Décisions de la Cour fédérale

Informations sur la décision

Contenu de la décision

 

Cour fédérale

 

Federal Court

 

 

Date : 20120203


Dossiers : IMM-4421-11

     IMM-4532-11

Référence : 2012 CF 147

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 3 février 2012

En présence de monsieur le juge Zinn

 

ENTRE :

 

 

JANE JULIETTA FORDE

CARLEEN DARYNA FORDE

ALLAN JOSHUA MONTEL HYPPOLYTE NATALIE CHANTEE ALBERT

 

 

 

demandeurs

 

et

 

 

 

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L’IMMIGRATION

 

 

 

défendeur

 

 

 

 

 

           MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

[1]               Les demandeurs contestent deux décisions : la décision défavorable rendue relativement à l’examen des risques avant renvoi (l’ERAR) (dossier de la Cour no IMM‑4421‑11) et le refus de surseoir à leur renvoi (dossier de la Cour no IMM‑4532‑11). Les présentes demandes ont été instruites conjointement; un seul exposé des motifs sera rendu et copie en sera versée dans chacun des dossiers.

 

Le contexte

[2]               La demanderesse principale, Mme Jane Juliette Forde, et ses trois enfants, Carleen Forde, Allan Hyppolyte et Natalie Albert, sont des ressortissants de Sainte‑Lucie. Mme Forde alléguait craindre qu’elle‑même et ses enfants soient blessés grièvement ou tués par son ancien conjoint, Nathaniel Albert, car elle ne pourrait pas obtenir une protection adéquate à Sainte‑Lucie.

 

[3]               Mme Forde a entamé une relation avec M. Albert en 2002 et ils ont eu une fille, Natalie, en juillet 2003. Lorsque Natalie avait trois ans environ, M. Albert a commencé à être de plus en plus violent à l’égard de Mme Forde. Il s’en serait pris à elle physiquement, sexuellement et psychologiquement. À une occasion, il l’a frappée avec un bâton et lui a fendu la lèvre. À une autre occasion, il l’a frappée et elle a perdu deux dents. La police de Sainte‑Lucie a refusé d’intervenir parce que, selon elle, il s’agissait d’une dispute familiale.

 

[4]               En 2007, M. Albert, qui habitait alors à Montréal, a demandé à Mme Forde de le rejoindre afin qu’il puisse offrir une meilleure vie à leur fille. Mme Forde et Natalie sont arrivées au Canada le 21 décembre 2007 à titre de visiteurs. La violence aurait repris peu après.

 

[5]               Le dossier semble indiquer que Mme Forde a vécu avec M. Albert avant de déménager avec Natalie. À une occasion, M. Albert se serait rendu chez Mme Forde dans le but d’enlever sa fille. Il n’a pas réussi à le faire parce que personne n’était à la maison. Le frère de Mme Forde a proposé à cette dernière de déménager à Toronto, où lui‑même habitait. Selon un affidavit déposé en l’espèce, une ordonnance de non‑communication aurait été prononcée contre M. Albert à l’été 2008.

 

[6]               Mme Forde et Natalie ont déménagé à Toronto, puis ont présenté une demande d’asile le 14 août 2008. Les deux enfants de Mme Forde restés à Sainte‑Lucie, Carleen et Allan, sont venus les rejoindre le 14 décembre 2008. La Section de la protection des réfugiés (la SPR) a rejeté leur demande le 4 août 2010 après avoir relevé plusieurs incohérences et contradictions. La Cour a refusé d’accorder l’autorisation nécessaire au contrôle judiciaire de cette décision le 1er décembre 2010. Les demandeurs ont déposé une demande d’ERAR le 22 mars 2011, laquelle a également été rejetée.

 

[7]               Le 2 juillet 2011, trois policiers se sont rendus à l’appartement des demandeurs après avoir appris de la police de Montréal que Natalie était victime de violence sexuelle à la maison. La famille a été interrogée et les policiers ont convenu qu’aucun acte de violence n’avait été commis. Ils ont dit à Mme Forde que M. Albert avait appelé la police de Montréal et avait porté plainte. Ils ont recommandé aux demandeurs d’être prudents et de veiller à ce que Natalie sache comment composer le 911 si elle voyait M. Albert ou si elle avait peur. Ils leur ont également suggéré de déménager.

 

[8]               Le lendemain, Mme Forde a communiqué avec la police de Montréal, qui a confirmé que l’ordonnance de non‑communication qui avait été rendue à l’encontre de M. Albert était expirée. On lui a dit qu’elle pouvait demander une copie de cette ordonnance en ligne, mais que cela prendrait au moins 30 jours.

 

[9]               Le 10 juillet 2011, deux autres policiers de Toronto sont allés chez Mme Forde. Ils lui ont dit encore une fois qu’ils avaient reçu un appel de la police de Montréal concernant le bien‑être de Natalie et des problèmes en matière d’immigration. Mme Forde leur a expliqué la situation et les policiers lui ont recommandé d’être prudente.

 

[10]           Plus tard le même jour, l’un des policiers a appelé Mme Forde pour lui dire qu’elle recevrait la visite de la Children’s Aid Society (la société d’aide à l’enfance) au cours de la semaine. Un employé de la société d’aide à l’enfance s’est rendu chez les demandeurs pour faire enquête et leur a dit qu’ils étaient en danger à cause de M. Albert.

 

[11]           Le 13 juillet 2011, les demandeurs ont déposé une demande fondée sur des motifs d’ordre humanitaire, une demande de contrôle judiciaire visant la décision relative à l’ERAR, accompagnée d’une requête en prorogation de délai, et une demande de report de leur renvoi. Par cette dernière demande, les demandeurs souhaitaient obtenir un report de 45 jours de manière à pouvoir recueillir des éléments de preuve concernant le harcèlement auquel M. Albert s’était livré récemment et les incidences de ce harcèlement sur l’intérêt supérieur de l’enfant, ou bien obtenir un report jusqu’à ce qu’une décision soit rendue relativement à leur demande de résidence permanente fondée sur des motifs d’ordre humanitaire. Cette demande a été rejetée le 18 juillet 2011.

 

La décision relative à l’ERAR

[12]           L’agent d’ERAR a examiné la décision de la SPR et a relevé des incohérences et des contradictions entre les Formulaires de renseignements personnels (les FRP) et les témoignages. La SPR avait conclu que les demandeurs n’avaient pas une crainte subjective et que l’État pouvait les protéger de manière adéquate s’ils devaient retourner à Sainte‑Lucie.

 

[13]           S’appuyant sur Perez c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2006 CF 1379, l’agent d’ERAR a rappelé qu’un ERAR n’a pas pour but de contrôler la décision de la SPR. En conséquence, il a décidé de ne pas prendre en considération les [traduction] « prétentions formulées par le conseil relativement aux erreurs ayant pu être commises par la SPR ».

 

[14]           Selon l’agent d’ERAR, les demandeurs invoquaient essentiellement les mêmes faits qui avaient été présentés à la SPR lors de l’audition de la demande d’asile. Certains documents produits par les demandeurs étaient antérieurs à la décision de la SPR, d’autres étaient postérieurs à celle‑ci. En ce qui concerne les premiers, l’agent a indiqué que l’on n’avait pas expliqué pourquoi les documents n’avaient pas pu être présentés à la SPR; ces documents n’ont pas été considérés comme de nouveaux éléments de preuve et n’ont pas été pris en compte dans le cadre de l’évaluation des risques. Quant aux documents postérieurs à la décision de la SPR, il s’agissait de lettres du YWCA, d’un rapport de counseling et du document du département d’État américain intitulé 2010 Human Rights Report: St. Lucia.

 

[15]           La première lettre du YWCA, qui était datée du 17 mars 2011, confirmait des faits survenus à l’automne 2009, soit plus de six mois avant l’audience de la SPR. Aucune explication n’a été donnée quant à la question de savoir pourquoi une lettre semblable n’avait pas pu être présentée à la SPR; en conséquence, elle n’a pas été considérée comme un nouvel élément de preuve. L’agent d’ERAR a statué que, de toute façon, cette lettre ne concernait pas la question de la protection de l’État.

 

[16]           Le rapport de counseling, qui était daté du 15 mars 2011, rendait compte d’une discussion sur la façon dont Allan réagissait à la violence dont sa mère avait été victime. L’agent d’ERAR a indiqué que le rapport décrivait des moyens permettant à Allan de faire face à la situation et recommandait qu’il [traduction] « continue à assister à des séances de counseling sans rendez‑vous ». La deuxième lettre du YWCA, datée du 16 juin 2011, indiquait que Mme Forde avait assisté à d’autres séances de counseling. Selon la lettre, Mme Forde craignait de retourner à Sainte‑Lucie et elle ne pourrait pas obtenir la protection de l’État à cet endroit.

 

[17]           L’agent a indiqué que les deux lettres du YWCA étaient fondées sur des renseignements fournis par les demandeurs. Il a dit : [traduction] « Étant donné que la demanderesse n’a pas expliqué de manière satisfaisante les incohérences contenues dans son témoignage qui ont été relevées par la SPR, je ne suis pas convaincu que ces documents dissipent les doutes concernant la crédibilité qui ont été signalés par la SPR. » L’agent a conclu également que, même si les lettres établissaient l’existence d’une crainte subjective, il ne disposait pas d’une preuve suffisante réfutant la présomption de protection de l’État.

 

[18]           L’agent a mentionné également qu’il ne relève pas du domaine d’expertise d’un conseiller familial de déterminer si une personne serait en danger ou serait en mesure d’obtenir la protection de l’État si elle retournait à Sainte‑Lucie. En conséquence, il a estimé que les documents ne constituaient pas une preuve claire et convaincante du fait que les demandeurs ne pourraient pas obtenir la protection de l’État à Sainte‑Lucie.

 

[19]           L’agent a passé en revue le rapport intitulé 2010 Human Rights Report: St. Lucia et a conclu qu’il ne renfermait aucun renseignement nouveau ou important par rapport à la version de 2009 qui avait été utilisée à l’audience de la SPR.

 

[20]           En résumé, les nouveaux éléments de preuve n’ont pas convaincu l’agent d’ERAR que les demandeurs ne pourraient pas obtenir la protection de l’État à Sainte‑Lucie. En conséquence, il a conclu que les demandeurs ne seraient pas en danger s’ils étaient renvoyés à Sainte‑Lucie.

 

La décision relative au report

[21]           L’agent de renvoi a rappelé qu’il disposait d’un pouvoir discrétionnaire limité et a pris en considération l’intérêt supérieur des enfants. Il a souligné que les enfants avaient habité à Sainte‑Lucie pendant la plus grande partie de leur vie et qu’ils déménageraient avec leur mère. Ils seraient ainsi en mesure de se réinstaller sans trop de difficultés grâce à l’amour et au soutien de celle‑ci. L’agent de renvoi était convaincu qu’ils auraient toutes les chances de devenir des personnes capables. Selon lui, il ne disposait pas d’une preuve suffisante démontrant que la famille serait exposée à des conditions exceptionnellement difficiles qui justifiaient un report.

 

[22]           L’agent de renvoi a ensuite étudié la demande fondée sur des motifs d’ordre humanitaire qui avait été déposée le 13 juillet 2011 et qui était toujours en instance. Il a souligné que le délai de traitement d’une telle demande est de quatre à cinq mois et qu’une décision concernant cette demande n’était donc pas imminente. Il a souligné également que la demande n’avait été déposée que très peu de temps auparavant et il a conclu qu’elle n’avait pas été présentée en temps voulu.

 

[23]           Enfin, l’agent a étudié la demande de report visant à permettre à la Cour de rendre une décision relativement au contrôle judiciaire de l’ERAR. Il a mentionné que le simple dépôt d’une demande n’a aucune incidence sur la procédure d’immigration normale et n’empêche pas le ministre de procéder au renvoi. Il a fait remarquer que très peu d’éléments de preuve avaient été présentés afin de démontrer en quoi l’ERAR était erroné.

 

[24]           L’agent de renvoi a ensuite indiqué qu’une requête visant à obtenir le report du renvoi avait été déposée et que le conseil faisait valoir que [traduction] « [l]’importance d’obtenir des documents relatifs à ces incidents et de coopérer avec la société d’aide à l’enfance ne saurait être sous‑estimée. L’agresseur, Nathaniel Albert, est un homme violent qui s’en est pris à la demanderesse à maintes reprises et qui a causé ainsi un préjudice psychologique considérable à celle‑ci et à ses enfants ». En réponse à cette prétention, l’agent de renvoi a fait référence à la conclusion de l’agent d’ERAR concernant la possibilité d’obtenir la protection de l’État à Sainte‑Lucie. Il a jugé qu’il ne convenait pas de reporter le renvoi des demandeurs dans les circonstances, et il a rejeté la demande.

 

Les questions en litige

[25]           Les demandeurs soulèvent deux questions au regard de la décision relative à l’ERAR :

1.      L’agent a-t-il commis une erreur dans la façon dont il a traité les nouveaux éléments de preuve qui lui ont été présentés et a‑t‑il rendu une décision déraisonnable?

2.      L’agent a-t-il commis une erreur en tirant une conclusion déguisée concernant la crédibilité ou en ne se prononçant pas sur les risques subjectifs?

Les demandeurs soulèvent la question suivante au regard du refus de reporter leur renvoi :

3.      L’agent a-t-il commis une erreur dans la façon dont il a traité l’intérêt supérieur des enfants?

 

Analyse

[26]           Les première et troisième questions ont trait à des conclusions de fait et sont assujetties à la norme de la raisonnabilité. La deuxième question est une question de droit à laquelle la norme de la décision correcte s’applique.

 

1.  Les nouveaux éléments de preuve et le caractère déraisonnable de la décision de l’ERAR

[27]           L’agent a rejeté le rapport de counseling et le rapport du YWCA parce qu’ils étaient fondés sur des renseignements fournis par les demandeurs et n’expliquaient pas de manière satisfaisante les incohérences contenues dans les témoignages entendus par la SPR.

 

[28]           Les demandeurs soutiennent que, bien que le rapport repose sur les renseignements fournis par Allen, la SPR n’était pas d’avis que ce dernier n’était pas crédible et l’agent d’ERAR n’a relevé aucun élément de preuve démontrant le manque de crédibilité d’Allen. En conséquence, le témoignage de celui‑ci aurait dû être présumé crédible et le rejet de la lettre était abusif et déraisonnable. En outre, une entrevue était justifiée étant donné qu’une conclusion défavorable n’avait pas été rendue au sujet de la crédibilité d’Allen : article 167 du Règlement, Latifi c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2006 CF 1388, et Tekie c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2005 CF 27.

 

[29]           Les demandeurs soutiennent également qu’ils ont fourni une explication adéquate des incohérences, mais que l’agent a refusé d’en tenir compte. Ils rappellent la déclaration de l’agent selon laquelle [traduction] « un ERAR n’a pas pour but de contrôler la décision de la SPR […] Par conséquent, je n’examinerai pas les prétentions du conseil concernant les erreurs qui auraient pu être commises par la SPR ». Ils affirment que l’agent essaie d’avoir raison sur tous les plans. Dans leur mémoire des arguments, ils formulent leur prétention dans les termes suivants : [traduction] « [L’agent d’ERAR] refuse de tenir compte de l’explication présentée concernant les prétendues incohérences à l’audience de la SPR, mais il rejette ensuite les nouveaux éléments de preuve produits avec la demande d’ERAR au motif que les incohérences n’ont pas été expliquées. » Ils soutiennent que cette façon de faire est abusive et constitue une erreur susceptible de contrôle.

 

[30]           Je ne suis pas d’accord avec les demandeurs lorsqu’ils prétendent que l’agent d’ERAR a tiré une conclusion défavorable relativement à la crédibilité d’Allen. Je partage plutôt l’avis du défendeur : l’agent a simplement apprécié le témoignage fait spontanément à un tiers. La preuve d’un tiers qui n’a pas les moyens de vérifier de façon indépendante les faits au sujet desquels il témoigne se verra probablement accorder peu de poids, qu’elle soit crédible ou non : Ferguson c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2008 CF 1067, au paragraphe 26.

 

[31]           L’agent d’ERAR a légitimement accordé peu de poids au témoignage d’un conseiller familial qui n’avait pas les moyens de vérifier de façon indépendante les faits qui lui étaient signalés. En outre, comme l’agent d’ERAR n’a tiré aucune conclusion défavorable concernant la crédibilité, la tenue d’une audience n’était pas nécessaire suivant l’article 167 du Règlement.

 

[32]           Selon moi, l’agent n’a pas réservé un traitement particulier aux demandeurs (i) en ne prenant pas en considération les arguments avancés par le conseil au sujet des erreurs possibles de la SPR, puis (ii) en concluant que les demandeurs n’avaient pas expliqué de manière satisfaisante les incohérences contenues dans les témoignages qui avaient été relevées par la SPR.

 

[33]           Les demandeurs ont notamment écrit ce qui suit dans les prétentions qu’ils ont déposées à l’appui de leur demande d’ERAR :

[traduction] La Commission aurait dû considérer que les déclarations faites initialement par la demanderesse à un agent d’immigration étaient conformes aux déclarations qu’elle a faites à l’audience.

 

La Commission aurait dû considérer que, lorsqu’elle a été interrogée au sujet de l’incohérence contenue dans l’exposé circonstancié faisant partie de son FRP, la demanderesse a répondu que des gens lui avaient conseillé de ne rien dire au sujet du fait que Nathaniel était violent à son endroit au Canada. La Commission n’a pas tenu compte du témoignage de la demanderesse selon lequel elle « avait ces choses cachées en moi, et je ne pouvais pas en parler, jusqu’à ce que je consulte ultérieurement ».

 

La Commission aurait dû considérer que la demanderesse était traumatisée et en crise et que cela avait affecté sa capacité de prendre des décisions rationnelles lorsqu’elle avait rempli l’exposé circonstancié de son FRP.

 

[34]           Ces prétentions ne sont pas du tout pertinentes dans le cadre d’une demande d’ERAR; elles visent directement à faire en sorte que la décision de la SPR soit contrôlée ou écartée. L’agent d’ERAR a eu raison de refuser d’en tenir compte. Il pouvait présumer que la SPR avait eu raison de conclure qu’il y avait des incohérences qui suscitaient des doutes au sujet de la crédibilité. Ce qui était pertinent, c’était les nouveaux éléments de preuve susceptibles de corriger ces incohérences. L’agent d’ERAR a conclu à juste titre qu’il ne disposait pas de tels éléments de preuve. Il n’a pas réservé un traitement particulier aux demandeurs.

 

2.  La conclusion déguisée concernant la crédibilité

[35]           Les demandeurs soutiennent que la conclusion selon laquelle ils pouvaient obtenir la protection de l’État était sans fondement parce que l’agent d’ERAR aurait dû d’abord statuer sur l’aspect subjectif de la demande d’asile. Les demandeurs invoquent plusieurs décisions pour démontrer, comme il a été déclaré dans Velasquez c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2010 CF 1201 [Velasquez], au paragraphe 18, que « quand elle analyse la protection de l’État, la Commission commet une erreur de droit quand elle conclut à l’existence de cette protection sans examiner la situation personnelle du demandeur ».

 

[36]           Les demandeurs soutiennent en outre que l’agent d’ERAR a commis une erreur de droit en ne tirant pas une conclusion claire concernant la crédibilité, à tout le moins à l’égard d’Allen : Armson c Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration) (CAF), [1989] ACF no 800, et Hilo c Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration) (CAF), [1991] ACF no 228.

 

[37]           Contrairement à ce qui est allégué, l’agent d’ERAR n’a pas omis de tirer une conclusion concernant la situation personnelle des demandeurs. Ces derniers ne laissent pas entendre dans leurs prétentions que la nature de leur crainte n’a pas été précisément déterminée. Cette erreur avait été fondamentale dans Velasquez, précitée, une décision citée par les demandeurs. Le juge O’Reilly a écrit au paragraphe 17 de cette décision :

[…] la première question à laquelle la Commission doit répondre quand il est question d’une PRI est de savoir si, selon la prépondérance de la preuve, il existe un risque sérieux que le demandeur soit persécuté à l’endroit proposé par la Commission. En règle générale, il n’est pas possible de répondre à cette question si la nature de la crainte du demandeur n’a pas été précisément déterminée. [Non souligné dans l’original.]

 

[38]           En l’espèce, la nature de la crainte alléguée par les demandeurs a été clairement déterminée dans la décision relative à l’ERAR :

[traduction] Jane Julietta Forde (la demanderesse) craint son ancien conjoint, Nathaniel Albert. Elle affirme dans les observations qu’elle a déposées au soutien de sa demande d’ERAR :

 

J’ai peur de retourner à Sainte‑Lucie. Je ne pense pas pouvoir être protégée adéquatement contre Nathaniel à Sainte‑Lucie. Je crains d’être blessée grièvement ou tuée si je dois retourner là‑bas, je crains aussi pour la sécurité de mes enfants.

 

            Carleen Daryna Forde déclare dans sa demande d’ERAR :

 

J’ai peur de l’ancien conjoint de ma mère, Nathaniel Albert. S’il vous plaît, lisez sa déclaration écrite, Nathaniel a aussi proféré des menaces à mon endroit.

 

[39]           Les demandeurs ont raison quand ils affirment qu’il faut que la crainte subjective soit bien définie pour qu’on puisse procéder à une évaluation de la possibilité d’obtenir la protection de l’État. Je ne suis pas convaincu toutefois que l’agent d’ERAR n’a pas bien défini cette crainte. L’analyse de la protection de l’État en l’espèce était un facteur additionnel au regard de la crainte subjective qui était alléguée. Les demandeurs n’ont produit aucune preuve démontrant que l’agent d’ERAR avait mal interprété la crainte qu’ils alléguaient ou qu’il n’en avait pas déterminé la nature.

 

3.  L’intérêt supérieur des enfants

[40]           Les demandeurs s’appuient sur l’ordonnance rendue le 20 juillet 2011, selon laquelle l’agent de renvoi ne s’est pas intéressé aux nouveaux éléments de preuve qui lui avaient été présentés – qui émanaient de la police de Toronto et de la société d’aide à l’enfance – ni à l’incidence de ce défaut sur son obligation de renvoyer les demandeurs dans les plus brefs délais possibles.

 

[41]           On fait valoir que la demande faite à l’agent de renvoi [traduction] « était relativement simple : reporter le renvoi de 45 jours afin qu’ils puissent recueillir des éléments de preuve concernant le harcèlement exercé récemment par Nathaniel et l’effet sur l’intérêt supérieur de l’enfant, ou le reporter jusqu’à ce qu’une décision soit rendue relativement à la demande de résidence permanente [fondée sur des motifs d’ordre humanitaire], compte tenu des nouvelles questions qui ont surgi au regard de l’intérêt supérieur des enfants et qui n’ont jamais été examinées ». Les demandeurs ont présenté une preuve démontrant que l’agresseur avait recommencé depuis peu de temps à s’intéresser activement et de façon soutenue à la famille et que son harcèlement s’était considérablement intensifié; ils soulignent en outre qu’il n’est pas question de la lettre de la société d’aide à l’enfance ou des documents de la police dans les motifs de l’agent. Ils affirment en conséquence que l’agent a manqué à son obligation d’être réceptif, attentif et sensible à l’intérêt à court terme des enfants touchés par la mesure de renvoi.

 

[42]           Je souscris à l’observation formulée par le tribunal relativement à la requête en sursis, selon laquelle un agent de renvoi doit tenir compte des nouveaux éléments de preuve convaincants qui lui sont présentés. Il n’y a toutefois rien dans le dossier en l’espèce qui m’amène à penser que les documents de la police ou la lettre de la société d’aide à l’enfance constituaient de [traduction] « nouveaux éléments de preuve convaincants » ou que l’agent a omis de les prendre en considération.  

 

[43]           Si on avait conclu seulement que M. Albert ne présentait aucun risque, la preuve de la police et de la société d’aide à l’enfance auraient probablement constitué de [traduction] « nouveaux éléments de preuve convaincants », car elle aurait concerné et contredit directement cette conclusion. Or, en l’espèce, on a conclu que, même si M. Albert persécutait les demandeurs, ces derniers pouvaient obtenir la protection de l’État à Sainte‑Lucie. Les prétendus nouveaux éléments de preuve ne concernent pas ou ne contredisent pas cette conclusion. Par conséquent, ce n’est pas le type de preuve que l’agent d’exécution devait mentionner expressément et analyser. Même si l’agent de renvoi a effectivement omis de prendre en considération le rapport de police ou le rapport de la société d’aide à l’enfance, les demandeurs n’avaient pas droit à la protection en vertu de l’article 96 ou 97 de la Loi en raison de la conclusion relative à l’existence de la protection de l’État.

 

[44]           Aucune partie n’a proposé une question à certifier.

 

 


 

JUGEMENT

LA COUR STATUE que la demande est rejetée et qu’aucune question n’est certifiée.

 

 « Russel W. Zinn »

Juge

 

Traduction certifiée conforme

Christiane Bélanger, LL.L.

 

 


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

DOSSIER :                                              IMM-4421-11

INTITULÉ :                                             JANE JULIETTA FORDE ET AL. c.

                                                                  LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

DOSSIER :                                              IMM-4532-11

INTITULÉ :                                             JANE JULIETTA FORDE ET AL. c.

                                                                  LE MINISTRE DE LA SÉCURITÉ PUBLIQUE ET DE LA PROTECTION CIVILE

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                       Toronto (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :                     Le 2 février 2012

 

MOTIFS DU JUGEMENT

ET JUGEMENT :                                    LE JUGE ZINN

 

DATE DES MOTIFS :                            Le 3 février 2012

 

 

COMPARUTIONS :

 

Eugenia Cappellaro Zavaleta

 

                       POUR LES DEMANDEURS

Norah Dorcine  

 

                       POUR LE DÉFENDEUR

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Eugenia Cappellaro Zavaleta

Avocate

Toronto, Ontario

 

                POUR LES DEMANDEURS

Myles J. Kirvan

Sous-procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

 

                POUR LE DÉFENDEUR

 

 Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.