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Date : 20120127


Dossier : IMM-2940-11

Référence : 2012 CF 112

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 27 janvier 2012

En présence de monsieur le juge Rennie

 

 

ENTRE :

NOLY DELA ROSA MERCADO
CRISTINA TOLENTINO MERCADO
NORMAN CHRISTOPHER TOLENTINO MERCADO
NATHANIEL TOLENTINO MERCADO

 

demandeurs

 

et

 

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L’IMMIGRATION

 

défendeur

 

 

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

[1]               Le demandeur principal, M. Noly Dela Rosa Mercado, est originaire des Philippines. Il a trois enfants : l’un est citoyen australien (Norman), un autre est citoyen américain (Nathaniel) et le troisième (Nicolai) est citoyen canadien. Deux de ces enfants et l’épouse du demandeur, également citoyenne des Philippines, ont été déclarés comme demandeurs de statut à sa charge. Nicolai et Nathaniel ont une allergie aux arachides. On a fait valoir devant l’agent d’examen des risques avant renvoi que cette allergie ne pouvait pas être adéquatement prise en charge aux Philippines, et qu’ils se heurteraient donc à des difficultés indues et excessives s’ils devaient demander un statut de l’extérieur du Canada.

 

[2]               Le demandeur et sa famille ont essayé plusieurs fois de régulariser leur situation au Canada. Toutes ces tentatives ont échoué et leur renvoi était prévu le 7 avril 2011. Le 4 avril de la même année, un juge de la Cour accordait un sursis à l’exécution de cette mesure de renvoi, en attendant que soit instruit le contrôle judiciaire du refus de reporter le renvoi et de la décision défavorable relative aux considérations d’ordre humanitaire (CH). J’ai conclu dans Noly Dela Rosa Mercado et al c Le ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration, 2011 CF 1492, que la demande de contrôle judiciaire visant le refus de reporter le renvoi était théorique.

 

[3]               La question qu’il reste à trancher entre les parties est de savoir si la décision de l’agent CH de refuser la demande de résidence permanente des demandeurs au titre de l’article 25 de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c. 27 (la LIPR) résiste à un examen suivant la norme de la raisonnabilité, telle que formulée dans l’arrêt Dunsmuir c Nouveau-Brunswick, 2008 CSC 9, [2008] 1 RCS 190.

 

Analyse

[4]               L’argument des demandeurs repose sur deux erreurs imputées à l’agent CH : celui‑ci aurait, d’une part, rejeté l’avis médical du médecin des demandeurs sans consulter le médecin au service de santé des immigrants et, d’autre part, fait fi de la preuve des demandeurs voulant que la probabilité d’exposition accidentelle aux arachides soit plus grande aux Philippines qu’au Canada. Pour les motifs qui suivent, ces deux arguments ne sont pas valables, et la demande sera rejetée.

 

Il n’y a aucune obligation de consulter le médecin au service de santé des immigrants.

[5]               Il est bien établi que les demandes CH ne sont accueillies que dans des cas exceptionnels. De plus, compte tenu de leur nature éminemment discrétionnaire, la Cour fait preuve d’une grande retenue à l’égard des décisions CH qui peuvent se prêter à un plus grand nombre d’issues possibles acceptables : Jurado Tobar c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2011 CF 1111; Inneh c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2009 CF 108, au paragraphe 13; Del Melo Gomes c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2009 CF 98, au paragraphe 9. Pour avoir gain de cause lors du contrôle judiciaire, les demandeurs doivent démontrer que l’agent a laissé de côté ou mal interprété la preuve, ou qu’il a commis une erreur susceptible de contrôle dans son analyse des facteurs pertinents pour l’exercice de son pouvoir discrétionnaire.

 

[6]               En substance, l’argument du demandeur veut que la décision soit déraisonnable à sa face même, puisque les agents CH ne sont pas médecins et qu’il leur incombe donc, lorsque des documents médicaux complexes leur sont présentés, de s’adresser aux médecins au service de santé des immigrants qui sont là pour ça.

 

[7]               En l’espèce, l’agent CH n’était pas saisi d’une question de diagnostic ou de traitement. Il est de notoriété publique que le traitement prescrit consiste en l’injection rapide d’épinéphrine, soit au moyen d’une ampoule et d’une seringue soit avec un EpiPen. L’agent CH devait déterminer si, compte tenu des deux méthodes bien établies d’administration du traitement (la seringue ou l’EpiPen), les demandeurs subiraient des difficultés indues ou excessives s’ils devaient s’en tenir au traitement le moins approprié.

 

[8]               En somme, les demandeurs soutiennent que l’agent CH a commis une erreur susceptible de contrôle lorsqu’il a conclu, sans consulter un médecin au service de santé des immigrants, que le traitement d’une allergie aux arachides au moyen d’une ampoule et d’une seringue était un moyen acceptable de prise en charge du risque médical. L’agent CH s’est livré à un examen approfondi des avantages respectifs de chaque méthode :

[traduction]

 

Les demandeurs font valoir qu’il est particulièrement dangereux pour les enfants de résider aux Philippines, car l’EpiPen, un auto-injecteur d’épinéphrine, n’est pas disponible dans ce pays (l’épinéphrine est [traduction] « le médicament de choix » pour traiter l’anaphylaxie). L’avantage de l’EpiPen est qu’il permet l’auto-administration d’une dose prémesurée d’épinéphrine. La preuve présentée par les demandeurs donne à penser qu’aux Philippines, l’épinéphrine est généralement offerte sous forme d’ampoules. Le conseil allègue que les enfants sont trop jeunes pour apprendre à utiliser une ampoule, une seringue et une aiguille, et que des études ont montré qu’il [traduction] « n’était pas très productif » d’apprendre aux parents à le faire. L’étude indique plus spécifiquement que les parents étaient moins précis que les professionnels de la santé au moment de prélever une dose, et que [traduction] « la préparation et l’administration correctes d’une dose suivant cette méthode leur donnaient beaucoup de soucis ».

 

Bien que le conseil qualifie l’utilisation d’une ampoule, d’une seringue et d’une aiguille de [traduction] « procédé médical digne du xixe siècle », la preuve dont je dispose laisse entendre que cette méthode est encore employée par des professionnels de la santé pour assurer une posologie correspondant plus précisément au poids du patient. (L’EpiPen n’est offert qu’en deux doses prémesurées.)

 

[…]

 

D’après les renseignements produits par les demandeurs, les touristes peuvent apporter des médicaments sous ordonnance aux Philippines à condition [traduction] « d’apporter une lettre de leur médecin qui précise l’affection médicale pour laquelle ils doivent recevoir ce traitement et la posologie requise ». Il est donc raisonnable de penser que les demandeurs, en tant que citoyens de retour dans leur pays, peuvent rapporter le nombre d’EpiPen que leur médecin leur recommande d’avoir sous la main à la maison, et que les enfants peuvent les porter sur eux aux Philippines. Il est important de noter à cet égard que l’épinéphrine n’est pas un médicament à prendre tous les jours, mais qu’elle est plutôt prescrite par précaution en cas de [traduction] « réaction allergique mettant en jeu le pronostic vital ». Aucune information concernant la fréquence à laquelle les enfants ont eu besoin d’une injection d’épinéphrine ou, plus spécifiquement, utilisé l’EpiPen, si tant est que ce soit le cas, ne m’a été présentée. Une lettre de la directrice de l’école indique que Nathaniel a déjà souffert de ce qu’elle décrit comme une [traduction] « grave réaction anaphylactique » à l’école et qu’il a alors reçu l’assistance des ambulanciers paramédicaux. Il n’est mentionné nulle part que Nathaniel s’est injecté lui-même l’épinéphrine en se servant de l’EpiPen ou qu’un membre du personnel s’en est chargé.

 

 

[9]               Les motifs de l’agent CH reflètent à la fois les connaissances courantes et le bon sens. En d’autres termes, il n’est pas nécessaire d’être un expert médical pour comprendre les différences respectives entre l’administration d’épinéphrine avec une ampoule et une seringue ou avec un EpiPen. Le rapport médical d’un médecin au service de santé des immigrants n’aurait eu que peu de pertinence, voire aucune, vis-à-vis de l’exercice du pouvoir discrétionnaire. Quoi qu’il en soit, l’agent CH a abordé la question en tenant pour acquis que l’EpiPen présentait des avantages en termes de portabilité et de facilité d’administration, particulièrement pour les enfants.

 

[10]           L’avocat des demandeurs invoque la décision Patel c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2005 CF 1055, dans laquelle l’agent CH avait obtenu l’avis d’un médecin au service de santé des immigrants, mais avait commis une erreur en ne tenant pas compte de l’ensemble des préoccupations soulevées dans la preuve des demandeurs par leurs propres médecins. En l’espèce, et contrairement à la décision Patel, l’agent CH ne s’est fondé sur aucun élément de preuve médicale au détriment de tout autre élément de preuve fourni par les demandeurs ou par un médecin au service de santé des immigrants. En fait, l’agent s’est servi de la preuve médicale produite par les demandeurs pour apprécier les facteurs CH :

[traduction]

 

Les demandeurs n’ont fourni aucune lettre de médecin ni aucun autre document médical concernant Nathaniel. Il est donc difficile de mesurer la gravité de son affection ou de savoir comment elle l’a affecté par le passé ou l’affectera à l’avenir. Quant à Nicolai, d’après une lettre de juillet 2010 de son pédiatre, le Dr Tse, il souffre d’une [traduction] « grave allergie aux arachides », qui [traduction] « peut mettre en jeu le pronostic vital en l’absence de précautions adéquates ». Le pédiatre précise également que cette affection [traduction] « requiert une surveillance étroite et un traitement ».

 

 

[11]           La lettre du médecin des demandeurs indiquait que l’allergie aux arachides de leurs enfants [traduction] « peut mettre en jeu le pronostic vital en l’absence de précautions adéquates ». Cela veut dire qu’en l’absence de précautions convenables, comme avoir une ampoule et une seringue ou un EpiPen à portée de la main en cas d’exposition aux arachides, l’allergie peut être mortelle. La preuve ne dit ni ne sous-entend que de ne pas avoir d’EpiPen mettre en jeu le pronostic vital. La lettre du Dr Tse indique simplement ce qui suit : [traduction] « Nicolai devra éviter les arachides et avoir un EpiPen sur lui en cas d’urgence. »

 

[12]           Compte tenu de la preuve dont disposait l’agent CH, selon laquelle les ampoules, les seringues et les aiguilles étaient employées par des professionnels de la santé pour administrer l’épinéphrine, rien dans la lettre du Dr Tse ou dans le dossier ne donne à penser que cette méthode soit de quelque manière moins efficace ou salvatrice qu’un EpiPen en cas de réaction anaphylactique. Il est reconnu qu’un EpiPen est plus pratique et qu’il faut moins de temps (mesuré en secondes) pour administrer la dose, mais cela ne rend pas la solution de rechange inacceptable au point de représenter des difficultés inhabituelles ou injustifiées au sens de l’article 25 de la LIPR, comme l’a raisonnablement conclu l’agent.

 

[13]           Les demandeurs font aussi valoir que l’agent CH a négligé de considérer l’allergie aux arachides de Nicolai en rapport avec son asthme. L’avocat soumet que [traduction] « si l’agent avait consulté un médecin agréé, il aurait probablement réalisé que l’asthme est un facteur très important de comorbidité dans les cas d’anaphylaxie. »

 

[14]           La preuve touchant la comorbidité, et non seulement l’asthme et l’allergie aux arachides, n’était pas spécifiquement rapportée dans les documents médicaux au dossier; l’agent CH n’a donc pas omis d’en tenir compte, puisqu’elle ne lui avait pas été présentée. Pour ce qui est de l’asthme, l’agent a déclaré :

[traduction]

 

Le Dr Tse note également que l’asthme s’est [traduction] « déclaré » chez Nicolai dans les six mois qui ont précédé sa lettre de juillet 2010. Durant cette période, Nicolai a dû être traité à l’hôpital à trois reprises. Les demandeurs ont soumis deux feuilles de congé de l’Hôpital pour enfants datant de mars 2010, qui indiquent que l’enfant a reçu un diagnostic [traduction] « d’affection respiratoire réactionnelle – possiblement de l’asthme » et de « pneumonie du poumon gauche » et qu’on lui a prescrit deux médicaments sous ordonnance, dont un inhalateur. Une note du Dr Tse du même mois indique que l’enfant souffrait de bronchite, ce qui suggère que son hospitalisation n’était pas seulement due à l’asthme. L’asthme n’est pas une maladie inusitée et les demandeurs n’ont pas allégué que les traitements ou les médicaments nécessaires n’étaient pas disponibles aux Philippines. Il est possible qu’ils préfèrent rester au Canada et bénéficier des soins de leur médecin de famille actuel, mais ils n’ont fourni que peu d’éléments de preuve pour démontrer qu’aux Philippines, Nicolai n’aurait pas accès aux soins médicaux possiblement requis pour traiter son asthme.

 

 

[15]           En l’absence d’éléments de preuve que l’agent CH aurait omis d’examiner, rien dans le dossier n’indique que la combinaison d’asthme et d’allergie aux arachides entraîne une comorbidité qui rendrait la décision déraisonnable ou établirait un motif défendable de difficultés indues. Quoi qu’il en soit, il est difficile de voir en quoi ces scénarios imaginaires postulant des issues médicales défavorables servent les demandeurs, puisque l’agent CH a abordé la décision en tenant pour acquis qu’une allergie aux arachides pouvait, en soi, être mortelle.

 

[16]           En somme, l’agent CH n’a pas commis d’erreur en tranchant la question des facteurs CH sans consulter de médecin au service de santé des immigrants. Il n’était pas tenu de le faire, puisque la question soulevée ne concernait ni le diagnostic ni la prise en charge d’une maladie complexe, mais plutôt les répercussions pratiques associées à deux méthodes de traitement, très différentes, mais largement admises, d’une affection connue.

 

L’agent CH n’a pas commis d’erreur en ce qui a trait à l’argument voulant que la probabilité d’exposition accidentelle aux arachides soit plus importante aux Philippines qu’au Canada, parce qu’il n’a pas fait abstraction de la preuve.


[17]           Les demandeurs soutiennent que l’agent CH a commis une erreur en faisant abstraction de la preuve selon laquelle la probabilité d’une exposition involontaire aux arachides était plus importante aux Philippines qu’au Canada. Cet argument résulte d’un désaccord sur le poids que l’agent CH a accordé à la preuve. Ce dernier a reconnu que les arachides étaient abondantes aux Philippines et que les exigences en matière d’étiquetage des produits alimentaires pouvaient être moins strictes dans ce pays. Il a également apprécié le degré respectif de sensibilisation sociale vis-à-vis de l’allergie aux arachides au Canada et aux Philippines. On ne peut pas dire que l’agent a commis une erreur susceptible de contrôle en concluant que la probabilité d’une exposition involontaire aux arachides n’était pas plus importante aux Philippines qu’au Canada. L’agent CH n’a pas fait fi d’éléments de preuve pour parvenir à cette conclusion.

 

[18]           Le critère pertinent lorsqu’un agent de Citoyenneté et Immigration Canada statue sur une demande CH est de savoir si le demandeur se heurterait à des difficultés inhabituelles, injustifiées ou excessives s’il était obligé de demander la résidence permanente à l’extérieur du Canada. Les motifs fournis par l’agent CH démontrent raisonnablement qu’aucune difficulté de ce type n’existe; la décision appartient d’ailleurs aux issues possibles acceptables pouvant se justifier en regard des faits et du droit, et elle est donc raisonnable.

 

[19]           La demande de contrôle judiciaire sera rejetée.

 

[20]           Il n’y a aucune question à certifier.


JUGEMENT

LA COUR STATUE que la demande de contrôle judiciaire est, par les présentes, rejetée. Aucune question à certifier n’a été proposée et aucune ne se pose.

 

 

« Donald J. Rennie »

Juge

 

 

 

Traduction certifiée conforme

 

Christian Laroche, LL.B.

Juriste-traducteur et traducteur-conseil


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

DOSSIER :                                        IMM-2940-11

 

INTITULÉ :                                       NOLY DELA ROSA MERCADO, CRISTINA TOLENTINO MERCADO, NORMAN CHRISTOPHER TOLENTINO MERCADO, NATHANIEL TOLENTINO MERCADO c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                 TORONTO (ONTARIO)

 

DATE DE L’AUDIENCE :               LE 8 DÉCEMBRE 2011

 

MOTIFS DU JUGEMENT

ET JUGEMENT :                              LE JUGE RENNIE

 

DATE DES MOTIFS :                      LE 27 JANVIER 2012

 

 

 

COMPARUTIONS :

 

Dov Maierovitz

POUR LES DEMANDEURS

 

Margherita Braccio

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Gertler, Etienne

Toronto (Ontario)

 

POUR LES DEMANDEURS

Myles J. Kirvan

Sous-procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

 

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