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Date : 20120208

Dossier : IMM‑3344‑11

Référence : 2012 CF 179

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 8 février 2012

En présence de M. le juge Russell

 

 

ENTRE :

 

JOAO GUILHERME RIBEIRO GADELHA SIMAS REIS

 

 

 

demandeur

 

et

 

 

 

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L’IMMIGRATION

 

 

 

défendeur

 

 

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

INTRODUCTION

[1]               La Cour est saisie d’une demande présentée en vertu du paragraphe 72(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27 (la Loi), en vue d’obtenir le contrôle judiciaire de la décision datée du 27 avril 2011 (la décision) par laquelle une agente principale d’immigration (l’agente) a refusé la demande que le demandeur lui avait présentée. Celui‑ci cherchait à être dispensé de l’obligation imposée par le paragraphe 11(1) de la Loi de présenter sa demande de résidence permanente de l’étranger sur le fondement du paragraphe 25(1) de la Loi en raison de considérations d’ordre humanitaire.

CONTEXTE

[2]               Le demandeur est citoyen du Brésil âgé de 33 ans. Il est homosexuel et vit au Canada depuis 1998. Il est d’abord entré au Canada muni d’un visa de visiteur pour étudier à l’Université York, mais il a abandonné ses études en 2002. Son visa venait à expiration en 2003, mais il est demeuré au Canada sans autorisation.

[3]               Le demandeur a de la famille au Brésil, dont sa mère, une tante et trois cousins. Il affirme qu’il n’a plus de contact avec sa mère parce qu’elle n’accepte pas son homosexualité. Son père est décédé. Il a également plusieurs membres de sa famille au Canada, dont une tante, un oncle et deux cousins, dont l’un est son filleul. Il compte aussi beaucoup d’amis au Canada. Le demandeur souhaite demeurer au Canada pour demeurer en contact avec sa famille et sa collectivité.

[4]               Le 21 mai 2010, Citoyenneté et Immigration Canada (CIC) a reçu une demande de dispense présentée par le demandeur en vertu du paragraphe 25(1) de la Loi, que l’agente a examinée. Dans les motifs qu’elle a rédigés le 27 avril 2011, l’agente a rejeté la demande de dispense. Elle a expliqué que les éléments de la demande du demandeur n’étaient pas suffisants pour démontrer qu’il serait exposé à des difficultés inhabituelles et injustifiées ou démesurées s’il était contraint de présenter sa demande de résidence permanente de l’étranger. L’agente a avisé le demandeur de sa décision par lettre datée du 27 avril 2011.

DÉCISION CONTESTÉE

[5]               L’agente a commencé son analyse en clarifiant la question qui lui était soumise. Elle a expliqué que l’évaluation avait pour objet de déterminer si le demandeur subirait des difficultés inhabituelles et injustifiées ou démesurées s’il était contraint de présenter sa demande de résidence permanente de l’étranger et de se conformer aux obligations habituelles en matière de résidence permanente. Elle a également expliqué qu’il incombait au demandeur de faire la preuve des difficultés en question.

[6]               L’agente a fait observer que le demandeur était arrivé au Canada en 1998 et qu’il y était demeuré après l’expiration de son visa de visiteur. Le demandeur justifiait sa demande par les difficultés que lui causerait la rupture de ses liens avec sa famille et la collectivité au Canada s’il devait retourner au Brésil. Il affirmait également qu’il n’avait aucun lien avec le Brésil et qu’il serait confronté à des difficultés financières dans ce pays.

[7]               L’agente a conclu que, même si le demandeur avait été admis au Canada pour étudier à l’Université York en vertu du visa de visiteur qui lui avait été délivré, ses études, qu’il avait poursuivies de façon intermittente, ne lui avaient pas permis de se trouver du travail. Il était devenu un maître Reiki accrédité. Son accréditation ne lui avait toutefois pas été délivrée par un établissement reconnu et il n’avait soumis aucun élément de preuve tendant à démontrer qu’il avait commencé à exercer cette profession. L’agente a accordé peu de valeur à l’accréditation que le demandeur avait obtenue en 2009.

[8]               Le demandeur avait annexé à sa demande de dispense des relevés d’impôt sur le revenu couvrant la période comprise entre 2000 et 2009. L’agente a signalé que ces documents avaient tous été soumis à l’Agence du revenu du Canada entre septembre 2009 et mars 2010. Elle a fait observer que le demandeur avait des antécédents favorables en matière de crédit et qu’il avait environ 18 000 $ en épargnes. L’agente a conclu que le demandeur subvenait à ses besoins depuis son arrivée au Canada, mais que ses revenus s’étaient toujours situés sous le seuil de faible revenu pour une personne seule vivant au Canada.

[9]               L’agente a également examiné les liens familiaux du demandeur au Brésil et au Canada. Le demandeur soutenait qu’il n’avait aucun lien avec les membres de sa famille qui se trouvaient au Brésil parce que son père et sa grand‑mère sont décédés. L’agente a fait observer que la mère du demandeur, qui habite au Brésil, lui avait rendu visite en 2003 et en 2006, c’est‑à‑dire après ce qu’il affirmait être la rupture de leurs liens du fait de son orientation sexuelle. L’agente a également signalé que le demandeur avait soumis treize lettres d’appui de membres de sa famille et de membres de la collectivité. Elle a reconnu qu’il serait difficile pour le demandeur de couper les liens qu’il entretenait avec sa famille et la collectivité au Canada, mais elle a également signalé qu’il y avait des indications suivant lesquelles des membres de sa famille élargie vivaient au Brésil. L’agente n’était pas convaincue que les facteurs en question causeraient au demandeur des difficultés inhabituelles et injustifiées ou démesurées s’il devait retourner au Brésil.

[10]           Depuis son arrivée au Canada, le demandeur a œuvré au sein de plusieurs organismes, dont la Metropolitan Community Church de Toronto et Al‑Anon, un organisme qui s’adresse aux familles des alcooliques. Il a également travaillé avec un conseiller de vie, qui a affirmé dans une lettre soumise à l’agente que le demandeur subirait un préjudice s’il devait cesser de fréquenter Al‑Anon. Suivant l’agente, le demandeur n’avait pas affirmé qu’il subirait un préjudice s’il devait cesser de participer aux activités des organismes en question. Il n’avait par ailleurs pas présenté d’éléments de preuve démontrant que des organismes semblables n’existaient pas au Brésil. L’agente a par conséquent conclu que le fait pour le demandeur de ne plus pouvoir fréquenter les organismes en question ne créerait pas de difficultés inhabituelles et injustifiées ou démesurées.

[11]           L’agente a conclu que le demandeur vivait seul au Canada et qu’il habitait également seul lorsqu’il fréquentait l’école secondaire au Brésil. Malgré le fait que le demandeur affirmait que sa mère, qui vivait au Brésil, avait changé d’adresse et que, s’il retournait au Brésil, il n’habiterait pas près d’elle, l’agente a conclu que le fait que sa mère avait déménagé ne nuirait pas à la capacité du demandeur de se réintégrer au Brésil.

[12]           L’agente a estimé que, même si le demandeur avait acquis une bonne maîtrise des deux langues officielles du Canada et qu’il était activement engagé au sein de sa collectivité, son degré d’intégration à la société canadienne était normal, compte tenu de la durée de son séjour au Canada. L’agente a également souligné que c’était précisément à cause de son non‑respect des lois canadiennes en matière d’immigration après l’expiration de son visa que le demandeur avait pu s’établir au Canada.

[13]           L’agente a conclu que le demandeur se trouvait dans une situation semblable à celle des autres personnes qui doivent présenter leur demande de résidence permanente de l’étranger. Elle a conclu que les éléments de sa demande n’étaient pas suffisants pour démontrer qu’il subirait des difficultés inhabituelles et injustifiées ou démesurées et elle a rejeté sa demande de dispense.

DISPOSITIONS LÉGISLATIVES APPLICABLES

[14]           Les dispositions suivantes de la Loi s’appliquent en l’espèce :

11. (1) L’étranger doit, préalablement à son entrée au Canada, demander à l’agent les visa et autres documents requis par règlement. L’agent peut les délivrer sur preuve, à la suite d’un contrôle, que l’étranger n’est pas interdit de territoire et se conforme à la présente loi.

 

 

 

 

25. (1) Le ministre doit, sur demande d’un étranger se trouvant au Canada qui est interdit de territoire ou qui ne se conforme pas à la présente loi, et peut, sur demande d’un étranger se trouvant hors du Canada, étudier le cas de cet étranger; il peut lui octroyer le statut de résident permanent ou lever tout ou partie des critères et obligations applicables, s’il estime que des considérations d’ordre humanitaire relatives à l’étranger le justifient, compte tenu de l’intérêt supérieur de l’enfant directement touché.

11. (1) A foreign national must, before entering Canada, apply to an officer for a visa or for any other document required by the regulations. The visa or document may be issued if, following an examination, the officer is satisfied that the foreign national is not inadmissible and meets the requirements of this Act.

 

 

25. (1) The Minister must, on request of a foreign national in Canada who is inadmissible or who does not meet the requirements of this Act, and may, on request of a foreign national outside Canada, examine the circumstances concerning the foreign national and may grant the foreign national permanent resident status or an exemption from any applicable criteria or obligations of this Act if the Minister is of the opinion that it is justified by humanitarian and compassionate considerations relating to the foreign national, taking into account the best interests of a child directly affected.

 

QUESTIONS EN LITIGE

[15]           Le demandeur soulève les questions suivantes dans la présente demande :

a.                   L’agente a‑t‑elle porté atteinte à son droit à l’équité procédurale :

                                                   i.                  en ne motivant pas suffisamment sa décision;

                                                 ii.                  en le privant d’une audience équitable par son refus de lui accorder une entrevue;

                                                iii.                  en entravant son pouvoir discrétionnaire;

                                               iv.                  en refusant d’exercer le pouvoir discrétionnaire que lui confère le paragraphe 25(1) de la Loi?

 

b.                  L’agente a‑t‑elle porté atteinte aux droits à l’égalité que lui garantit le paragraphe 15(1) de la Charte des droits et libertés, annexe B de la Loi de 1982 sur le Canada (R.‑U.) 1982, ch. 11, ainsi qu’à son droit à la vie, à la liberté et à la sécurité de sa personne qui lui sont garantis par l’article 7 de la Charte?

 

c.                   L’agente a‑t‑elle appliqué le mauvais critère pour décider s’il y avait lieu d’accorder une dispense pour raisons d’ordre humanitaire?

 

d.                  La décision de l’agente était‑elle déraisonnable?

 

NORME DE CONTRÔLE

[16]           Dans l’arrêt Dunsmuir c Nouveau‑Brunswick, 2008 CSC 9, la Cour suprême du Canada a expliqué qu’il n’est pas toujours nécessaire de se livrer à une analyse de la norme de contrôle. En fait, lorsque la norme de contrôle applicable à une question en particulier soumise à la juridiction de révision est bien arrêtée par la jurisprudence, la juridiction de révision peut adopter cette norme de contrôle. C’est seulement lorsque cette recherche s’avère infructueuse que la juridiction de révision doit se livrer à une analyse des quatre facteurs pertinents pour l’analyse relative à la norme de contrôle.

[17]           Récemment, dans l’arrêt Newfoundland and Labrador Nurses’ Union c Terre‑Neuve‑et‑Labrador (Conseil du Trésor), 2011 CSC 62, [2011] 3 RCS 708, la Cour suprême du Canada a expliqué, au paragraphe 14, que l’insuffisance des motifs ne permet pas à elle seule de casser une décision. Suivant la Cour, « les motifs doivent être examinés en corrélation avec le résultat et ils doivent permettre de savoir si ce dernier fait partie des issues possibles ». La question de la suffisance des motifs sera examinée en corrélation avec celle du caractère raisonnable de la décision dans son ensemble.

[18]           Dans l’arrêt Sketchley c Canada (Procureur général), 2005 CAF 404, la Cour d’appel fédérale a déclaré, au paragraphe 53 : « [l]a question de l’équité procédurale est une question de droit. Aucune déférence n’est nécessaire. Soit le décideur a respecté l’obligation d’équité dans les circonstances propres à l’affaire, soit il a manqué à cette obligation ». La norme de contrôle applicable à la première série de questions est celle de la décision correcte.

[19]           Dans la décision Sahota c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2011 CF 739, le juge Michael Phelan a déclaré, au paragraphe 7, que l’application du critère juridique approprié est assujettie à la norme de la décision correcte (voir également les décisions Garcia c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2010 CF 677, au paragraphe 7, et Markis c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2008 CF 428, au paragraphe 19). La norme de contrôle applicable à la troisième question est celle de la décision correcte.

[20]           Dans l’arrêt Baker c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1999] ACS no 39, la Cour suprême du Canada a déclaré que, lorsqu’on procède au contrôle d’une décision relative à des raisons d’ordre humanitaire, « on devrait faire preuve d’une retenue considérable envers les décisions d’agents d’immigration exerçant les pouvoirs conférés par la loi, compte tenu de la nature factuelle de l’analyse, de son rôle d’exception au sein du régime législatif, du fait que le décideur est le ministre, et de la large discrétion accordée par le libellé de la loi » (au paragraphe 62). Le juge Phelan a suivi ce raisonnement dans la décision Thandal c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2008 CF 489, au paragraphe 7. La norme de contrôle applicable à la quatrième question est celle de la décision raisonnable.

[21]           Lorsqu’une décision est contrôlée selon la norme de la décision raisonnable, l’analyse a trait « à la justification de la décision, à la transparence et à l’intelligibilité du processus décisionnel, ainsi qu’à l’appartenance de la décision aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit » (Dunsmuir, précité, au paragraphe 47, et Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c Khosa, 2009 CSC 12, au paragraphe 59). Autrement dit, la Cour ne devrait intervenir que si la décision est déraisonnable en ce sens qu’elle n’appartient pas « aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit ».

[22]           En ce qui concerne la deuxième question, celle de savoir si les droits garantis au demandeur par la Charte ont été violés, il est bien établi qu’il incombe à celui qui se prétend victime d’une violation de démontrer qu’un des droits garantis par la Charte a été violé (R c Kapp, 2008 CSC 41, au paragraphe 66, R c RJS, [1995] ACS no 10, au paragraphe 280, et Law Society of British Columbia c Andrews, [1989] 1 RCS 143 (QL), au paragraphe 40). Il s’agit d’une question mixte de fait et de droit qui relève de la compétence de la juridiction de révision et dont la preuve doit être établie selon la prépondérance des probabilités.

PRÉTENTIONS ET MOYENS DES PARTIES

Le demandeur

            La décision de l’agente n’est pas suffisamment motivée

 

[23]           Dans son affidavit, le demandeur affirme que la décision de l’agente est insuffisamment motivée à plusieurs égards. En premier lieu, il affirme que les motifs de la décision ne démontrent pas que l’agente a tenu compte du fait qu’il avait été forcé d’abandonner l’université parce qu’il n’avait pas les moyens de payer ses droits de scolarité. En deuxième lieu, les motifs de l’agente ne permettent pas de savoir quel poids elle a accordé au travail du demandeur et à sa capacité de subvenir lui‑même à ses besoins au Canada. En troisième lieu, le demandeur affirme que l’agente n’a pas expliqué pourquoi le fait de le renvoyer au Brésil ne lui causerait pas des difficultés inhabituelles et injustifiées ou démesurées, compte tenu du fait qu’il vit au Canada depuis longtemps et qu’il s’est créé ici un réseau familial et d’amis.

[24]           Dans son mémoire, le demandeur affirme que les motifs de l’agente ne démontrent pas comment elle a tenu compte de la durée de son séjour au Canada, du fait qu’il n’a ni amis ni famille au Brésil, comment les membres de sa famille vivant au Brésil l’ont ostracisé en raison de son homosexualité, et du réseau de soutien familial et amical sur lequel il peut compter au Canada. La décision ne démontre pas en quoi ces facteurs ne justifient pas l’octroi de la dispense prévue au paragraphe 25(1) de la Loi. La décision ne démontre pas non plus que l’agente a tenu compte des observations du demandeur ou de son homosexualité.

Le demandeur a été privé d’une audience équitable

[25]           Le demandeur affirme qu’en plus de violer son droit à une décision motivée, l’agente ne lui a pas accordé une audience équitable en ne tenant pas compte de son homosexualité. Il cite l’arrêt Cardinal c Établissement Kent, [1985] ACS no 78 (QL), [1985] 2 RCS 643, dans lequel la Cour suprême du Canada a déclaré, au paragraphe 23 :

[J]’estime nécessaire d’affirmer que la négation du droit à une audition équitable doit toujours rendre une décision invalide, que la cour qui exerce le contrôle considère ou non que l’audition aurait vraisemblablement amené une décision différente. Il faut considérer le droit à une audition équitable comme un droit distinct et absolu qui trouve sa justification essentielle dans le sens de la justice en matière de procédure à laquelle toute personne touchée par une décision administrative a droit. Il n’appartient pas aux tribunaux de refuser ce droit et ce sens de la justice en fonction d’hypothèses sur ce qu’aurait pu être le résultat de l’audition. 

 

[26]           Le demandeur affirme également que son droit à une audience équitable a été violé du fait que l’agente ne l’a pas convoqué à une entrevue et ne lui a pas demandé d’éclaircir certains points. Dans son affidavit, le demandeur affirme que les visites que sa mère lui aurait rendues en 2003 et 2006 étaient en fait des visites que sa mère avait faites à sa tante et non à lui. Il affirme également que l’agente mentionne l’existence d’une tante et de trois cousins au Brésil pour démontrer qu’il possède des liens familiaux au Brésil alors qu’il n’a aucun contact avec eux. De plus, la mention, par l’agente, de sa tante et de ses cousins reposait sur une mauvaise interprétation de la visite qu’il avait effectuée au Brésil en 1999. Le demandeur affirme que tous ces malentendus auraient pu être clarifiés si l’agente l’avait convoqué à une entrevue. Son défaut de le faire constitue une violation du droit du demandeur à une audience équitable.

L’agente a violé les droits garantis au demandeur par la Charte

[27]           Le demandeur affirme que l’agente a violé les droits que lui garantissent les articles 7 et 15 de la Charte. Il affirme qu’en le privant d’une audience équitable, l’agente a violé les droits à l’égalité qui lui sont garantis par l’article 15 du fait qu’il est homosexuel. Le demandeur invoque l’arrêt Kapp, précité, dans lequel la Cour suprême du Canada a déclaré, au paragraphe 15, que « [l]insistance sur l’égalité réelle est demeurée au cœur de l’approche que la Cour a adoptée à l’égard des demandes fondées sur le droit à l’égalité ». Il cite également l’arrêt Withler c Canada (Procureur général), 2011 CSC 12, dans lequel la Cour suprême du Canada propose un critère à deux volets pour l’examen des violations de l’article 15 de la Charte. La Cour a écrit, au paragraphe 61 :

[L’]analyse de l’égalité réelle pour l’application du par. 15(1) comporte deux étapes : (1) La loi crée‑t‑elle une distinction fondée sur un motif énuméré ou analogue? (2) La distinction crée‑t‑elle un désavantage par la perpétuation d’un préjugé ou l’application de stéréotypes? (Voir Kapp, par. 17.) La comparaison joue un rôle du début à la fin de l’analyse. 

 

 

            L’agente a appliqué le mauvais critère concernant les difficultés

[28]           Dans sa décision, l’agente a déclaré : [traduction] « Il incombe au [demandeur] de démontrer que, s’il devait retourner au Brésil pour présenter sa demande, il serait exposé à des difficultés inhabituelles et injustifiées ou démesurées au regard de l’article 25 de la [Loi] ». Le demandeur affirme que le critère que l’agente a appliqué pour déterminer s’il existait des difficultés inhabituelles et injustifiées ou démesurées était trop exigeant. Il cite la décision Yhap c Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1990] ACF no 205, dans lequel le juge James Jerome déclare :

Le pouvoir discrétionnaire qu’un agent d’immigration tient du paragraphe 114(2) de la Loi est d’une grande portée. On demande à l’agent d’examiner, pour ce qui est de l’admission possible au Canada d’un requérant particulier, les « raisons d’intérêt public » et « d’ordre humanitaire ». L’article de la Loi sur l’immigration qui définit les termes figurant dans cette Loi et le Règlement sur l’immigration ne font nullement état de la façon dont ce paragraphe doit s’appliquer, ni de l’interprétation que l’agent doit donner aux termes plutôt généraux qui y sont contenus.

 

[29]           Suivant le demandeur, la décision Yhap nous enseigne que le critère prévu au paragraphe 25(1) n’est pas celui des difficultés inhabituelles et injustifiées ou démesurées et que le critère qu’il convient d’appliquer pour accorder une dispense pour raisons d’ordre humanitaire est plus large et moins restrictif que celui qu’a retenu l’agente. Le demandeur renvoie la Cour à la décision Chirwa c Canada (Ministre de la Main‑d’oeuvre et de l’Immigration), (1970) 4 AIA 338 (CAI), dans laquelle la Commission d’appel de l’immigration a estimé que les considérations d’ordre humanitaire s’entendent 

de « faits établis par la preuve, de nature à inciter tout homme raisonnable dune société civilisée à soulager les malheurs d’une autre personne ‑ dans la mesure où ses malheurs « justifient l’octroi d’un redressement spécial » aux fins des dispositions de la Loi sur l’immigration.

 

[30]           Le demandeur cite également le jugement rendu par le juge Sean Harrington dans l’affaire Espino c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2006 CF 1255, au paragraphe 1 :

La compassion a été définie comme étant l’inclusion, dans la vie d’une personne, de la souffrance d’autrui, la participation à la souffrance; l’entraide, la sympathie, le sentiment ou l’émotion qu’une personne ressent lorsqu’elle est émue par la souffrance ou la détresse d’autrui et qu’elle désire soulager cette souffrance.

[31]           Se fondant sur ces deux décisions, le demandeur affirme que l’agente n’a pas appliqué le bon critère pour déterminer s’il y avait lieu d’accorder une dispense pour raisons d’ordre humanitaire en vertu du paragraphe 25(1) de la Loi.

L’agente a refusé d’exercer sa compétence et entravé l’exercice de son pouvoir discrétionnaire

[32]           Le demandeur affirme qu’en appliquant le mauvais critère pour déterminer s’il y avait lieu d’accorder une dispense pour raisons d’ordre humanitaire, l’agente a entravé l’exercice de son pouvoir discrétionnaire. Il ajoute que, ce faisant, l’agente a refusé d’exercer la compétence qu’elle avait d’accorder une dispense dans des situations où il existe des difficultés moins grandes que les difficultés inhabituelles et injustifiées ou démesurées. En limitant ainsi la portée de la dispense pour raisons d’ordre humanitaire, l’agente a refusé d’exercer sa compétence et entravé l’exercice de son pouvoir discrétionnaire.

La décision était déraisonnable

[33]           Enfin, le demandeur soutient que le rejet par l’agente de sa demande de dispense pour raisons d’ordre humanitaire était déraisonnable parce que l’agente a ignoré ou a mal interprété certains éléments de preuve, n’a pas évalué de façon cumulative les éléments de preuve qui lui avaient été soumis, a tiré une conclusion absurde, l’a puni parce qu’il était demeuré au Canada après l’expiration de son visa et a tiré des conclusions arbitraires et abusives.

[34]           L’agente n’a pas tenu compte du fait que le demandeur avait dû quitter l’université parce que sa mère l’avait renié et lui avait coupé les vivres. Elle a également dénaturé les faits entourant les visites effectuées par sa mère en 2003 et 2006 ainsi que ceux concernant les membres de sa famille qui demeuraient toujours au Brésil. L’agente n’a également tenu aucun compte des treize lettres d’appui que le demandeur avait soumises à l’appui de sa demande.

[35]           Bien qu’elle ait mentionné dans sa décision le bénévolat que le demandeur faisait au sein d’Al‑Anon et de la Metropolitan Community Church, l’agente a écarté ces faits, qu’elle a considérés comme des éléments distincts, et elle n’a pas tenu compte de leur impact cumulatif sur l’ensemble de sa décision. Elle n’a par ailleurs pas évalué en fonction de l’ensemble de la preuve le degré d’établissement du demandeur au Canada, ainsi que sa maîtrise de l’anglais et du français et le réseau social qu’il s’était créé au Canada. Au lieu d’évaluer l’ensemble de la preuve, l’agente a soupesé et évalué chacun de ces facteurs individuellement. Le demandeur signale que, dans la décision Vaca c Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1991] ACF no 926, le juge Bud Cullen a écrit ceci :

[L]’avocat qui représentait le requérant ce jour‑là a eu le bon sens de rédiger immédiatement « une note au dossier » dont voici une partie : [traduction] « Mme Nakagawa a affirmé qu’elle n’avait aucune question concernant le droit d’établissement de nos clients, mais qu’elle ne pouvait tenir compte des raisons d’ordre humanitaire en fonction du seul droit d’établissement ». Mme Nakagawa affirme qu’elle a « lu l’affidavit de Raul Galo Vaca daté du 12 février 1991 » et pourtant elle n’a pas contesté le commentaire susmentionné à la note au dossier le 5 juillet 1990. Les propres directives du ministère ne sont pas aussi ambiguës que Mme Nakagawa l’affirme. Les voici : [traduction] « La situation économique et le droit d’établissement ne justifieraient pas habituellement à eux seuls une recommandation pour des raisons d’ordre humanitaire ». En l’espèce, elle n’a pas jugé que cette affaire pouvait constituer une exception. Les nombreux affidavits et lettres d’appui de la part de membres de la famille, d’amis et de voisins, les certificats de langue anglaise, les appuis du médecin et du prêtre, l’achat d’une maison, la participation dans un commerce, relèvent tous de raisons d’ordre humanitaire mais ils n’ont été considérés que comme des critères économiques.

[36]           En l’espèce, l’agente écrit ce qui suit :

[traduction] 

[…] Je constate que le [demandeur] habitait seul lorsqu’il fréquentait l’école secondaire au Brésil. Je relève également que le [demandeur] demeure seul depuis son arrivée au Canada. J’en conclus donc que le déménagement de sa mère ne devrait pas nuire à la capacité du [demandeur] de se réintégrer avec succès au Brésil.

 

 

[37]           Le demandeur affirme qu’en tenant ces propos, l’agente a tiré une conclusion absurde en considérant qu’il n’a pas besoin de famille et d’amis dans sa vie. Il affirme également que l’agente l’a puni pour être demeuré au Canada après l’expiration de son visa lorsqu’elle a déclaré :

[traduction] 

De plus, le séjour prolongé du [demandeur] au Canada n’était pas une décision indépendante de sa volonté. En fait, c’est en raison de son non‑respect des lois canadiennes en matière d’immigration qu’il a pu s’établir au Canada.

 

 

[38]           Au lieu de le punir pour être demeuré au Canada après l’expiration de son visa, l’agente aurait dû considérer son séjour prolongé au Canada comme un facteur positif, compte tenu du fait qu’il était subvenu à ses propres besoins et qu’il avait acquis la maîtrise des deux langues officielles pendant cette période.

[39]           Le demandeur soutient que, comme l’agente a tiré des conclusions abusives et arbitraires, sa décision ne devrait pas être confirmée. À l’appui de cet argument, le demandeur cite les décisions Owusu‑Ansah c Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1989] ACF no 442, Jazxhiu c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [2000] ACF no 1533, Hatami c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [2000] ACF no 402, Horvath c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2001 CFPI 398, Gondi c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2006 CF 433, et Jones c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2006 CF 405.

[40]           Le demandeur soutient que la décision était déraisonnable parce que le seul parti que l’agente pouvait raisonnablement prendre était de lui accorder la dispense demandée. Il cite la décision Rudder c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2009 CF 689, dans laquelle le juge François Lemieux a tenu les propos suivants aux paragraphes 36, 37 et 38 :

L’agent a conclu que Faye Rudder n’avait pas de raisons convaincantes d’effectuer le voyage et encore moins de retourner en Guyana parce qu’elle n’y était pas suffisamment établie. L’agent a mis en question la source des fonds mis à la disposition de Faye Rudder au Canada. À mon avis, l’agent pouvait uniquement arriver à ces conclusions en ne tenant aucun compte de la preuve ou en tirant de la preuve des inférences déraisonnables. Eu égard aux circonstances, l’intervention de la Cour est justifiée. Je cite le jugement que le juge Lagacé a récemment rendu dans l’affaire Ogunfowora c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2007 CF 471.

 

Je conclus en dernier lieu qu’il s’agit ici d’un cas dans lequel il convient de donner des instructions selon lesquelles un agent des visas différent doit délivrer sans délai un VRT à Faye Rudder pour une période d’un mois, lorsque la demanderesse sera prête à venir au Canada. Je conclus que, compte tenu de la preuve versée au dossier, il s’agit du seul résultat raisonnable auquel un agent des visas pourrait arriver dans le cadre d’un réexamen.

 

Dans l’affaire Pacific Pants Company Inc. et al. c. Canada (Ministre de la Sécurité publique et de la Protection civile), la Cour a eu la possibilité de traiter, aux paragraphes 48 et 49, de la portée de l’alinéa 18.1(3)b) de la Loi sur les Cours fédérales, qui autorise la Cour, lorsqu’elle annule une décision, à le faire « conformément aux instructions qu’elle estime appropriées ». Je me suis référé à l’arrêt rendu par la Cour d’appel fédérale Rafuse c. Canada (Commission d’appel des pensions), 2002 CAF 31, en tant que décision faisant autorité à l’appui de la proposition selon laquelle les instructions données en vertu de l’alinéa 18.1(3)b) peuvent inclure des instructions de la nature d’un verdict imposé. À mon avis, il est impérieux d’imposer un verdict eu égard aux faits de la présente espèce.

 

 

Le défendeur

[41]           Le défendeur affirme que la Cour n’a aucune raison d’intervenir pour modifier la décision de l’agente étant donné que cette dernière a tenu compte de l’ensemble de la preuve et que la conclusion qu’elle a tirée était raisonnable. Il y a lieu de faire preuve de déférence envers l’appréciation que l’agente a faite de la preuve et la Cour ne devrait pas intervenir même si le demandeur n’est pas d’accord avec la conclusion tirée par l’agente.

Cadre législatif

[42]           Le paragraphe 25(1) de la Loi autorise le ministre à tenir compte de considérations spéciales supplémentaires lorsqu’il examine une demande de dispense de l’application générale de la Loi. Ce n’est pas parce que le ministre n’exerce pas ce pouvoir discrétionnaire qu’il retire pour autant un droit au demandeur.

Pouvoir d’appréciation de l’agente

[43]           Le défendeur affirme que les arguments du demandeur reviennent à toutes fins utiles à inviter la Cour à procéder à une nouvelle appréciation des facteurs qui ont déjà été examinés par l’agente. Le demandeur n’a pas démontré que l’agente avait exercé son pouvoir discrétionnaire de façon déraisonnable. L’agente a tenu compte de tous les facteurs pertinents et elle a tiré une conclusion qu’il lui était raisonnablement loisible de tirer vu l’ensemble de la preuve. Selon la jurisprudence de notre Cour, il n’appartient pas à la Cour de procéder à une nouvelle appréciation des facteurs qui ont déjà été examinés par l’auteur dans la décision, pourvu que celui‑ci ait tenu compte de tous les facteurs nécessaires (Stelco Inc. c British Steel Canada Inc., [2000] ACF 286 (CAF), Legault c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2002 CAF 125, au paragraphe 15, et Suresh c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2002 CSC 1, aux paragraphes 34, 37 et 39).

Aucune violation de la Charte

[44]           Bien qu’il affirme que l’agente a violé les droits que lui garantissent les articles 7 et 15 de la Charte, le demandeur n’a présenté aucun élément de preuve pour démontrer qu’il y avait eu violation de la Charte. Il ne suffit pas de souligner qu’il était homosexuel pour démontrer qu’il y a eu violation de la Charte.

Aucune obligation de tenir une entrevue

[45]           L’agente n’avait aucune obligation de convoquer le demandeur à une entrevue. Suivant l’arrêt Baker, précité, aux paragraphes 33 et 24, dans le cas d’une demande fondée sur des raisons d’ordre humanitaire, l’auteur de la décision a l’obligation de permettre à l’intéressé de participer véritablement au processus. En formulant ses observations, le demandeur a participé véritablement au processus décisionnel, de sorte qu’il n’y a eu aucun manquement à l’équité procédurale.

L’agente a appliqué le bon critère

[46]           Alors que le demandeur affirme que le critère à respecter pour obtenir une dispense pour raisons d’ordre humanitaire devrait reposer sur le libellé large du paragraphe 25(1) de la Loi, le défendeur soutient que cet argument a été rejeté par notre Cour. Le Guide de CIC intitulé IP5 – Demande présentée par des immigrants au Canada pour des motifs d’ordre humanitaire informe les agents d’immigration que notre Cour a adopté le critère des difficultés inhabituelles et injustifiées ou démesurées qui a été formulé dans l’arrêt Singh c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2009 CF 11. Le défendeur signale que des arguments semblables à ceux qu’a invoqués le demandeur ont été rejetés dans les décisions Jung c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2009 CF 678, et Aoanan c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2009 CF 734.

[47]           L’agente a appliqué le bon critère, a apprécié les facteurs de façon appropriée et n’a violé ni les droits garantis au demandeur par la Charte ni ses droits à l’équité procédurale. Sa décision devrait donc être confirmée.

ANALYSE

[48]           Le demandeur n’est pas d’accord avec la décision de l’agente et ne souhaite pas retourner au Brésil pour présenter sa demande de résidence au Canada comme le prévoit la procédure normale. Il cherche, au moyen de la présente demande de contrôle judiciaire, à transformer son désaccord en diverses erreurs susceptibles de révision. À mon avis, aucun des motifs qu’il invoque n’est convaincant.

[49]           Dans sa demande fondée sur les raisons d’ordre humanitaire, le demandeur insiste sur ce qu’il perçoit être les qualités et les compétences utiles qu’il possède, de même que sur sa contribution à la société canadienne et sur son profond désir de demeurer au Canada. Il se considère comme un résident bien établi « de facto ». Ce que le demandeur omet de préciser dans sa demande, c’est la raison pour laquelle il subirait des difficultés s’il était contraint de retourner au Brésil pour y demander la résidence permanente de l’extérieur du Canada. Il ne s’agit pas de savoir si le demandeur est un candidat valable pour le Canada ou si ses conditions de vie seraient meilleures ici qu’au Brésil, mais s’il serait exposé à des difficultés inhabituelles et injustifiées ou démesurées. Le demandeur estime qu’on devrait faire exception à la règle dans son cas.

[50]           En ce qui concerne les erreurs précises dont le demandeur fait état dans sa demande, je suis pour l’essentiel d’accord avec la conclusion du défendeur suivant laquelle les divers moyens invoqués par le demandeur reviennent essentiellement à une invitation adressée à la Cour de procéder à une nouvelle appréciation des facteurs qui ont déjà été examinés par l’agente, et ce, dans le but d’obtenir une conclusion différente. Les décisions relatives à des raisons d’ordre humanitaire sont des décisions discrétionnaires qui ne garantissent aucun résultat particulier. Pour autant que l’agent exerce son pouvoir discrétionnaire de façon raisonnable et respecte les paramètres de l’équité procédurale, notre Cour ne devrait pas intervenir.

 

[51]           Je suis également d’accord avec le défendeur pour dire que l’argument du demandeur suivant lequel l’agente a ignoré certains éléments de preuve ou n’a pas accordé l’attention requise à certains facteurs est simplement un argument portant sur la valeur accordée à divers facteurs. Notre Cour a répété à maintes reprises qu’il ne lui appartient pas d’évaluer de nouveau les facteurs pertinents qui ont été dûment examinés par l’agent lorsqu’il a rendu sa décision, laquelle est une décision hautement discrétionnaire, et que la Cour ne peut, à la suite d’une nouvelle appréciation de la preuve, substituer ses inférences et ses conclusions à celles qui ont été tirées par l’agent. En l’espèce, j’estime que l’agente a dûment examiné et apprécié tous les facteurs pertinents et qu’elle est arrivée à une conclusion qui reposait sur l’ensemble de la preuve (voir les décisions Stelco, Legault et Suresh, précitées).

 

[52]           Le demandeur affirme par ailleurs laconiquement que l’agente a violé les droits que lui garantissent les articles 7 et 15 sans toutefois expliquer en quoi ces droits ont été violés ni comment. J’estime qu’on ne m’a soumis aucun élément de preuve démontrant que l’agente avait violé les droits que la Charte garantit au demandeur. Ce dernier affirme simplement que, parce qu’il est homosexuel, les droits que lui reconnaît la Charte ont été violés. Je suis d’accord avec le défendeur pour dire que cet argument est sans fondement.

[53]           Le fait que l’agente n’a pas convoqué le demandeur à une entrevue ne permet pas de conclure qu’elle a commis une erreur susceptible de révision dans le contexte de la présente affaire. En principe, il n’est pas nécessaire de mener une entrevue pour garantir l’équité procédurale lorsqu’on évalue une demande fondée sur les raisons d’ordre humanitaire. Dans l’arrêt Baker, précité, la Cour suprême du Canada a fait observer que les décisions d’un agent d’immigration sont « très différente[s] [des] décision[s] judiciaire[s] » et que, ce qu’il faut, c’est « une participation valable » au processus décisionnel. Je suis d’accord, en l’espèce, avec le défendeur pour dire que les arguments que le demandeur a soumis à l’agente à l’appui de sa demande fondée sur des raisons d’ordre humanitaire démontrent qu’il a eu une occasion valable de participer au processus (Baker, précité, et Bavili c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) 2009 CF 945, aux paragraphes 26 à 29).

[54]           Le principal argument du demandeur revient à mon avis à dire que la jurisprudence sur laquelle les agents se sont toujours fondés pour rendre leurs décisions relatives à des demandes fondées sur des raisons d’ordre humanitaire est erronée. Le demandeur affirme que la décision de l’agente de ne pas faire droit à sa demande fondée sur des raisons d’ordre humanitaire est déraisonnable et qu’elle n’a pas été rendue en fonction du « bon critère » parce qu’elle a conclu que le demandeur ne serait pas exposé à des « difficultés inhabituelles et injustifiées ou démesurées » si l’on ne faisait pas droit à sa demande. Le demandeur affirme que le critère devrait être plus large compte tenu du libellé de l’article 25 de la Loi.

[55]           Comme le défendeur le souligne, cet argument a déjà été invoqué devant notre Cour et a chaque fois été rejeté.

[56]           Le guide d’immigration IP 5 éclaire les agents d’immigration quant à l’exercice du pouvoir discrétionnaire que leur confère le paragraphe 25(1) de la Loi. L’article 5.10 explique comment évaluer les difficultés. En ce qui concerne le critère contesté par le demandeur, le guide indique :

Le critère des « difficultés inhabituelles et injustifiées ou démesurées » a été adopté par la Cour fédérale dans ses décisions fondées sur le paragraphe 25(1) de la LIPR, ce qui signifie que ces termes sont plus que de simples lignes directrices. Voir Singh c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration); 2009 Carswell Nat 452; 2009 CF 11.

 

 

[57]           Cet argument précis a récemment été écarté dans les décisions Jung et Aoanan, précitées. De plus, il existe une abondante jurisprudence dans laquelle la Cour fédérale a adopté le critère des « difficultés inhabituelles et injustifiées ou démesurées » dans le cas de demandes fondées sur le paragraphe 25(1).

[58]           Certains des arguments et des éléments de preuve invoqués par le demandeur dans la présente demande n’avaient pas été portés à la connaissance de l’agente, mais ont été exposés dans l’affidavit que le demandeur a souscrit à l’appui de la présente demande. Il est bien établi en droit que la Cour doit évaluer une décision en se fondant sur le dossier dont disposait l’agent, sauf dans quelques rares circonstances qui n’existent pas en l’espèce (State Farm Mutual Automobile Insurance Co. c Canada (Commissaire à la protection de la vie privée du Canada), 2010 CF 736, au paragraphe 54, Abbott Laboratories Ltd. c Canada (Procureur général), 2008 CAF 354, au paragraphe 37 et Gitxsan Treaty Society c Hospital Employees’ Union, [2000] 1 CF 135 (CAF), au paragraphe 13).

[59]           À l’audience du 20 décembre 2011, à Toronto, le demandeur a souligné ce qu’il estimait être les points essentiels.

[60]           En tout premier lieu, le demandeur affirme que l’agente n’a pas tenu compte du fait qu’il n’avait plus aucun contact avec sa mère et qu’il n’a aucun lien avec les membres de sa famille qui vivent au Brésil. Toutefois, lorsque je lis les observations et les éléments de preuve qui avaient été portés à la connaissance de l’agente, je ne décèle rien de déraisonnable dans l’évaluation qu’elle a faite de ce à quoi le demandeur pourrait s’attendre s’il devait retourner au Brésil.

[61]           Le demandeur affirme également que l’agente a ignoré et écarté du revers de la main les facteurs positifs qui appuyaient son établissement au Canada, y compris les nombreuses lettres d’appui qu’il a soumises, sans parler de son bénévolat. Le demandeur affirme que ces facteurs étaient mentionnés dans la décision, mais qu’ils n’ont pas été évalués. Là encore, mon interprétation de la décision m’amène à conclure que le demandeur a tort sur ce point également. À moins de ne pas ajouter foi aux affirmations de l’agente, force m’est de conclure que l’agente a cerné, évalué et apprécié tous les facteurs soulevés dans les observations du demandeur.

[62]           Dans sa décision, l’agente affirme expressément qu’elle a tenu compte de tous les facteurs invoqués par le demandeur. Dans ses observations, l’avocat a proposé à la Cour la formulation que, selon lui, l’agente aurait dû employer ainsi que le type de détails qu’il jugeait appropriés. Ce n’est toutefois pas parce qu’elle n’est pas libellée comme le demandeur estime qu’elle devrait l’être qu’une décision devient pour autant déraisonnable ou inadéquate. Vu l’ensemble de la preuve et des observations soumises à l’agente – et je rappelle que c’est au demandeur qu’il incombait de démontrer qu’il avait droit à une dispense –, je ne puis affirmer que l’agente a ignoré des éléments de preuve, a commis des erreurs de fait importantes ou a fourni des motifs qui ne constituaient pas une réponse acceptable aux questions en jeu dans la présente demande.

[63]           Par exemple, le demandeur fait grand état dans sa demande de son orientation sexuelle et du fait qu’il estime que l’agente n’a pas tenu compte de ce facteur ou ne lui a pas accordé suffisamment de poids. La lecture des arguments d’ordre humanitaire qu’il invoque ne révèle toutefois pas que le demandeur a invoqué son orientation sexuelle comme étant un des facteurs importants au soutien de sa demande fondée sur des raisons d’ordre humanitaire. Il n’a également pas laissé entendre que son orientation sexuelle l’exposerait à des difficultés s’il retournait au Brésil. L’avocat qui représentait alors le demandeur a simplement déclaré ce qu’il suit :

[traduction]

En tant qu’homosexuel, M. Reis compte beaucoup sur le solide réseau d’amis et de ressources dont il dispose au Canada et qui ont joué un rôle important pour le guider en ce qui concerne son orientation sexuelle; il n’aurait peut‑être pas disposé des mêmes ressources et du même appui au Brésil. Les liens qu’il a forgés avec ses amis et les organismes en question l’ont aidé à devenir la personne qu’il est aujourd’hui.

 

 

[64]           Rien ne permet de penser que le demandeur ne pourrait recréer au Brésil tous les réseaux d’amis, de ressources et d’organisations qu’il possède au Canada ou qu’il n’y aurait pas accès. Comme toute autre personne qui quitte le Canada, le demandeur perdra les contacts fréquents qu’il entretient ici avec des amis et des organismes. Rien ne permet de penser que cette situation lui causera un préjudice particulier parce qu’il est homosexuel ou que, s’il était demeuré au Brésil, il n’aurait pas pu trouver sa véritable identité et devenir la personne qu’il est aujourd’hui. Il s’agit tout simplement de spéculations gratuites. Même la déclaration personnelle que le demandeur a jointe aux observations de son avocat ne permet pas de tirer une conclusion différente.

[65]           À mon avis, l’agente a par conséquent cerné et abordé toutes les préoccupations du demandeur d’une manière qui correspondait à ce que le demandeur lui‑même avait décidé de lui soumettre. Dans ses motifs, l’agente explique de façon adéquate les raisons pour lesquelles elle refuse d’accorder la dispense demandée.

[66]           Dans le même ordre d’idées, le demandeur reproche également à l’agente d’avoir abordé séparément les questions qu’il avait soulevées à l’appui de sa demande sans tenir compte de leur impact cumulatif. L’agente affirme expressément le contraire dans sa décision, dans laquelle elle souligne qu’elle a tenu compte des facteurs pertinents tant de façon individuelle que de façon cumulative.

[67]           Je suis conscient qu’il ne suffit pas pour l’agent de se contenter de dire qu’il a examiné l’ensemble de la preuve ou tous les facteurs de façon cumulative. Toutefois, dans le cas qui nous occupe, j’estime que les affirmations de l’agente ne sont manifestement pas des paroles creuses. Sa décision est structurée de telle manière qu’on peut voir qu’elle cerne et traite les divers facteurs et qu’elle tient également compte de leur impact cumulatif ou général. Après avoir procédé à cette évaluation, elle a décidé, de façon raisonnable à mon avis, que le demandeur [traduction] « se trouve dans la même situation que les autres candidats à l’immigration au Canada qui doivent présenter leur demande à l’étranger en suivant la procédure habituelle ». Je ne décèle aucune erreur de droit ou appréciation cumulative déraisonnable dans la décision de l’agente.

Certification

[68]           Le demandeur a soumis la question suivante qu’il souhaite faire certifier :

[traduction]

La politique ministérielle et la façon dont est articulé le critère appliqué par les agents d’immigration pour déterminer s’il existe des « raisons d’ordre humanitaire »  au regard de l’article 25 de la LIPR tel qu’il a été décidé dans la présente affaire et dans d’autres affaires, à savoir :

 

Il incombe au demandeur de démontrer que, s’il devait retourner au Brésil pour présenter sa demande, il subirait des difficultés inhabituelles et injustifiées ou démesurées au regard de l’article 25 de la LIPR.

 

a)         excèdent‑elles les pouvoirs conférés par l’article 25, en ce sens que le critère des « difficultés inhabituelles et injustifiées ou démesurées » restreint de façon excessive l’article 5 et a pour effet de modifier celui‑ci;

 

b)         entravent‑elles le vaste pouvoir discrétionnaire qui est conféré par paragraphe 25(1) et que notre Cour reconnaît depuis longtemps et a énoncé dans la décision Yhap?

 

 

[69]           Le juge Shore a déjà analysé cette question dans la décision Rizvi c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2009 CF 463, aux paragraphes 13 à 15 :

Lorsqu’une demande CH est en cause, les difficultés constituent une conséquence normale de la mesure d’expulsion et une réparation doit être accordée uniquement si ces difficultés sont plus lourdes que les conséquences inhérentes à cette mesure. L’agente n’a pas limité son pouvoir discrétionnaire en se demandant si les demandeurs allaient subir des difficultés inhabituelles, injustifiées ou excessives s’ils étaient obligés de quitter le Canada. C’est le fardeau approprié auquel il faut satisfaire dans une demande CH pour qu’il soit possible de lever l’exigence concernant l’obtention d’un visa (Uddin c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2002 CFPI 937, 116 A.C.W.S. (3d) 930, au paragraphe 22; Irimie c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) (2000), 10 Imm. L.R. (3d) 206, 101 A.C.W.S. (3d) 995 (C.F. 1re inst.), aux paragraphes 12 et 26).

 

L’argument selon lequel l’accent qui est mis sur les difficultés est incompatible avec le libellé du paragraphe 25(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27 (la LIPR), et que les agents d’immigration doivent aborder l’analyse CH en utilisant des facteurs semblables à ceux qui ont été utilisés par la Commission d’appel de l’immigration (la CAI) dans la décision Chirwa c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1970] D.C.A.I. no 1, a été rejeté par la Cour. Dans la décision Lim c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2002 CFPI 956, 116 A.C.W.S. (3d) 929, la juge Eleanor Dawson a fait remarquer que la jurisprudence de la CAI n’a pas été adoptée dans les demandes CH :

 

[16] Dans la mesure où on a avancé l’argument que la jurisprudence issue de la Section d’appel de l’immigration guide convenablement l’agent sur ce qu’il faut entendre par CH, notamment dans les affaires Chirwa c. Canada (Ministre de la Main‑d’œuvre et de l’Immigration) (1970), 4 IAC 338 (C.A.I.) et Jugpall c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1999] DSAI no 600 (S.A.I.), cette jurisprudence s’est développée dans le contexte des dispositions autres que le paragraphe 114(2) de la Loi. Notre Cour n’a pas adopté cette jurisprudence en matière de demandes CH fondées sur le paragraphe 114(2). Voir par exemple Lee c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [2001] A.C.F. no 139 (1re inst.).

 

Dans la décision Lim, précitée, la Cour a fait les remarques supplémentaires suivantes au sujet de l’approche adoptée dans la décision Chirwa, précitée :

 

[17] Qui plus est, je ne suis pas sûre qu’il existe une différence importante entre les consignes tirées de IP‑5 et celles issues de la jurisprudence de la Section d’appel de l’immigration. Dans des décisions telles que Chirwa, la Section d’appel a défini les considérations humanitaires comme s’entendant de « faits établis par la preuve, de nature à inciter tout homme raisonnable d’une société civilisée à soulager les malheurs d’une autre personne – dans la mesure où ses malheurs “justifient l’octroi d’un redressement spécial” aux fins des dispositions de la Loi sur l’immigration ». Les circonstances donnant lieu à des difficultés inhabituelles et injustifiées ou excessives me semblent généralement correspondre à celles qui inciteraient une personne à soulager les malheurs d’une autre, conformément à la définition énoncée dans l’affaire Chirwa.

 

 

[70]           Par ailleurs, ainsi que le défendeur le souligne, notre Cour a, dans l’affaire Ha c Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1992] ACF no 625, examiné la question de savoir si les lignes directrices relatives aux demandes fondées sur des considérations d’ordre humanitaire encadrent l’exercice du pouvoir discrétionnaire de l’auteur de la décision. Le juge Rouleau, citant une décision inédite du juge Strayer, fait observer que « [l]a Cour a examiné ces lignes directrices et les a trouvées non seulement admissibles mais aussi souhaitables » et statue ceci : « En conséquence, la contestation par le requérant des lignes directrices n’est nullement fondée ». Dans la décision Ha, la Cour a adhéré à l’argument suivant lequel les lignes directrices sont souhaitables parce qu’elles favorisent l’uniformité en matière de décisions relatives à des demandes fondées sur raisons d’ordre humanitaire.

[71]           Le juge Denis Pelletier a également cité et approuvé le critère des difficultés dans la décision Irimie c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [2000] ACF no 1906, aux paragraphes 11 et 12. Plus récemment, dans la décision Singh, précitée, aux paragraphes 31 à 38, et dans la décision Eng c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2011 CF 596, au paragraphe 8, notre Cour a réaffirmé que le critère des difficultés inhabituelles et injustifiées ou démesurées était devenu le critère habituel pour juger les demandes fondées sur des raisons d’ordre humanitaire et qu’elles ne donnent pas lieu à une entrave du pouvoir discrétionnaire. La Cour a également refusé de certifier des questions de nature semblable dans la décision Jung, précitée.

[72]           Il est par ailleurs révélateur de constater que, dans la décision Yhap, précitée, sur laquelle le demandeur se fonde pour démontrer que le pouvoir discrétionnaire prévu à l’article 25 est large et que le critère articulé dans les lignes directrices est trop étroit, la Cour a en fait confirmé ce critère. Le juge Jerome a écrit en effet au paragraphe 38 de la décision Yhap :

Je n’ai pas à me prononcer sur le bien‑fondé des lignes directrices relatives à l’examen à caractère humanitaire figurant au chapitre 9 du Guide de l’immigration. Je dirai toutefois que ces lignes directrices semblent constituer une sorte de « politique générale » ou de « règles empiriques grossières » qui sont une structuration appropriée et licite du pouvoir discrétionnaire conféré par le paragraphe 114(2).

 

 

[73]           Non seulement notre Cour a‑t‑elle constamment confirmé cette application des lignes directrices, mais dans l’arrêt Legault, précité, au paragraphe 23, la Cour d’appel fédérale indique clairement que le critère des difficultés inhabituelles et injustifiées ou démesurées est acceptable lorsqu’il s’agit d’examiner une demande fondée sur des raisons d’ordre humanitaire. Ainsi que le défendeur le souligne, dans l’arrêt Legault, la Cour d’appel fédérale a cité les lignes directrices ministérielles portant sur le traitement des demandes au Canada et, tout en signalant que le ministre n’était pas lié par les lignes directrices, elle a souligné qu’elles servaient de guide aux personnes chargées de prendre une décision lorsqu’elles exercent leur pouvoir discrétionnaire pour déterminer s’il existe des considérations d’ordre humanitaire suffisantes pour justifier l’octroi de la dispense demandée. Dans l’arrêt Hawthorne c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2002 CAF 475, au paragraphe 9, la Cour d’appel fédérale a également jugé que le recours au critère des difficultés inhabituelles et injustifiées ou démesurées prévu par les lignes directrices visait simplement à aider les personnes chargées de prendre des décisions et que les lignes directrices n’avaient pour effet d’entraver leur pouvoir discrétionnaire :

Quatrièmement, le terme « difficultés » n’est pas un terme technique. Conformément à l’article 6.1 du chapitre IP 5 du Guide de l’immigration (reproduit au paragraphe 30 des motifs de mon collègue), les définitions administratives de « difficultés inhabituelles et injustifiées » et de « difficultés excessives » dans le Guide « ne constituent pas des règles strictes » et ont plutôt « pour but d’aider à exercer le pouvoir discrétionnaire ». Il va de soi, par exemple, que le concept de « difficultés injustifiées » n’est pas approprié lorsqu’il s’agit d’évaluer les difficultés auxquelles s’exposent les enfants innocents. Les enfants méritent rarement, sinon jamais, d’être exposés à des difficultés.

 

 

[74]           De plus, dans l’arrêt Baker, précité, aux paragraphes 16, 17 et 72, la Cour suprême du Canada a reconnu que le critère des difficultés inhabituelles et injustifiées ou démesurées prévu par le Guide IP5 constituait un guide ou une indication légitimes dont l’agent pouvait se servir pour déterminer ce qui constitue une interprétation raisonnable du pouvoir conféré aux agents [non souligné dans l’original] :

c) Les lignes directrices ministérielles

 

72        Troisièmement, les directives données par le ministre aux agents d’immigration reconnaissent et révèlent les valeurs et la démarche qui sont décrites ci‑dessus et qui sont énoncées dans la Convention. Comme il est dit plus haut, les agents d’immigration sont censés rendre la décision qu’une personne raisonnable rendrait, en portant une attention particulière à des considérations humanitaires comme maintenir des liens entre les membres d’une famille et éviter de renvoyer des gens à des endroits où ils n’ont plus d’attaches. Les directives révèlent ce que le ministre considère comme une décision d’ordre humanitaire, et elles sont très utiles à notre Cour pour décider si les motifs de l’agent Lorenz sont valables. Elles soulignent que le décideur devrait être conscient des considérations humanitaires possibles, devrait tenir compte des difficultés qu’une décision défavorable imposerait au demandeur ou aux membres de sa famille proche, et devrait considérer comme un facteur important les liens entre les membres d’une famille. Les directives sont une indication utile de ce qui constitue une interprétation raisonnable du pouvoir conféré par l’article, et le fait que cette décision était contraire aux directives est d’une grande utilité pour évaluer si la décision constituait un exercice déraisonnable du pouvoir en matière humanitaire.

 

 

[75]           Compte tenu du caractère constant de la jurisprudence, j’estime que les arguments invoqués par le demandeur ont été abordés de façon claire et cohérente et qu’il est inutile de certifier la question qu’il propose.

[76]           Il est vrai que la jurisprudence de notre Cour et de la Cour d’appel fédérale établit que, dans certaines circonstances, l’application des lignes directrices peut entraver de façon illicite le pouvoir discrétionnaire de l’agent (voir les décisions Legault, au paragraphe 25, Singh, au paragraphe 35, et Ha c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2004 CAF 49, au paragraphe 49). Dans la décision Rizvi, le juge Shore déclare ce qui suit au paragraphe 16 :

 

En l’espèce, l’agente a tenu compte de la situation particulière des demandeurs et elle n’a pas limité son pouvoir discrétionnaire en se conformant strictement aux directives au détriment d’un examen complet de la preuve dont elle disposait.

 

 

[77]           Ce passage laisse entendre que le critère des difficultés inhabituelles et injustifiées ou démesurées, qui est par ailleurs une mesure acceptable des difficultés, peut se traduire par une entrave lorsque l’agent adhère de façon rigide aux lignes directrices. Saisie d’une demande de contrôle judiciaire, la Cour est alors appelée à déterminer si, vu l’ensemble des faits dont elle dispose, l’agent a appliqué le critère des difficultés inhabituelles et injustifiées ou démesurées d’une manière qui entrave son pouvoir discrétionnaire. De cette façon, le second volet de la question proposée par le demandeur reviendrait, à mon avis, à demander à la Cour d’appel fédérale de répondre dans l’abstrait à une question à laquelle on ne peut répondre qu’à la lumière des faits de chaque affaire.

[78]           Dans l’arrêt Kunkel c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2009 CAF 347, au paragraphe 9, la Cour d’appel fédérale a jugé qu’« une question certifiée doit se prêter à une approche générique et être susceptible d’apporter une réponse d’application générale. C’est‑à‑dire que la question doit transcender le contexte particulier dans lequel elle se posait ». Le second volet de la question proposée par le demandeur ne respecte pas ce critère : il ne peut exister de réponse d’application générale à une question qui dépend des faits particuliers de l’espèce. À mon avis, il ne convient pas de certifier le second volet de la question proposée par le demandeur.

 


JUGEMENT

 

LA COUR STATUE  que :

 

1.                  la demande est rejetée;

2.                  il n’y a aucune question à certifier.

 

 

« James Russell »

Juge

 

 

 

 

Traduction certifiée conforme

Sandra de Azevedo, LL.B.


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

DOSSIER :                                                    IMM‑3344‑11

 

INTITULÉ :                                                   JOAO GUILHERME RIBEIRO

                                                                        GADELHA SIMAS REIS

 

                                                                        ‑   et   ‑

 

                                                                        MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

                                                                        ET DE L’IMMIGRATION

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                             Toronto (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :                           Le 20 décembre 2011

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT

ET JUGEMENT :                                          LE JUGE RUSSELL

 

DATE DES MOTIFS :                                  Le 8 février 2012

 

 

COMPARUTIONS :

 

Rocco Galati

 

POUR LE DEMANDEUR

 

Suranjana Bhattacharyya

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Rocco Galati Law Firm

Avocats

Toronto (Ontario)

 

POUR LE DEMANDEUR

 

Myles J. Kirvan, c.r.

Sous‑procureur général du Canada

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

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