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 Date: 20120210


Dossier : IMM-5126-11

Référence : 2012 CF 200

Montréal (Québec), le 10 février 2012

En présence de monsieur le juge Shore 

 

ENTRE :

 

ALBERTO ABRAHAM REYES PINO

 

 

 

 

demandeur

 

et

 

 

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L'IMMIGRATION

 

 

 

 

défendeur

 

 

 

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

I Introduction

1.                  L’allégation de crainte de partialité ne saurait être invoquée sans motifs sérieux. Dans le présent cas, les interventions courantes du tribunal administratif envers les deux parties présentes ne permettent pas de conclure à une partialité.

 

2.                  La présence d’un témoin qui respecte en tous points le processus mis en place par la SPR pour vérifier des renseignements non sollicités ne peut non plus servir à étayer la thèse de la crainte de partialité du demandeur.

 

3.                  L’analyse du dossier révèle également que la crainte subjective du demandeur a été analysée de manière raisonnable.

 

II Procédure judiciaire

4.                  Il s’agit d’une demande de contrôle judiciaire en vertu du paragraphe 72(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, ch 27 [LIPR], à l’encontre d’une décision de la Section de la protection des réfugiés [SPR] de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié [CISR], rendue le 20 juin 2011,  selon laquelle le demandeur n’a ni la qualité de réfugié au sens de la Convention tel que défini à l’article 96 de la LIPR ni la qualité de personne à protéger selon l’article 97 de la LIPR.

 

III Faits

5.                  Le demandeur, monsieur Alberto Abraham Reyes Pino, est un citoyen de Cuba qui est né et a vécu à Holguín. Il a travaillé, en tant que promoteur culturel, pour le ministère de la Culture à Holguín.

 

6.                  Monsieur Reyes Pino allègue une crainte de persécution en raison de son orientation sexuelle et de ses opinions politiques présumées.

7.                  Il allègue qu’il devait, dans son pays, cacher son homosexualité et qu’il aurait été victime de harcèlement de la part des autorités du pays. Il aurait été également dans l’obligation de prétendre soutenir la révolution cubaine, et ce, à l’encontre de ses réelles convictions.

 

8.                  En 2008, Monsieur Reyes Pino a rencontré Christopher Pattichis [le témoin] à Cuba. Ce dernier l’aurait invité à sa cérémonie de mariage en plus de lui proposer, à son arrivée, une offre d’emploi.

 

9.                  Monsieur Reyes Pino est arrivé au Canada le 31 août 2008. Un conflit et des altercations sont survenus entre le demandeur et le témoin qui a refusé de poursuivre les démarches pour que monsieur Reyes Pino obtienne un permis de travail. En conséquence, le demandeur a déposé une demande d’asile le 24 mars 2009.

 

IV Décision faisant l’objet du présent contrôle judiciaire

10.              La SPR a rejeté la demande d’asile en concluant, d’une part, que le demandeur n’éprouve pas une crainte fondée de persécution à Cuba en raison de son homosexualité. La SPR en vient à cette conclusion, car le demandeur avait occupé un poste de fonctionnaire et que son superviseur savait que ce dernier était homosexuel. Il aurait, en outre, vécu en union de fait avec un partenaire pendant près de huit ans. La SPR note aussi que la preuve documentaire révèle que l’homosexualité n’est pas illégale à Cuba. Les mentalités auraient évolué, et ce, même si les homosexuels seraient encore, à l’occasion, victimes de discrimination.

11.              D’autre part, la SPR conclut que le demandeur d’asile n’est pas un militant politique. En effet, son désaccord avec le régime ne fait pas de lui une cible. En effet, malgré ces activités extérieures, il occupait un poste important.

 

12.              Lors de l’audience, le témoin a témoigné sur le contenu de son affidavit. La SPR retient principalement du témoignage et de l’affidavit du témoin que ce dernier, en vérifiant les qualifications pédagogiques du demandeur d’asile à Cuba, n’aurait pas informé les autorités cubaines sur sa situation comme le demandeur le prétendait.

 

V Points en litige

13.              Les questions en litige se formulent ainsi :

1)                  Y a-t-il eu manquement aux principes de justice naturelle?

2)                  La décision de la SPR est-elle raisonnable?

 

VI Dispositions législatives pertinentes

 

14.              Les dispositions suivantes de la LIPR s’appliquent au présent cas :

 

Définition de « réfugié »

 A qualité de réfugié au sens de la Convention — le réfugié — la personne qui, craignant avec raison d’être persécutée du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de son appartenance à un groupe social ou de ses opinions politiques :

a) soit se trouve hors de tout pays dont elle a la nationalité et ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut se réclamer de la protection de chacun de ces pays;

b) soit, si elle n’a pas de nationalité et se trouve hors du pays dans lequel elle avait sa résidence habituelle, ne peut ni, du fait de cette crainte, ne veut y retourner.

Personne à protéger

 (1) A qualité de personne à protéger la personne qui se trouve au Canada et serait personnellement, par son renvoi vers tout pays dont elle a la nationalité ou, si elle n’a pas de nationalité, dans lequel elle avait sa résidence habituelle, exposée :

a) soit au risque, s’il y a des motifs sérieux de le croire, d’être soumise à la torture au sens de l’article premier de la Convention contre la torture;

b) soit à une menace à sa vie ou au risque de traitements ou peines cruels et inusités dans le cas suivant :

(i) elle ne peut ou, de ce fait, ne veut se réclamer de la protection de ce pays,

(ii) elle y est exposée en tout lieu de ce pays alors que d’autres personnes originaires de ce pays ou qui s’y trouvent ne le sont généralement pas,

(iii) la menace ou le risque ne résulte pas de sanctions légitimes — sauf celles infligées au mépris des normes internationales — et inhérents à celles-ci ou occasionnés par elles,

(iv) la menace ou le risque ne résulte pas de l’incapacité du pays de fournir des soins médicaux ou de santé adéquats.

Personne à protéger

(2) A également qualité de personne à protéger la personne qui se trouve au Canada et fait partie d’une catégorie de personnes auxquelles est reconnu par règlement le besoin de protection.

Convention refugee

 A Convention refugee is a person who, by reason of a well-founded fear of persecution for reasons of race, religion, nationality, membership in a particular social group or political opinion,

(a) is outside each of their countries of nationality and is unable or, by reason of that fear, unwilling to avail themself of the protection of each of those countries; or

 

(b) not having a country of nationality, is outside the country of their former habitual residence and is unable or, by reason of that fear, unwilling to return to that country.

Person in need of protection

 (1) A person in need of protection is a person in Canada whose removal to their country or countries of nationality or, if they do not have a country of nationality, their country of former habitual residence, would subject them personally

(a) to a danger, believed on substantial grounds to exist, of torture within the meaning of Article 1 of the Convention Against Torture; or

(b) to a risk to their life or to a risk of cruel and unusual treatment or punishment if

(i) the person is unable or, because of that risk, unwilling to avail themself of the protection of that country,

(ii) the risk would be faced by the person in every part of that country and is not faced generally by other individuals in or from that country,

(iii) the risk is not inherent or incidental to lawful sanctions, unless imposed in disregard of accepted international standards, and

(iv) the risk is not caused by the inability of that country to provide adequate health or medical care.

 

Person in need of protection

(2) A person in Canada who is a member of a class of persons prescribed by the regulations as being in need of protection is also a person in need of protection.

 

 

15.               Les dispositions suivantes des Règles de la Section de la protection des réfugiés, DORS/2002-228 [Règles] sont pertinentes:

Communication de documents par une partie

 (1) Pour utiliser un document à l’audience, la partie en transmet une copie à l’autre partie, le cas échéant, et deux copies à la Section, sauf si les présentes règles exigent un nombre différent de copies.

 

 

 

Communication de documents par la Section

(2) Pour utiliser un document à l’audience, la Section en transmet une copie aux parties.

Preuve de transmission

(3) En même temps qu’elle transmet les copies à la Section, la partie lui transmet également une déclaration écrite indiquant à quel moment et de quelle façon elle en a transmis une copie à l’autre partie, le cas échéant.

Délai

(4) Tout document transmis selon la présente règle doit être reçu par son destinataire au plus tard :

*                   a) soit vingt jours avant l’audience;

*                   b) soit, dans le cas où il s’agit d’un document transmis en réponse à un document reçu de l’autre partie ou de la Section, cinq jours avant l’audience.

Disclosure of documents by a party

 (1) If a party wants to use a document at a hearing, the party must provide one copy to any other party and two copies to the Division, unless these Rules require a different number of copies.

 

 

 

Disclosure of documents by the Division

(2) If the Division wants to use a document at a hearing, the Division must provide a copy to each party.

Proof that document was provided

(3) Together with the copies provided to the Division, the party must provide a written statement of how and when a copy was provided to any other party.

Time limit

(4) Documents provided under this rule must be received by the Division or a party, as the case may be, no later than

*                   (a) 20 days before the hearing; or

*                   (b) five days before the hearing if the document is provided to respond to another document provided by a party or the Division.

 

 

VII Position des parties

 

16.              La partie demanderesse affirme, d’abord, que l’audience ne s’est pas tenue dans le respect des règles de justice naturelle et de l’équité procédurale. Premièrement, l’audience a été indûment retardée par le retard du témoin, son interrogatoire et la pause prise durant l’audience ne laissant qu’une heure au demandeur pour être entendu. La partie demanderesse soulève, deuxièmement, une crainte de partialité de la SPR. En effet, elle prétend que le tribunal et l’agent du tribunal auraient empêché le conseil du demandeur de contre-interroger le témoin alors que les renseignements non sollicités doivent préalablement être vérifiés avant d’être jugés admissibles en preuve. La SPR aurait également accordé une foi importante aux propos du témoin qui contredisait son affidavit sur le fait qu’il admettait avoir contacté les autorités cubaines sur les antécédents de travail du demandeur. De plus, dans sa décision, la SPR a écrit que le demandeur était un homosexuel « mexicain » ce qui confirme que la SPR a été négligente dans son traitement de la demande d’asile du demandeur.

 

17.              La SPR a également manqué à l’équité procédurale en avisant le demandeur de la présence du témoin en 2011 alors qu’elle en avait été informée en 2009. Le témoin est également un sympathisant du régime actuellement en place à Cuba et est, par conséquent, selon la partie demanderesse, un complice de l’agent persécuteur du demandeur. Pour cette raison, la SPR n’aurait pas dû permettre son témoignage en la présence du demandeur. De plus, le témoignage n’aurait pas dû être admis, car le témoin, n’étant pas soumis à une obligation de confidentialité, pouvait discuter avec toute personne de la demande d’asile du demandeur. Cela aurait exposé le demandeur à un danger, car une demande d’asile est considérée à Cuba comme un geste anti révolutionnaire. La SPR avait la latitude nécessaire pour prendre des dispositions afin que le témoignage du témoin soit tenu à une autre date que celle de l’audience du demandeur.

 

18.              La partie demanderesse soumet subsidiairement que la décision de la SPR est déraisonnable. Premièrement, la SPR s’est servie de l’affidavit du témoin pour conclure que ce dernier n’avait pas averti les autorités cubaines de la demande d’asile du demandeur, mais qu’il les avait contactées pour vérifier ses antécédents relatifs à son travail. La partie demanderesse soutient que cette conclusion est déraisonnable, car la SPR aurait sciemment refusé d’interroger le témoin sur ce point.

 

19.              Elle prétend, par ailleurs, que les conclusions d’invraisemblance de la SPR sont mal fondées et ne s’appuient pas sur la preuve. La SPR aurait erré dans son appréciation des activités politiques du demandeur et aurait erré en concluant que le demandeur avait vécu à Cuba en union de fait avec un partenaire durant huit ans. Ainsi, la partie demanderesse souhaiterait, pour appuyer sa prétention, faire admettre une preuve confirmant que le demandeur vivait chez ses parents, mais qui ne figurait pas au dossier de la SPR.

 

20.              Deuxièmement, la SPR a erré dans son appréciation de la crainte reliée à l’orientation sexuelle. La partie demanderesse prétend que la SPR a interrogé le témoin sur la situation des homosexuels à Cuba alors que celui-ci n’était pas un expert au lieu de se fier à la preuve documentaire soumise par elle.

 

21.              Troisièmement, la SPR a erré en concluant que le demandeur n’était pas persécuté en raison de ses opinions politiques. La SPR n’aurait pas tenu compte du fait que celui-ci avait refusé de faire son service militaire, qu’il avait été arrêté par la police en raison de ses activités politiques nocturnes. De plus, il risque la prison s’il doit retourner dans son pays d’origine, car il a fait défaut de renouveler son permis de séjour à l’étranger. Dans l’hypothèse où les autorités cubaines apprennent que le demandeur a demandé l’asile au Canada, il s’expose également à un danger. Elle soutient que le demandeur était un fonctionnaire cubain qui est sorti de Cuba en prétextant faussement devoir assister à un mariage.

 

22.              La partie défenderesse soutient, quant à elle, en premier lieu, que l’allégation de partialité n’a pas été soulevée devant la SPR est que le demandeur est maintenant forclos de le plaider. Par ailleurs, la SPR n’a pas commis une erreur lorsqu’elle a retenu de l’affidavit du témoin que ce dernier avait contacté les autorités cubaines pour confirmer le niveau d’éducation du demandeur. Les motifs de la SPR ne dénotent pas non plus un du dédain à l’égard du demandeur.

 

23.              La partie défenderesse soumet que la présence du témoin était permise par les Règles, en respecte les conditions et n’est pas contraire aux principes de justice naturelle. De plus, l’argument selon lequel le témoin serait un complice de l’agent persécuteur ne peut être retenu, car le témoin est un citoyen canadien duquel le demandeur n’a jamais subi de persécution ayant vécu chez celui-ci près de sept mois. Par le fait même, la partie défenderesse fait valoir que le témoin était une personne intéressée dans la cause et que l’audience s’est tenue à huis clos n’exposant pas le demandeur à un danger.

 

24.              Dans la même perspective, selon la partie défenderesse, les allégations du demandeur sont fournies ex-post facto, car celui-ci avait eu connaissance de la présence du témoin à l’audience, et ce, par lettre datée du 24 février 2011. La partie demanderesse soutient aussi que le droit au processus accéléré n’est pas un droit garanti.

 

25.              En deuxième lieu, la partie demanderesse avance que le demandeur n’a pas établi le fondement de sa demande d’asile et que la décision de la SPR est raisonnable. La SPR ne s’est pas fiée au témoignage du témoin pour conclure que la crainte du demandeur n’est pas fondée. Elle en est arrivée à cette conclusion grâce au témoignage du demandeur et à la lumière des résultats de son analyse de la preuve documentaire.

26.              Adressant la peine de prison à laquelle fait face le demandeur advenant son retour à Cuba, la partie défenderesse argumente que le demandeur n’a pas démontré le caractère de persécution de la loi cubaine et qu’il n’était pas en mission à l’étranger dans le cadre de son emploi de fonctionnaire lors de son départ pour le Canada. La SPR n’était donc pas dans l’obligation de traiter de ce sujet.

 

VIII Analyse

1.      Y a-t-il eu manquement aux principes de justice naturelle?

 

27.              La norme de décision concernant cette question est celle de la décision correcte (Dunsmuir c Nouveau-Brunswick, 2008 CSC 9, [2008] 1 RCS 190).

 

28.              Il convient d’adresser avant tout la crainte de partialité alléguée par la partie demanderesse. Le raisonnement de la Cour dans Fenanir c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), 2005 CF 150 s’applique :

[10]      La Cour suprême s'est penchée sur la question d'impartialité dans Bande indienne Wewaykum c. Canada, [2003] 2 R.C.S. 259 au paragraphe 59. Elle énonce ce qui suit :

 

[...] « [l]'impartialité est la qualité fondamentale des juges et l'attribut central de la fonction judiciaire » (Conseil canadien de la magistrature, Principes de déontologie judiciaire (1998), p. 30). Elle est la clé de notre processus judiciaire et son existence doit être présumée. [...] Comme l'ont signalé les juges L'Heureux-Dubé et McLachlin (maintenant Juge en chef) dans l'arrêt S. (R.D.), précité, par. 32, cette présomption d'impartialité a une importance considérable, et le droit ne devrait pas imprudemment évoquer la possibilité de partialité du juge, dont l'autorité dépend de cette présomption. Par conséquent, bien que l'impartialité judiciaire soit une exigence stricte, c'est à la partie qui plaide l'inhabilité qu'incombe le fardeau d'établir que les circonstances permettent de conclure que le juge doit être récusé. (Je souligne)

 

[11]      Le juge de Grandpré s'est exprimé aussi dans Committee for Justice and Liberty c. Office national de l'énergie, (1978) 1 R.C.S. 369, aux pages 394 et 395 :

 

[...] la crainte de partialité doit être raisonnable et le fait d'une personne sensée et raisonnable qui se poserait elle-même la question et prendrait les renseignements nécessaires à ce sujet.

 

[...] ce critère consiste à se demander « à quelle conclusion en arriverait une personne bien renseignée qui étudierait la question en profondeur, de façon réaliste et pratique. Croirait-elle que, selon toute vraisemblance, [le décideur], consciemment ou non, ne rendra pas une décision juste? »

 

[...] Toutefois, les motifs de la crainte doivent être sérieux et je [...] refuse d'admettre que le critère doit être celui d'une personne de nature scrupuleuse et tatillonne.

 

29.              La Cour conclu que l’examen du procès-verbal ne laisse pas transparaître que la SPR ait été impartiale. Le conseil du demandeur a eu tout le loisir de contre-interroger le témoin. Les quelques remarques du tribunal n’ont pas empêché le demandeur de faire valoir ses moyens. Ainsi, la SPR a interrompu l’interrogatoire pour rappeler au conseil que certaines allégations du témoin, notamment le conflit au Canada entre les deux hommes, n’étaient pas pertinentes à la demande d’asile tout en le laissant, tout de même, poursuivre son contre-interrogatoire (DT aux pp 162,163 et 167).

 

30.              De plus, la SPR a averti l’agent du tribunal que le témoin n’était pas un expert sur la situation des droits humains à Cuba. En effet, le procès-verbal révèle que l’agent du tribunal a interrogé le témoin sur sa perception des droits des homosexuels à Cuba :

PAR LE TÉMOIN (à l’agent de la protection)

 

-           […]

 

-                     Si vous me demandez si un de mes amis aurait un problème pour le simple fait qu’il est gai, qu’il est homosexuel, je vous dirais que catégoriquement que non.

 

PAR LE COMMISSAIRE PRÉSIDENT (à l’agent de la protection)

 

-                     Maître, peut-être on va liaiser sur les faits parce que, effectivement, monsieur n’est pas un expert.

 

[…]

 

PAR L’AGENT DE LA PROTECTION (au commissaire président)

 

-                     […] Pour moi c’est à peu près le seul fait dans l’affidavit qui m’intéresse ; c’est l’homosexualité de monsieur qui dont monsieur Patice étant là au paragraphe 41. Pour le reste ce qui s’est passé entre les deux monsieurs ici au Canada, moi je n’ai pas de question là-dessus.

 

-                     […]

 

PAR LE COMMISSAIRE PRÉSIDENT (à l’agent de la protection)

 

-                     Sur ce fait là. O.k.

 

(DT aux pp 157-158)

31.              Il importe de préciser également, à cette étape, que les éléments relatifs aux droits des homosexuels à Cuba obtenus par l’agent de la protection n’ont pas été retenus par la SPR dans sa décision qui s’est servie de la preuve documentaire pour analyser le fondement objectif de la revendication. Même s’il peut être préoccupant, lors d’une première lecture de la décision de la SPR, de lire que le demandeur serait un homosexuel du « Mexique » alors que celui-ci provient de Cuba (Décision de la SPR au para 1), il n’apparaît pas, à l’examen de l’ensemble de la décision, que celle-ci soit viciée.

 

32.              La SPR a disposé de la demande d’asile en toute impartialité pour les raisons précédemment exposées, cette erreur n’apparaît qu’une fois, dans la troisième ligne de la décision. Le demandeur ne conteste, d’ailleurs, pas les faits repris fidèlement par la SPR au paragraphe 2 de sa décision.  La Cour se doit quand même de faire remarquer que la SPR doit veiller à ce que ce genre d’erreur soit corrigé dès que possible par respect pour les demandeurs d’asile.

33.              L’examen du procès-verbal d’audience révèle de manière non équivoque que le demandeur a bénéficié d’une audience menée en toute impartialité.

 

34.              Ensuite, concernant l’équité procédurale et les délais de transmission des pièces relatives à l’audience,  l’examen du dossier révèle que le 24 février 2011, la SPR a envoyé une citation à comparaître au témoin. Le même jour, la SPR a avisé le demandeur, par lettre, de la présence du témoin à son audience (Dossier du tribunal [DT] aux pp 39 et 40). En conséquence, le demandeur a été prévenu, à l’avance, de la présence du témoin à son audience du 7 avril 2011. La SPR a également avisé la partie demanderesse du contenu des renseignements non sollicités reçus du témoin par courrier daté du 7 mars 2011(DT aux pp 64-72). Cela est conforme au paragraphe 29(4) des Règles.

 

35.        De plus, la partie demanderesse a admis, à l’audience, avoir reçu la copie des pièces et n’a pas formulé une objection sur le fait que ces renseignements datant de 2009 ne lui avaient été transmis qu’en 2011 comme le démontre le passage suivant du procès-verbal :

PAR LE COMMISSAIRE PRÉSIDENT (au demandeur)

 

-           […]

 

-                     Alors, maintenant on va faire la vérification des pièces justificatives dans le dossier. Premièrement de la part de l’agent de protection – on a premièrement la pièce A-1 et A-2. A-1 c’est l’indexe de cartable national sur le Cuba en date du 31 mai 2010. Le A-2 c’est de la documentation d’immigration qui inclut entre autres les formulaires de demande d’asile, les extraits du passeport de monsieur, et on va ajouter en liasse le A-3 qui a été l’envoi du 7 mars 2011 qui inclut un affidavit et les échanges de courriel, l’échange de lettres avec un Monsieur Christopher Patice.

 

[…]

 

PAR LE COMISSAIRE PRÉSIDENT (au conseil)

 

-                     Et, Maître, vous avez reçu ces documents ?

 

PAR LE CONSEIL (au commissaire président)

 

-                     Oui.

 

(DT aux pp 146-147)

 

36.              La Cour ne peut, dans ses circonstances, conclure à une violation de l’équité procédurale.

 

37.              Par ailleurs, la présence du témoin à l’audience était requise et respecte les conditions de la Politique sur le traitement des renseignements non sollicités à la Section de la protection des réfugiés [Politique] qui énonce :

3.  Contexte

De temps en temps, la CISR reçoit des renseignements non sollicités en vue des audiences de la SPR. Il importe que la CISR, à titre de tribunal indépendant chargé de statuer sur le bien-fondé d'une demande d'asile, n'enquête pas activement sur des renseignements non sollicités communiqués sous le couvert de l'anonymat ou par un informateur qui ne veut pas ou ne peut pas comparaître comme témoin à l'audition de la demande d'asile.

En revanche, il importe que toutes les preuves pertinentes soient mises à la disposition des décideurs de la SPR. Les renseignements non sollicités peuvent être pris en compte à l'audition d'une demande d'asile à condition qu'ils puissent être convenablement vérifiés. La présente politique permet de veiller à ce que les renseignements non sollicités reçus par la CISR ne soient pris en compte dans le processus décisionnel de la SPR que s'ils peuvent être convenablement vérifiés. L'utilisation de renseignements non sollicités par la SPR, sous réserve des dispositions de la présente politique, est conforme au concept du processus d'enquête en matière d'octroi de l'asile.

[…]

5.  Énoncé de politique

La Section de la protection des réfugiés (SPR) considère comme éléments de preuve éventuels les renseignements non sollicités lorsque les trois conditions suivantes sont réunies :

§                     les renseignements concernent une demande d'asile identifiable qui   n'a pas été traitée;

§                     les renseignements proviennent d'un informateur identifiable;

§                     l'informateur autorise la divulgation des renseignements et accepte de comparaître comme témoin, s'il y a lieu. [La Cour souligne]

 

38.              Ainsi, les renseignements non sollicités se doivent d’être vérifiés pour être utilisés comme preuve et le témoignage de celui qui en est l’auteur est un moyen de vérification. L’argument selon lequel le témoin, étant un complice de l’agent persécuteur du demandeur, se devait de témoigner hors de la présence du demandeur est problématique. En effet, bien que la partie demanderesse admette que la SPR a la latitude pour adapter l’audience, elle n’a pas formulé de demande en ce sens. Le procès-verbal révèle que le conseil a demandé si le demandeur devait être présent durant le témoignage du témoin, ce à quoi la SPR a répondu par l’affirmative (DT p 149). Ce comportement de la SPR n’est pas fautif en soi, la partie demanderesse n’ayant pas démontré que la SPR avait agi à l’encontre de la législation ni que le demandeur ait été incommodé par la présence du témoin. Encore une fois, le procès-verbal d’audience révèle que le demandeur a eu amplement l’occasion de faire valoir ses moyens. Il n’apparaît aucunement que ce dernier a manqué de temps.

 

39.              Dans le même ordre d’idées, le témoin est une personne intéressée et sa présence ne porte aucunement atteinte au principe selon lequel les revendications se tiennent à huis clos (Nechiporenko c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [1997] ACF no 1080, [1997] FCJ No 1080).

 

40.              Pour ces motifs, il n’y a pas eu d’atteinte aux principes de justice naturelle.

 

2.         La décision de la SPR est-elle raisonnable?

 

41.              La norme de contrôle pour les conclusions de faits du tribunal administratif est celle de la décision raisonnable. Cette norme s’intéresse à la transparence et à l’intelligibilité du processus décisionnel et appelle une certaine déférence judiciaire (Dunsmuir c Nouveau-Brunswick, 2008 CSC 9, [2008] 1 RCS 190).

 

42.              Il est bien établi par la jurisprudence que l’expertise d’un tribunal administratif lui confère pleine autorité pour apprécier la preuve testimoniale. Comme expliqué par le juge Yvon Pinard dans Profète c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), 2010 CF 1165 :

[11]      Par ailleurs, le demandeur prétend que le tribunal a erré lorsqu’il a déterminé que son témoignage était évasif, ambigu et non-crédible. Cet argument ne saurait justifier l’intervention de cette Cour, puisque l’appréciation du témoignage est au cœur même de la juridiction du tribunal, lequel a eu l’avantage de voir le demandeur et de l’entendre. [La Cour souligne]

 

43.              La SPR peut également, de par sa position,  rejeter certaines explications du demandeur qu’elle estime insuffisantes (Sinan c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), 2004 CF 87 au para 10).

44.              Il existe également une présomption selon laquelle le tribunal administratif a considéré toute la preuve et qu’il n’est pas donc pas tenu de mentionner tous et chacun des éléments de preuve soumis (Florea c Canada (ministre de l'Emploi et de l'Immigration), [1993] ACF no 598, [1993] FCJ No 598).

 

45.              Le premier motif de persécution soumis par le demandeur concerne son orientation sexuelle. La partie demanderesse prétend, pour l’essentiel, que le tribunal n’a pas retenu l’explication du demandeur selon laquelle ce dernier vivait chez ses parents. Il n’y a rien de déraisonnable dans cette conclusion. Le demandeur avait mentionné expressément dans son formulaire de renseignements personnels [FRP] avoir vécu en union de fait avec un partenaire pendant près de huit ans. La SPR, comme il lui était loisible de le faire, a rejeté l’explication selon laquelle ce dernier vivait tout de même avec ses parents.

 

46.              La Cour ne peut substituer son raisonnement à celui de la SPR sur cette question factuelle qui découle du pouvoir de la SPR d’apprécier la valeur probante du témoignage.

 

47.              Par le fait même, la Cour ne peut accepter la nouvelle preuve soumise par la partie demanderesse démontrant que le demandeur vivait bel et bien avec ses parents. Le contrôle judiciaire n’est pas un procès de novo, il convient donc de faire preuve de prudence pour décider de l’admission de nouvelle preuve. La preuve soumise par la partie demanderesse ne respecte pas les critères établis par cette Cour pour admettre des preuves n’ayant pas été soumises au tribunal administratif. Ainsi, cette preuve ne démontre pas un manquement aux principes de justice naturelle, au contraire, elle est directement rattachée au fondement de la décision (McFadyen c Canada (Procureur général), 2005 CAF 360; Vennat c Canada (Procureur général), 2006 CF 1008 aux para 44 et 45).

 

48.              La Cour remarque toutefois que la SPR a écouté l’explication du demandeur selon laquelle il vivait chez ses parents, mais l’a rejetée (Décision de la SPR au para 8). Il s’agit, là, essentiellement, d’une conclusion de crédibilité tirée de manière non arbitraire et la Cour ne peut intervenir.

 

49.              Quant à l’appréciation de la preuve objective relative à la situation des homosexuels à Cuba, il n’a pas été démontré que la SPR a erré en se référant explicitement à la preuve objective pour conclure que le demandeur ne faisait pas face à de la persécution (Décision de la SPR au para 8). Comme expliqué par la jurisprudence de cette Cour, la SPR n’est pas tenue de mentionner chacun des éléments de preuve soumis par le demandeur.

 

50.              Par le fait même, l’analyse du dossier révèle que le demandeur n’a pas établi un lien entre sa situation personnelle et la preuve documentaire soumise concernant la persécution pour des opinions politiques alléguée. La SPR n’a tout simplement pas jugé crédible, compte tenu des renseignements fournis par le demandeur, que ce dernier soit, par son désaccord avec le régime cubain, une cible visible (Décision de la SPR au para 10). La SPR pouvait donc rejeter certaines explications du demandeur. La preuve documentaire ne peut permettre de réévaluer la crainte subjective du demandeur (Alba c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), 2007 CF 1116).

51.              La SPR n’a pas émis de conclusion relative à la crainte de retour du demandeur en lien avec la violation des lois cubaines lors de son départ. Le raisonnement mis de l’avant dans l’affaire Perez c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), 2010 CF 833, s’applique au cas présent :

[13]      L’arrêt Valentin de la Cour d’appel fédérale, précité, s’applique directement en l’espère. L’arrêt Valentin interdit le statut de réfugié volontaire. Il commence par la prémisse selon laquelle un demandeur possède un visa de sortie valide. Il empêche alors le demandeur de dépasser la durée de séjour autorisée par son visa et de se fonder sur ce dépassement de séjour volontaire comme motif de persécution. En l’espèce, la demanderesse avait un visa de sortie valide. Elle n’a pas renouvelé son permis, ce qu’elle aurait pu faire. Elle ne peut pas se fonder sur ce dépassement volontaire de la durée de séjour comme motif de persécution. La Cour a toujours suivi les enseignements de l’arrêt Valentin lorsque les faits sont semblables à ceux de l’affaire en l’espèce; voir par exemple, Jassi c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2010 CF 356, [2010] A.C.F. no 412 (QL).

 

[14]      La jurisprudence va dans le même sens dans le contexte d’une demande d’asile au sens de l’article 97. Dans la décision Zandi c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2004 CF 411, [2004] A.C.F. no 503 (QL), le juge Kelen a examiné la situation d’un Iranien qui avait fait défection alors qu’il se trouvait au Canada pour une compétition d’athlétisme. Examinant si le demandeur pouvait réclamer l’asile au motif qu’il serait puni pour sa défection à son retour en Iran, le juge Kelen a déclaré :

Pour reprendre les propos de la Cour d'appel fédérale dans Valentin, précité, un transfuge ne peut acquérir de statut juridique au Canada en vertu de la LIPR en créant un « besoin de protection » au sens de l'article 97 de la LIPR en se rendant librement, de son propre chef et sans raison, passible de sanctions pour transgression d'une loi pénale d'ordre général de son pays d'origine visant le respect des conditions d'un visa de sortie, c'est‑à‑dire le retour au pays.

 

[15]      Bref, la jurisprudence est claire : la demanderesse, qui n’a pas renouvelé son visa de sortie valide, ne peut pas se fonder sur la possibilité d’être punie conformément au Code criminel de Cuba comme motif de protection au sens des articles 96 et 97.

 

[16]      De plus, il n’est absolument pas certain que la demanderesse sera accusée et déclarée coupable en vertu de la loi applicable. La preuve documentaire démontre que la demanderesse peut toujours présenter une demande de permis spéciale d’entrée pour retourner à Cuba. Rien ne donne à penser que la demanderesse, avec un tel permis, ferait l’objet d’une poursuite judiciaire en vertu des lois cubaines. La preuve documentaire ne mentionne aucun cas d’une personne se trouvant dans une situation semblable à celle de la demanderesse qui ait été emprisonnée en vertu de cette loi. Compte tenu des faits qui m’ont été présentés, l’allégation d’emprisonnement n’est qu’une hypothèse. Il n’y a pas suffisamment de preuves pour me permettre de conclure que la crainte d’emprisonnement de la demanderesse est fondée.

 

52.              En l’espèce, le demandeur n’était pas en mission diplomatique et son voyage à l’étranger est indépendant de son travail de fonctionnaire à Cuba. La partie demanderesse n’a pas soumis devant la SPR de preuves appuyant sa prétention, le débat ayant principalement porté sur la crainte du demandeur liée à son orientation sexuelle et ses opinions politiques. La SPR n’a donc pas erré en ne traitant pas du sujet.

 

IX Conclusion

53.              Aucun manquement aux principes de justice naturelle n’a été démontré. L’examen du dossier révèle également que la SPR a apprécié de façon raisonnable les craintes subjectives du demandeur.

 

54.              Pour l’ensemble des motifs précédemment exposés, la demande de contrôle judiciaire est rejetée.

 


JUGEMENT

 LA COUR STATUE que la demande de contrôle judiciaire soit rejetée. Aucune question d’importance générale n’est certifiée.

 

“Michel M.J. Shore”

Juge


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

DOSSIER :                                        IMM-5126-11

 

INTITULÉ :                                       ALBERTO ABRAHAM REYES PINO et MCI

                                                           

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                 Montréal (Québec)

 

DATE DE L’AUDIENCE :               le 9 février 2012

 

MOTIFS DU JUGEMENT

ET JUGEMENT :                              LE JUGE SHORE

 

DATE DES MOTIFS :                      le 10 février 2012

 

 

 

COMPARUTIONS :

 

Claudia Andrea Molina

POUR LE DEMANDEUR

 

Charles Junior Jean

POUR LE DÉFENDEUR

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Claudia Andrea Molina

Montréal (Québec)

POUR LE DEMANDEUR

 

 

Myles J. Kirvan

Sous-procureur général du Canada

Montréal (Québec)

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

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