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Date : 20120203


Dossier : IMM-4766-11

Référence : 2012 CF 143

TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 3 février 2012

En présence de monsieur le juge Rennie

 

 

ENTRE :

 

RENE GUILLERMO VAQUERANO LOVATO
PRISCILA PATRICIA PADILLA ALVARADO

 

 

 

demandeurs

 

et

 

 

 

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

 

 

défendeur

 

 

 

 

 

           MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

[1]               Les demandeurs demandent le contrôle judiciaire d’une décision rendue par la Section de la protection des réfugiés de la Commission de l'immigration et du statut de réfugié du Canada (la Commission) le 11 juillet 2011 par laquelle elle a conclu que les demandeurs n’étaient ni des réfugiés au sens de la Convention (Convention des Nations Unies relative au statut des réfugiés, [1969] R.T. Can. no 6) au sens de l’article 96 de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27 (la LIPR) ni des personnes à protéger au sens de l’article 97 de la LIPR

 

[2]               Pour les motifs qui suivent, la demande est accueillie.


Les faits

[3]               Le demandeur principal, Rene Guillermo Vaquerano Lovato (le demandeur), prétend craindre de retourner au Salvador parce que lui et sa famille élargie ont été victimes d’extorsion par le gang Mara Salvatrucha (la MS). La MS visait le père et les oncles du demandeur, les propriétaires conjoints d’une station-service, puis il a assassiné et volé un oncle pendant qu’il se rendait à la banque. Le demandeur a ensuite commencé à recevoir des appels de menace dans lesquels on lui disait que sa famille serait assassinée s’il ne remettait pas à la MS les montants d’argent qu’il demandait. Il a satisfait aux demandes, mais il a prévenu la police et a plus tard été attaqué et battu à la suite de cette dénonciation. Les menaces n’ont pas cessé et, par conséquent, le demandeur a quitté le Salvador le 11 avril 2010 et a demandé l’asile au Canada le 27 avril 2010.

 

[4]               La Commission a conclu que le demandeur était crédible. Toutefois, elle a rejeté la demande présentée par le demandeur aux termes des articles 96 et 97 de la LIPR. En ce qui concerne l’article 96, la Commission a conclu qu’il n’y avait pas de lien avec l’un des motifs prévus par la Convention et a donc rejeté la demande.

 

[5]               En ce qui concerne l’article 97, la Commission a accepté que le demandeur était exposé à un risque particulier de préjudice de la part de la MS, mais a conclu qu’étant donné que la population en général au Salvador était exposée à ce risque, les exigences de l’article 97 n’étaient pas satisfaites.



 

 

Analyse 

[6]               La présente affaire porte sur la question de savoir si la Commission a fait la bonne analyse juridique du sous‑alinéa 97(1)b)(ii). Je conclus que la Commission a commis une erreur de droit dans son appréciation de la demande fondée sur l’article 97 et, par conséquent, la décision doit être annulée.

 

[7]               La Commission a souligné à bon droit que « pour examiner la possibilité d’appliquer le sous‑alinéa 97(1)b)(ii) de la LIPR, il faut procéder à un examen personnalisé dans le contexte des risques réels et potentiels auxquels est exposé le demandeur d’asile ». Toutefois, la Commission a ensuite conclu que  « même si le demandeur d’asile est personnellement exposé à un risque de préjudice, dans les cas comme celui-ci – où la population générale est exposée au risque d’être victime d’actes criminels –, une personne qui est une victime directe d’actes criminels n’est pas automatiquement une personne à protéger au titre de l’article 97 de la LIPR ». Selon moi, la Commission a mal compris le critère juridique prévu au sous-alinéa 97(1)b)(ii), ce qui a rendu sa décision déraisonnable.

 

[8]               La Commission a tiré un certain nombre de conclusions qui sont déterminantes quant à l’issue du présent contrôle :

Après avoir procédé à un examen personnalisé, je conclus que le demandeur d’asile a effectivement été exposé à un risque particulier de préjudice de la part de la MS; toutefois, je conclus également que le risque de préjudice auquel il a été exposé est un risque auquel d’autres personnes au Salvador sont généralement exposées.

 

[…]

 

[…] être victime d’un acte violent ou d’un autre crime commis par des gangs de criminels ou par des groupes du crime organisé au Salvador est un risque auquel sont généralement exposés tous les citoyens et résidents du Salvador.

 

[…]

 

[…] le risque auquel est exposé le demandeur d’asile est généralisé, et constitue un risque auquel est généralement exposée la population du Salvador. Compte tenu des faits propres à cette affaire, même si le demandeur d’asile était exposé à un risque de préjudice particulier au titre de l’article 97 de la LIPR, le risque auquel il est exposé est un risque généralisé, ce qui tombe sous le coup de l’exception prévue à l’alinéa 97(1)b)

 

[9]               La commission a commis une erreur en concluant que le demandeur était exposé à un risque de préjudice particulier, mais ne pouvait pas se voir accorder la protection prévue à l’article 97 pour la simple raison qu’il existe un risque généralisé d’activités criminelles ou d’activités de la part des gangs au Salvador. Dans la décision Vivero c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2012 CF 138, la Cour a examiné les principes fondamentaux régissant l’interprétation du sous-alinéa 97(1)b)(ii) – notamment qu’un examen personnalisé doit être effectué dans chaque cas et le fait que le risque auquel un demandeur est exposé découle d’activités criminelles n’écarte pas en soi la possibilité que la protection prévue à l’article 97 soit accordée. La décision attaquée n'est pas conforme à la jurisprudence, car elle fait complètement fi d'une situation où il est admis que l'intéressé est spécifiquement exposé à un risque, et cela simplement parce que les agissements qui sont la source du risque sont aussi de nature criminelle.

 

[10]           Les faits en l’espèce sont semblables à ceux de Pineda c Canada (Ministre de Citoyenneté et de l’Immigration), 2007 CF 365. Dans cette affaire, le demandeur était un jeune homme originaire du Salvador qui prétendait avoir été ciblé pour le recrutement, puis menacé par la MS pendant plusieurs mois. La Commission n’a tiré aucune conclusion défavorable à propos de la crédibilité du demandeur, mais elle s’est fiée à la déclaration du demandeur que les gangs faisaient du recrutement dans tout le pays et dans l’ensemble de la société. C’est en se fondant sur cette déclaration que la Commission a conclu que le risque était généralisé et elle a rejeté la demande.

 

[11]           Dans Pineda, le juge de Montigny a fait la déclaration suivante au paragraphe 15 :

Dans ces circonstances, la conclusion de la SPR est manifestement déraisonnable. On ne peut accepter, du moins tacitement, le fait que le demandeur ait été menacé par un gang bien organisé et qui sème la terreur sur tout le territoire, d'après la preuve documentaire, et opiner du même souffle que ce même demandeur ne serait pas exposé à un risque personnel s'il retournait au El Salvador. Il se peut bien que les Maras Salvatruchas recrutent parmi la population en général; il n'en demeure pas moins que M. Pineda, s'il faut en croire son témoignage, a été spécifiquement visé et a fait l'objet de menaces insistantes et d'agressions. De ce fait, il est exposé à un risque supérieur à celui auquel est exposée la population en général.

 

[12]           Dans Guerrero c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2011 CF 1210, le juge Russel Zinn a déclaré au paragraphe 34 que l’exigence que d’autres personnes originaires de ce pays, ou qui s’y trouvent, ne sont généralement pas exposées à ce risque personnel signifie que:

les personnes qui sont exposées au même risque ou à un risque plus grand de violence aveugle commise par des gangs que d’autres personnes [peuvent ne pas avoir droit] à la protection. Cependant, lorsqu’une personne risque expressément et personnellement d’être tuée par un gang dans des circonstances où d’autres personnes ne sont généralement pas exposées à ce risque, elle a droit à la protection de l’article 97 de la Loi si les autres exigences légales sont remplies.

 

 

[13]           En l’espèce, la Commission s’est fondée sur une interprétation erronée de la signification du sous-alinéa 97(1)b)(ii). Bien qu’elle eût conclu que le demandeur était exposé à un risque particulier de préjudice, elle a conclu que la population en général était exposée à ce risque parce que tous les Salvadoriens sont exposés à un risque de violence de la part de la MS. Le commissaire a souligné ce qui suit : « Je ne dispose d’aucun élément de preuve convaincant selon lequel le demandeur d’asile a été pris pour cible si ce n’est que pour les raisons que j’ai déjà mentionnées », c’est-à-dire ceux pour lesquels la MS cible n’importe quel membre de la population. De cette façon, la Commission a à tort mis l’accent sur les motifs pour lesquels le demandeur était ciblé, plutôt que sur la preuve que la MS visait le demandeur dans une mesure plus importante que la population en général. Par conséquent, la décision de la Commission était déraisonnable. 

 

[14]           Come il a été souligné dans Vivero, l’article 97 ne doit pas être interprété d’une manière qui le vide de son sens. Si un risque créé par une « activité criminelle » est toujours considéré comme un risque général, il est difficile de voir comment les exigences prévues à l’article 97 pourraient être satisfaites. Au lieu de mettre l’accent sur la question de savoir si le risque est créé par une activité criminelle, la Commission doit concentrer son attention sur la question dont elle est saisie : le demandeur serait-il exposé à une menace à sa vie ou au risque de subir des traitements et peines cruels et inusités à laquelle ou auquel les autres personnes qui vivent dans le pays ou qui sont originaires du pays ne sont pas exposées? Comme en l’espèce, la Commission ne s’est pas bien penchée sur cette question, la décision doit être annulée.

 

[15]           La demande de contrôle judiciaire est accueillie. Aucune question n’a été proposée aux fins de certification et l’affaire n’en soulève aucune. 

 


JUGEMENT

LA COUR STATUE que la demande de contrôle judiciaire est accueillie. L’affaire est renvoyée pour nouvel examen à un autre commissaire de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié. Aucune question n’a été proposée aux fins de certification et la Cour estime que l’affaire n’en soulève aucune.

 

 

« Donald J. Rennie »

Juge

 

 

Traduction certifiée conforme

Claude Leclerc, LL.B.


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

DOSSIER :                                        IMM-4766-11

 

INTITULÉ :                                       RENE GUILLERMO VAQUERANO LOVATO
PRISCILA PATRICIA PADILLA ALVARADO

                                                             c. LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                 Toronto

 

DATE DE L’AUDIENCE :               Le 26 janvier 2012

 

MOTIFS DU JUGEMENT
ET JUGEMENT :
                              LE JUGE RENNIE

 

DATE DES MOTIFS

ET DU JUGEMENT :                       Le 3 février 2012

 

 

 

COMPARUTIONS :

 

Alla Kikinova

POUR LES DEMANDEURS

 

Nina Chandy

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Loebach, Michael F.

London (Ontario)

 

POUR LES DEMANDEURS

Myles J. Kirvan,

Sous-procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

 

 

 

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