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Date : 20120119


Dossier : T-1992-10

Référence : 2012 CF 81

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 19 janvier 2012

En présence de monsieur le juge Harrington

 

ENTRE :

 

CHRISTOPHER STONE

 

 

 

demandeur

 

et

 

 

 

 

LE PROCUREUR GÉNÉRAL

DU CANADA

 

 

 

défendeur

 

 

 

 

 

MOTIFS DE L’ORDONNANCE ET ORDONNANCE

 

[1]               Monsieur Stone a été condamné à une peine d’emprisonnement suivie d’une période de surveillance de dix ans pour possession de pornographie juvénile, accès à de la pornographie juvénile et contacts sexuels. Dans le cadre de la mesure de surveillance de longue durée, la Commission nationale des libérations conditionnelles lui a imposé diverses conditions particulières. Elle lui a notamment ordonné de résider dans une maison de transition située à Sherbrooke, au Québec, de ne pas posséder d’ordinateur ou d’autres appareils susceptibles de lui donner accès à Internet, de ne pas avoir en sa possession de téléphone cellulaire ou de matériel pornographique, de ne pas se trouver en présence d’un mineur sauf s’il est sous surveillance, d’informer son surveillant de toute nouvelle relation affective, stable ou non, avec une femme et de ne pas consommer d’alcool ni de drogues. M. Stone conteste certaines de ces conditions, ce qui explique le présent contrôle judiciaire.

 

[2]               Monsieur Stone soulève quatre questions de droit ou d’équité procédurale. Il prétend :

a.       que la Commission a omis de lui remettre les renseignements requis dans les délais impartis par la loi;

b.      qu’elle a commis une erreur de droit en lui refusant la possibilité de déposer des observations écrites;

c.       qu’elle a omis de fixer la période maximale d’application des conditions particulières;

d.      qu’elle a omis de donner des motifs suffisants concernant la période maximale d’application des conditions particulières qui, par défaut, correspond à la période complète de la surveillance de longue durée, soit dix ans.

 

[3]                Selon un principe de droit fondamental, l’ordonnance d’un pouvoir compétent doit être suivie jusqu’à son annulation. Monsieur Stone était tenu de respecter les conditions particulières qui lui ont été imposées. Il ne l’a pas fait. Il a fui à Vancouver, en Colombie-Britannique, sans en aviser l’autorité compétente. Lorsqu’on l’a retrouvé, on a constaté qu’il avait en sa possession, entre autres choses, un ordinateur contenant de la pornographie juvénile. Il est maintenant accusé de manquement aux conditions particulières qui lui ont été imposées, ce qui constitue un acte criminel en vertu de l’article 753.3 du Code criminel.

 

[4]               À l’ouverture du contrôle judiciaire, j’ai cherché à savoir s’il était justifié d’accorder une audience à M. Stone. Celui-ci ne se présente pas devant la Cour en n’ayant rien à se reprocher et il semble bien que les conditions particulières qui lui ont été imposées ne sont plus que théoriques. Son avocat a reconnu que l’objet de la demande était désormais en bonne partie théorique, mais il a fait valoir que deux des points en litige subsistaient :

 

a.       le présumé défaut de la Commission de fixer une durée maximale pour l’application des conditions particulières;

b.      le défaut de la Commission de donner des motifs suffisants à cet égard.

 

[5]               L’avocat du défendeur semblait lui aussi assez disposé à débattre de ces deux points. L’audience a donc eu lieu, sous réserve de la possibilité que M. Stone n’ait pas droit à cette audience comme je l’avais laissé entendre.

 

[6]               J’ai décidé de rejeter la demande de contrôle judiciaire au motif que M. Stone n’a pas droit à une audience, puisqu’il « se moque des lois »  et ne se présente pas devant la Cour en n’ayant rien à se reprocher. Bien qu’elles ne soient pas dénuées d’intérêt, les questions en litige sont théoriques en ce qui le concerne et elles ont déjà été présentées à la Cour dans le cadre d’autres affaires dont la Cour d’appel fédérale est maintenant saisie : voir Kozarov c Canada (Ministre de la Sécurité publique et de la Protection civile), 2008 CAF 185, 384 NR 160, [2008] ACF no 797 (QL).

 

[7]               Toutefois, au cas où j’aurais tort de conclure de la sorte, je suis disposé à examiner les points débattus. Même si je devais donner gain de cause à M. Stone, ce qui n’est pas le cas, je me limiterais à rendre un jugement déclaratoire sans renvoyer l’affaire pour réexamen (MiningWatch Canada c Canada (Pêches et Océans), 2010 CSC 2, [2010] 1 RCS 6, [2010] ACS no 2 (QL)).

 

 CONDITIONS DE LA SURVEILLANCE DE LONGUE DURÉE

 

[8]               Les modalités relatives à la surveillance de longue durée sont énoncées aux articles 134.1 et suivants de la Loi sur le système correctionnel et la mise en liberté sous condition. Le paragraphe (3) de l’article 134.1 prévoit que les conditions imposées par la Commission sont valables pendant la période qu’elle fixe. Il convient de souligner que M. Stone ne conteste pas ces conditions, mais bien la période pour laquelle elles ont été imposées, soit la totalité des dix ans qu’est censée durer la surveillance. La Commission nationale des libérations conditionnelles a rédigé la décision faisant l’objet du présent contrôle sur un formulaire imprimé dont les clauses prévoient par défaut que les conditions particulières imposées s’appliquent jusqu’à la fin de la surveillance de longue durée, sauf si une autre période est fixée.

 

[9]               Le demandeur soutient qu’aucune analyse n’a été faite et que la décision d’imposer une si longue période d’application n’a pas été motivée. Selon lui, il ne suffit pas de s’en remettre implicitement aux clauses types d’un formulaire.

 

[10]           Cela dit, la Cour a récemment rendu trois décisions à l’effet contraire. Deux l’ont été par le juge Scott : Hurdle c Canada (Procureur général), 2011 CF 599, [2011] ACF no 779 (QL) et Ross c Canada (Procureur général), 2011 CF 829, [2011] ACF no 1031 (QL). La troisième a été rendue par la juge Bédard dans l’affaire Gaudreau c Canada (Procureur général), 2011 CF 953, [2011] ACF no 1182 (QL). Les décisions Hurdle et Gaudreau font actuellement l’objet d’un appel.

 

[11]           Dans Gaudreau, madame la juge Bédard a déclaré ce qui suit, au paragraphe 28 :

Je considère que les arguments du demandeur doivent échouer. D’abord, je considère que la Commission a fixé la durée de la condition de façon explicite : la condition spéciale s’applique jusqu’à la fin de la période de surveillance. Le titre de la section du formulaire destinée à l’énoncé des conditions indique clairement qu’une condition s’applique jusqu’à la fin de la mise en liberté à moins qu’une période ne soit fixée. Que ce texte soit inclus dans le gabarit de la décision ne change absolument rien à mon avis. Que cette section du formulaire demeure dans une décision qui n’a pas comme objet d’imposer des conditions, comme celle du 21 juin 2010, ne change rien non plus et n’a pas pour effet de vider le texte de son sens. Si aucune condition n’est imposée, la section réservée à l’énoncé des conditions demeure vide et sans conséquence. Si une ou des conditions sont imposées, le texte ne souffre d’aucune ambiguïté : la condition s’applique jusqu’à la fin de la période de mise en liberté, soit, en l’espèce, la fin de la période de surveillance, et ce, à moins qu’une autre période ne soit fixée.

 

 

[12]           Je ne suis pas lié par la décision Gaudreau, car selon le principe du stare decisis, le juge de première instance est tenu de se conformer uniquement aux décisions de la Cour d’appel et de la Cour suprême. Toutefois, puisque la publicité des jugements vise précisément à assurer la certitude et la prévisibilité des règles de droit, il est préférable que le juge se range à ce qu’un autre juge de la même juridiction a déjà décidé, sauf s’il lui est impossible de souscrire au raisonnement. À ce sujet, je trouve particulièrement éclairants les propos tenus par le juge en chef, lord Goddard, dans l’arrêt Police Authority for Huddersfield c Watson, [1947] 1 KB 842, [1947] 2 All ER 193, à la page 847 :

[traduction] [j]e pense que selon la pratique contemporaine et la conception contemporaine de la question, c'est par déférence confraternelle qu’un juge de première instance se conforme toujours à la décision d’un autre juge de première instance, à moins qu’il ne soit convaincu que cette décision est erronée. Il n’est certainement pas tenu de se conformer à la décision d’un juge de même rang. Il n’est tenu de suivre que les décisions qui ont force jurisprudentielle à son égard, c'est-à-dire, s’il est juge de première instance, celles qui émanent de la Cour d’appel, de la Chambre des lords et de la Cour divisionnaire.

 

Quoi qu’il en soit, je souscris au raisonnement de la juge Bédard. Par ailleurs, M. Stone aurait eu droit à un réexamen périodique de son dossier à l’occasion duquel la période d’application maximale de certaines des conditions particulières imposées aurait pu être modifiée si cela avait été justifié par les circonstances,.

 

[13]           Pour ce qui est du caractère suffisant des motifs, j’estime que ceux-ci sont parfaitement intelligibles et transparents. L’imposition de conditions particulières et la durée fixée sautent aux yeux à la lecture du dossier dont la Cour est saisie. Les motifs vont bien au delà des exigences énoncées dans Dunsmuir c Nouveau-Brunswick, 2008 CSC 9, [2008] 1 RCS 190 et Newfoundland and Labrador Nurses’ Union c Terre‑Neuve‑et‑Labrador (Conseil du Trésor), 2011 CSC 62, [2011] ACS no 62 (QL).

 

[14]           L’avocat de M. Stone soutient qu’aucuns dépens ne devraient être adjugés parce que les décisions invoquées par le défendeur, telles que Gaudreau, précitée, ont été rendues après l’introduction de la demande de contrôle judiciaire. J’estime pour ma part que le fait de passer outre à la question des dépens reviendrait à fermer les yeux sur le mépris absolu dont fait preuve M. Stone à l’égard de la loi. Je ne vois pas pourquoi les dépens ne suivraient pas l’issue de la cause. Le fait que M. Stone soit ou non en mesure de les payer n’a aucune incidence.

 

[15]           Les arguments écrits et les plaidoiries ont été livrés en anglais et en français selon ce qui convenait aux avocats. Toutefois, la plupart du dossier est en anglais, la langue qu’a choisie M. Stone. Par conséquent, les présents motifs seront d’abord publiés dans cette langue.


ORDONNANCE

 

POUR LES MOTIFS SUSMENTIONNÉS,

LA COUR STATUE que la demande de contrôle judiciaire est rejetée avec dépens.

 

 

 

« Sean Harrington »

Juge

 

 

Traduction certifiée conforme

Claude Leclerc, LL.B.



COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

 

DOSSIER :                                        T-1992-10

 

INTITULÉ :                                       STONE c PGC

 

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                 Montréal (Québec)

 

DATE DE L’AUDIENCE :               Le 11 janvier 2012

 

MOTIFS DE L’ORDONNANCE

ET ORDONNANCE :                       Le juge HARRINGTON

 

DATE DES MOTIFS :                      Le 19 janvier 2012

 

 

 

COMPARUTIONS :

 

MMaxime Hébert Lafontaine

 

POUR LE DEMANDEUR

MVéronique Forêt

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Labelle, Boudreault, Côté et associés

Avocats

Montréal (Québec)

 

POUR LE DEMANDEUR

 

Myles J. Kirvan

Sous-procureur général du Canada

Montréal (Québec)

POUR LE DÉFENDEUR

 

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