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 Date : 20120302


 Dossier : IMM-4301-11

Référence : 2012 CF 148

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 3 février 2012

En présence de monsieur le juge Rennie

 

 

ENTRE :

 

XICAI HE

 

 

 

demandeur

 

et

 

 

 

LE MINISTRE DE LA SÉCURITÉ PUBLIQUE ET DE LA PROTECTION CIVILE

ET

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

 

 

 

 

défendeurs

 

 

 

 

 

           MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

[1]               Le demandeur demande le contrôle judiciaire d'une décision, datée du 15 avril 2011, d'un agent d'examen des risques avant renvoi (ERAR) de Citoyenneté et Immigration Canada. Pour les motifs qui suivent, la demande sera accueillie.

 

 

 

 

 

Les faits

 

[2]               Le demandeur est un chrétien chinois qui fréquentait une église clandestine en Chine. Devant la Section de la protection des réfugiés de la Commission de l'immigration et du statut de réfugié du Canada (la Commission), il a soutenu qu'alors qu'il était en voyage d'affaires à Vancouver en janvier 2007, sa famille l'a avisé qu'il était recherché par le Bureau de la sécurité publique (le BSP) en Chine pour sa participation à des activités religieuses illégales. Il a présenté une demande d'asile sur ce fondement le 13 février 2007.

 

[3]               La demande d'asile du demandeur a été rejetée le 3 mars 2009. La Commission ne croyait pas qu'il était citoyen de la République populaire de Chine. En raison de cette conclusion, la Commission n'a pas examiné le fondement de sa demande. La demande d'autorisation de contrôle judiciaire du demandeur à la Cour fédérale a été rejetée le 24 juillet 2009.

 

[4]               Le demandeur a alors présenté une demande d'ERAR. L'agent d'ERAR a accepté que le demandeur était réellement un citoyen chinois et il a ensuite examiné le fondement de ses allégations de harcèlement et de persécution en application des articles 96 et 97 de la Loi sur l'immigration et la protection des réfugiés, 2001, ch. 27 (la LIPR).

 

[5]               L'agent d'ERAR croyait que le demandeur était un chrétien pratiquant, mais il a conclu que le demandeur n'avait pas fourni suffisamment de preuves personnalisées des risques auxquels il ferait face en Chine. En particulier, l'agent a conclu que le demandeur n'avait pas présenté [traduction] « de preuve documentaire objective à l'appui du fait que son profil en Chine est semblable à celui de ceux qui risquent actuellement d'être victimes de torture, de voir leur vie menacée ou de subir des peines ou des traitements cruels et inusités dans ce pays. » L'agent d'ERAR a aussi conclu que [traduction] « la preuve dont [il était] saisi n'appuie pas l'argument selon lequel les autorités chinoises savent [que le demandeur est un chrétien pratiquant] ».

 

 

Les questions en litige

 

[6]               Le demandeur soulève deux questions, qui invitent toutes les deux un examen détaillé des motifs de l'agent d'ERAR :

a.       L'agent d’ERAR a-t-il omis de donner des motifs pour sa conclusion selon laquelle rien ne donnait à penser que les autorités chinoises avaient connaissance de la religion du demandeur ou s'intéressaient à lui?

b.      L'agent d'ERAR a-t-il omis de tenir compte de la différence entre la pratique d'une religion au sein d'une église sanctionnée par l'État et la pratique à l'extérieur d'une telle l'église, et a-t-il omis d'examiner la preuve concernant les limites imposées à la pratique de la religion en Chine tant au sein qu'à l'extérieur d'une église sanctionnée par l'État?

[7]               Je conclus qu'il n'y a qu'une seule question à trancher : celle de savoir si les motifs de l'agent d'ERAR montraient clairement le fondement de sa décision et si celle-ci était raisonnable.

 


Analyse

 

Les motifs de l'agent d'ERAR montrent-ils clairement le fondement de sa décision et celle-ci est-elle raisonnable?

 

[8]               Le caractère adéquat des motifs n'est pas un fondement distinct du contrôle judiciaire ni une question d'équité procédurale. En fait, dans le cadre d'un examen du caractère raisonnable de la décision, les motifs doivent être examinés en corrélation avec le dossier dont le décideur était saisi. Pour cet examen, le principe directeur est la déférence et une décision ne peut pas être renversée simplement parce que les motifs fournis ne sont pas aussi complets que la cour de révision l'aurait désiré : Newfoundland and Labrador Nurses’ Union c Terre-Neuve et Labrador (Conseil du Trésor), 2011 CSC 62, aux paragraphes 14,16, 18, 21 et 22.

 

[9]               Le demandeur relève deux problèmes dans la décision de l'agent d'ERAR : un manque de motifs justifiant la conclusion de l'agent selon laquelle rien ne donnait à penser que les autorités chinoises connaissaient l'existence du demandeur ou s'intéressaient à lui et, deuxièmement, le fait que l'agent n'a pas tenu compte de la différence entre la pratique de la religion au sein d'une église sanctionnée par l'État et la pratique à l'extérieur d'une telle église ou qu'il n'a pas examiné la preuve concernant les limites imposées à la pratique de la religion en Chine à l'extérieur des églises sanctionnées par l'État.

 

[10]           La demande sera accueillie en raison du dernier argument seulement. La décision de l'agent d'ERAR et la façon dont il a traité les risques et les limites liés à la pratique de la religion à l'extérieur d'une église sanctionnée par l'État ne résistent pas à l'examen. L'agent d'ERAR n'a pas examiné la différence entre la pratique de la religion au sein d'une église sanctionnée par l'État et la pratique à l'extérieur d'une telle église.

 

[11]           On suppose généralement qu'un décideur a tenu compte de toute la preuve dont il était saisi : Florea c Canada (MEI), [1993] ACF no 598; PAK c Canada (MCI), 2011 CF 381, au paragraphe 41. Comme la juge Abella l'a déclaré dans Newfoundland and Labrador Nurses’ Union, au paragraphe 16 :  « Le décideur n’est pas tenu de tirer une conclusion explicite sur chaque élément constitutif du raisonnement, si subordonné soit‑il, qui a mené à sa conclusion finale. »

 

[12]           Cependant, dans Zhu c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2008 CF 1066, le juge Russell Zinn de la Cour a conclu que constituait une erreur susceptible de révision le fait de ne pas tenir compte des différences doctrinales entre les églises sanctionnées par l'État et les églises clandestines :

Deuxièmement, la SPR n’a pas tenu compte de la conviction principale exprimée par la demanderesse selon laquelle l’église approuvée par l’État était redevable au gouvernement, alors que l’église clandestine plaçait Dieu en premier. Il s’agissait de la raison invoquée par la demanderesse à l’appui du fait qu’elle ne voulait pas fréquenter une église approuvée par l’État. Ce type d’église ne respectait pas une de ses croyances principales. Il s’agit de la conviction qui aurait dû être examinée par la SPR. La question de savoir si les églises approuvées par l’État embrassent les enseignements protestants traditionnels n’est absolument pas pertinente.

 

[13]           L'agent d'ERAR n'a pas évalué le risque tel qu'il lui a été présenté, c'est-à-dire le risque auquel fait face un chrétien qui pratique dans une église clandestine. Il était donc déraisonnable pour l'agent de conclure, en fonction de la preuve dont il était saisi, que le demandeur n'avait pas présenté [traduction] « de preuve documentaire objective à l'appui du fait que son profil en Chine est semblable à celui de ceux qui risquent actuellement d'être victimes de torture, de voir leur vie menacée ou de subir des peines ou des traitements cruels et inusités dans ce pays ».

 

[14]           Toute la preuve sur laquelle l'agent s'est fondé, dont une partie faisait état de l'augmentation de la tolérance religieuse, portait sur les églises sanctionnées par l'État. Par conséquent, l'affaire en l'espèce, tant au niveau des faits qu'au sujet de l'erreur qui justifie l'annulation de la décision, est semblable à celle dans la décision Yin c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2010 CF 544, dans laquelle le juge James Russell a traité du défaut de la Commission de tenir compte de la distinction entre les églises sanctionnées par l'État et les églises clandestines :

Les conclusions de la SPR à cet égard sont déraisonnables et truffées d’erreurs. Les éléments de preuve qui avaient été portés à la connaissance de la SPR justifiaient amplement la conclusion selon laquelle la religion n’est pas pratiquée librement dans les églises enregistrées, et que les membres des églises non enregistrées peuvent être persécutés. En effet, la SPR disposait d’éléments de preuve précis quant aux différences entre les pratiques religieuses des églises enregistrées par rapport à celles des églises non enregistrées, ce qui pouvait inciter les croyants à se tourner vers les églises non enregistrées afin de pratiquer librement leur foi.

 

 

[15]           La demande de contrôle judiciaire est accueillie. L'affaire est renvoyée à Citoyenneté et Immigration Canada pour nouvel examen devant un autre agent d'ERAR.


 

JUGEMENT

LA COUR ORDONNE que la demande de contrôle judiciaire soit accueillie. L'affaire est renvoyée à Citoyenneté et Immigration Canada pour nouvel examen devant un autre agent d'examen des risques avant renvoi. Aucune question n'a été proposée pour la certification et la Cour n'en certifiera aucune.

 

 

« Donald J. Rennie »

Juge

 

 

 

 

 

Traduction certifiée conforme

Evelyne Swenne, traductrice-conseil


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

DOSSIER :                                        IMM-4301-11

 

INTITULÉ :                                       XICAI HE c LE MINISTRE DE LA SÉCURITÉ PUBLIQUE ET DE LA PROTECTION CIVILE et LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

 

 

LIEU DE L'AUDIENCE :                 Toronto (Ontario)

 

DATE DE L'AUDIENCE :               Le 17 janvier 2012

 

MOTIFS DU JUGEMENT
ET JUGEMENT :
                              LE JUGE RENNIE

 

DATE DES MOTIFS :                      Le 3 février 2012

 

 

 

COMPARUTIONS :

 

Catherine Bruce

POUR LE DEMANDEUR

 

Lldiko Erdei

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Law Offices of Catherine Bruce
Toronto (Ontario)

 

POUR LE DEMANDEUR

Myles J. Kirvan,

Sous-procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

 

 

 

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