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Date : 20120208

Dossier : IMM‑4740‑11

Référence : 2012 CF 152

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 8 février 2012

En présence de monsieur le juge Martineau

 

 

ENTRE :

 

NIZAMUDDIN KARIMZADA

 

 

 

demandeur

 

et

 

 

 

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

 

 

défendeur

 

 

 

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

[1]               La Cour est saisie d’une demande de contrôle judiciaire, présentée conformément au paragraphe 72(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, ch. 27 (la LIPR), de la décision, en date du 26 avril 2011, par laquelle une agente des visas (l’agente) à l’ambassade du Canada à Islamabad, au Pakistan, a rejeté la demande de résidence permanente du demandeur dans la catégorie des réfugiés au sens de la Convention outre‑frontières ainsi que dans la catégorie de personnes de pays d’accueil en vertu des articles 145 ou 147 du Règlement sur l’immigration et la protection des réfugiés, DORS/2002‑227 (le Règlement).

 

LE CONTEXTE

[2]               Le demandeur, un citoyen de 38 ans d’Afghanistan, son épouse et leurs trois enfants mineurs sont des membres de la minorité religieuse et ethnique chiite hazara et sont originellement de Kaboul. Le demandeur soutient que sa famille et lui‑même ont été persécutés dans leur pays en raison de leurs croyances religieuses et de leur origine ethnique. Il déclare que cette persécution s’est aggravée durant la guerre lorsque les talibans ont perpétré des tueries massives de Hazaras.

 

[3]               Le demandeur et son épouse allèguent qu’ils ont été contraints de déménager dans la ville de Mazar Sharif et qu’ils ont par la suite fui leur pays durant la guerre civile afghane. En 1998, la résidence du demandeur à Mazar Sharif a été atteinte par un missile. Le jour suivant, certains membres des talibans se sont rendus chez le demandeur et l’ont battu, pensant qu’il était le fils d’un qomandan (commandant). L’épouse du demandeur les a suppliés d’arrêter, en criant qu’ils s’étaient trompés d’homme. Le demandeur soutient que, alors qu’il était gravement blessé et qu’il devenait inconscient, l’un des talibans a mis une arme à feu sur sa tête pour le tuer. Les membres des talibans ont finalement quitté la maison du demandeur lorsque l’épouse du demandeur leur a montré où se trouvait la maison du qomandan. Le demandeur prétend que, la nuit suivante, son épouse a été battue et que la mère du qomandan l’a avertie que si quoi que ce soit arrivait à son fils, elle enverrait des gens pour la tuer, elle et sa famille.

 

[4]               Quoique le demandeur n’ait pas mentionné cet incident dans le formulaire de demande d’asile, il a expliqué à l’agente qu’il ne pouvait pas retourner en Afghanistan, car il craignait encore que le qomandan, que son épouse avait dénoncé aux talibans, pourchasse sa famille pour se venger. Le demandeur a raconté que, en fait, le fils du qomandan avait réussi à obtenir leur adresse antérieure à Mazar Sharif et qu’il avait abordé le propriétaire de la maison où la famille du demandeur vivait dans cette ville pour l’interroger sur les allées et venues du demandeur.

 

[5]               Après l’incident de 1998, le demandeur et sa famille se sont installés au Pakistan, où ils vivent jusqu’à maintenant sans statut juridique. En janvier 2008, le demandeur a déposé une demande de résidence permanente au Canada comme réfugié au titre de la catégorie des réfugiés au sens de la Convention outre‑frontières. À la suite d’une entrevue avec le demandeur et son épouse le 22 novembre 2011, ayant eu lieu avec l’aide d’un interprète parlant le dari, l’agente dont la décision fait l’objet du présent contrôle a rejeté la demande.

 

LA DÉCISION CONTRÔLÉE

[6]               Au vu des notes de l’agente consignées dans le Système de traitement informatisé des dossiers d’immigration (notes du STIDI) et de sa lettre‑réponse datée du 26 avril 2011, la décision contrôlée est fondée sur deux ensembles de conclusions.

 

[7]               En premier lieu, l’agente a conclu que le récit du demandeur n’était pas vraisemblable et elle n’était pas convaincue que le demandeur craignait avec raison d’être persécuté s’il retournait en Afghanistan, car douze ans s’étaient écoulés depuis l’incident de 1998. L’agente a en outre déclaré ne pas être convaincue que le demandeur satisfaisait au paragraphe 16(1) de LIPR, selon lequel l’auteur d’une demande « doit répondre véridiquement aux questions qui lui sont posées lors du contrôle, donner les renseignements et tous éléments de preuve pertinents et présenter les visa et documents requis ». L’agente a également conclu que les raisons invoquées par le demandeur pour ne pas vouloir retourner en Afghanistan étaient de nature économique et qu’elles avaient trait au désir de se donner une meilleure vie, ainsi qu’à sa famille, plutôt que demander la protection en raison d’une crainte réelle de persécution. Par conséquent, le demandeur ne répondait pas à la définition de réfugié au sens de la Convention selon l’article 96 de la LIPR et n’appartenait pas à la catégorie des réfugiés au sens de la Convention outre‑frontières définie à l’article 145 du Règlement.

 

[8]               En deuxième lieu, l’agente a également conclu, en se fondant sur les renseignements fournis dans la demande et à l’entrevue, qu’elle n’était pas convaincue que le demandeur est [traduction] « sérieusement et personnellement touché par une guerre civile, un conflit armé ou une violation massive des droits de la personne » ni qu’il satisferait autrement aux critères d’admissibilité de la catégorie de personnes de pays d’accueil, définie à l’article 147 du Règlement. Malgré le fait que l’absence de sécurité n’était pas l’une des raisons invoquées par le demandeur pour ne pas pouvoir retourner en Afghanistan, l’agente a noté que la ville d’origine du demandeur, Kaboul, bénéficie maintenant d’un contrôle gouvernemental raisonnable et d’une stabilité relative. L’agente a aussi noté que, à son avis, très peu d’éléments distinguaient le demandeur et sa famille de la grande majorité des 3,5 millions de réfugiés afghans qui étaient retournés en Afghanistan, la majorité dans la ville de Kaboul, dans le cadre de l’exercice de rapatriement volontaire de l’UNHCR.

 

LES QUESTIONS EN LITIGE

[9]               Le demandeur a soulevé plusieurs questions dans la présente demande de contrôle judiciaire, qui peuvent se résumer ainsi :

a)      L’agente a‑t‑elle contrevenu aux règles d’équité procédurale en ne permettant pas au demandeur de répondre exhaustivement à ses questions?

b)      L’agente a‑t‑elle commis une erreur dans son évaluation de la crédibilité du demandeur et de son épouse et du risque de persécution auquel ils seraient exposés?

c)      L’agente a‑t‑elle commis une erreur dans son évaluation de l’allégation d’absence de solution durable?

d)      L’agente a‑t‑elle commis une erreur en concluant que les raisons pour lesquelles le demandeur voulait s’établir au Canada étaient purement économiques?

e)      L’agente a‑t‑elle commis une erreur en n’évaluant pas la capacité du demandeur de réussir à s’établir au Canada et les autres facteurs ayant trait à un nouvel établissement?

 

ANALYSE

[10]           La norme de contrôle applicable aux causes qui dépendent essentiellement des faits comme en l’espèce est la norme déférente de la raisonnabilité qui requiert de la Cour qu’elle s’intéresse « à la justification de la décision, à la transparence et à l’intelligibilité du processus décisionnel » ainsi qu’« à l’appartenance de la décision aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit » (Dunsmuir c Nouveau‑Brunswick, 2008 CSC 9, au paragraphe 47; Sivakumaran c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2011 CF 590, au paragraphe 19 [Sivakumaran]; Qurbani c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2009 CF 127, au paragraphe 8 [Qurbani]). En ce qui a trait à l’absence d’une possibilité de répondre, il est établi en droit que les questions d’équité procédurale sont susceptibles de révision selon la norme de la décision correcte (Azali c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2008 CF 517, au paragraphe 12).

 

[11]           Pour les motifs exposés ci‑dessous, le demandeur ne m’a pas convaincu que l’agente a commis une erreur susceptible de révision qui justifierait l’intervention de la Cour. Par commodité, j’ai choisi de ne pas nécessairement traiter les arguments du demandeur dans l’ordre où ils ont été présentés dans les mémoires des parties ou à l’audience devant la Cour. Les objections préliminaires prises sous réserve à l’audience seront traitées, si nécessaire, avec les questions correspondantes ci‑dessous.

 

            Aucun manquement à l’équité procédurale

[12]           Le demandeur fait valoir que ni lui ni son épouse n’ont eu la possibilité de répondre convenablement aux questions de l’agente, que leur entrevue avec l’agente avait commencé plus de deux heures après l’heure prévue et que l’agente les interrompait continuellement lorsqu’ils essayaient de formuler leurs réponses et pour leur intimer d’être brefs. Le demandeur affirme également que l’agente et l’interprète riaient de lui pendant qu’il racontait qu’un taliban l’avait frappé à la tête avec une arme à feu. Il soutient également qu’en plus d’avoir contrevenu aux règles d’équité procédurale, l’agente ne s’est pas penchée sur sa demande avec un esprit ouvert.

 

[13]           Par ailleurs, le demandeur et son épouse ont tous deux présenté à la Cour deux pièces contenant les notes personnelles qu’ils ont prises après l’entrevue et qui résument les questions que l’agente leur a posées ainsi que leurs réponses. Le défendeur s’appuie sur une jurisprudence de longue date de la Cour et conteste la présentation de ces documents parce qu’ils constituent de nouveaux éléments de preuve dont l’agente ne disposait pas. Cependant, j’ai examiné les documents en question, car, contrairement à ce que laisse entendre le défendeur, les notes personnelles du demandeur ne sont pas un élément de preuve supplémentaire qui aurait pu être présenté à l’agent. Comme elles font partie de l’affidavit du demandeur, elles visent à rendre compte de la procédure suivie par l’agente et, à ce titre, elles constituent un élément de preuve admissible aux fins du présent contrôle judiciaire, du moins quant aux questions de justice naturelle.

 

[14]           J’ai également examiné l’affidavit de l’agente, corroboré par les notes du STIDI, qui explique ce qui s’est passé durant l’entrevue. L’agente soutient avoir pris tout le temps nécessaire pour expliquer ses préoccupations au demandeur et pour lui donner, ainsi qu’à son épouse, la possibilité de répondre. Au vu des affidavits des deux parties et des deux pièces jointes ainsi que des notes du STIDI consignées par l’agente et de la décision finale, je suis convaincu que l’agente l’a effectivement fait. Les questions et les réponses indiquées dans les notes du STIDI sont claires et complètes, parfois même répétitives. Les réponses données par le demandeur et son épouse sont suffisamment précises pour ne soulever aucun doute quant à savoir s’ils auraient pu encore fournir plus de détails. En fait, les notes du STIDI révèlent que l’agente a même parfois reposé sa question ou qu’elle l’a reformulée.

 

[15]           De plus, rien n’indique que l’agente n’a pas abordé le cas du demandeur avec l’objectivité et l’esprit d’ouverture recommandés à l’article 13.1 du guide OP‑5 de Citoyenneté et Immigration Canada « Sélection et traitement à l’étranger des cas de réfugiés au sens de la Convention outre‑frontières et de personnes protégées à titre humanitaire outre‑frontières ». L’agente a mentionné dans son affidavit que le demandeur n’avait jamais dit au cours de l’entrevue que le taliban l’avait battu avec une arme à feu, mais plutôt qu’il avait dit avoir été battu et giflé par le taliban, ce qui lui a valu deux dents cassées et avoir toujours des cicatrices sur son front.

 

[16]           À mon avis, si le demandeur avait dit à un moment quelconque qu’il avait été battu avec une arme à feu, cela serait apparu quelque part dans les notes prises par l’agente à l’entrevue et consignées dans le STIDI le 24 novembre 2010. À cet égard, je suis d’accord avec la décision du juge Rouleau souvent citée Oei c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [2002] ACF 600, au paragraphe 42, où il écrit :

À mon avis, il convient d’accorder plus de poids au témoignage de l’agent des visas au sujet de ce qui s’est passé durant l’entrevue pour les raisons suivantes. D’une part, celui‑ci est corroboré par les notes qu’elle a retranscrites dans le système CAIPS, lesquelles ne font nulle mention de difficultés de communication avec le demandeur, alors qu’aucun élément ne vient appuyer ou confirmer les allégations du demandeur. En outre, les notes de l’agent ont été retranscrites dans le CAIPS le lendemain de l’entrevue du demandeur, soit le 21 mars 2001, alors que les événements étaient encore frais dans sa mémoire, et l’affidavit du demandeur date pour sa part du 31 août 2001, soit plus de cinq mois après l’entrevue. La contemporanéité des notes du CAIPS, qui corroborent le témoignage de l’agent, constitue à mon avis une raison suffisante de préférer son témoignage à celui du demandeur. Enfin, il convient de noter que ce n’est qu’une fois la décision rendue le 20 mars 2001 que le demandeur a soulevé une objection en ce qui concerne le fond et la forme de l’entrevue. Or, cette objection à la procédure devait à mon avis être soulevée in limine litis et ne pouvait être soulevée une fois la décision rendue, alors que l’intéressé s’est entièrement plié à la procédure qui a conduit à la décision. Dans ces circonstances, le demandeur ne peut donc s’en prendre qu’à lui‑même.

 

[17]           Je conclus en conséquence que l’agente n’a nullement contrevenu aux règles de justice naturelle.

 

            La conclusion défavorable de l’agente sur la crédibilité est raisonnable

[18]           La question déterminante quant à la décision contestée est la conclusion défavorable de l’agente sur la crédibilité, selon laquelle il n’était pas crédible que le demandeur et sa famille soient encore recherchés après douze ans, s’ils l’avaient déjà été. Le demandeur soutient que cette conclusion est arbitraire et frivole. Cependant, étant donné la preuve dont elle disposait, il était raisonnablement loisible à l’agente de parvenir à cette conclusion, laquelle n’appelle donc pas l’intervention de la Cour.

 

[19]           Le demandeur soutient qu’aucune conclusion défavorable quant à la crédibilité n’aurait dû être tirée parce que, selon les notes de l’agente, les réponses données par lui et son épouse à l’entrevue étaient cohérentes les unes avec les autres et qu’elles auraient dû corroborer les faits allégués dans leurs formulaires de demande. Cette allégation est manifestement sans fondement, car la conclusion sur la crédibilité à laquelle est parvenue l’agente reposait sur le manque de crédibilité du demandeur et de son épouse et non sur des contradictions ou des divergences quelconques dans leurs réponses.

 

[20]           De plus, il convient de noter que, dans leur demande de résidence permanente, le demandeur et son épouse n’avaient pas mentionné l’incident de 1998 et les menaces de la famille du qomandan dont ils avaient fait l’objet. Cet incident n’avait été porté à l’attention de l’agente que durant l’entrevue. À la question de l’agente visant à savoir pourquoi son formulaire de demande ne contenait pas l’histoire complète, le demandeur a répondu qu’il n’y avait pas assez de place dans le formulaire de demande et que son voisin, qui l’aidait à remplir sa demande, ne lui avait pas dit qu’il pouvait ajouter une page supplémentaire au formulaire. À mon avis, il n’était pas déraisonnable de la part de l’agente de rejeter cette explication.

 

[21]           Le demandeur prétend aussi que l’agente a commis une erreur en déclarant dans ses notes qu’il ne savait pas à quel groupe le qomandan appartenait. Le demandeur conteste cette conclusion en faisant valoir que son épouse et lui ont dit à l’agente que le qomandan recherché par le taliban était ouzbek, ce qui suffisait à identifier le groupe auquel il appartenait. Cependant, cet argument n’est pas pertinent quant à la conclusion générale d’invraisemblance et de manque de crédibilité, ce qui porte un coup fatal à la revendication, et, malheureusement pour le demandeur, la conclusion appartient aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit et est étayée par la preuve (Dunsmuir, précité, au paragraphe 47).

 

            L’évaluation de l’agente quant à l’allégation d’absence de  solution durable était raisonnable

 

[22]           Le demandeur soutient que l’agente a commis une erreur en décidant que le rapatriement volontaire constituerait une solution durable dans son cas parce que, en parvenant à cette conclusion, elle n’a pas considéré qu’en tant que membres d’une minorité ethnique et religieuse, le demandeur et sa famille sont encore exposés au risque de persécution. Le demandeur fait valoir que l’agente a également commis une erreur en ne tenant pas compte de manière appropriée du harcèlement et des mauvais traitements dont il fait l’objet de la part de la police locale dans son pays d’asile, le Pakistan. Une partie de ces allégations, toutefois, n’apparaissent pas dans les notes du STIDI et le défendeur les conteste, affirmant qu’elles n’ont pas été présentées à l’agente.

 

[23]           La question de savoir si, malgré la confirmation des conclusions sur la crédibilité, la Cour devait intervenir a fait l’objet de longs débats à l’audience, car, objectivement, les chiites hazaras sont exposés au risque d’être persécutés parce qu’ils avaient été particulièrement pris pour cible par le gouvernement taliban qui les considérait comme des « infidèles ». J’ai examiné les décisions citées par les deux parties relativement à cette question, particulièrement celles de la Cour Elyasi c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2010 CF 419, Saifee c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2010 CF 589 [Saifee], et Qarizada c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2008 CF 1310.

 

[24]           Je suis parvenu à la conclusion que, vu les faits particuliers de l’espèce, quelles que soient les attentes qui découlent du guide OP‑5, document qui n’est pas juridiquement contraignant, les conclusions de l’agente n’ont pas été tirées sans une connaissance raisonnable de la situation au pays (voir Cha c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2006 CAF 126, au paragraphe 15, Tshidind c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2006 CF 561, au paragraphe 9, et la décision Saifee, précitée, au paragraphe 31). Chaque affaire doit être tranchée sur le fondement de ses faits particuliers et, dans le cadre d’un contrôle judiciaire, il ne suffit pas pour établir le caractère déraisonnable d’une décision de présenter à la Cour des passages de la jurisprudence qui ont trait à un groupe en particulier, en l’espèce les Hazaras. La jurisprudence est utile pour attirer l’attention de la Cour sur le contexte particulier et parfois sur la situation très difficile d’un groupe, mais cela ne dispense pas le demandeur de démontrer que le décideur a fondé sa décision sur des conclusions de fait erronées tirées de manière abusive ou arbitraire ou sans égard à la preuve dont il disposait. Ce n’est pas le cas de la décision qui fait l’objet du présent contrôle, même si j’accepte d’examiner la preuve relative aux nouvelles allégations de fait contestées faites par le demandeur concernant le harcèlement par la police au Pakistan.

 

[25]           Il ressort clairement de la jurisprudence que, compte tenu du cadre légal du paragraphe 139(1) du Règlement, le demandeur a lui seul l’obligation de démontrer qu’« aucune possibilité raisonnable de solution durable n’est [à leur égard] réalisable dans un délai raisonnable dans un pays autre que le Canada » (Salimi c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2007 CF 872, au paragraphe 7; décision Qurbani, précitée, au paragraphe 18).

 

[26]           En l’espèce, l’agente n’a pas jugé vraisemblable la crainte d’être persécuté par le qomandan qu’a fait valoir le demandeur et celui‑ci n’a pas convaincu l’agente qu’il existait une autre raison pour laquelle il craignait avec raison d’être persécuté étant donné la situation réelle actuelle en Afghanistan. L’agente a donc raisonnablement fondé sa conclusion sur la situation réelle actuelle en ce qui a trait à la sécurité dans la ville de Kaboul et à l’exercice de rapatriement volontaire à grande échelle de l’UNHCR. De plus, l’agente est parvenue à cette conclusion en l’absence d’une preuve précise à l’appui de la prétention du demandeur selon laquelle il serait persécuté comme hazara.

 

[27]           Il ressort également de la jurisprudence que la conclusion appropriée de l’agente sur la crédibilité générale peut justifier qu’elle n’ait pas traité de toutes les questions (Alakozai c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2009 CF 266). Ayant conclu que le demandeur n’appartenait pas à la catégorie des réfugiés au sens de la Convention outre‑frontières et que sa famille et lui pouvaient raisonnablement se prévaloir de la première solution durable, l’agente n’avait pas à évaluer la deuxième solution durable pour décider si l’intégration dans le pays d’asile était possible pour eux.

 

            La conclusion sur les raisons pour lesquelles le demandeur voulait s’établir au Canada est raisonnable

 

[28]           Le demandeur conteste la conclusion que les raisons pour lesquelles il ne voulait pas retourner en Afghanistan étaient essentiellement de nature économique et qu’elles étaient liées à son désir d’une meilleure vie pour sa famille, plutôt qu’à un risque réel d’être persécuté. Encore une fois, le point de vue du demandeur équivaut ni plus ni moins à un désaccord avec la conclusion de l’agente, car cette conclusion pouvait raisonnablement être tirée de la preuve.

 

[29]           Le demandeur fait valoir que, pendant l’entrevue, ni son épouse ni lui n’ont fait état d’une telle raison pour ne pas envisager leur retour en Afghanistan. Cependant, le demandeur a bel et bien mentionné à l’agente qu’il ne désirait pas contraindre ses enfants à retourner en Afghanistan puisqu’ils avaient accès à l’éducation au Pakistan. Il a également confirmé qu’il désirait aller dans un pays où sa famille pouvait avoir une meilleure vie. Au risque de me répéter, la conclusion de l’agente sur les raisons pour lesquelles le demandeur voulait s’établir au Canada est étayée par sa décision générale défavorable quant à la crédibilité et est par conséquent objectivement raisonnable.

 

            La conclusion sur la crédibilité est déterminante

[30]           Le demandeur fait valoir que l’agente a commis une erreur en n’évaluant pas ses compétences professionnelles et celles de son épouse ainsi que leur capacité à s’établir avec succès au Canada et en ne tenant pas compte du fait que des membres de leur famille au Canada ont signé un parrainage de groupe avec l’Association éducative transculturelle à Sherbrooke, au Québec.

 

[31]           Or, ce n’est pas parce que l’agente n’a pas procédé à cette évaluation que sa décision est déraisonnable. Je conviens avec le défendeur que l’agente n’était pas tenue de déterminer s’il était satisfait aux exigences prévues aux alinéas 139(1)f) et g) du Règlement, car elle avait déjà conclu que le demandeur n’appartenait à aucune des catégories visées à l’alinéa 139(1)e) du Règlement. En fait, comme le juge Tremblay Lamer l’a déclaré dans la décision Sivakumaran, précitée, au paragraphe 31 :

Il n’est pas nécessaire d’examiner la raisonnabilité de la décision de l’agent sur ce point, étant donné que j’ai déjà établi qu’il avait raisonnablement conclu, en raison de ses doutes en matière de crédibilité et de l’absence d’explication sur le fondement de la crainte, que la demanderesse n’appartenait ni à la catégorie des réfugiés au sens de la Convention outre‑frontières ni à celle des personnes des pays d’accueil. Cette conclusion est déterminante. L’exigence que la demanderesse fasse « partie d’une catégorie établie dans la présente section », énoncée à l’alinéa 139(1)e) du Règlement, n’a pas été remplie, et le rejet de la demande de visa de résident permanent qui en résulte n’est pas susceptible de contrôle, que l’exigence prescrite à l’alinéa 139(1)g) ait été remplie ou non.

 

 

[32]           La présente demande de contrôle judiciaire est par conséquent rejetée. Aucune question de portée générale n’a été proposée par les avocats et aucune ne sera certifiée.


JUGEMENT

            LA COUR STATUE que la présente demande de contrôle judiciaire est rejetée. Aucune question n’est certifiée.

 

« Luc Martineau »

Juge

 

 

 

 

Traduction certifiée conforme

Sandra de Azevedo, LL.B.

 

 


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

DOSSIER :                                                    IMM‑4740‑11

 

 

INTITULÉ :                                                   NIZAMUDDIN KARIMZADA c
LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ
ET DE L’IMMIGRATION

 

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                             Montréal (Québec)

 

DATE DE L’AUDIENCE :                           Le 1er février 2012

 

MOTIFS DU JUGEMENT :                        LE JUGE MARTINEAU

 

DATE DES MOTIFS :                                  Le 8 février 2012

 

 

 

COMPARUTIONS :

 

Maria Stamatelos

 

POUR LE DEMANDEUR

 

Thi Mi Dung Tran

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Waïce Ferdoussi Attorney Company

Montréal (Québec)

 

POUR LE DEMANDEUR

 

Myles J. Kirvan

Sous‑procureur général du Canada

Montréal (Québec)

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

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