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 Date: 20120203


Dossier : IMM-4871-11

Référence : 2012 CF 141

Ottawa (Ontario), le 3 février 2012

En présence de monsieur le juge Martineau 

 

ENTRE :

 

JOSEPHINE NGOMA KHUABI

 

 

 

demanderesse

 

et

 

 

 

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

 

 

 

défendeur

 

 

 

 

 

         MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

[1]               Il s’agit d’examiner la légalité d’une décision rendue le 26 mai 2011 par la Section de la protection des réfugiés de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié (le tribunal) ayant rejeté la demande d’asile de la demanderesse. Il n’y a pas lieu d’intervenir en l’espèce pour infirmer les conclusions de fait du tribunal portant sur la crédibilité de la demanderesse, ni pour réévaluer la preuve présentée à l’appui de sa demande d’asile.


 

[2]               La demanderesse est une citoyenne de la République Démocratique de Congo (RDC), originaire de la province de Bas-Congo et résidente à Kinshasa. Elle a 59 ans et est mère de cinq enfants. Avant de prendre sa retraite en avril 2006, elle travaillait comme infirmière dans la Société Nationale d’Électricité à Kinshasa. Le 30 juin 2006, la demanderesse dit avoir participé pour la première fois à une réunion tenue par le Bundu Dia Kongo (BDK) à Boma. Il s’agit d’un parti politico-religieux fondé en 1969 qui, selon la demanderesse, a pour mission de dénoncer les inégalités et injustices faites par le gouvernement central dans les provinces, de défendre les intérêts du Bas-Congo et d’instruire la population de cette province en ce qui concerne le travail, la santé et l’éducation.

 

[3]               La demanderesse allègue que depuis son adhésion à ce mouvement, elle a participé à plus de quinze réunions tenues par le BDK au Bas-Congo mais aussi à Kinshasa. Il s’agissait de réunions d’une durée de trois à quatre heures auxquelles participaient entre cinquante et cent adhérents. En outre, en tant qu’infirmière retraitée, son implication au sein du BDK lui valait d’assister les habitantes du Bas-Congo par des conseils sur la planification familiale et la prévention contre les maladies sexuellement transmissibles. De plus, en tant que membre de BDK, la demanderesse hébergeait régulièrement dans sa résidence d’autres adhérents qui se rendaient à Kinshasa pour faire du commerce entre le Bas-Congo et la capitale.

 

[4]               À l’appui de sa demande d’asile, la demanderesse a allégué que le 25 mars 2009, des policiers de la police judiciaire munis d’un mandat d’amener et d’un mandat d’arrêt provisoire se sont présentés à sa résidence. En effet, selon la demanderesse, les originaires du Bas-Congo affiliés au BDK ont été, et sont toujours, recherchés par la police congolaise depuis les affrontements ayant eu lieu entre la police et les membres du BDK en janvier 2008. Les policiers ont conduit la


demanderesse à la police judiciaire des parquets et ensuite au parquet de grande instance de Kinshasa, où elle aurait subi un interrogatoire sur le BDK et les évènements de janvier 2008 au Bas-Congo. La demanderesse allègue qu’elle aurait été dénoncée par des personnes dont elle ignore l’identité.

 

[5]               Toujours selon les dires de la demanderesse, le 14 avril 2009, après trois semaines de détention durant laquelle elle a subi toutes sortes de mauvais traitements, elle a été mise en liberté provisoire sous la condition de ne pas quitter la ville de Kinshasa et de se présenter chaque mardi et vendredi devant le magistrat instructeur; ce qu’elle a fait jusqu’au 8 mai 2009. Après sa libération, la demanderesse a été hospitalisée pendant cinq jours. Par la suite, elle s’est réfugiée chez son neveu jusqu’à ce qu’elle quitte son pays pour aller en Grande Bretagne, le 11 mai 2009. Elle s’est ensuite rendue aux États-Unis le 26 mai 2009, puis au Canada le 12 juin 2009. Elle y a demandé l’asile le jour même.

 

[6]               Essentiellement, la demanderesse craint d’être persécutée par la justice congolaise puisqu’elle est maintenant accusée d’appartenir à un mouvement insurrectionnel et d’avoir porté atteinte à la sûreté de l’État. Malheureusement pour elle, le tribunal n’a cru son histoire de persécution. En l’espèce, son témoignage au sujet du BDK contenait des omissions et contradictions importantes qui minaient sa crédibilité, d’où la présente demande de contrôle judiciaire.

 

[7]               Rappelons d’abord que le tribunal est mieux placé que la Cour pour évaluer la crédibilité d’un demandeur d’asile étant donné qu’il a eu notamment l’occasion d’observer son comportement à l’audience ainsi que la spontanéité et la cohérence de ses réponses. En l’espèce, la demanderesse ne m’a pas démontré que les conclusions du tribunal sont déraisonnables. Les motifs fournis par le tribunal pour douter de la crédibilité de la demanderesse sont clairs et s’appuient sur la preuve au dossier. Je rejette l’affirmation de la demanderesse à l’effet que le tribunal a fait preuve d’une vigilance extrême et que ses explications auraient dû être acceptées par le tribunal.

 

[8]               Premièrement, le tribunal a jugé que la demanderesse a été incapable de lui fournir suffisamment de détails sur les discussions entreprises lors des réunions mensuelles du BDK auxquelles elle dit avoir participé quinze à vingt fois, ce qui suppose donc une participation active et une certaine connaissance de ce mouvement.

 

[9]               Lorsqu’elle a été invitée à en donner des exemples, les réponses de la demanderesse étaient plutôt floues par rapport à ce que l’on peut raisonnablement attendre d’un membre actif. La demanderesse soumet qu’en tant qu’infirmière retraitée, ce qui retenait le plus son attention lors de ces réunions c’était les questions reliées à la santé et au bien-être de la population et que son rôle d’infirmière au sein de l’organisation pourrait expliquer la nature très générale de ses réponses. Or, à la lecture des transcriptions de l’instance, il est clair que la demanderesse n’a pas été en mesure de donner des détails convaincants sur aucun des sujets auxquels elle a fait référence (y compris la santé), de sorte que le tribunal pouvait raisonnablement douter de la véracité des faits allégués par rapport à l’engagement de la demanderesse au sein du BDK.

 

[10]           Sur ce point, l’échange suivant est particulièrement révélateur :

Q. : Et de quoi discutiez-vous?

R. : Il y avait plusieurs sujets qu’on – sur lesquels on discutait parce que ça dépendait toujours des responsables. On pouvait discuter les problèmes concernant la cotisation, on pouvait discuter en ce qui concerne les élections présidentielles, par exemple, ainsi de suite.

Q. : Pouvez-vous me donner d’autres exemples?

R. : À part ce que je viens de citer, on parlait de l’ordre culturel. On parlait aussi de leur santé, la santé des membres, comment se maintenir en santé.

Q. : Autre chose?

R : Etc. Parce que ça dépendait des responsables et des sujets qu’ils évoquaient.

(…)

Q. : Et de quoi vous avez discuté par rapport aux élections?

R. : Il y avait des responsables différents. En matière d’élection on avait un responsable qui nous parlait sur la manière qu’il faut élire. Qu’il faut aller au vote et qui voter.

Q. : Autre que cela, est-ce que vous avez parlé d’autre chose pour les élections Madame? Autre qui aller voter?

R. : Mais oui. Nous parlions aussi qu’au cas où il y a élection, nous on pouvait choisir quelqu’un parmi les membres qui pouvait se porter aussi candidat pour que nous puissions l’appuyer.

 

[11]           D’autre part, le tribunal reproche à la demanderesse de n’avoir fait aucune référence ni dans son Formulaire de renseignements personnels (FRP) ni lors de son témoignage, à la révocation par le gouvernement congolais de l’autorisation du BDK d’opérer en tant qu’organisation sociale et culturelle, rendant ainsi illégale toute participation au mouvement depuis le 21 mars 2008 (Cartable national de documentation sur la République Démocratique du Congo, le 30 avril 2010, onglet 2.5, page 65). Une fois questionnée par le tribunal, la demanderesse a affirmé qu’elle avait connaissance de l’existence de cette interdiction mais qu’elle ne s’en est pas rappelée lorsque le tribunal l’a interrogée sur la raison pour laquelle elle avait été arrêtée en mars 2009 ou la raison pour laquelle les sympathisants du BDK sont encore recherchés par le gouvernement congolais. 

 

[12]           La demanderesse explique qu’elle peut ne pas avoir pensé à mentionner le fait que le BDK a été déclaré illégal en mars 2008, sans pour autant ignorer ce fait. Il est bien possible que la déclaration formelle de l’illégalité du BDK par le gouvernement congolais suite aux incidents de janvier 2008 soit un évènement pouvant avoir plus ou moins d’importance dans la perception d’un individu relatant ces faits, qu’il ait d’ailleurs été membre du BDK ou non. Cependant, bien que le tribunal ne pouvait raisonnablement baser son refus exclusivement sur une telle omission de la part de la demanderesse, je constate qu’en l’espèce, c’est plutôt la manque général de connaissance de celle-ci par rapport aux réunions et activités du BDK, qui a été déterminante dans le raisonnement du tribunal.

 

[13]           Il était également loisible au tribunal de n’accorder aucune valeur probante aux documents déposés par la demanderesse eu égard à son adhésion à titre de membre du BDK. En effet, le tribunal a mentionné que selon la preuve documentaire, il est facile pour un demandeur d’asile venant de la RDC d’obtenir des documents frauduleux au soutien de sa demande d’asile. La demanderesse soutient que le tribunal ne pouvait ignorer les documents déposés en preuve qui étaient authentiques à leur face même. Or, l’examen des motifs révèle que la conclusion sur la crédibilité de la demanderesse n’était pas fondée sur une considération frivole mais sur les lacunes et contradictions relevées dans la preuve testimoniale. Rien n’empêchait donc le tribunal de tenir compte de la capacité de la demanderesse de se procurer des documents frauduleux à l’appui de sa demande. Il faut examiner ici la raisonnabilité de cette conclusion de fait en tenant compte des autres éléments négatifs au dossier.

 

[14]           D’ailleurs, la demanderesse a donné des réponses divergentes lorsque le tribunal a cherché à savoir si elle avait été recherchée par la police congolaise depuis son départ en mars 2009. Elle a mentionné dans un premier temps que ses enfants n’ont eu aucun problème suite à son départ puisque, eux aussi, ont quitté leur maison familiale où la demanderesse avait été arrêtée. Questionnée davantage sur ce fait, la demanderesse a mentionné au tribunal que la police avait tenté à trois reprises de la retrouver chez elle, soit en juin 2009, en novembre 2009 et en décembre 2010. Elle a allégué que c’est son neveu qui a eu cette information par l’intermédiaire d’une voisine de la demanderesse. Le tribunal a mentionné que non seulement le témoignage de la demanderesse sur ces évènements a été contradictoire, mais qu’en plus, elle a omis d’en faire état dans son premier FRP daté du 9 juillet 2009, de même que dans le FRP amendé déposé le 30 mars 2011. Compte tenu de tous ces faits, la demanderesse ne peut pas reprocher au tribunal d’avoir tiré une inférence négative quant à sa crédibilité.

 

[15]           Un autre point qui a miné la crédibilité de la demanderesse est le fait que la demanderesse avait demandé un visa pour les États-Unis alors qu’elle avait déjà un visa pour la Grande Bretagne. La demanderesse a expliqué au tribunal qu’elle a profité de son séjour aux États-Unis et en Grande Bretagne pour visiter des membres de sa famille mais qu’elle n’y a pas demandé le refuge parce que l’on n’y parle pas le français et que la demanderesse ne parle pas l’anglais. Contrairement à ce qui est allégué par la demanderesse, le tribunal a tenu compte de ses explications mais il les a jugées non suffisantes. La Cour ne doit pas intervenir tant que le rejet du tribunal est basé sur un raisonnement valable. D’ailleurs, le défaut d’un demandeur d’asile de saisir la première occasion utile pour demander la protection peut être un facteur supplémentaire à considérer dans l’appréciation de la crainte subjective du demandeur, bien qu’il ne soit pas déterminant à lui seul.

 

[16]           Pour les motifs qui précèdent, la demande de contrôle judiciaire sera rejetée. Aucune question d’importance générale n’a été proposée à la Cour.


JUGEMENT

LA COUR STATUE que la présente demande de contrôle judiciaire est rejetée. Aucune question n’est certifiée.

 

 « Luc Martineau »

Juge

 


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

DOSSIER :                                        IMM-4871-11

 

INTITULÉ :                                       JOSEPHINE NGOMA KHUABI

c

                                                            LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                 Montréal (Québec)

 

DATE DE L’AUDIENCE :               30 janvier 2012

 

MOTIFS DU JUGEMENT :            LE JUGE MARTINEAU

 

DATE DES MOTIFS :                      3 février 2012

 

 

 

COMPARUTIONS :

 

Me Giuseppe Di Donato

 

POUR LA DEMANDERESSE

Me Thomas Cormie

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Me Giuseppe Di Donato

Montréal (Québec)

 

POUR LA DEMANDERESSE

Myles J. Kirvan

Sous-procureur général du Canada

Montréal (Québec)

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

 

 

 

 

 

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