Décisions de la Cour fédérale

Informations sur la décision

Contenu de la décision

Date : 20120213

Dossier : IMM‑3821‑11

Référence : 2012 CF 208

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 13 février 2012

En présence de monsieur le juge Mosley

 

 

ENTRE :

 

EKOMOBONG AKPAN OBOT

 

 

 

demandeur

 

et

 

 

 

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

 

 

 

 

 

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

[1]               Le demandeur, M. Ekomobong Alpan Obot, est un étudiant diplômé de 25 ans provenant du Nigéria. À trois occasions, en 2010 et 2011, il a demandé un visa pour lui permettre de poursuivre ses études au Canada. Ses demandes ont toutes été refusées au motif qu’il était improbable qu’il retourne au Nigéria à la fin de ses études.

 

[2]               M. Obot sollicite, en vertu de l’article 72 de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, ch. 27, le contrôle judiciaire de la décision rendue le 5 mai 2011 par une agente de l’immigration à l’ambassade du Canada à Vienne. Pour les motifs qui suivent, la demande est accueillie.

 

LE CONTEXTE

 

[3]               M. Obot est de la région du delta du Niger, située dans le Sud du Nigéria et dans laquelle demeurent ses parents, ses frères et sœurs ainsi que sa famille étendue. Sa mère est une infirmière agréée employée dans une université. Un oncle maternel est un contre‑amiral à la retraite de la marine nigériane. Son père a eu une longue carrière au sein du gouvernement et est actif en politique et dans les affaires.

 

[4]               Le dossier indique que M. Obot et ses parents accordent une grande importance aux études. Le père a obtenu des diplômes de premier cycle et d’études supérieures dans une université américaine. Après avoir travaillé pendant quelques années aux États‑Unis, il est retourné au Nigéria avec sa famille. Après ses études secondaires, le demandeur a été envoyé en Europe pour étudier. De 2006 à 2009, il a fréquenté l’Académie des études économiques de Bucarest et a obtenu un B.Sc en commerce international et en économie. Il a ensuite fréquenté l’École de commerce international de Budapest, laquelle est affiliée à l’Université Oxford Brookes au Royaume‑Uni, et a obtenu une maîtrise en ressources humaines et en gestion en 2011.

 

[5]               Durant ses études à l’étranger, le demandeur n’est pas rentré au Nigéria. Lors des vacances estivales, il visitait des parents au Royaume‑Uni. Il n’a pas travaillé, sauf un été au cours duquel il a été bénévole dans ce pays. Ses parents ont payé ses frais d’études et ses frais de subsistance.

 

[6]               Le demandeur a fait une demande d’admission au programme de pré‑maîtrise en administration des affaires à l’Université Trinity Western en Colombie‑Britannique. Selon la description qu’en donne l’Université, il s’agit d’un programme d’études supérieures devant permettre aux candidats d’acquérir les habiletés requises pour mener à bien une maîtrise en administration des affaires, notamment les habiletés langagières.

 

[7]               M. Obot a reconnu que sa demande de visa de visiteur au Royaume‑Uni a été d’abord refusée. Son visa lui a été accordé après un nouvel examen. Rien n’indique que le demandeur ait manqué aux conditions de ce visa en prolongeant indûment son séjour. Sa demande de visa d’étude aux États‑Unis a été refusée pour des motifs qui ne sont pas au dossier. Outre les trois demandes officielles de visa d’étude au Canada, le demandeur a demandé deux réexamens. Hormis la décision qui nous occupe, aucune autre décision rejetant ses demandes de visa n’a à ce jour fait l’objet d’une demande de contrôle judiciaire.

 

LA DÉCISION CONTRÔLÉE

 

[8]               La lettre de décision datée du 6 mai 2011 indique que la demande a été rejetée parce que l’agente ne croyait pas que le demandeur quitterait le Canada à la fin de son séjour. Voici un extrait des notes de l’agente ayant été versées dans le dossier certifié du tribunal :

[traduction]

Le demandeur a terminé des études en Roumanie et en Hongrie. Il n’est établi dans aucun de ces deux pays, il a terminé ce qu’il devait y faire et n’a aucune raison d’y retourner après son séjour au Canada. Quant à son pays d’origine, le demandeur n’a pas résidé au Nigéria depuis 2006. Il n’a pas d’enfant, ni bien ni carrière susceptible de l’inciter à retourner dans son pays. Plusieurs documents d’appui ont été soumis par le père qui appartient au parti politique national qui a emporté la dernière élection le 11 avril. L’examen de la situation au Nigéria montre que les résultats des élections ont été contestés par l’opposition, ce qui a donné lieu à des émeutes et a causé des morts (550 selon les estimations de la Croix Rouge internationale). Le pays est à l’évidence divisé en deux depuis les élections et instable en ce moment. Étant donné l’absence de liens avec la Roumanie, la Hongrie ou le Nigéria et la situation au Nigéria en ce moment, je n’estime pas que la preuve permet de conclure que le demandeur quittera le Canada à la fin de la période autorisée pour son séjour. La demande est rejetée.

 

 

LES QUESTIONS EN LITIGE

 

[9]               La présente demande soulève les questions suivantes :

a.       la question de savoir si les pièces jointes au deuxième affidavit du demandeur sont admissibles en preuve, bien que cette preuve n’ait pas été présentée à l’agente;

b.      la question de savoir si la décision de l’agente était raisonnable.

 

LA LÉGISLATION PERTINENTE

 

[10]           L’alinéa 20(1)b) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27, est rédigé comme suit :

20. (1) L’étranger non visé à l’article 19 qui cherche à entrer au Canada ou à y séjourner est tenu de prouver :

 

 

b) pour devenir un résident temporaire, qu’il détient les visa ou autres documents requis par règlement et aura quitté le Canada à la fin de la période de séjour autorisée.

20. (1) Every foreign national, other than a foreign national referred to in section 19, who seeks to enter or remain in Canada must establish,

 

(b) to become a temporary resident, that they hold the visa or other document required under the regulations and will leave Canada by the end of the period authorized for their stay.

 

[11]           L’alinéa 216(1)b) de la Règlement sur l’immigration et la protection des réfugiés, DORS/2002‑227 (le Règlement), est rédigé comme suit :

216. (1) Sous réserve des paragraphes (2) et (3), l’agent délivre un permis d’études à l’étranger si, à l’issue d’un contrôle, les éléments suivants sont établis :

 

 

b) il quittera le Canada à la fin de la période de séjour qui lui est applicable au titre de la section 2 de la partie 9;

216. (1) Subject to subsections (2) and (3), an officer shall issue a study permit to a foreign national if, following an examination, it is established that the foreign national

 

(b) will leave Canada by the end of the period authorized for their stay under Division 2 of Part 9;

 

 

ANALYSE

 

           

La norme de contrôle

 

[12]           Les parties conviennent et je suis d’accord que la décision d’un agent d’immigration fondée sur la croyance que le demandeur ne quittera pas le Canada à la fin de son séjour est une question mixte de fait et de droit. La norme de contrôle applicable est par conséquent celle de la raisonnabilité : Loveridge c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2011 CF 694, au paragraphe 10, et Patel c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2009 CF 602, au paragraphe 28.

 

[13]           Comme la Cour suprême du Canada l’a indiqué récemment dans Newfoundland and Labrador Nurses’ Union c Terre‑Neuve‑et‑Labrador (Conseil du Trésor), 2011 CSC 62, l’examen de la suffisance des motifs ne fait pas entrer en jeu la question de l’équité procédurale, question qui appellerait l’application de la norme de la décision correcte; la Cour peut compléter les motifs en consultant le dossier et la déférence devrait être accordée lorsque le tribunal a bien saisi la question en litige et qu’il est parvenu à un résultat faisant sans aucun doute partie des issues possibles raisonnables.

 

[14]           Le caractère raisonnable d’une décision tient à sa justification, à sa transparence et à l’intelligibilité du processus décisionnel ainsi qu’à l’appartenance de la décision aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit : Dunsmuir c Nouveau‑Brunswick, 2008 CSC 9, au paragraphe 47.

 

Les nouveaux éléments de preuve sont‑ils admissibles?

 

[15]           De façon préliminaire, le défendeur s’oppose à l’admission du second affidavit présenté par le demandeur à l’appui de la réponse de ce dernier à l’exposé des arguments du défendeur parce que des lettres du père et de l’oncle, qui visent à réfuter les déclarations de l’agente sur la situation qui règne au Nigéria, y sont jointes. Comme l’agente ne bénéficiait pas de ces lettres au moment de rendre sa décision, elles sont présumées inadmissibles : Première nation d’Ochapawace c Canada (Procureur général), 2007 CF 920, confirmée par 2009 CAF 124.

 

[16]           Cependant, la Cour peut, en considérant les facteurs énoncés dans MacKay c Canada (Procureur général) (1997), 129 FTR 286, admettre de nouveaux éléments de preuve lorsqu’ils concernent l’équité procédurale et la compétence.

 

[17]           En l’espèce, je suis convaincu que la preuve doit être admise, car elle porte sur une conclusion ayant trait à la situation régnant au Nigéria, à laquelle l’agente est parvenue en se fondant sur des éléments de preuve extrinsèques et sans inviter le demandeur à y répondre. Ces faits soulèvent la question de savoir si le demandeur a bénéficié de l’équité procédurale.

 

La décision de l’agente était‑elle raisonnable?

 

[18]           Il était loisible à l’agente de tenir compte du fait que le demandeur n’avait pas vécu au Nigéria depuis 2006 et qu’il n’y était pas retourné pour visiter sa famille pendant ses vacances d’études en Europe. Comme l’a déclaré le juge de Montigny dans Doret c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2009 CF 447, au paragraphe 25, il est pertinent de considérer le fait qu’un demandeur n’est pas rentré dans son pays d’origine à la conclusion de voyages à l’étranger.

 

[19]           Le demandeur et son père ont expliqué pourquoi le demandeur n’était pas retourné chez lui : sa famille voulait qu’il se concentre sur ses études sans distraction. Bien que cela puisse peut‑être sembler inusité dans le monde occidental, cela l’est peut‑être moins en Afrique de l’Ouest. Quoi qu’il en soit, rien n’indique dans le dossier que l’agente s’est demandé si l’explication était raisonnable ou non.

 

[20]           En ce qui a trait aux liens du demandeur avec le Nigéria, les motifs de l’agente ne sont pas transparents, justifiés et intelligibles. Le demandeur a vingt‑cinq ans et est un étudiant, il est donc normal qu’il n’ait pas [traduction] « de conjointe, d’enfants ou de biens » au Nigéria ou ailleurs. De plus, l’agente n’a considéré ni le fait que toute la famille du demandeur vit au Nigéria, ni la force de ses liens avec sa famille : Onyeka c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2009 CF 336, aux paragraphes 21 et 22; Li c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2008 CF 1284, au paragraphe 30, et Zhang c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2003 CF 1493 aux paragraphes 21 et 22.

 

[21]           Il ne ressort pas des motifs de l’agente qu’elle a considéré le fait que le demandeur n’a aucun lien avec le Canada et aucune famille au Canada. Contrairement à la situation dans Doret, ci‑dessus, il a voyagé hors de son pays et, jusqu’à maintenant, son dossier révèle qu’il retourne dans les pays où il est un résident temporaire pendant qu’il poursuit ses études. De plus, il n’a eu aucune difficulté avec les autorités pendant qu’il vivait dans ces pays. Il me semble que ce dossier ne peut être utilisé pour soutenir l’inférence qu’il n’a pas l’intention de retourner au Nigéria après avoir terminé ses études.

 

[22]           En ce qui a trait à la situation au Nigéria, rien dans le dossier certifié du tribunal n’étaye l’affirmation de l’agente selon laquelle le pays est divisé. La question n’a pas été portée à l’attention du demandeur et celui‑ci n’a donc pas eu l’occasion de présenter des observations sur cette question. En fait, rien n’indique dans la décision communiquée au demandeur que l’agente a tenu compte du facteur de la situation actuelle au Nigéria pour rejeter la demande de visa. Le raisonnement n’apparaît que dans les notes de l’agente. La décision de l’agente doit reposer sur la preuve : Zuo c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2007 CF 88, au paragraphe 12, et Dunsmuir, ci‑dessus, au paragraphe 47.

 

[23]           Le défendeur soutient qu’il était loisible à l’agente de s’appuyer sur sa connaissance de la situation qui règne au Nigéria, et il invoque Baylon c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2009 CF 938, à l’appui de cet argument. Dans Baylon, le juge de Montigny a accepté qu’un agent considère une preuve sur les conditions générales régnant dans le pays, mais a estimé que la preuve extrinsèque n’était ni corroborée, ni appuyée de documents et qu’elle n’était pas pertinente. Au paragraphe 34, il écrit : « [l]es généralisations et simplifications excessives de ce genre ne peuvent ni ne doivent former la base d’un examen qui doit toujours être individuel et fondé sur la situation particulière de la personne en cause ». En l’espèce, l’agente est tombée dans le piège d’une généralisation et d’une simplification excessives et n’a pas procédé à un examen individuel.

 

[24]           Quoique je sois d’accord avec le défendeur que les agents d’immigration en viennent à très bien connaître la situation qui règne dans les pays à partir desquels les demandes de visa sont présentées, ces connaissances ne relèvent pas de la [traduction] « connaissance judiciaire » comme il a été soutenu en plaidoirie. Ce concept, dans la mesure où il peut s’appliquer aux décisions administratives, ne pourrait intervenir que lorsque nul ne conteste les faits. En l’espèce, il est clair qu’il existe une différence d’opinions quant à la situation qui règne au Nigéria et quant à la question de savoir si cela pourrait avoir une incidence sur le retour futur du demandeur dans ce pays.

 

[25]           En conclusion, j’estime que la décision de rejeter la demande de visa d’étudiant du demandeur était déraisonnable et j’ordonnerai que l’affaire soit renvoyée à un autre agent pour qu’il procède à un nouvel examen en conformité avec les présents motifs.

 

[26]           Les parties n’ont proposé aucune question de portée générale et aucune n’est certifiée.

 


JUGEMENT

LA COUR ORDONNE que la demande soit accueillie et que l’affaire soit renvoyée à un autre agent d’immigration pour qu’il procède à un nouvel examen conformément aux motifs du présent jugement. Aucune question n’est certifiée.

 

 

« Richard G. Mosley »

Juge

 

 

 

 

Traduction certifiée conforme

Chantal DesRochers, LL.B., D.E.S.S. en trad.

 

 


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

DOSSIER :                                                    IMM‑3821‑11

 

INTITULÉ :                                                  EKOMOBONG AKPAN OBOT

 

                                                                        et

 

                                                                        LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

                                                                        ET DE L’IMMIGRATION

 

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                          Vancouver (Colombie‑Britannique)

 

DATE DE L’AUDIENCE :                         Le 1er février 2012

 

MOTIFS DU JUGEMENT

ET JUGEMENT :                                        LE JUGE MOSLEY

 

DATE DES MOTIFS :                                 Le 13 février 2012

 

 

COMPARUTIONS :

 

Malvin J. Harding

 

POUR LE DEMANDEUR

 

Edward Burnet

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Malvin J. Harding

Avocats

Surrey (Colombie‑Britannique)

 

POUR LE DEMANDEUR

 

Myles J. Kirvan

Sous‑procureur général du Canada

Vancouver (Colombie‑Britannique)

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

 Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.