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Date : 20120208

Dossier : IMM‑4938‑11

Référence : 2012 CF 183

[traduction française certifiée, non révisée]

Toronto (Ontario), le 8 février 2012

En présence de monsieur le juge Hughes

 

 

ENTRE :

 

FRANCISCO MISRAIN TRIGUEROS AYALA ZUSELL TANYALESLY ESCOBAR DE TRIGUEROS

YENSI DAYANA TRIGUEROS ESCOBAR KEYLLY ZUCELL TRIGUEROS ESCOBAR ANDREA ABIGAIL TRIGUEROS ESCOBAR

 

 

 

demandeurs

 

et

 

 

 

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

 

 

défendeur

 

 

 

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

[1]               La Cour est saisie d’une demande de contrôle judiciaire visant l’annulation de la décision, en date du 12 juillet 2011, par laquelle la Section de la protection des réfugiés de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié du Canada a rejeté la demande d’asile des demandeurs. Pour les motifs qui suivent, je rejette la demande.

 

[2]               Les demandeurs, tous citoyens du Guatemala, sont une famille : mari et femme et leurs trois filles. Ils sont entrés au Canada le 11 juillet 2010, munis de visas de visiteur, et ont présenté une demande d’asile le 3 août 2010. Ils exploitaient une petite entreprise au Guatemala. Leur demande d’asile était fondée sur une crainte liée à des menaces d’extorsion par un gang criminel, auxquelles celui‑ci a ajouté, pour qu’elles soient prises au sérieux, d’autres menaces de violence et de viol. Le demandeur principal s’est plaint à la police, puis au ministre responsable et enfin au procureur de l’État. On lui a promis que la question ferait l’objet d’une enquête et qu’une surveillance serait exercée. N’ayant pas eu de nouvelles des autorités pendant plusieurs jours, la famille a quitté le Guatemala et est arrivée au Canada en passant par les États‑Unis.

 

[3]               La Commission a conclu que le risque auquel les demandeurs étaient exposés était un risque généralisé et que les demandeurs n’avaient établi aucun lien avec l’un des motifs prévus par la Convention qui leur permettrait de fonder une demande d’asile au Canada.

 

[4]               De nombreuses décisions de la Cour font la distinction entre le risque généralisé et le risque personnel. Dans Osorio c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2005 CF 1459, la juge Snider explique, au paragraphe 26, l’emploi du mot généralement :

 

De plus, je ne vois rien dans le sous‑alinéa 97(1)b)(ii) qui oblige la Commission à interpréter le mot « généralement » comme s’appliquant à tous les citoyens. Le mot « généralement » est communément utilisé dans le sens de « courant » ou « répandu ». Le législateur a délibérément choisi d’utiliser le mot « généralement » dans le sous‑alinéa 97(1)b)(ii), laissant à la Commission le soin de décider si un groupe en particulier correspond à la définition. Si sa conclusion est raisonnable, comme c’est le cas ici, je ne vois pas le besoin d’intervenir.

 

[5]               Dans Sanchez c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2011 CF 993, le juge Crampton (maintenant juge en chef) a expliqué qu’il n’est pas nécessaire que chaque personne soit exposée à un risque généralisé de façon semblable. Il a écrit ce qui suit au paragraphe 23 :

 

23     À mon avis, il était raisonnablement loisible à la Commission de conclure, après avoir jugé que les actes de violence du gang Maras Salvatrucha sont un risque auquel sont largement exposés les habitants du Salvador, que le risque auquel faisait face M. Baires Sanchez est un risque auquel sont généralement exposés d’autres personnes se trouvant au Salvador ou venant de ce pays, comme l’envisage le sous‑alinéa 97(1)b)(ii) de la LIPR. Le fait que la raison particulière pour laquelle M. Baires Sanchez puisse être exposé à ce risque diffère peut‑être de la raison particulière pour laquelle d’autres personnes y sont exposées importe peu, car : (i) la nature du risque est la même, c’est‑à‑dire des actes de violence (dont le meurtre) et (ii) le motif du risque est le même, c’est‑à‑dire le fait de ne pas obtempérer aux exigences du MS‑13, qu’il soit question, notamment, de joindre les rangs de cette organisation ou de verser les sommes d’argent exigées. Comme la Commission l’a reconnu avec raison : « [i]l n’est pas nécessaire que chaque personne soit exposée à un tel risque de façon similaire ».

 

[6]               Dans Castaneda c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2011 CF 724, j’ai examiné une situation dans laquelle le risque généralisé est devenu un risque personnalisé. Voici ce que j’ai écrit aux paragraphes 4 et 5 :

 

4 Toutefois, le demandeur court un risque personnel en raison de la situation dans laquelle il se trouve. Il était incapable de faire les paiements demandés par la bande. Des membres de cette dernière l’ont battu à l’aide de différents outils, ils ont fait feu sur lui à au moins quatre reprises et l’ont laissé pour mort. Par miracle, il a été transporté à l’hôpital, où il a été dans le coma pendant environ un an, et il a fini par se rétablir. Il s’est enfui aux États‑Unis, où il n’a pas présenté de demande d’asile, puis il est venu au Canada.

 

5 La preuve montre clairement que la bande est bien implantée ailleurs qu’au Honduras et qu’elle est très dangereuse. La preuve, qui a été présentée par le demandeur et qui n’aurait pu être présentée par personne d’autre, montre que s’il retourne au Honduras, les membres de la bande ne se contenteront pas de le harceler pour lui prendre son argent; ils chercheront à le tuer parce qu’il représente l’incapacité de la bande à tuer les personnes qu’elle cible. De fait, il est la preuve vivante de leur incompétence.

 

[7]               Très récemment, dans Vaquerano Lovato c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2012 CF 143, le juge Rennie de notre Cour a examiné plusieurs décisions concernant le risque généralisé et le risque personnalisé. Voici ce qu’il a conclu au paragraphe 13 de ses motifs :

 

[…] la Commission a à tort mis l’accent sur les motifs pour lesquels le demandeur était ciblé, plutôt que sur la preuve que [le gang] visait le demandeur dans une mesure plus importante que la population en général. Par conséquent, la décision de la Commission était déraisonnable.

 

 

[8]               J’estime que la distinction faite par le juge Rennie est importante. Lorsqu’une partie de la population ‑ et non pas nécessairement la majorité ‑ est victime de menaces d’extorsion et de violence, la preuve doit démontrer que les demandeurs ont été victimes de gestes plus graves que les menaces auxquelles la population en général est par ailleurs exposée.

 

[9]               En l’espèce, selon la preuve, les propriétaires de petites entreprises au Guatemala, comme les demandeurs, sont souvent la cible de gangs criminels qui exigent des paiements en argent. Pour qu’on prenne au sérieux leurs demandes, les gangs profèrent des menaces de violence. Selon l’estimation d’une source, au moins vingt pour cent (20 %) des petites entreprises au Guatemala effectuent de tels paiements en raison de menaces de violence. Eu égard aux circonstances de la présente affaire, les demandeurs appartiendraient à ces vingt pour cent. Rien n’indique qu’ils ont eu à affronter un risque plus grand que celui auquel ces vingt pour cent étaient exposés.

 

[10]           En l’espèce, la Commission a examiné avec soin la question de savoir si le risque auquel les demandeurs étaient exposés était un risque généralisé ou un risque personnel, et a conclu qu’il s’agissait d’un risque généralisé. Dans l’arrêt Dunsmuir c Nouveau‑Brunswick, [2008] 1 RCS 190, et plus récemment dans l’arrêt Newfoundland and Labrador Nurses’ Union c Terre‑Neuve‑et‑Labrador (Conseil du Trésor), 2011 CSC 62, la Cour suprême du Canada a insisté sur le fait que, dans un contrôle judiciaire, il faut faire preuve de déférence envers la décision d’un tribunal qui possède une expertise sur la question et que les motifs ne doivent pas être scrutés à la loupe. S’exprimant au nom de la Cour, la juge Abella a écrit ce qui suit aux paragraphes 15 et 16 de l’arrêt Terre‑Neuve :

 

15 La cour de justice qui se demande si la décision qu’elle est en train d’examiner est raisonnable du point de vue du résultat et des motifs doit faire preuve de « respect [à l’égard] du processus décisionnel [de l’organisme juridictionnel] au regard des faits et du droit » (Dunsmuir, par. 48). Elle ne doit donc pas substituer ses propres motifs à ceux de la décision sous examen mais peut toutefois, si elle le juge nécessaire, examiner le dossier pour apprécier le caractère raisonnable du résultat.

 

16 Il se peut que les motifs ne fassent pas référence à tous les arguments, dispositions législatives, précédents ou autres détails que le juge siégeant en révision aurait voulu y lire, mais cela ne met pas en doute leur validité ni celle du résultat au terme de l’analyse du caractère raisonnable de la décision. Le décideur n’est pas tenu de tirer une conclusion explicite sur chaque élément constitutif du raisonnement, si subordonné soit‑il, qui a mené à sa conclusion finale (Union internationale des employés des services, local no 333 c. Nipawin District Staff Nurses Assn., [1975] 1 R.C.S. 382, p. 391). En d’autres termes, les motifs répondent aux critères établis dans Dunsmuir s’ils permettent à la cour de révision de comprendre le fondement de la décision du tribunal et de déterminer si la conclusion fait partie des issues possibles acceptables.

 

[11]           J’estime qu’en l’espèce, la décision de la Commission était raisonnable et que les motifs étaient suffisants. La demande est rejetée; aucun des avocats n’a proposé de question aux fins de certification; il n’y a aucune raison d’adjuger des dépens.


JUGEMENT

 

POUR LES MOTIFS ÉNONCÉS,

LA COUR STATUE que :

 

1.                  La demande est rejetée.

 

2.                  Aucune question n’est certifiée.

 

3.                  Aucuns dépens ne sont adjugés.

 

 

 

« Roger T. Hughes »

Juge

 

 

 

 

Traduction certifiée conforme

Sandra de Azevedo, LL.B.

 

 

 


Cour fédérale

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

Dossier :                                                    IMM‑4938‑11

 

 

INTITULÉ :                                                   FRANCISCO MISRAIN TRIGUEROS AYALA ET AL c
LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                             Toronto (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :                           Le 7 février 2012

 

MOTIFS DU JUGEMENT

ET JUGEMENT :                                          LE JUGE HUGHES

 

DATE DES MOTIFS :                                  Le 8 février 2012

 

 

 

Comparutions :

 

Luis Antonio Monroy

 

POUR LES DEMANDEURS

 

Suran Bhattacharyya

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Avocat

Toronto (Ontario)

 

POUR LES DEMANDEURS

 

Myles J. Kirvan

Sous‑procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

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