Décisions de la Cour fédérale

Informations sur la décision

Contenu de la décision

 

Cour fédérale

 

Federal Court

Date : 20120217


Dossier : IMM-2327-11

Référence : 2012 CF 224

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 17 février 2012

En présence de monsieur le juge Russell

 

 

ENTRE :

 

PARMINDER SINGH

 

 

 

demandeur

 

et

 

 

 

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

 

 

défendeur

 

 

 

 

 

           MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

INTRODUCTION

[1]               La présente demande de contrôle judiciaire fondée sur le paragraphe 72(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, ch. 27 (la Loi), vise la décision en date du 23 mars 2011 de la Section de la protection des réfugiés (SPR) de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié (la décision) prononçant un désistement à l’égard de la demande d’asile de l’intéressé, en application de l’article 168 de la Loi.

CONTEXTE

[2]               Le demandeur est citoyen indien. Il est arrivé au Canada le 1er janvier 2009. Le 2 avril 2009, il a soumis une demande d’asile invoquant la crainte d’être persécuté par la police de son pays en raison de son appartenance au Parti du Congrès. Il affirme avoir été faussement accusé d’implication dans des actions terroristes, arrêté et battu pendant sa détention.

[3]               La SPR a fixé l’audience au 26 janvier 2011 (l’audience de janvier). Le 3 décembre 2010, elle a envoyé au demandeur un avis de comparution l’informant de la date de l’audience.

[4]               Le 20 janvier 2011, le Dr Sunerh, médecin du demandeur, a écrit à la SPR, l’informant qu’il suivait le demandeur et que celui‑ci ne pourrait être présent à l’audience parce qu’il souffrait de dépression. La SPR a reçu cette lettre le 24 janvier 2011.

[5]               Le demandeur ne s’est pas présenté à l’audience de janvier; le commissaire de la SPR et un agent du tribunal (l’agent) étaient présents. La SPR a constaté l’absence du demandeur et a consigné qu’après vérification auprès du bureau de la réception elle concluait que le demandeur n’était pas dans l’immeuble. La SPR a également examiné la lettre du Dr Sunerh et signalé que, bien que cette lettre affirmât que le demandeur ne pouvait se présenter à l’audience pour cause de dépression, elle n’indiquait pas si son auteur était psychiatre ou psychologue.

[6]               La SPR a mentionné qu’une nouvelle date d’audience serait fixée et que le demandeur devrait produire un billet du médecin expliquant pourquoi il ne s’était pas présenté à l’audience de janvier et qu’il serait préférable que le billet émane d’un psychologue ou d’un psychiatre. Elle a fixé cette nouvelle date, le 23 mars 2011, à laquelle le demandeur aurait la possibilité d’expliquer pourquoi le tribunal ne devait pas prononcer le désistement (audience relative au désistement).

[7]               Avant l’audience relative au désistement, la SPR a envoyé au demandeur, le 8 février 2011, un avis l’informant qu’il ne s’était pas présenté le 26 janvier 2011 mais qu’il aurait la possibilité de s’en expliquer (l’avis de février). Dans la partie de la lettre intitulée [traduction] « Directives importantes », la SPR précisait que si le demandeur ne se présentait pas à l’audience relative au désistement, le désistement pourrait être prononcé. L’avis indiquait aussi :

[traduction] Pour le cas où la SPR juge l’explication satisfaisante et ne prononce pas le désistement, vous devriez être prêt pour l’audition de votre demande d’asile.

[8]               L’avis de février faisait également état du droit du demandeur à un avocat ainsi que de son obligation de communiquer avant l’audience les documents sur lesquels il s’appuierait et de prouver son identité et les autres éléments de sa demande.

[9]               Le 28 février 2011, le demandeur a informé par écrit la SPR qu’il avait changé de conseil. La SPR a reçu la lettre le 2 mars 2011. Elle a également reçu signification, ce même jour, d’un formulaire multi‑usages de demande de documents visant l’obtention d’une copie du formulaire de renseignements personnels (FRP) du demandeur. Le demandeur a reçu ladite copie le 15 mars 2011, soit environ deux semaines avant l’audience relative au désistement.

[10]           La SPR a tenu l’audience relative au désistement le 23 mars 2011. Le demandeur, son conseil, le commissaire, l’agent et un interprète étaient présents. L’audience a commencé une trentaine de minutes après l’heure fixée à cause du retard du conseil du demandeur. Dans l’affidavit déposé à l’appui de la demande de contrôle judiciaire, le demandeur déclare que le commissaire s’est adressé au conseil en vociférant et en exigeant de savoir pourquoi il était en retard et pour quelle raison il n’avait pas appelé. Cela n’est pas consigné dans la transcription de l’audience relative au désistement.

[11]           Avant que le demandeur soit interrogé ou qu’il présente ses observations, la SPR a indiqué qu’elle ne jugeait pas satisfaisante l’explication qu’il avait donnée. L’agent a alors prié le demandeur d’expliquer pourquoi il ne s’était pas présenté à l’audience de janvier, et celui‑ci a répondu qu’il s’est senti malade dix ou quinze jours avant l’audience et qu’il a consulté son médecin dans la première semaine où il a ressenti le malaise. Voici ce qui s’est dit à ce sujet :

[traduction]

SPR :               Monsieur, précisez la date. Première semaine ne nous dit rien […] dix jours avant, dix jours après. Donnez la date si vous la savez.

 

Demandeur :     J’y suis allé le 8.

 

SPR :               Le 8 quoi?

 

Demandeur :     Le 8 janvier.

 

SPR :               Êtes-vous certain que vous y êtes allé le 8 janvier?

 

Demandeur :     Oui.

[12]           L’agent a ensuite interrogé le demandeur au sujet de la contradiction entre son témoignage et la lettre que le médecin avait envoyée à la SPR :

Agent :             Excusez‑moi. Le billet du médecin indique qu’il vous suivait depuis le 8 décembre 2011.

 

Demandeur:      Oui.

 

Agent :             Est‑ce exact?

 

Demandeur :     Oui.

 

Agent :             Mais ce n’est pas ce que vous venez de dire. Vous avez parlé de janvier et vous avez dit que c’était la seule fois.

 

Demandeur :     Oui.

 

Agent :             Vous dites oui. Alors qu’en est‑il? Quand avez‑vous consulté le médecin au sujet de la maladie qui vous a empêché d’assister à l’audience?

 

Demandeur :     J’ai déjà dit que j’y étais allé le 8.

 

Agent :             Il y a deux 8 alors. Le 8 quoi?

 

Demandeur :     Je suis allé le 8 décembre.

 

SPR :               Monsieur, vous avez dit le 8 janvier. C’est consigné au dossier. La déclaration est enregistrée. Vous changez à présent votre déclaration?

 

Demandeur :     Excusez‑moi, je ne savais pas qu’on me poserait des questions au sujet de ces dates.

 

SPR :               Monsieur, vous êtes le seul à pouvoir nous dire pourquoi vous ne vous êtes pas présenté à l’audience. En outre, ce document a été préparé à votre demande par votre médecin. Pouvez‑vous expliquer pourquoi il y une contradiction entre votre témoignage et cette lettre?

 

Demandeur :     Je peux uniquement dire que j’étais en dépression et que je suis allé là et que le médecin m’a examiné.

 

[13]           La SPR a aussi interrogé le demandeur au sujet de la médication que le Dr Sunerh lui a prescrite. Vers la fin de l’audience, le conseil du demandeur a présenté des observations, faisant notamment valoir qu’il était nouveau au dossier et que le conseil précédent n’avait pas informé le demandeur de l’obligation de se présenter. Il a ajouté qu’il n’avait reçu le FRP que le 15 mars 2011 et a demandé le report de l’audience.

[14]           La SPR a demandé au conseil s’il était prêt à procéder, et le conseil a reconnu que ni lui ni le demandeur ne l’étaient. Le conseil n’avait reçu les documents justificatifs du demandeur que le 18 mars 2001, le vendredi avant l’audience, et ceux‑ci n’étaient pas encore traduits. Mentionnant que la demande d’asile avait été soumise le 2 avril 2009, l’agent s’est demandé de  quels documents prenant près de deux ans à obtenir on pourrait avoir besoin, et indiqué qu’un tel délai mettait en cause la diligence dont le demandeur avait fait preuve dans l’obtention de documents pouvant fonder sa demande d’asile.

[15]           Lorsque la SPR a demandé au conseil si c’était lui ou le demandeur qui n’était pas prêt à procéder, le conseil a répondu qu’il n’était pas prêt parce qu’il pensait que l’audience n’était qu’une audience pré‑désistement. Il a demandé une possibilité raisonnable d’obtenir une autre audience. Il a également dit que le demandeur n’était pas prêt à procéder. Interrogé directement sur ce point, le demandeur a convenu qu’il n’était pas prêt.

[16]           À la clôture de l’audience relative au désistement, la SPR a rejeté la demande de report. Elle a aussi indiqué que le demandeur ne s’était pas présenté à l’audience de janvier et qu’il avait fourni une lettre signée par le Dr Sunerh. Elle a fait état de la contradiction entre le témoignage du demandeur et la lettre et indiqué que le demandeur ne l’avait pas expliquée de façon satisfaisante et que, pour cette raison, elle n’accordait aucun poids à la lettre. Compte tenu de cette absence de valeur probante et du fait que le demandeur n’était pas prêt à procéder, elle a ensuite prononcé le désistement. Enfin, la SPR a fait état de la déclaration du conseil selon laquelle il s’occupait du dossier depuis le 2 mars 2011, trois semaines complètes avant l’audience.

DÉCISION FAISANT L’OBJET DU CONTRÔLE

[17]           La décision soumise au présent contrôle consiste en l’avis de désistement envoyé au demandeur le 23 mars 2011 et en deux mentions consignées au dossier de la SPR (endorsements).

[18]           La SPR a relevé que la demande d’asile avait été déférée pour audience le 2 avril 2009, qu’elle avait informé le demandeur, le 3 décembre 2010, que l’audience était fixée au 26 janvier 2011 et que ni lui ni son conseil ne s’étaient présentés ce jour‑là. Elle a signalé également qu’elle lui avait donné avis le 8 février 2011 qu’une audience se tiendrait le 23 mars 2011 afin d’établir s’il y avait lieu de prononcer un désistement. Elle a indiqué, dans la mention, que le témoignage du demandeur contredisait la lettre du Dr Sunerh. Elle n’a accordé aucun poids à cette lettre. Elle a constaté en outre que le demandeur n’était pas en mesure de procéder lors de l’audience relative au désistement, parce que ses documents n’étaient pas prêts.

[19]           La SPR a conclu que, bien que le demandeur et son conseil se soient présentés à l’audience relative au désistement, ils n’avaient pas démontré qu’il n’y avait pas lieu de conclure au désistement, et elle a en conséquence prononcé le désistement.

QUESTIONS LITIGIEUSES

[20]           La demande de contrôle judiciaire soulève les quatre questions suivantes :

a.                   La décision de la SPR de prononcer le désistement était‑elle raisonnable?

b.                  Les motifs de la décision étaient‑ils suffisants?

c.                   La SPR a-t-elle manqué à l’équité procédurale en refusant au demandeur la possibilité de présenter sa preuve?

d.                  La SPR l’a‑t‑elle suffisamment informé de l’objet de l’audience relative au désistement?

 

NORME DE CONTRÔLE

[21]           La Cour suprême du Canada a statué dans Dunsmuir c Nouveau‑Brunswick, 2008 CSC 9, que l’analyse relative à la norme de contrôle n’a pas à être effectuée à chaque fois. Lorsque la norme de contrôle applicable à une question particulière dont la cour est saisie est bien établie en jurisprudence, la cour de révision peut tout simplement appliquer cette norme. Ce n’est que lorsque cette démarche s’avère infructueuse que la cour de révision doit examiner les quatre facteurs faisant partie de l’analyse relative à la norme de contrôle

[22]           Dans Gonzalez c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2009 CF 1248, le juge Robert Mainville a indiqué, au paragraphe 15, que la norme de contrôle applicable à une décision de la SPR prononçant un désistement est celle de la raisonnabilité. Il s’appuyait sur des décisions antérieures à Dunsmuir concluant à l’application de la norme de la décision raisonnable simpliciter (voir Pineda c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2006 CF 328, au paragraphe 15, et Markandu c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) 2004 CF 1596, au paragraphe 9). La norme de contrôle applicable à la première question est celle de la raisonnabilité.

[23]           Dans Newfoundland and Labrador Nurses’ Union c Terre-Neuve et Labrador (Conseil du Trésor), 2011 CSC 62, la Cour suprême du Canada statué, au paragraphe 14, que l’insuffisance des motifs ne permet pas à elle seule de casser une décision. Les motifs doivent plutôt être « examinés en corrélation avec le résultat et ils doivent permettre de savoir si ce dernier fait partie des issues possibles ». La suffisance des motifs doit donc s’apprécier en même temps que le caractère raisonnable de la décision dans son ensemble.

[24]           La possibilité de présenter une preuve et de la voir évaluée est un aspect du droit à l’équité procédurale (voir Baker c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1999] 2 RCS 817, au paragraphe 32). Dans Syndicat canadien de la fonction publique (S.C.F.P.) c Ontario, 2003 CSC 29, la Cour suprême du Canada a jugé que la norme de contrôle applicable aux questions d’équité procédurale est celle de la décision correcte (voir les paragraphes 99 et 100). Dans Sketchley c Canada (Procureur général), 2005 CAF 404, la Cour d’appel fédérale a en outre statué, au paragraphe 53, que « l’équité procédurale est une question de droit. Aucune déférence n’est nécessaire. Soit le décideur a respecté l’obligation d’équité dans les circonstances propres à l’affaire, soit il a manqué à cette obligation ». La norme de contrôle applicable à la troisième question est celle de la décision correcte.

[25]           Dans Thirunavukkarasu c Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1993] ACF no 1172, la Cour d’appel a statué, au paragraphe 10 : « [l]e demandeur du statut de réfugié bénéficie des principes de justice naturelle devant la section du statut. L’un des éléments fondamentaux et bien établis du droit d’une partie d’être entendue est l’obligation de lui donner avis de la preuve réunie contre elle ». Puisque le droit à l’avis relève de l’équité procédurale, la norme de contrôle applicable à la quatrième question est celle de la décision correcte.

DISPOSITIONS LÉGISLATIVES APPLICABLES

[26]           Voici le texte des dispositions législatives applicables en l’espèce :

168. (1) Chacune des sections peut prononcer le désistement dans l’affaire dont elle est saisie si elle estime que l’intéressé omet de poursuivre l’affaire, notamment par défaut de comparution, de fournir les renseignements qu’elle peut requérir ou de donner suite à ses demandes de communication.

 

 

169. Les dispositions qui suivent s’appliquent aux décisions, autres qu’interlocutoires, des sections:

 

a) elles prennent effet conformément aux règles;

 

b) elles sont motivées;

 

 

c) elles sont rendues oralement ou par écrit, celles de la Section d’appel des réfugiés devant

toutefois être rendues par écrit;

 

 

d) le rejet de la demande d’asile par la Section de la protection des réfugiés est motivé par écrit et les motifs sont transmis au demandeur et au ministre;

 

e) les motifs écrits sont transmis à la personne en cause et au ministre sur demande faite dans les dix jours suivant la notification ou dans les cas prévus par les règles de la Commission;

 

168. (1) A Division may determine that a proceeding before it has been abandoned if the Division is of the opinion that the applicant is in default in the proceedings, including by failing to appear for a hearing, to provide information required by the Division or to communicate with the Division on being requested to do so.

 

169. In the case of a decision of a Division, other than an  interlocutory decision:

 

 

 

(a) the decision takes effect in accordance with the rules;

 

(b) reasons for the decision must be given;

 

(c) the decision may be rendered orally or in writing, except a decision of the Refugee Appeal Division, which must be rendered in

writing;

 

(d) if the Refugee Protection Division rejects a claim, written reasons must be provided

to the claimant and the Minister;

 

(e) if the person who is the subject of proceedings before the Board or the Minister requests reasons for a decision within 10 days of notification of the decision, or in circumstances set out in the rules of the Board, the Division must provide written reasons;

 

[27]           Les règles suivantes des Règles de la Section de la protection des réfugiés, DORS/2002‑228 (les Règles) s’appliquent elles aussi en l’espèce :

58. […] (2) Dans tout autre cas, la Section donne au demandeur d’asile la  possibilité d’expliquer pourquoi le désistement ne devrait pas être prononcé. Elle lui donne cette possibilité:

 

a) sur-le-champ, dans le cas où il est présent à l’audience et où la Section juge qu’il est équitable de le faire;

 

 

b) dans le cas contraire, au cours d’une audience spéciale dont la Section l’a avisé par écrit.

 

(3) Pour décider si elle  prononce le désistement, la Section prend en considération les explications données par le demandeur d’asile à l’audience et tout autre élément pertinent, notamment le fait que le demandeur d’asile est prêt à commencer ou à poursuivre l’affaire.

 

 

(4) Si la Section décide de ne pas prononcer le désistement, elle commence ou poursuit l’affaire sans délai.

58. […] (2) In every other case, the Division must give the claimant an opportunity to explain why the claim should not be declared abandoned. The Division must give this opportunity

(a) immediately, if the claimant is present at the hearing and the Division considers that it is fair to do so; or

 

(b) in any other case, by way of a special hearing after notifying the claimant in writing.

 

(3) The Division must consider, in deciding if the claim should be declared

abandoned, the explanations given by the claimant at the hearing and any other relevant

information, including the fact that the claimant is ready to start or continue the proceedings.

 

(4) If the Division decides not to declare the claim abandoned, it must start or continue the proceedings without delay.

 

ARGUMENTS

Le demandeur

            La SPR ne lui a pas donné la possibilité de présenter pleinement sa preuve

 

[28]           Le demandeur soutient que la SPR a porté atteinte à son droit à l’équité procédurale en ne lui donnant pas la possibilité de présenter pleinement sa preuve. Il affirme que la SPR a refusé de tenir compte de son explication au sujet de la contradiction entre son témoignage et la lettre du Dr Sunerh. Selon lui, la preuve qu’il souffrait de dépression aurait aidé à expliquer cette contradiction, de sorte que la SPR a commis une erreur en l’écartant.

La SPR n’a pas donné un avis suffisant

 

[29]           L’avis de février comporte le passage suivant :

[traduction] Votre demande d’asile devait être entendue le 26 janvier 2011, mais vous ne vous êtes pas présenté.

 

Vous aurez la possibilité d’expliquer votre absence lors d’une audience qui se tiendra devant :

 

LA COMMISSION DE L’IMMIGRATION ET DU STATUT DE RÉFUGIÉ […] le 23 mars 2011.

[30]           Le demandeur affirme qu’il n’a pas du tout été informé qu’il devait être prêt pour l’examen de sa demande d’asile à l’audience relative au désistement, ajoutant que son conseil pensait que cette audience avait pour unique fin d’expliquer son absence à l’audience de janvier. Il avance que, parce qu’il n’a pas été suffisamment informé de l’intention de la SPR de procéder à l’examen au fond de sa demande, il n’a pas pu la présenter valablement, ce qui porte atteinte à son droit à l’équité procédurale.

            La décision était déraisonnable

[31]           Le demandeur soutient que la SPR a erronément conclu qu’il n’était pas en mesure de procéder uniquement parce que ses documents n’étaient pas prêts. Le fait de procéder sans son conseil, dont il venait tout juste de retenir les services et qui n’était pas familiarisé avec le dossier l’inquiétait également. Cela avait été mis en preuve devant la SPR, et elle n’en a pas tenu compte; cette omission rend sa décision déraisonnable.

La SPR n’a pas fourni de motifs suffisants

[32]           Le demandeur invoque Rusconi c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2003 CF 1476, à l’appui du principe selon lequel la décision prononçant un désistement à l’égard d’une demande d’asile doit être mûrement réfléchie et que les motifs doivent témoigner du soin avec lequel elle a été prise, et il affirme qu’en l’espèce les motifs de la SPR n’indiquent pas que la décision a été prise avec soin. Ils ne montrent pas comment la SPR a analysé la preuve qui lui a été soumise, notamment le fait que le demandeur venait de retenir les services d’un nouveau conseil, lequel avait reçu tard le FRP du demandeur.

[33]           Le demandeur soutient que la SPR n’a fourni que des motifs tenant de la formule type, qui ne sont pas suffisants. Selon le demandeur, bien que la Loi, les Règles et le Règlement sur l’immigration et la protection des réfugiés DORS/2002-223 n’exigent pas de motifs écrits, le prononcé d’un désistement signifiant qu’il n’y aura pas d’examen au fond de la demande, il s’ensuit qu’il avait droit à plus que des formules types. Il ajoute que l’examen au fond de sa demande ne causerait pas préjudice au défendeur.

Le défendeur

            La SPR n’a pas manqué à l’équité procédurale

                        La SPR n’a pas été partiale

[34]           Faisant état de l’allégation de partialité de la part de la SPR figurant dans l’affidavit accompagnant la demande de contrôle judiciaire, le défendeur indique qu’une telle allégation pose la question de savoir si une personne bien renseignée qui étudierait la question en profondeur, de façon réaliste et pratique, serait amenée à croire que, selon toute vraisemblance, le décideur, consciemment ou non, ne rendra pas une décision juste : voir Committee for Justice and Liberty c Canada (Office national de l’énergie), [1978] 1 RCS 369. Il affirme que ce critère n’est pas rempli et que la question de la partialité n’avait pas été soulevée à l’audience.

[35]           Le défaut de soulever la partialité à l’audience empêche que cette question soit examinée lors du contrôle judiciaire. Le défendeur fait valoir qu’une partie ne peut s’abstenir de soulever la question de la partialité dans l’espoir que la SPR rende une décision favorable pour ensuite, si la décision est défavorable, tenter au moyen du contrôle judiciaire de la faire annuler. Le demandeur peut être en désaccord avec la décision, mais cela ne suffit pas à établir la partialité de la SPR. En l’espèce le critère rigoureux qui s’applique en matière de partialité n’a pas été rempli.

Il n’y a pas eu d’atteinte au droit d’être entendu

[36]           À toutes les étapes de sa demande d’asile, le demandeur était représenté par conseil. Il a eu la possibilité d’expliquer sa situation, et rien dans le dossier n’indique que la SPR n’a pas tenu compte de sa dépression ni du billet du Dr Sunerh. La SPR a conclu de façon raisonnable que l’explication donnée par le demandeur au sujet de son absence à l’audience n’était pas crédible.

[37]           Le demandeur a reçu avis qu’il devait être prêt pour l’audition de sa demande d’asile à l’audience relative au désistement. L’avis de février indiquait :

[traduction] Pour le cas où la SPR juge l’explication satisfaisante et ne prononce pas le désistement, vous devriez être prêt pour l’audition de votre demande d’asile.

[38]           Le défendeur cite également le paragraphe 58(4) des Règles, suivant lequel la SPR, lorsqu’elle décide de ne pas prononcer le désistement, « commence ou poursuit l’affaire sans délai » et il invoque l’arrêt de la Cour d’appel fédérale Taylor c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2007 CAF 349, statuant au paragraphe 93 qu’il est « bien établi que l’ignorance de la loi n’est pas une excuse. Tous sont censés connaître la loi et tous sont liés par la loi ». Le conseil du demandeur pouvait informer son client qu’il devait être prêt pour l’examen de sa demande lors de l’audience relative au désistement. Il incombait au demandeur de retenir les services d’un conseil compétent, disponible et prêt à le représenter adéquatement. La Cour a rejeté par le passé des demandes de contrôle judiciaire émanant de personnes à qui l’on avait enjoint de procéder alors qu’elles n’avaient pas de conseil ou lorsque leur conseil n’était pas prêt (voir Mutti c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2006 CF 97, Gapchenko c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2004 CF 427, et Linartez c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1995] ACF no 498).

La décision était suffisamment motivée

[39]           En l’espèce, la SPR a donné avis de la décision au demandeur et lui a remis copie des mentions inscrites au dossier; les motifs de la décision y sont exposés et permettent au demandeur de savoir pourquoi le désistement a été prononcé, de sorte que la décision doit être maintenue.

La décision était raisonnable

[40]           Le demandeur ne s’est pas acquitté de son obligation d’expliquer pourquoi la SPR ne devait pas prononcer le désistement. La SPR a raisonnablement conclu que l’explication fournie n’était pas crédible. Elle a pris en compte l’explication du demandeur selon laquelle sa dépression l’avait empêché de se présenter à l’audience, la preuve documentaire soumise et l’écart entre son témoignage et la preuve documentaire, et elle est parvenue à une conclusion raisonnable. Puisque la SPR a tiré une conclusion raisonnable de la preuve dont elle disposait, la Cour doit faire preuve de déférence et s’abstenir d’intervenir.

[41]           En plus de la preuve soumise, la SPR a examiné si le demandeur était prêt à procéder, comme le prévoit le paragraphe 58(3) des Règles. À l’audience, le demandeur et son conseil ont tous deux reconnu qu’ils n’étaient pas prêts à procéder, de sorte que la SPR pouvait raisonnablement prononcer le désistement. Il était raisonnable pour la SPR de conclure que le demandeur n’avait pas démontré que sa conduite ne dénotait pas une absence de volonté de poursuivre l’affaire avec diligence. La Cour ne devrait pas modifier cette conclusion raisonnable de la SPR.

 ANALYSE

[42]           Dans le dossier dont je dispose, beaucoup de points ne sont tout simplement pas expliqués, et ne sont pas étayés par des éléments de preuve.

[43]           Premièrement, le demandeur et son conseil savaient, lorsqu’ils ont reçu l’avis de février concernant la tenue de l’audience relative au désistement, que le demandeur devait « être prêt pour l’audition de [sa] demande d’asile » au cas où la SPR jugerait satisfaisante l’explication de son absence à l’audience de janvier. Puisque l’audience initiale était prévue pour le 26 janvier 2011, les documents du demandeur devaient être prêts pour cette date. Le billet du Dr Sunerh indiquait que le demandeur ne pouvait se présenter à cette audience; il ne constituait pas une demande d’ajournement pour raison médicale, et ni le demandeur ni son conseil n’ont demandé l’ajournement de cette audience. Par conséquent, lorsque le demandeur et son nouveau conseil se sont présentés à l’audience relative au désistement, le 23 mars 2011, ils auraient dû être en mesure de déposer les documents qui devaient être prêts pour l’audience du 26 janvier 2011. L’absence de ses documents n’a pas été convenablement expliquée.

[44]           Deuxièmement, le demandeur, qui avait été informé qu’il devait être prêt à procéder lorsqu’il se présenterait à l’audience relative au désistement, fait valoir qu’il a retenu les services d’un nouveau conseil le 2 mars 2011. Ce conseil, qui savait nécessairement qu’il devait être prêt à procéder le 23 mars 2011, avait trois semaines pour se préparer. On n’a pas donné d’explication suffisante des raisons pour lesquelles :

a.                   le demandeur et son nouveau conseil n’ont pas compris qu’ils devaient être prêts à procéder le 23 mars 2001,

b.                  ils n’avaient pas les documents nécessaires pour l’examen de la demande.

[45]           Troisièmement, est remarquablement absente de l’affidavit déposé par le demandeur à l’appui de sa demande de contrôle judiciaire l’explication des efforts qu’il a déployés (et le moment où il l’a fait) pour obtenir des documents de son ancien conseil ou des raisons pour lesquelles le nouveau conseil a dû s’adresser à la SPR pour avoir une copie du FRP.

[46]           Quatrièmement, on n’a pas indiqué à la Cour de quels documents, autres que le FRP, il s’agissait ni quelle était leur pertinence pour la demande d’asile. Je ne puis, pour cette raison, évaluer si l’absence des documents a pu désavantager de quelque façon le demandeur.

[47]           Cinquièmement, alors que l’avis de février indique de façon on ne peut plus claire que le demandeur devait être prêt à procéder, le demandeur affirme sans autre explication que son nouveau conseil lui a dit que les documents ne seraient pas nécessaires.

[48]           Sixièmement, le demandeur déclare que lors de sa rencontre avec son nouveau conseil il lui a donné les documents, mais non les traductions. Il n’a pas expliqué pourquoi il avait les originaux mais non les traductions, alors qu’il affirme que les documents étaient en la possession de son ancien conseil.

[49]           Enfin, comme c’était le cas devant la SPR, la preuve n’est pas suffisante pour démontrer en quoi la dépression du demandeur l’empêchait de se présenter à l’audience de janvier. Le billet du Dr Sunerh indique simplement que le demandeur ne peut assister à l’audience en raison de sa dépression. Le demandeur n’a pas demandé d’ajournement et n’a produit aucun élément de preuve établissant la nécessité d’un ajournement en raison d’une dépression qui empêchait sa présence à l’audience.

[50]           Il ressort des faits que la SPR a décidé de la tenue d’une audience en désistement conformément à la Loi. Le demandeur ne s’était pas présenté à l’audience de janvier et il n’avait pas demandé d’ajournement.

[51]           La SPR a alors donné au demandeur la possibilité d’expliquer pourquoi le désistement ne devrait pas être prononcé, conformément à l’alinéa 58(2)b). Elle lui a donné, le 8 février 2011, l’avis requis l’informant que se tiendrait le 23 mars 2011 une audience où il devrait expliquer pourquoi la SPR ne devait pas conclure au désistement et lui indiquant qu’il devait être prêt à procéder, à cette date, pour le cas où il parviendrait à la convaincre qu’il ne s’était pas désisté de sa demande d’asile.

[52]           Les facteurs dont la SPR doit tenir compte lors d’une audience en matière de désistement sont énumérés au paragraphe 58(3) des Règles :

a.                   les explications données par le demandeur d’asile à l’audience;

b.                  tout autre élément pertinent, notamment le fait que ce demandeur est prêt à commencer ou à poursuivre l’affaire.

 

[53]           Le paragraphe 58(4) énonce que si la SPR décide de ne pas prononcer le désistement, « elle commence ou poursuit l’affaire sans délai ». [Je souligne.]

[54]           Lors de l’audience relative au désistement, le demandeur a expliqué qu’il [traduction] « se sentait malade » et qu’il a demandé à son médecin d’écrire un billet. Étant donné la paucité de la preuve, la SPR a naturellement voulu vérifier la véracité de cette explication, y compris l’authenticité du billet du médecin.

[55]           Le demandeur déclare à présent que la SPR n’a pas considéré que sa dépression pouvait expliquer la contradiction dans son explication et ne lui a pas donné la possibilité de soumettre une preuve sur ce point. Un examen minutieux du DCT révèle que le demandeur n’a jamais fait de lien entre la contradiction et sa dépression. Il appert clairement en outre qu’il était représenté par conseil et que ce dernier aurait pu lui poser des questions à ce sujet mais ne l’a pas fait. En outre, il n’existait aucune preuve médicale indiquant que le demandeur pouvait éprouver des problèmes de mémoire, et la SPR a pris soin de lui poser des questions concernant ses aptitudes cognitives et les médicaments qu’il prenait afin d’établir s’il y avait des problèmes. Rien n’étaye les allégations du demandeur à cet égard. Compte tenu des éléments de preuve et des observations présentés à la SPR, les motifs expliquent adéquatement le fondement de sa décision.

[56]           Le demandeur n’a pas produit d’élément de preuve médicale établissant qu’il n’était pas en mesure, pour des raisons médicales, de participer à l’audience de janvier ou à l’examen au fond de sa demande d’asile lors de l’audience relative au désistement.

[57]           Relativement au paragraphe 58(3), le demandeur a aussi affirmé qu’il n’était pas prêt à commencer l’affaire, même si la SPR avait clairement indiqué dans l’avis qu’il devait l’être.

[58]           Le demandeur a expliqué un peu pourquoi il n’était pas prêt, en disant qu’il avait changé de conseil et qu’il n’avait pas pu mettre la main sur des documents pertinents, mais la preuve dont je dispose n’indique pas si le demandeur et son conseil ont fait preuve de diligence raisonnable dans la préparation de l’audience relative au désistement. Je conclus qu’ils ne l’ont pas fait parce que le demandeur a déclaré, au paragraphe 21 de l’affidavit déposé à l’appui de sa demande de contrôle judiciaire, que son nouveau conseil lui avait dit que les documents n’étaient pas nécessaires pour l’audience relative au désistement. Le conseil lui avait également indiqué que [traduction] « la lettre que j’avais reçue demandait uniquement que j’explique pourquoi je ne m’étais pas présenté à l’audience du 26 janvier 2011 ». Si le demandeur et son conseil avaient conclu qu’ils n’avaient pas besoin d’être prêts pour l’audition de la demande d’asile le 23 mars 2011, il est peu probable qu’ils se soient préparés avec diligence raisonnable pour procéder à cette date.

[59]           L’avis de février précise clairement :

[traduction] Pour le cas où la SPR juge l’explication satisfaisante et ne prononce pas le désistement, vous devriez être prêt pour l’audition de votre demande d’asile.

 

 

[60]           Compte tenu de cet avis lui indiquant sans équivoque qu’il devrait être prêt à procéder, le demandeur n’a fourni à la SPR ou à la Cour aucune explication plausible de ce qui pouvait l’amener à penser qu’il n’avait pas besoin de documents pour l’audition de sa demande lors de l’audience relative au désistement. Il affirme que c’est ce que lui a dit son nouveau conseil, mais je ne dispose pas du témoignage ou de l’explication dudit conseil confirmant cette affirmation.

[61]           Comme la SPR l’indique dans ses motifs, le demandeur l’a informée qu’il n’était pas en mesure de procéder le 23 mars 2011 parce que les documents justificatifs n’étaient pas prêts. Ces documents étaient censés être prêts pour l’audience de janvier et, pas plus que la SPR, je ne dispose d’une preuve suffisante pour déterminer s’il aurait été possible de se les procurer pour le 23 mars 2011, de sorte que je ne puis affirmer que la SPR a tiré une conclusion déraisonnable à ce sujet.

[62]           Aucun autre élément pertinent n’avait été soumis à la SPR, exception faite de la demande de report.

[63]           Lors de l’audience que j’ai présidée le 11 janvier 2012, l’avocate du demandeur a soulevé un point qui n’avait pas été abordé dans son argumentation écrite, à savoir que la SPR n’a pas correctement considéré la demande de report lors de l’audience relative au désistement.

[64]           Un report a été demandé lors de cette audience mais, comme il appert du DCT, cette demande était fort peu étayée. Le conseil du demandeur a indiqué qu’il n’avait pas les documents nécessaires sans expliquer, je le répète, pourquoi ils n’étaient pas disponibles ni indiquer les efforts que le demandeur ou lui avaient déployés pour les obtenir. Il a tenté de s’expliquer ainsi :

[traduction]

Conseil du demandeur :              Monsieur, je dirais, la seule chose que j’ai à dire, oui, je peux dire comme conseil que je ne suis pas prêt tout simplement parce que nous avions l’impression qu’il s’agissait d’une audience pré‑désistement, et je vais demander au tribunal une possibilité raisonnable d’obtenir une autre audience.

[65]           Considérant la teneur de l’avis de février, cela n’explique pas vraiment pourquoi le demandeur et son conseil n’étaient pas prêts à procéder le 23 mars 2011.

[66]           Les motifs du refus de la SPR d’accorder un report figurent au DCT :

[traduction]

Président de l’audience :             Votre demande ne sera pas acceptée. Les raisons que vous avez invoquées sont que les documents justificatifs n’étaient pas prêts et que le demandeur ne peut procéder aujourd’hui. Je relève que, puisque l’agent du tribunal a indiqué que la demande d’asile et, plus particulièrement, le formulaire de renseignements personnels, avaient été déposés en avril 2009, le demandeur avait plus de temps qu’il n’en fallait pour … pour obtenir tous les documents dont il avait besoin pour … à l’appui de son allégation et de sa demande d’asile. Il ressort également du dossier que le demandeur est au Canada depuis le mois de novembre 2006.

Le formulaire de renseignements personnels indique aussi que le demandeur était représenté par un conseil, Khan Khokhar, un habitué devant la Commission des l’immigration et du statut de réfugié qui connaît bien le système des demandes d’asile, et je constate qu’il a aidé le demandeur à remplir ce formulaire et que le demandeur n’a présenté aucun élément de preuve de la raison pour laquelle il n’a pas pu préparer tous les documents qui peuvent être considérés nécessaires à l’appui de sa demande.

Le conseil a aussi indiqué que l’une de vos préoccupations était le délai de 20 jours pour la communication de documents, mais je ne trouve pas cela convaincant parce que même aujourd’hui, à l’audience, vous n’êtes toujours pas capable de produire un document dont la Commission pourrait avoir … si les documents étaient importants et si les raisons du retard étaient valables, aurait pu autoriser la production.

Je conclus donc au rejet de votre explication et de votre demande.

[67]           La SPR a manifestement examiné la demande de report. Ce faisant, elle devait prendre en compte les facteurs énumérés au paragraphe 48(4) des Règles. En l’espèce, le demandeur a fourni bien peu d’éléments à l’appui du report demandé, et rien n’indique que la SPR n’a pas tenu compte des facteurs prévus au paragraphe 48. Le dossier montre clairement à quelles conclusions elle est parvenue à leur sujet, et le conseil a décidé de n’insister que sur sa propre impression (non expliquée) qu’il n’avait pas à procéder lors de l’audience relative au désistement. Compte tenu de l’ensemble du contexte et de l’historique procédural, je ne puis dire que le refus de la SPR de reporter l’audience était déraisonnable ni que, compte tenu de la preuve, de l’argumentation des parties et du processus suivi, cette décision n’était pas suffisamment motivée.

[68]           Mon appréciation, à cet égard, repose sur les principes formulés par la Cour suprême du Canada dans l’arrêt récent Newfoundland and Labrador Nurses’ Union, précité :

14.       Je ne suis pas d’avis que, considéré dans son ensemble, l’arrêt Dunsmuir signifie que l’« insuffisance » des motifs permet à elle seule de casser une décision, ou que les cours de révision doivent effectuer deux analyses distinctes, l’une portant sur les motifs et l’autre, sur le résultat (Donald J. M. Brown et John M. Evans, Judicial Review of Administrative Action in Canada (feuilles mobiles), §§12:5330 et 12:5510).  Il s’agit d’un exercice plus global : les motifs doivent être examinés en corrélation avec le résultat et ils doivent permettre de savoir si ce dernier fait partie des issues possibles.  Il me semble que c’est ce que la Cour voulait dire dans Dunsmuir en invitant les cours de révision à se demander si « la décision et sa justification possèdent les attributs de la raisonnabilité » (par. 47).

 

15.       La cour de justice qui se demande si la décision qu’elle est en train d’examiner est raisonnable du point de vue du résultat et des motifs doit faire preuve de « respect [à l’égard] du processus décisionnel [de l’organisme juridictionnel] au regard des faits et du droit » (Dunsmuir, par. 48).  Elle ne doit donc pas substituer ses propres motifs à ceux de la décision sous examen mais peut toutefois, si elle le juge nécessaire, examiner le dossier pour apprécier le caractère raisonnable du résultat.

 

16.       Il se peut que les motifs ne fassent pas référence à tous les arguments, dispositions législatives, précédents ou autres détails que le juge siégeant en révision aurait voulu y lire, mais cela ne met pas en doute leur validité ni celle du résultat au terme de l’analyse du caractère raisonnable de la décision.  Le décideur n’est pas tenu de tirer une conclusion explicite sur chaque élément constitutif du raisonnement, si subordonné soit‑il, qui a mené à sa conclusion finale (Union internationale des employés des services, local no 333 c. Nipawin District Staff Nurses Assn., [1975] 1 R.C.S. 382, p. 391).  En d’autres termes, les motifs répondent aux critères établis dans Dunsmuir s’ils permettent à la cour de révision de comprendre le fondement de la décision du tribunal et de déterminer si la conclusion fait partie des issues possibles acceptables.

 

17.       Le fait que la convention collective puisse se prêter à une interprétation autre que celle que lui a donnée l’arbitre ne mène pas forcément à la conclusion qu’il faut annuler sa décision, si celle‑ci fait partie des issues possibles raisonnables.  Les juges siégeant en révision doivent accorder une « attention respectueuse » aux motifs des décideurs et se garder de substituer leurs propres opinions à celles de ces derniers quant au résultat approprié en qualifiant de fatales certaines omissions qu’ils ont relevées dans les motifs.

 

18.       Dans Société canadienne des postes c. Alliance de la Fonction publique du Canada, 2010 CAF 56, [2011] 2 R.C.F. 221, le juge Evans précise, dans des motifs confirmés par notre Cour (2011 CSC 57, [2011] 3 R.C.S. 572), que l’arrêt Dunsmuir cherche à « [éviter] qu’on [aborde] le contrôle judiciaire sous un angle trop formaliste » (par. 164).  Il signale qu’« [o]n ne s’atten[d] pas à de la perfection » et indique que la cour de révision doit se demander si, « lorsqu’on les examine à la lumière des éléments de preuve dont il disposait et de la nature de la tâche que la loi lui confie, on constate que les motifs du Tribunal expliquent de façon adéquate le fondement de sa décision » (par. 163).  J’estime que la description de l’exercice que donnent les intimées dans leur mémoire est particulièrement utile pour en décrire la nature :

 

[traduction]  La déférence est le principe directeur qui régit le contrôle de la décision d’un tribunal administratif selon la norme de la décision raisonnable.  Il ne faut pas examiner les motifs dans l’abstrait; il faut examiner le résultat dans le contexte de la preuve, des arguments des parties et du processus.  Il n’est pas nécessaire que les motifs soient parfaits ou exhaustifs. [par. 44]

 

 

[69]           Compte tenu de tous ces facteurs, je ne puis dire qu’il y a eu manquement à l’équité procédurale en l’espèce.

 

[70]           Puisqu’il n’y a pas eu d’atteinte au droit à l’équité procédurale du demandeur, il me faut à présent examiner si la décision était raisonnable. Après examen du dossier, je ne puis dire que la SPR a omis d’examiner des éléments de preuve ni qu’elle est parvenue à des conclusions que la preuve ne lui permettait pas de tirer. Selon ce qui appert du dossier, la SPR a fondé sa décision sur les facteurs suivants :

1.                  ni le demandeur ni son conseil n’étaient prêts à procéder;

2.                  le demandeur n’avait pas établi qu’il était effectivement suivi pour dépression, et que cela l’avait empêché de se présenter à l’audience de janvier;

3.                  le demandeur n’avait pas expliqué de façon satisfaisante la contradiction entre la date à laquelle il a dit être allé consulter le DSunerh et celle qui est indiquée dans la lettre qu’il a soumise;

4.                  la lettre qu’il a fournie était une télécopie;

5.                  le demandeur avait disposé d’amplement de temps pour se préparer à l’audience mais ne s’était pas préparé.

[71]           Je ne vois rien là qui puisse constituer une erreur susceptible de révision. S’agissant du manque de préparation du demandeur, je rappelle que le paragraphe 58(3) des Règles porte que :

58(3) Pour décider si elle prononce le désistement, la Section prend en considération les explications données par le demandeur d’asile à l’audience et tout autre élément pertinent, notamment le fait que le demandeur d’asile est prêt à commencer ou à poursuivre l’affaire.

 

58(3) The Division must consider, in deciding if the claim should be declared abandoned, the explanations given by the claimant at the hearing and any other relevant information, including the fact that the claimant is ready to start or continue the proceedings [emphasis added]

 

[72]           Aux termes de cette disposition, non seulement la SPR pouvait‑elle tenir compte de l’impréparation du demandeur, mais elle devait le faire. Le demandeur n’a pas soutenu que les Règles elles‑mêmes étaient inéquitables. Il n’a pas non plus invoqué devant nous de raison factuelle ou juridique justifiant de ne pas lui appliquer la règle. La SPR n’a pas agi de façon déraisonnable en considérant son manque de préparation pour prononcer le désistement.

 

[73]           Je ne puis non plus conclure que l’appréciation que la SPR a faite de la preuve se rapportant à la dépression du demandeur était déraisonnable. Le demandeur a fait valoir à l’audience relative au désistement qu’il ne s’était pas présenté à l’audience de janvier parce que sa dépression l’en avait empêché. Il s’ensuivait donc que la preuve à l’appui de cet argument était éminemment pertinente pour la décision de la SPR de prononcer un désistement, et il lui était loisible d’évaluer la crédibilité de cette preuve.

 

[74]           Le seul élément de preuve présenté par le demandeur à l’appui de son argument a été son témoignage à l’audience et la lettre du Dr Sunerh. Ce témoignage ne concordait pas avec la lettre. Il n’y avait rien d’inapproprié à ce que la SPR juge l’un ou l’autre élément non crédible. Bien qu’il soit possible de ne pas souscrire à la conclusion de la SPR, il n’entre pas dans les attributions de la Cour, dans le cadre d’un contrôle judiciaire, de substituer son opinion à celle du décideur, en particulier lorsque celui‑ci a eu la possibilité d’évaluer l’attitude et la crédibilité de l’intéressé. Il n’était pas déraisonnable pour la SPR d’écarter l’argument du demandeur qu’il n’avait pu se présenter à l’audience en raison de sa dépression.

 

[75]           Les conséquences d’une déclaration portant qu’il y a eu désistement peuvent être graves et, même, porter un coup fatal à une demande. Cela ne saurait toutefois libérer les demandeurs de l’obligation d’expliquer pourquoi il n’y a pas lieu de prononcer de désistement. Cela ne signifie pas non plus que la SPR est toujours tenue d’accepter les arguments que font valoir les demandeurs pour que le désistement ne soit pas prononcé. La gravité des conséquences signifie seulement que la SPR doit veiller à ce que les demandeurs aient l’entière possibilité de se faire entendre et qu’elle doit prendre en considération tout ce qui lui est soumis. En l’espèce, la SPR s’est acquittée de ces deux tâches, et je ne vois aucune raison d’intervenir dans sa décision.

 

[76]           Les avocats sont d’avis qu’il n’y a aucune question à certifier, et la Cour partage cet avis.

 


JUGEMENT

 

LA COUR STATUE que

 

1.                  la demande est rejetée;

2.                  aucune question n’est certifiée.

 

« James Russell »

Juge

 

 

 

 

            Traduction certifiée conforme

                Ghislaine Poitras, LL.L., Trad. a.


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

DOSSIER :                                        IMM-2327-11

 

INTITULÉ :                                       PARMINDER SINGH

 

                                                                                                                        demandeur

                                                            -   et   -

 

MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

                                                                                                                        défendeur

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                 Toronto (Ontario)

 

DATE DE L'AUDIENCE :               Le 11 janvier 2012

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT

ET JUGEMENT :                              MONSIEUR LE JUGE RUSSELL

 

DATE DES MOTIFS :                      Le 17 février 2012

 

 

Comparutions :

 

Alesha A. Green                                                                                               DEMANDEUR

 

Alexis Singer                                                                                                    DÉFENDEUR

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

TheLaw Office of Alesha A. Green                                                                   DEMANDEUR

Toronto (Ontario)

 

Myles J. Kirvan                                                                                                DÉFENDEUR

Sous-procureur général du Canada

 

 

 

 Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.