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Date : 20120208


Dossier : IMM-3046-11

Référence : 2012 CF 145

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 8 février 2012

En présence de monsieur le juge Martineau

 

 

ENTRE :

 

HUANG, ZHAI NING

 

 

 

demandeur

 

et

 

 

 

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

 

 

défendeur

 

 

 

 

 

           MOTIFS DE JUGEMENT ET JUGEMENT

 

[1]               C’est la deuxième fois que le demandeur conteste la légalité d’une décision par laquelle l’ambassade du Canada en Chine a refusé de lui délivrer un permis de travail. La décision contestée, datée du 21 avril 2011, conclut encore une fois que le demandeur n’a pas convaincu l’agent des visas qu’il quittera le Canada d’ici la fin de son séjour autorisé. Par conséquent, le demandeur n’est pas un véritable résident temporaire aux termes des articles 197 et 200 du Règlement sur l’immigration et la protection des réfugiés, DORS/2002-227.

 

[2]               Le demandeur, un citoyen chinois qui est cuisinier au Tibet, a été recruté pour travailler dans un restaurant cantonais en Alberta aux termes d’un contrat de deux ans. Il est âgé de 35 ans, est célibataire et n’a pas d’enfants. La belle-mère du demandeur ainsi que trois de ses sœurs vivent en Alberta. Il a également un frère et une sœur qui résident au Tibet. En février 2007, il a déposé une demande de permis de travail, qui a été refusée. Il a déposé une deuxième demande en janvier 2010, qui a également été refusée. En janvier 2011, la Cour a annulé la décision de l’agent et a renvoyé la demande à un autre agent pour qu’il statue à nouveau sur l’affaire. Le demandeur a dû présenter de nouveau toute la preuve documentaire à l’appui et mettre sa demande à jour. Le demandeur a présenté une nouvelle demande et le 21 avril 2011, il a essuyé un autre refus, ce qui a mené à la présente demande de contrôle judiciaire.

 

[3]               Ceci étant dit, l’agent des visas a expressément tenu compte de la déclaration du demandeur attestant de la mise en garde faite au demandeur par son employeur canadien éventuel relativement aux conséquences d’une infraction au permis de travail. L’agent des visas n’a pas envisagé d’interroger le demandeur. Pour l’essentiel, l’agent des visas a conclu que le demandeur pourrait être remplacé facilement à son emploi précédent; son revenu se situait dans la partie inférieure de l’échelle de la société chinoise; il n’a pas présenté d’éléments de preuve d’actifs en Chine, outre un dépôt expiré de 30 000 yuan dans un livret bancaire; il n’a pas produit d’éléments de preuve de voyages internationaux; il est demeuré enregistré dans la province de Guangdong malgré le fait qu’il travaillait et vivait au Tibet; et il avait de la famille au Canada dans la ville où il travaille. Compte tenu de ces preuves, l’agent des visas a déterminé que le demandeur n’avait pas prouvé qu’il était bien établi en Chine. L’agent des visas a également relevé qu’il était financièrement avantageux pour le demandeur de travailler au Canada et l’effet d’attraction que représente la présence de ses sœurs au Canada. Par conséquent, l’agent n’était pas convaincu que le demandeur quittera le Canada à la fin de son séjour autorisé et a donc refusé sa demande de permis de travail.

 

[4]               La norme de contrôle judiciaire des décisions des agents des visas en matière de permis de travail temporaire est celle de la raisonnabilité et il convient de faire preuve d’une grande retenue à l’égard de la décision de l’agent des visas (Dunsmuir c Nouveau-Brunswick, 2008 CSC 9; Tang c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2008 CF 1284; Ngalamulume c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2009 CF 1268, aux paragraphes 15 et 16). Toutefois, la question de savoir si l’équité procédurale exigeait que l’agent des visas mène une entrevue devrait être appréciée à la lumière de la norme de la décision correcte (Bravo c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2010 CF 411, au paragraphe 9).

 

[5]               J’ai statué que la demande de contrôle judiciaire doit être rejetée. Bien qu’à l’audience devant la Cour, l’avocat du demandeur a remis en question le caractère raisonnable de chacune des conclusions de fait mentionnées dans les notes du STIDI, il est plus utile de regrouper par thèmes les principaux arguments formulés par le demandeur à cet égard. En outre, je tiens à souligner dès le départ que le fait que la demande de contrôle judiciaire précédente a été accueillie par la Cour ne constitue pas un élément déterminant. De fait, je suis tout à fait convaincu que l’agent des visas, une personne différente, a jeté un regard neuf à la preuve présentée avant de rendre une nouvelle décision.

 

Défaut d’interroger le demandeur

[6]               Le demandeur allègue qu’une entrevue était nécessaire dans son cas. Il soutient que dans les cas où la demande établit l’inadmissibilité à sa face même, une étude sur dossier est suffisante, mais que si un agent tire une conclusion en supposant qu’un demandeur commettra une infraction en prolongeant indûment son séjour, une entrevue devrait être menée. Aucune corroboration autre que celle qui avait été fournie (soit l’offre d’emploi au Canada) n’était nécessaire dans les circonstances. Une entrevue était également justifiée du fait de la mention, par l’agent des visas, du billet de banque présenté par le demandeur comme preuve de son actif. L’agent des visas a noté que le billet de banque expirait en novembre 2010 et que le demandeur n’avait pas fait la preuve d’épargnes ou de fonds avec d’autres documents. Le demandeur fait valoir que si l’agent s’était vraiment demandé où se trouve l’argent, le demandeur aurait pu être convoqué à une entrevue pour le lui dire. Le demandeur prétend que comme son passeport était en cours de renouvellement et ne pouvait donc être présenté, l’agent a commis l’erreur de conclure négativement parce que le demandeur semblait être encore enregistré à Guangdong, tout en résidant et en travaillant au Tibet. La justice naturelle commande que cette « apparence » nécessiterait une confirmation sous forme de lettre ou d’entrevue. 

 

[7]               Les arguments du demandeur ne sont pas convaincants. La jurisprudence enseigne que lorsqu’un demandeur ne s’acquitte pas de la charge de présentation de la preuve qui consiste à convaincre l’agent des visas qu’il quittera le Canada à la fin de son séjour autorisé, une entrevue ne constitue pas une obligation prévue par la loi. C’est aux demandeurs qu’il incombe de s’acquitter du fardeau de fournir aux agents des visas des demandes complètes (Lu c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2002 CFPI 440, au paragraphe 11; Dhillon c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2009 CF 614, aux paragraphes 30 à 32; Bonilla c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2007 CF 20, au paragraphe 22 [Bonilla]). Règle générale, si un agent possède de l’information extrinsèque dont le demandeur n’est pas au courant, ce dernier devrait avoir l’occasion de dissiper chez l’agent les réserves découlant de cette preuve (Ling c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2003 CF 1198, au paragraphe 16; Chow c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2001 CFPI 996, au paragraphe 14). Il existe une exception similaire dans le cas où la conclusion de l’agent est fondée sur une considération subjective plutôt que sur une preuve objective (Bonilla, précitée, au paragraphe 27; Yuan c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [2001] ACF 1852, au paragraphe 12). Ce n’est pas le cas en l’espèce. Dans le cas qui nous occupe, l’agent des visas s’est fondé seulement sur les documents présentés ou connus par le demandeur; par conséquent, il n’était pas tenu de tenir une entrevue. Le billet de banque expiré et l’absence de tout autre dossier ou document financier confirmant la résidence et l’enregistrement constituent, comme tels, des éléments pertinents pour évaluer la capacité financière du demandeur et son degré d’établissement en Chine (par exemple, le demandeur ne possède pas de maison en Chine). L’agent des visas n’a donc pas commis d’erreur susceptible de révision à cet égard.

La prise en compte d’un incitatif financier

[8]               Le demandeur prétend en outre que l’agent des visas n’a pas établi de lien entre son appréciation et sa conclusion selon laquelle le séjour du demandeur dépasserait la durée de son permis de travail temporaire. Il allègue que le fait d’avoir un incitatif financier pour demeurer au Canada n’est pas illégal et ne constitue pas nécessairement un indice d’un désir de demeurer illégalement au pays. Pour étayer ce point de vue, le demandeur invoque Cao c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2010 CF 941 [Cao], arrêt dans lequel la Cour a déclaré qu’un incitatif financier, présent dans pratiquement tous les cas de demandes de permis de travail temporaire, ne peut être retenu contre le demandeur. De plus, le demandeur affirme que l’agent des visas doit tenir compte de la différence entre le coût de la vie au Canada et celui en Chine.

 

[9]               En fait, la Cour a souligné à maintes reprises qu’un incitatif financier ne peut, en soi, justifier le refus d’une demande (Rengasamy c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2009 CF 1229; Cao, précité). Ce facteur ne peut écarter tous les autres éléments de preuve produits par le demandeur. Toutefois, un examen des notes du STIDI de l’agent des visas révèle que ce dernier n’a pas accordé un poids démesuré à ce facteur – il a été pris en compte à la lumière du manque de preuve établissant les liens familiaux ou financiers du demandeur avec la Chine. Il n’y a pas d’erreur susceptible de révision dans ce cas.

 

Tirer une conclusion défavorable de l’absence de voyages internationaux

[10]           Le demandeur conteste l’argument de l’agent des visas selon lequel il est possible de tirer une conclusion défavorable de l’absence de voyages internationaux par le demandeur. Le demandeur invoque Ogunfowora  c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2007 CF 471, au paragraphe 42, pour faire valoir que bien que l’absence de voyages peut constituer un facteur qui « n’aidait pas les demandeurs, en revanche, cet aspect ne nuit pas à leur demande, étant donné qu’ils n’ont aucun antécédent défavorable en matière de voyages. Ainsi, à lui seul, ce facteur ne pouvait être assez convaincant pour l’emporter sur les solides éléments de preuve contraires. » Le demandeur soutient que cet argument a été avancé dans la première demande, puis confirmé par la Cour.

 

[11]           Dans les notes du STIDI, l’agent des visas affirmait : [traduction] « Le demandeur n’a pas présenté de preuve de voyages internationaux antérieurs. Les voyages internationaux constituent une preuve de richesse en Chine et il s’agit de l’un des facteurs dont je tiens compte lorsque j’évalue si un demandeur est établi. » L’historique de voyages d’un demandeur, qui ne peut prévaloir sur de solides éléments de preuve à l’effet contraire ni nuire au demandeur, demeure toutefois un facteur pertinent à prendre en compte (Obeng c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2008 CF 754, au paragraphe 13). En l’espèce, le demandeur n’a pas établi l’existence de liens économiques ou familiaux suffisants avec son pays, avait une source de revenu symbolique et ne disposait pas de preuves d’épargnes vérifiables. L’agent des visas s’est penché sur l’historique des voyages du demandeur pour étayer une conclusion d’établissement, et non pour tirer une telle conclusion. Ce n’était pas une erreur susceptible de révision.

 

Ignorer la déclaration du demandeur

[12]           Le demandeur conteste également le défaut de l’agent des visas d’accorder un poids approprié à la déclaration du demandeur qui n’a été ni contestée ni remise en question. Cette déclaration traitait de la question de prolonger illégalement la durée du permis de travail et fait état de la compréhension manifeste qu’a le demandeur des conséquences de le faire, et de son engagement à quitter lorsque ce sera nécessaire.

 

[13]           La Cour a reconnu que des déclarations de ce genre, bien qu’elles ne soient pas banales, ne peuvent être présumées véridiques et doivent être considérées à la lumière de la totalité de la preuve et de la situation personnelle du demandeur; les considérer autrement équivaudrait à une politique selon laquelle une déclaration suffirait pour prouver qu’un demandeur ne prolonge pas indûment la durée de son permis (Cao, précité, au paragraphe 13). Dans les notes du STIDI, l’agent des visas a reconnu les déclarations du demandeur et a déterminé que [traduction] « ces déclarations ne sont cependant pas désintéressées et leur application ne pourrait lui être imposée ». La Cour estime qu’il ne s’agit pas d’une conclusion déraisonnable.

 

[14]           En dernière analyse, la Cour conclut que l’agent des visas a examiné toute la preuve mise à sa disposition et que sa décision n’est pas déraisonnable. Il incombait au demandeur de prouver qu’il quitterait le Canada d’ici la fin de son séjour autorisé. En clair, l’agent des visas n’avait pas à conclure que le demandeur dépasserait la durée de son séjour autorisé. Tout argument selon lequel la bonne foi et la crédibilité du demandeur auraient dû être prises en compte est mal fondé en l’espèce. L’agent des visas n’a pas tiré de conclusion contraire comme on peut l’interpréter à la lecture des notes du STIDI. En outre, il ne s’agit pas d’un facteur qui favorise le demandeur ou qui écarterait par ailleurs les préoccupations pertinentes (Donkor c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2011 CF 141, au paragraphe 13).

 

[15]           L’agent des visas pouvait à bon droit évaluer l’établissement du demandeur en Chine eu égard à son emploi, à ses économies et à ses liens familiaux. L’agent des visas a tenu compte du fait que le demandeur était un homme célibataire qui a de la famille au Canada, n’a pas de personnes à charge, n’a pas d’emploi en Chine advenant son retour dans ce pays et n’a pas d’actifs. L’agent n’a pas tiré de conclusions déraisonnables et son défaut de tenir une entrevue avec le demandeur ne constituait pas une violation de la justice naturelle. Tel qu’il a déjà été mentionné, l’obligation d’équité n’exige pas nécessairement la tenue d’une audience dans tous les cas et la décision de ne pas dialoguer avec le demandeur n’était pas incorrecte dans les circonstances.

 

[16]           La présente demande de contrôle judiciaire est par conséquent rejetée. Aucune question de portée générale n’a été proposée à la Cour par les avocats.


JUGEMENT

LA COUR STATUE que la demande de contrôle judiciaire est rejetée. Aucune question n’est certifiée.

 

« Luc Martineau »

Juge

 

 

Traduction certifiée conforme

Claude Leclerc, LL.B.


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

DOSSIER :                                        IMM-3046-11

 

INTITULÉ :                                       HUANG, ZHAI NING c.

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                 Montréal (Québec)

 

DATE DE L’AUDIENCE :               Le 1er février 2012

 

MOTIFS DU JUGEMENT :            LE JUGE MARTINEAU

 

DATE DES MOTIFS :                      Le 8 février 2012

 

 

COMPARUTIONS :

 

Jean-François Bertrand

 

POUR LE DEMANDEUR

 

Sébastien Da Sylva

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Bertrand, Deslauriers

Montréal (Québec)

 

POUR LE DEMANDEUR

Myles J. Kirvan,

Procureur général adjoint du Canada

Montréal (Québec)

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

 

 

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