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Cour fédérale

 

Federal Court

 

Date : 20120203


Dossier : IMM-4378-11

Référence : 2012 CF 134

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Toronto (Ontario) le 3 février 2012

En présence de Monsieur le juge Zinn

 

ENTRE :

 

 

LINA OSMANI, PAIANDA OSMANI, SURHAB OSMANI, SEAIR OSMANI,

SORIA OSMANI, SUMAYA OSMANI

 

 

 

demandeurs

 

et

 

 

 

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

 

 

défendeur

 

 

 

 

 

           MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

[1]               Les demandeurs contestent le refus, par un agent d’immigration du Haut‑commissariat du Canada à Islamabad au Pakistan, de leur demande de résidence permanente au titre de la catégorie des personnes de pays d’accueil. Pour les motifs qui suivent, leur demande de contrôle judiciaire est rejetée.

 

Contexte

[2]               Les demandeurs sont une famille comptant sept membres. La demanderesse principale, Lina Osmani, est mariée au demandeur Paianda Osmani. Le couple a cinq enfants, Surhab Osmani, Seair Osmani, Soria Osmani, Ryan Osmani et Sumaya Osmani. Les demandeurs sont citoyens afghans, sauf les deux plus jeunes enfants, Ryan et Sumaya, qui seraient nés au Pakistan, selon les déclarations de leurs parents.

 

[3]               La famille a fui l’Afghanistan en 2001 et s’est rendue à Peshawar, au Pakistan. En 2003, les sœurs de la demanderesse principale qui résidaient au Canada ont formé un groupe de parrainage pour la famille.  Immigration Canada a approuvé le parrainage, et les demandeurs ont présenté une demande de résidence permanente au titre de la catégorie des réfugiés au sens de la Convention outre-frontières définie à la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, ch. 27, ainsi qu’aux articles 145 et 147 du Règlement sur l’immigration et la protection des réfugiés, DORS/2002-227. 

 

[4]               En 2005 et 2006, la famille s’est présentée à deux entrevues, qui ont été menées par deux agents différents. Le deuxième agent a formulé une conclusion défavorable en matière de crédibilité à l’égard de certains aspects du service militaire passé du demandeur, laquelle a entraîné le rejet de la demande de la famille. Une demande de contrôle judiciaire a alors été déposée. Elle a été accueillie, et l’affaire a été renvoyée pour réexamen : Osmani c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2007 CF 419.

 

[5]               Il appert des notes consignées au système de traitement informatisé des dossiers d’immigration (STIDI) que trois agents différents ont tour à tour été chargés du réexamen. Une entrevue avec une première agente a eu lieu le 28 août 2007, à l’issue de laquelle l’agente a conclu que, sous réserve des vérifications requises par la Loi, les demandeurs satisfaisaient à la définition de la catégorie des réfugiés au sens de la Convention outre-frontières mais qu’ils devaient soumettre un formulaire de demande à jour. Le 5 mai 2008, elle a demandé à son adjoint de téléphoner aux demandeurs pour vérifier leur adresse; la démarche a donné des résultats préoccupants. Plus particulièrement, le 16 janvier 2009, la personne qui a pris l’appel a indiqué que la famille habitait en Afghanistan et téléphonait toutes les semaines pour savoir si elle avait reçu du courrier. Si les demandeurs résidaient effectivement en Afghanistan et non au Pakistan, ils ne pouvaient être des réfugiés au sens de la Convention outre-frontières, n’étant pas hors de tout pays dont ils ont la nationalité ou dans lequel ils avaient leur résidence habituelle comme l’exige l’alinéa 147a) du Règlement. 

 

[6]               Au mois de février 2010, comme la première agente des visas n’était plus en poste au Haut-commissariat, un deuxième agent a pris sa relève, et il a estimé qu’il fallait procéder à une nouvelle entrevue pour clarifier la question du lieu de résidence.

 

[7]               Lors de cette nouvelle entrevue, tenue le 6 juillet 2010, l’agent a exposé ses préoccupations au sujet du lieu de résidence de la famille. Il a fait état de la conversation téléphonique indiquant que la famille vivait en Afghanistan, et ajouté que la famille n’avait aucune connaissance du pachto ou de l’urdu, les deux langues les plus communément utilisées dans la région du Pakistan où elle disait vivre, et que la raison pour laquelle les membres de la famille ne possédaient pas de certificats d’inscription (CI) n’avait pas été expliquée de façon crédible. Il a donc demandé des éléments de preuve documentaire additionnels. 

 

[8]               Lorsque les documents demandés ont été reçus, le 7 janvier 2011, le deuxième agent avait été muté à un poste différent, et un troisième agent l’a remplacé. Il a étudié le dossier ainsi que les nouvelles pièces. Les notes consignées au STIDI le 12 avril 2011 indiquent pourquoi il a accordé un poids minime, voire nul, aux nouveaux documents :

[TRADUCTION] COMME PREUVE ADDITIONNELLE DE RÉSIDENCE, LES DEMANDEURS ONT FOURNI DES FACTURES DE GAZ ET D’ÉLECTRICITÉ ÉTABLIES AU NOM DE MIR ABAS KHAN, 244-D-2 HAYATABAD. ON N’A PAS EXPLIQUÉ QUI ÉTAIT CETTE PERSONNE. LORS DE L’ENTREVUE, LES DEMANDEURS N’ONT PU NOMMER LEUR PROPRIÉTAIRE. JE NE SUIS PAS CONVAINCU QUE CES DOCUMENTS CONSTITUENT UNE PREUVE DE RÉSIDENCE AU PAKISTAN.

 

LA DP [DEMANDERESSE PRINCIPALE] A FOURNI UNE LETTRE PORTANT LA SIGNATURE DE PERSONNES QU’ELLE DIT ÊTRE SES CLIENTES, CAR ELLE TRAVAILLE COMME ESTHÉTICIENNE. CE DOCUMENT PARAÎT ÊTRE UNE PREUVE INTÉRESSÉE ET A PEU DE POIDS.

 

LE MARI DE LA DP A FOURNI UNE LETTRE DÉPOURVUE D’EN‑TÊTE PROVENANT D’UN CERTAIN NASIR, QUI EST GESTIONNAIRE AU LABOUR SUPER MARKET, HAYATABAD, À PESHAWAR, DISANT QUE LE MARI DE LA DP TRAVAILLE COMME OUVRIER DEPUIS 2006. LA LETTRE SEMBLE ÊTRE UN DOCUMENT INTÉRESSÉ, ELLE NE FOURNIT AUCUNE COORDONNÉE ET N’INDIQUE PAS LE NOM COMPLET DE NASIR. JE NE SUIS DONC PAS CONVAINCU DE SON AUTHENTICITÉ.

 

LA DEMANDERESSE A AUSSI FOURNI UNE NOTE DE PAK ESTATE PROPERTY AND BUILDERS, À PESHAWAR, INDIQUANT QUE SON MARI VIT DEPUIS 2008 À L’ADRESSE MENTIONNÉE. LES DEMANDEURS N’ONT PAS EXPLIQUÉ QUI EST PAK ESTATE PROPERTY AND BUILDERS. JE NE SUIS PAS CONVAINCU QUE CETTE ENTREPRISE EST LA PROPRIÉTAIRE DES DEMANDEURS OU UNE ENTITÉ INDÉPENDANTE POUVANT CONFIRMER LEUR ADRESSE. LA DP A FOURNI UN RAPPORT D’ÉCHOGRAPHIE DE GROSSESSE RÉALISÉE LE 30 JUIN 2010, UNE SEMAINE AVANT L’ENTREVUE. ELLE N’A FOURNI AUCUN AUTRE DOCUMENT NORMALEMENT ASSOCIÉ À UNE GROSSESSE, NOTAMMENT DES RAPPORTS MÉDICAUX, ULTRASONS OU MÊME UN CERTIFICAT DE NAISSANCE, DISANT QU’ELLE A ACCOUCHÉ À LA MAISON. LES CITOYENS AFGHANS PEUVENT OBTENIR UN CERTIFICAT DE NAISSANCE PARTICULIER POUR LES ENFANTS NÉS AU PAKISTAN. LES DEMANDEURS SAVAIENT QU’ILS DEVAIENT FOURNIR UNE PREUVE DE RÉSIDENCE, ET ILS AVAIENT DES DOCUMENTS PROUVANT LA NAISSANCE D’UN DE LEURS ENFANTS AU PAKISTAN. COMPTE TENU DE L’INSUFFISANCE DES DOCUMENTS, JE NE SUIS PAS CONVAINCU QUE LE DERNIER ENFANT DE LA DP SOIT NÉ AU PAKISTAN.

 

[9]               L’agent a également noté que les demandeurs n’avaient fourni aucune explication raisonnable concernant l’absence de CI. Comme il avait des doutes au sujet de la crédibilité des déclarations et de la demande, il a conclu que la famille ne satisfaisait pas aux conditions requises pour immigrer au Canada et il a refusé la demande.

 

Les questions en litige

[10]           À mon avis, la Cour doit en l’espèce trancher trois questions :

 

1.            L’affidavit des demandeurs et la lettre qui y est annexée sont‑ils inadmissibles au motif que l’affidavit n’est pas appuyé d’un serment valide et n’a pas été souscrit dans les règles?

 

2.            L’agent s’est‑il appuyé sur des éléments de preuve extrinsèque et a‑t‑il omis de ménager aux demandeurs la possibilité de dissiper certaines préoccupations?

 

3.            L’agent a-t-il fondé sa décision sur une conclusion de fait erronée, tirée de façon abusive ou arbitraire ou sans tenir compte des éléments de preuve dont il disposait?

 

[11]           La première question se rapporte au processus applicable à ce type de demande. La deuxième est une question d’équité procédurale, contrôlée en fonction de la norme de la décision correcte : Canada (Citoyenneté et Immigration) c Khosa, 2009 CSC 12, par. 43.  La troisième est une pure question de fait appelant l’application de la norme de la raisonnabilité : Dunsmuir c Nouveau‑Brunswick, 2008 CSC 9. 

 

Analyse

1.  Admissibilité de la preuve

[12]           Le défendeur s’oppose à ce que la lettre non datée et non signée provenant de « Wadak Trading Company », jointe comme pièce « A » à l’affidavit supplémentaire des demandeurs, soit reçue en preuve, objectant que l’affidavit n’a pas été fait en bonne et due forme et a été souscrit « par téléphone ». Il fait également valoir l’impossibilité de soumettre l’auteur de la lettre à l’épreuve du contre‑interrogatoire. Il souligne enfin que la lettre étant postérieure à la décision, elle est sans pertinence pour le contrôle judiciaire. 

 

[13]           Même si l’affidavit auquel elle est jointe était valide, la lettre ne serait pas admissible en l’espèce. Il est de droit constant que la Cour, lorsqu’elle doit contrôler une décision qu’on prétend déraisonnable ou rendue de façon abusive ou arbitraire ou sans égard à la preuve, ne peut fonder son analyse que sur les éléments de preuve dont disposait le décideur, et non sur des éléments qui ont pu être soumis par la suite. Comme l’a signalé le défendeur, la lettre est postérieure à la décision examinée et n’a pas été soumise au décideur, de sorte qu’elle ne saurait être prise en considération. Elle ne fait donc pas partie du dossier de la Cour.

 

[14]           En outre, je vois mal en quoi cette lettre, si je l’avais acceptée, aurait pu servir aux demandeurs. Elle provient de Faisal Wardak, propriétaire du magasin de tapis où était acheminé le courrier des demandeurs. Il y est écrit que M. Wardak et son associé, « julabeeb », connaissent la demanderesse principale depuis neuf ans. Il appert des notes du STIDI que, lors de l’entrevue, cette dernière a répondu à l’agent, qui lui demandait le nom du propriétaire du magasin, que celui‑ci se nommait Gulbuddin Safi et qu’elle le connaissait bien. Son mari a déclaré que le propriétaire du magasin était un ami, le DAhmad Shah. Ce récent élément de preuve semble donc contredire les déclarations des demandeurs.

 

            2.  Omission de fournir la possibilité de répondre

[15]           Les demandeurs soutiennent que la décision de l’agent repose sur des éléments de preuve qui n’ont pas été communiqués lors de l’entrevue. Ils affirment, plus particulièrement, qu’ils n’ont pas eu la possibilité d’expliquer le résultat de la vérification téléphonique qui a fait naître des doutes au sujet du lieu de résidence de la famille, et que cela constitue un manquement à l’équité procédurale : Manvalpillai c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2003 CF 1297, et Abdulle c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2006 CF 1508.

 

[16]           Les notes du STIDI consignent le résultat d’une conversation téléphonique tenue le 15 janvier 2009 :

[TRADUCTION] TÉLÉPHONÉ HIER À L’ÉTR. [LA DEMANDERESSE PRINCIPALE] AU NUMÉRO INDIQUÉ AU STIDI, LA PERSONNE M’A DIT ÊTRE UN COMMERÇANT, IL REÇOIT [LE COURRIER] DE l’ÉTR. IL A DÉCLARÉ QUE L’ÉTR. ET SA FAMILLE VIVENT EN AFGHANISTAN ET APPELLENT TOUTES LES SEMAINES POUR VÉRIFIER SI ON LEUR A ÉCRIT.

 

[17]           Après réception de ce renseignement, l’agent a convoqué une autre entrevue. Selon les notes du STIDI, il y a fait état de trois motifs de préoccupation :

[TRADUCTION] PRÉOCCUPATIONS EXPLIQUÉES AUX DEMANDEURS :

 

VÉRIFICATIONS TÉLÉPHONIQUES INDIQUANT QU’ILS HABITENT EN AFGHANIST[AN]

 

AUCUNE PREUVE DE CERTIFICAT D’INSCRIPTION ET INCAPACITÉ D’EXPLIQUER DE FAÇON CRÉDIBLE POURQUOI ILS NE LES ONT PAS

 

AUCUNE NOTION DE PACHTO OU D’URUD [sic] (TRÈS SURPRENANT PUISQU’ILS DISENT VIVRE À PESHAWAR DEPUIS 2001)

 

[18]           Je ne saurais accepter l’argument du défendeur selon lequel la décision de l’agent ne reposait pas sur le résultat de la vérification téléphonique. La lettre de refus datée du 6 mai 2011 démontre le contraire. On y lit :

[traduction] Des motifs de préoccupation concernant votre demande vous ont été exposés lors de l’entrevue du 6 juillet 2010. Vous avez été incapables de dissiper ces préoccupations et, suivant les règles d’équité procédurale, on vous a demandé, par lettre en date du 4 novembre 2004, de soumettre des éléments de preuve supplémentaires établissant que vous résidez au Pakistan.

 

Compte tenu de votre demande, des entrevues et des réponses données à la lettre d’équité procédurale, je ne suis pas convaincu de la crédibilité de vos déclarations et de votre demande …

[Non souligné dans l’original.]

 

[19]           Cette lettre, qui fait partie de la décision, mentionne les motifs de préoccupation exposés aux demandeurs à l’entrevue du 6 juillet 2010 et le fait qu’ils n’ont pas su dissiper les préoccupations. En outre, une copie des notes du STIDI mentionnant les vérifications téléphoniques était jointe à la lettre refus envoyée aux demandeurs. Par conséquent, le résultat des vérifications téléphoniques était intervenu dans la décision de l’agent des visas. 

 

[20]           Je ne puis non plus me rendre à l’argument des demandeurs selon lequel ils n’ont pas eu la possibilité de s’expliquer au sujet du résultat des vérifications téléphoniques. Les demandeurs savaient qu’il en ressortait qu’ils résidaient en Afghanistan; cela leur a été clairement exposé à l’entrevue du 6 juillet 2010. S’ils voulaient des précisions à ce sujet, ils avaient la possibilité d’en demander. Ils ont décidé de ne pas le faire. Ils n’ont pas non plus expliqué pourquoi la vérification avait donné le résultat décrit par l’agent. Ce n’est pas à l’agent qu’il incombait de fournir des précisions au sujet de la vérification; ce sont les demandeurs qui avaient l’obligation de donner des explications ou de poser des questions. Ils avaient toute la latitude voulue pour se renseigner; ils ne l’ont pas fait. Il n’y a pas eu de manquement à l’équité procédurale.

 

            3.  Bien-fondé de la décision

[21]           Les demandeurs soutiennent que les déclarations faites sous serment doivent être présumées véridiques à moins que n’existe une raison précise, fondée sur des motifs suffisants, de ne pas y ajouter foi. Ils signalent que la demanderesse principale et son mari ont fourni les mêmes réponses lorsqu’ils ont été interrogés séparément.

 

[22]           Selon eux, la conclusion tirée par l’agent au sujet de leur crédibilité reposait uniquement sur des hypothèses ou conjectures et non sur une inférence raisonnable. L’agent n’avait donc pas à demander de preuve documentaire et c’est à tort qu’il l’a rejetée.  Ils ont cité une abondante jurisprudence à l’appui de leur argumentation : Ansong c Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration) (CAF), [1989] ACF no 28; Alfonso c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2007 CF 51; Singh c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2006 CF 709; Mahmood c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2005 CF 1526; Hussein c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1998] ACF no 853. Ils se sont également appuyés sur le paragraphe 5 de Pinzon c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2010 CF 1138, citant le paragraphe 11 de Istvan Vodics c Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration, 2005 CF 783 :

Il n’est pas difficile de comprendre que, en toute justice pour la personne qui jure de dire toute la vérité, des motifs concrets s’appuyant sur une preuve forte doivent exister pour qu’on refuse de croire cette personne. Soyons clairs. Dire qu’une personne n’est pas crédible, c’est dire qu’elle ment. Donc, pour être juste, le décideur doit pouvoir exprimer les raisons qui le font douter du témoignage sous serment, à défaut de quoi le doute ne peut servir à tirer des conclusions. La personne qui rend témoignage doit bénéficier de tout doute non étayé. [Souligné par les demandeurs.]

 

[23]           Invoquant ce principe, les demandeurs contestent chacune des conclusions tirées par l’agent au sujet de la preuve documentaire.

 

[24]           Ils font d’abord valoir que la conclusion de l’agent fondée sur leur méconnaissance du pachto ou de l’urdu est déraisonnable et qu’elle n’est pas confirmée par la preuve. Selon eux, rien au dossier ne confirme qu’il n’est pas plausible pour des réfugiés afghans vivant au Pakistan de ne pas connaître ces deux langues. Soulignant que la demanderesse a témoigné que tous les gens qui l’entourent sont afghans et ne sont pas très instruits, qu’elle reste à la maison et coupe occasionnellement les cheveux de ses voisines afghanes et que le demandeur travaille pour des afghans et n’est pas obligé de savoir l’urdu ou le pachto, ils soutiennent que l’agent des visas n’a pas valablement tenu compte de ces explications.

 

[25]           Deuxièmement, ils avancent que la conclusion de l’agent selon laquelle ils devraient avoir des CI est déraisonnable parce qu’elle ne tient pas compte de leur situation. Le processus de délivrance de ces documents s’est déroulé en 2006-2007 et, jusqu’en février 2006, les demandeurs pensaient que leur demande de visa avait été approuvée. La demande de contrôle judiciaire qu’ils ont présentée après avoir reçu la lettre de refus a été accueillie par notre Cour en avril 2007, ce qui a ravivé leur espoir. Ils n’ont donc pas jugé nécessaire de se procurer de CI. Ils ajoutent qu’ils avaient quand même fait une demande de CI mais qu’ils ne les ont jamais reçus.

 

[26]           Troisièmement, ils font valoir que l’agent a écarté certains documents au motif qu’il s’agissait d’une preuve intéressée, alors que cela ne constitue pas en soi un motif de rejet : Suduwelik c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2007 CF 326, et Ahmed c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2004 CF 226.

 

[27]           Quatrièmement, ils soutiennent que l’agent, qui a écarté la lettre de Pak Estate Properties and Builders parce qu’aucune explication n’a été donnée concernant son auteur, ne leur a jamais directement demandé de renseignements à cet égard pas plus qu’il n’a téléphoné à la personne ressource mentionnée dans la lettre.

 

[28]           Cinquièmement, les demandeurs font valoir que, lors de l’entrevue, l’agent n’a exprimé aucune préoccupation à l’égard de la lettre du médecin. On peut y lire : [traduction] « J’atteste par la présente que Mme Lina Osmani vient régulièrement consulter à ma clinique [avec] Payanda Osmani. Elle est enceinte de 34 semaines ». Ils affirment qu’ils ont expliqué de façon satisfaisante pourquoi ils n’ont pas fourni de certificat de naissance pour leur cinquième enfant. Ils ajoutent que la conclusion selon laquelle il n’existe aucun élément de preuve que leur dernier enfant est né au Pakistan est déraisonnable et qu’elle ne repose pas sur la preuve. L’agent ayant eu l’occasion de voir la demanderesse principale 13 jours seulement avant l’accouchement, ils soutiennent qu’il n’était pas réaliste de conclure que celle‑ci pouvait se rendre en Afghanistan si tard dans sa grossesse.

 

[29]           Les demandeurs affirment en dernier lieu que l’omission de produire des documents ne peut influer défavorablement sur la crédibilité s’il n’existe aucun élément de preuve contredisant le témoignage des demandeurs : Attakora c Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration) (CAF), [1989] ACF no 444.

 

[30]           Je ne puis retenir aucun de ces arguments.

 

[31]           L’absence d’élément de preuve corroborante peut donner lieu à une conclusion défavorable en matière de crédibilité lorsqu’il existe des doutes fondés au sujet d’une demande : Amarapala c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2004 CF 12. 

 

[32]           Les préoccupations de la première agente, jumelées au résultat des vérifications téléphoniques indiquant que les demandeurs vivaient en Afghanistan et appelaient une fois par semaine pour voir s’ils avaient reçu du courrier constituaient un motif valide de mettre en doute les allégations de la demande. Dans une telle situation, l’agent pouvait donc raisonnablement faire fond sur l’absence de preuve corroborante. 

 

[33]           Il était également raisonnable pour l’agent de conclure que l’incapacité des demandeurs de parler l’une ou l’autre des deux langues les plus usitées dans leur région jouait en leur défaveur. Il convient de signaler que leur méconnaissance de ces langues était telle qu’il a fallu, au consulat, recourir aux services d’un traducteur pour les diriger vers la pièce où l’entrevue devait avoir lieu. Bref, ils ne comprenaient aucune de ces langues, même si la demanderesse principale a dit plus tard au cours de l’entrevue qu’elle [traduction] « comprend le pachto élémentaire ». L’agent des visas n’a pas omis d’analyser l’explication qu’ils ont fournie et, comme l’a souligné le défendeur, les demandeurs avaient affirmé qu’ils résidaient au Pakistan depuis dix ans. La conclusion qu’il était peu probable qu’ils n’aient pas acquis quelques rudiments des langues de la région pendant cette période était raisonnable.

 

[34]           Le deuxième agent à qui a été confié le dossier des demandeurs a expliqué l’importance que revêtaient les CI. Voici ce qu’il a écrit :

[traduction] Il paraît peu plausible que des réfugiés afghans vivant à Peshawar, au Pakistan, depuis 2001 ne possèdent pas de CI et ne puissent fournir d’explication vraisemblable de la raison pour laquelle ils ne veulent ou ne peuvent s’en procurer. En 2005, le gouvernement pakistanais, en collaboration avec le HCNUR [Haut Commissariat des Nations Unies pour les réfugiés], a effectué un recensement des Afghans vivant au Pakistan. À la fin de 2006 et au début de 2007, le gouvernement du Pakistan a procédé à l’inscription des Afghans recensés en 2005 qui vivaient au pays, toujours en collaboration avec le HCNUR. Chacun d’eux a reçu un CI informatisé comportant des données biométriques, semblable à la carte d’identité nationale (CIN) délivrée aux Pakistanais. Les Afghans recensés en 2005 devaient obligatoirement se procurer un CI. Ce document permettait aux Afghans inscrits de demeurer légalement au Pakistan pendant une période de trois ans. Il protège aussi les Afghans contre les détentions et expulsions arbitraires pendant la durée de leur séjour au Pakistan. Les Afghans qui souhaitent se prévaloir des programmes de rapatriement volontaire du HCNUR doivent également le présenter. Il est aussi utilisé fréquemment comme pièce d’identité pour les Afghans ne possédant aucune autre forme de document d’identification. En 2010, le gouvernement pakistanais a consenti à renouveler les CI jusqu’au 31 décembre 2012. 

 

[35]           L’agent s’attendait à ce que les demandeurs possèdent ces CI, et il n’a pas retenu les raisons qu’ils lui ont données pour en expliquer l’absence. L’examen des notes du STIDI montre l’échange intervenu entre les demandeurs et l’agent à ce sujet :

[TRADUCTION] J’AI DEMANDÉ POURQUOI ILS N’AVAIENT PAS DE PREUVE DU CERTIFICAT D’INSCRIPTION. LA DP A RÉPONDU QU’ON NE LEUR EN A PAS DONNÉ. J’AI DEMANDÉ POURQUOI. IL A DIT QU’ILS N’EN DONNAIENT PAS À BEAUCOUP DE PERSONNES.

 

JE LUI AI DEMANDÉ S’IL EN AVAIT FAIT LA DEMANDE ET IL A RÉPONDU QU’ILS ÉTAIENT VENUS EN LEUR ABSENCE ET QU’ILS AVAIENT ENSUITE FAIT UNE DEMANDE ET QU’ON LEUR AVAIT ALORS DIT QU’ILS RECEVRAIENT UNE VISITE À LA MAISON MAIS QUE PERSONNE N’EST VENU. J’AI DEMANDÉ OÙ ILS VIVAIENT À CE MOMENT‑LÀ, ET IL A RÉPONDU ARBAB ROAD. J’AI DEMANDÉ S’IL EN ÉTAIT CERTAIN ET IL A DIT OUI. JE CONSTATE QU’IL EST PARTI DE ARBAB ROAD EN 2005 MAIS QUE LE RECENSEMENT QUI A [MENÉ] AUX CI A EU LIEU EN 2006/07.

 

[36]           Compte tenu de l’existence des CI et des réponses des demandeurs, l’agent pouvait tirer une conclusion défavorable de l’omission d’en présenter.

 

[37]           Les demandeurs avancent que la conclusion qu’une preuve est intéressée ne constitue pas en soi un motif de rejet de cette preuve. Ils ont raison, mais ce n’est pas ce qui s’est passé. Du poids a été attribué à la première lettre – qui portait la signature de personnes qui auraient été des clientes de la demanderesse principale – en dépit de la mention qu’il s’agissait d’un [traduction] « poids minime ». La deuxième lettre, la seule qui a été rejetée, n’a pas été écartée seulement parce qu’elle était intéressée. L’agent a également considéré qu’elle était écrite sur du papier sans en‑tête et qu’elle ne renfermait ni les coordonnées ni le nom complet de son auteur. Toutes ces raisons combinées permettaient raisonnablement de conclure que la lettre n’était peut‑être pas authentique et de la rejeter.

 

[38]           Enfin, l’agent s’attendait à ce que le certificat de naissance de l’enfant né au Pakistan soit présenté et on peut lire dans les notes du STIDI :

[traduction] LES CITOYENS AFGHANS PEUVENT OBTENIR UN CERTIFICAT DE NAISSANCE PARTICULIER POUR LES ENFANTS NÉS AU PAKISTAN. LES DEMANDEURS SAVAIENT QU’ILS DEVAIENT FOURNIR UNE PREUVE DE RÉSIDENCE, ET ILS AVAIENT DES DOCUMENTS PROUVANT LA NAISSANCE D’UN DE LEURS ENFANTS AU PAKISTAN. COMPTE TENU DE L’INSUFFISANCE DES DOCUMENTS, JE NE SUIS PAS CONVAINCU QUE LE DERNIER ENFANT DE LA DP SOIT NÉ AU PAKISTAN.

 

[39]           L’agent pouvait raisonnablement tirer une conclusion défavorable. Il appert en outre d’un affidavit soumis en preuve que [traduction] « la frontière entre l’Afghanistan et le Pakistan est poreuse et [...] les Afghans la franchissent régulièrement dans un sens ou l’autre, avec ou sans papiers ». De plus, l’endroit où les demandeurs prétendent habiter au Pakistan n’est distant de la frontière afghane que de quelques kilomètres.

 

[40]           Pour ce qui est du fait que l’agent a vu la demanderesse principale au Pakistan deux semaines avant la naissance de son dernier enfant, je ne puis que rappeler qu’il n’appartient pas à la Cour de déterminer, en l’absence d’éléments de preuve précis, si la demanderesse principale aurait été capable ou non de retourner en Afghanistan dans les 13 derniers jours de sa grossesse, et aucun élément de preuve n’a été fourni à cet égard. En l’absence d’un certificat de naissance, que les demandeurs pouvaient se procurer, le refus de l’agent de considérer que le fait d’avoir vu cette dernière constituait une preuve de la naissance de l’enfant au Pakistan ne peut être qualifié de déraisonnable. 

 

[41]           Aucune des parties n’a proposé de question à certifier.

 


 

JUGEMENT

LA COUR STATUE que la demande est rejetée. Il n’y a aucune question à certifier.

 

 

 « Russel W. Zinn »

Juge

 

 

 

 

Traduction certifiée conforme

Ghislaine Poitras, LL.L., Trad. a.

 

 


Cour fédérale

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

Dossier :                                                    IMM-4378-11

 

INTITULÉ :                                                   LINA OSMANI ET AL. c.

                                                                        MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                             Toronto (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :                           Le 31 janvier 2012

 

MOTIFS DU JUGEMENT

ET JUGEMENT :                                          LE JUGE ZINN

 

DATE DES MOTIFS :                                  Le 3 février 2012

 

 

Comparutions :

 

Alla Kikinova

 

      POUR LES DEMANDEURS

Stephen H. Gold

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Michael Loebach

London (Ontario)

 

      POUR LES DEMANDEURS

Myles J. Kirvan

Sous-procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

 

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