À mon avis, je n’ai pas cette obligation et c’est d’ailleurs ce qu’a dit la Cour d’appel fédérale. Qui plus est, ni la vice‑présidente de la Commission ni le protonotaire ne se sont prononcés sur la question, précisant plutôt qu’il m’appartenait de trancher la question de savoir si la suspension du statut de membre rendait impossible l’exécution de l’ordonnance de la Commission. Or, j’estime que l’ordonnance de la Commission peut être exécutée.

 

[82]           La validité de la suspension a été sérieusement mise en doute. Voici les points les plus manifestement pertinents :

1.      le fait que la suspension devait prendre effet sur‑le‑champ;

2.      le fait qu’il n’y a pas eu d’audience et que le comité exécutif n’a reçu aucune observation avant d’infliger la sanction;

3.      la question de savoir si c’était le comité exécutif plutôt que le conseil d’administration qui avait le pouvoir de suspendre le statut de membre;

4.      le fait que la question, substantielle, de savoir quelle est la portée du concept de harcèlement dans le contexte particulier des faits allégués soit en cause en l’espèce;

5.      le fait qu’il y a lieu de s’interroger sur la proportionnalité de la sanction, lorsqu’on tient compte du fait que les reproches qui ont été jugés fondés étaient tous similaires et avaient été formulés par cinq membres du chapitre de Vancouver;

6.      le fait que la demanderesse n’a pas été en mesure de faire valoir son point de vue au sujet des rapports d’enquête définitifs avant que la décision ne soit rendue.

 

[83]           En soulevant ces questions, je ne voudrais pas que l’on pense que je me prononce sur le bien‑fondé de la décision de l’Institut. L’Institut avait le droit d’ouvrir une enquête et de prendre des mesures disciplinaires contre Mme Bremsak. Les allégations dont elle et son mari faisaient l’objet étaient sérieuses. La question qui se pose est celle de savoir si les actes reprochés équivalaient à des actes de harcèlement et si la mesure infligée et le moment où elle l’a été étaient raisonnables et proportionnés.

 

[84]           Vu l’ensemble de la preuve dont je dispose, je ne suis pas convaincu que l’Institut s’est acquitté du fardeau de preuve qui lui incombait de démontrer l’existence d’une excuse légitime.

 

[85]           Je ferais une autre remarque. Un des éléments essentiels de la thèse de l’Institut est le moment à partir duquel le délai a commencé à courir en ce qui concerne l’outrage. L’Institut estime que ce délai n’a commencé à courir que le 8 décembre 2009, date à laquelle l’ordonnance a été déposée à la Cour fédérale. À mon avis, l’arrêt Warman de la Cour d’appel fédérale contredit cet argument. Il n’y avait qu’une seule ordonnance à exécuter en l’espèce et c’est celle que la Commission a prononcée le 26 août 2009. Certes, l’ordonnance de la Commission n’a été déposée que le 8 décembre 2009, mais l’Institut s’est opposé à son dépôt à deux reprises et il s’y est opposé la première fois après que la Cour d’appel fédérale eut rejeté sa requête en sursis à l’exécution de l’ordonnance de la Commission. À mon avis, la Cour d’appel fédérale n’a pas déclaré que, lorsque les circonstances le justifient, la conclusion d’outrage ne peut pas être fondée sur des faits antérieurs au dépôt. Tout dépend des circonstances et notamment de la question de savoir si l’Institut était au courant de l’ordonnance de la Commission et de ses modalités. Je suis convaincu que l’Institut savait fort bien que la Commission avait ordonné la réintégration immédiate de la demanderesse. Vu les circonstances de l’espèce, je suis d’avis que les faits à l’origine de la conclusion d’outrage peuvent reposer sur le dispositif de l’ordonnance même de la Commission dont on cherche à obtenir l’exécution forcée, en l’occurrence, celui prescrivant une réintégration immédiate.

 

[86]           Je suis conscient du fait que l’Institut avait le droit de contester la décision de la Commission. L’Institut s’est toutefois désisté de sa demande de contrôle judiciaire. Je ne remets pas en question les motifs qui l’ont poussé à agir de la sorte. Il n’en demeure pas moins que la demanderesse ne dispose plus d’aucun recours et que le bien‑fondé de la décision de la Commission et de la réparation qu’elle a accordée ne sont pas contestés.

 

[87]           Sur la question du communiqué, il est évident que l’Institut n’a pas publié le communiqué prescrit. Il a d’ailleurs dû le modifier pour reconnaître le fait que la demanderesse n’avait jamais été réintégrée.

 

[88]           Un aspect qui rend la Cour perplexe en l’espèce est le fait que le protonotaire a jugé que l’ordonnance applicable était l’ordonnance de la Cour qui découlait de l’ordonnance de la Commission. Le protonotaire n’avait pas eu l’avantage de prendre connaissance de l’arrêt Warman de la Cour d’appel fédérale. Comme nous l’avons déjà signalé, la Cour a sondé les parties sur cette question. Il s’agit d’une question de droit que la Cour peut trancher malgré les modalités de l’ordonnance de justification du protonotaire. Il affirme qu’il n’existe pas de précédent qui permettrait de réintégrer une personne dans un poste après l’expiration du mandat de son titulaire. C’est peut‑être le cas en common law, mais les faits de l’affaire Taylor c Atkinson n’appuient pas cette solution. La réintégration est une réparation prévue par la loi (voir l’alinéa 192(1)e) de la Loi).

 

[89]           Il y a lieu de s’interroger au sujet de la sanction appropriée. L’article 472 des Règles dispose :

Lorsqu’une personne est reconnue coupable d’outrage au tribunal, le juge peut ordonner :

 

a) qu’elle soit incarcérée pour une période de moins de cinq ans ou jusqu’à ce qu’elle se conforme à l’ordonnance;

 

b) qu’elle soit incarcérée pour une période de moins de cinq ans si elle ne se conforme pas à l’ordonnance;

 

c) qu’elle paie une amende;

 

d) qu’elle accomplisse un acte ou s’abstienne de l’accomplir;

 

e) que les biens de la personne soient mis sous séquestre, dans le cas visé à la règle 429;

 

 

f) qu’elle soit condamnée aux dépens.

Where a person is found to be in contempt, a judge may order that

 

 

(a) the person be imprisoned for a period of less than five years or until the person complies with the order;

 

(b) the person be imprisoned for a period of less than five years if the person fails to comply with the order;

 

(c) the person pay a fine;

 

(d) the person do or refrain from doing any act;

 

(e) in respect of a person referred to in rule 429, the person’s property be sequestered; and

 

(f) the person pay costs.

 

[90]           La Cour est d’avis qu’elle a compétence pour ordonner que la demanderesse soit réintégrée dans les postes qu’elle occupait au moment où elle a été suspendue. Ainsi que la juge Trudel l’affirme dans le jugement Veillette, ci‑dessus, la réintégration est la réparation normalement accordée dans un cas comme celui‑ci. C’est d’ailleurs la réparation que la Commission avait ordonnée. L’Institut était au courant de la question de l’expiration; il est responsable jusqu’à un certain point du non‑respect de l’ordonnance, du fait que les mandats avaient expiré et que la demanderesse n’a pas encore été réintégrée dans ses fonctions.

 

[91]           Cependant, je suis très réticent à ordonner la réintégration à titre de réparation. La question de la suspension du statut de membre de la demanderesse n’est toujours pas réglée. J’ai conclu que les accusations de harcèlement sont sérieuses. Dans ces conditions, la réintégration ne constitue pas une réparation appropriée.

 

[92]           J’ai toujours pensé que les parties devaient régler la question entre elles, d’autant plus que, dans le contexte que j’ai exposé, un règlement amiable est possible. Dans l’affaire Veillette, les parties ont conclu un règlement qui a été ratifié par le juge Mainville. Toutefois, je ne veux pas dire par là que les parties doivent nécessairement parvenir à un règlement amiable dans le cas qui nous occupe.

 

[93]           Si les parties ne parviennent pas à un règlement dans un délai de six (6) semaines, la Cour leur demandera de lui soumettre leurs observations au sujet de la réparation qu’elles considèrent appropriée. La Cour demeure saisie de l’affaire.

 

[94]           Les faits de la présente affaire, qui se dégagent de la preuve, ne sont pas contestés. J’estime que l’Institut ne s’est pas conformé à l’ordonnance réparatrice de la Commission. Les trois conditions à remplir pour pouvoir conclure à un outrage ont été satisfaites au‑delà de tout doute raisonnable. En ce qui concerne le critère du doute raisonnable, j’applique les arrêts rendus par la Cour suprême du Canada dans R c Lifchus, [1997] 3 RCS 320, à la page 335, et R c W (D) [DW], [1991] 1 RCS 742.


JUGEMENT

LA COUR DÉCLARE l’Institut professionnel de la fonction publique du Canada coupable d’outrage pour avoir désobéi à l’ordonnance du 26 août 2009 rendue par la Commission des relations de travail dans la fonction publique. La Cour ordonne aux parties de tenter de déterminer par elles‑mêmes une réparation appropriée dans les six (6) semaines de la date du présent jugement, le règlement amiable, le cas échéant, devant être approuvé par la Cour. À défaut de règlement, la Cour, qui demeure saisie de l’affaire, invitera les parties à lui soumettre des observations au sujet de la réparation appropriée. L’adjudication des dépens est reportée à plus tard.

 

 

« François Lemieux »

Juge

 

 

 

 

Traduction certifiée conforme

Chantal DesRochers, LL.B., D.E.S.S. en trad.

 


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

DOSSIER :                                                    T‑2049‑09

 

 

INTITULÉ :                                                   IRENE J. Bremsak c
INSTITUT PROFESSIONNEL DE LA FONCTION PUBLIQUE DU CANADA

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                             Vancouver (Colombie‑Britannique)

 

DATE DE L’AUDIENCE :                           Le 20 octobre 2010

 

SUSPENSION DE

L’INSTANCE :                                              Le 1er avril 2011

 

MOTIFS DU JUGEMENT

ET JUGEMENT:                                           LE JUGE LEMIEUX

 

DATE DES MOTIFS :                                  Le 15 février 2012

 

 

COMPARUTIONS :

 

Irene J. Bremsak

 

LA DEMANDERESSE

POUR SON PROPRE COMPTE

 

Stephen Welchner

Patrizia Campanella

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Irene J. Bremsak

 

LA DEMANDERESSE

POUR SON PROPRE COMPTE

 

Welchner Law Office Professional Corp.

Ottawa (Ontario)

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

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