Décisions de la Cour fédérale

Informations sur la décision

Contenu de la décision

Date: 20120119


Dossier : T-873-10

 

Référence : 2012 CF 78

Ottawa, Ontario, le 19 janvier 2012

En présence de monsieur le juge Harrington

ENTRE :

 

ROBERT ROY

 

 

 

demandeur

 

 

et

 

 

 

PROCUREUR GÉNÉRAL

DU CANADA

 

 

 

Défendeur

 

 

 

 

 

           MOTIFS DE L’ORDONNANCE ET ORDONNANCE

 

[1]               Lors de la libération conditionnelle totale de monsieur Roy, la Commission nationale des libérations conditionnelles (CNLC) assujettie sa mise en liberté à cinq conditions spéciales. Insatisfait, le demandeur interjette appel de la décision devant la Section d’appel. Celle-ci rejette l’appel. Il s’agit en l’espèce du contrôle judiciaire de la décision de la Section d’appel.

 

[2]               Dès 1998, monsieur Roy fait face à plusieurs chefs d’accusation pour avoir contrevenu à la Loi sur les valeurs mobilières du Québec, LRQ, c V-1. Monsieur le juge Jean-Pierre Bonin, de la Cour du Québec, le déclare coupable, et il est alors condamné à une amende de 455 000 $ plus frais. En 1999, madame le juge Côté, alors de la Cour supérieure du Québec, confirme le verdict de culpabilité. En 2002, monsieur Roy plaide coupable à une accusation en vertu de la Loi sur le ministre du revenu¸ LRQ, c M-31, pour avoir fait des déclarations fausses ou trompeuses dans sa déclaration de revenu. Le tribunal le condamne alors à payer 500 000 $.

 

[3]               En 2006, à l’issu d’un recours collectif, il est condamné à verser une somme de plusieurs millions de dollars aux personnes qui ont subi des pertes financières suite à leurs investissements dans les abris fiscaux de monsieur Roy et ses co-accusés.

 

[4]               N’ayant fait aucun paiement sur les amendes imposées, l’honorable juge de paix magistrat Suzanne Bousquet accueille, en 2007, une demande du Percepteur des amendes du district de Montréal de faire incarcérer monsieur Roy en vertu de l’article 347 du Code de procédure pénale, LRQ, c C-25-1, pour défaut de paiement. Il se voit alors imposé une peine de 7 ans, 2 mois et 22 jours, et se retrouve dans un pénitencier fédéral.

 

[5]               Depuis, monsieur Roy tente d’épuiser, sans succès, tous les recours qui lui sont disponibles en vertu des lois québécoises à l’encontre de cette décision. En novembre 2008, la CNLC ordonne sa semi-liberté en l’assujettissant à une condition spéciale, soit l’obligation de remettre un état de ses revenus et dépenses à son agent de libération conditionnelle. Cependant, cette semi-liberté est révoquée en septembre 2009 car la condition spéciale ne peut être appliquée adéquatement en raison de l’attitude de monsieur Roy. En novembre 2009, il est remis en semi-liberté, mais la CNLC lui ajoute deux conditions spéciales. En fin de compte, la CNLC ordonne sa libération conditionnelle totale en février 2010, et l’assujettie aux cinq conditions spéciales suivantes :

a.       interdiction d’occuper un emploi rémunéré ou non et / ou d’occuper des fonctions reliées, de près ou de loin, au monde la finance;

b.      obligation de soumettre un état personnel de ses revenus et dépenses à son agent de surveillance, ainsi qu’un bilan financier complet de ses entreprises et / ou compagnie (sic) incluant tout document / preuve lié à ces états, et ce, à la fréquence exigée par ce dernier;

c.       fournir aux experts comptables dûment identifiés par le SCC (Service Correctionnel du Canada), toutes les informations et documents jugés nécessaires à l’analyse et l’évaluation de ses sources de revenus, de ses avoirs passifs / actifs et de ses activités financières, à la fréquence exigée par son agent de surveillance;

d.      signer toute procuration jugée nécessaire par son agent de surveillance auprès d’institutions financières ou d’organismes gouvernementaux officiels dans le but de produire des documents justifiants l’état de ses finances et / ou des compagnies auxquelles il est lié; et

e.       occuper un emploi déclaré ou effectuer une recherche active d’emploi et en fournir la preuve à son agent de surveillance.

 

[6]               En février 2010, insatisfait de cette décision, monsieur Roy la porte en appel devant la Section d’appel. Le 5 mai 2010, la Section d’appel affirme la décision de la CNLC. C’est cette décision de la Section d’appel qui fait l’objet de la présente demande de contrôle judiciaire.

 

LES QUESTIONS À EXAMINER

 

[7]               Monsieur Roy, qui se représente lui-même, soulève plusieurs points dans ses prétentions écrites, et en soulève d’autres lors de sa plaidoirie orale. Il plaide :

a.       que la CNLC n’a pas compétence pour lui imposer des conditions spéciales puisqu’il a été condamné en vertu de législations provinciales plutôt qu’une législation fédérale en matière criminelle;

b.      être incapable de payer les amendes puisqu’il ne gagne qu’un salaire modeste, et qu’il se retrouve dans l’impossibilité d’œuvrer sur le marché boursier;

c.       qu’il a été traité injustement comparativement à ses co-accusés, incluant son oncle, et qu’il fait l’objet d’harcèlement.

 

[8]               Monsieur Roy prétend que la décision de l’honorable juge de paix magistrat Bousquet est nulle et sans effet. Il soulève diverses propositions à cet effet en tentant d’expliquer en quoi la décision de cette dernière est inconstitutionnelle et contrevient à la Charte canadienne des droits et libertés. De plus, il fournit toutes sortes de calculs sophistiqués afin d’expliquer pourquoi sa peine devrait être réduite par un tiers, et indique que si l’on divise la somme totale de ses amendes par le nombre de jours d’emprisonnement, il serait en mesure de s’en acquitter en payant près de 62 000 $.

 

[9]               Bien que ces points soient intéressants, il importe de garder à l’esprit que la Cour fédérale n’a aucun pouvoir de surveillance inhérent face aux cours provinciales. La Cour fédérale administre les lois du Canada conformément à l’article 101 de la Constitution, alors que l’administration de la justice dans la province du Québec, y compris la création et l’organisation de ses tribunaux de justice, ressort du pouvoir exclusif des provinces en vertu de l’article 92 de ladite Loi. Quoi qu’il en soit, monsieur Roy a épuisé tous les recours mis à sa disposition par les lois provinciales du Québec.

 

[10]           En l’espèce, la Cour est saisie de la demande de contrôle judiciaire à l’encontre de la décision rendue par la Section d’appel de la CNLC, ni plus ni moins. Les questions en litige présentement devant cette Cour sont les suivantes :

a.       La CNLC a-t-elle compétence pour imposer des conditions spéciales au demandeur?

b.      Les conditions imposées par la CNLC sont-elles raisonnables?

c.       La CNLC et la Section d’appel ont-elles respecté les principes d’équité procédurale applicables?

 

[11]           Je suis d’avis que la CNLC a compétence pour imposer des conditions spéciales au demandeur. Je ne peux faire mieux que de résumer les prétentions écrites du défendeur qui exposent très bien cet exemple de fédéralisme coopératif. Tout d’abord, l’article 99 de la Loi sur le système correctionnel et la mise en liberté sous condition, LC 1992, c 20, définit le terme « délinquant » en tant qu’individu condamné à une peine d’emprisonnement, entre autres, en application d’une loi fédérale ou d’une loi provinciale. Ce même article indique que la « libération conditionnelle totale » est le régime accordé sous l’autorité de la Commission qui permet au délinquant qui en bénéficie d’être en liberté pendant qu’il purge sa peine. Plus loin, le paragraphe 107(2) de la Loi prévoit que la CNLC est compétente à l’égard des délinquants qui sont condamnés à purger dans un pénitencier la peine qui leur a été infligée pour une infraction à une loi provinciale. Il est clair que monsieur Roy se situe dans le champ d’application de cette Loi : il a été déclaré coupable en vertu de la Loi sur les valeurs mobilières du Québec et de la Loi sur le ministre du revenu, et l’honorable juge de paix magistrat Bousquet l’a condamné à une peine d’emprisonnement, en vertu de l’article 347 du Code de procédure pénale, pour défaut de payer ses amendes. Étant donné que monsieur Roy est alors un délinquant au sens de la Loi et bénéficie d’une libération conditionnelle, l’article 133(3) permet à la CNLC de lui imposer les conditions qu’elle juge raisonnables et nécessaires afin de protéger la société et favoriser la réinsertion sociale de ce dernier.

 

[12]           Je suis également d’avis que les conditions imposées par la CNLC sont raisonnables. Même si monsieur Roy n’a pas été condamné en vertu d’une loi fédérale, la CNLC peut tenir compte de tous les renseignements disponibles pertinents lors de son évaluation du risque, pourvu que ces renseignements n’ont pas été obtenus irrégulièrement (Fernandez c Canada (Procureur général), 2011 CF 275, [2011] ACF No 320 (QL)). Toutes les conditions qui lui ont été imposées sont en lien avec les infractions dont il a été trouvé coupable. Selon le plan correctionnel de monsieur Roy, il s’avère très difficile pour le SCC d’obtenir des informations officielles, claires et précises de sa part, surtout en ce qui concerne ses transactions financières. De plus, il propose plusieurs fois à son agent de surveillance d’accepter des emplois qui lui sont interdits, incluant des emplois impliquant des transactions par lettre de crédit ou dont il est le principal actionnaire. L’évaluation en vue d’une décision ajoute également au portrait de monsieur Roy : le SCC note qu’il ne reconnaît pas la responsabilité de ses actes, ni l’existence de victime, autre que lui-même, et qu’il fait preuve de résistance à aborder sa problématique. En vue de bien gérer le risque en communauté, il est également nécessaire qu’un expert comptable soit mis à la disposition des agents au dossier de monsieur Roy, et qu’une demande de procuration spécifique donnant accès aux informations des institutions financières soit initiée.

 

[13]           Pour les motifs exposés dans le mémoire des faits et du droit du défendeur, j’accepte qu’il y a eu le respect des principes d’équité procédurale applicables en l’espèce. Les motifs de la décision de la CNLC sont clairs, intelligibles, et bien étayés par la preuve.


ORDONNANCE

 

POUR LES MOTIFS SUSMENTIONNÉS;

LA COUR ORDONNE que le contrôle judiciaire soit rejeté, le tout avec dépens.

 

 

 

« Sean Harrington »

Juge

 


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

DOSSIER :                                        T-873-10

 

INTITULÉ :                                       ROY c PGC

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                 MONTRÉAL (QUÉBEC)

 

DATE DE L’AUDIENCE :               LE 10 JANVIER 2012

 

MOTIFS DE L’ORDONNANCE

ET ORDONNANCE :                       LE JUGE HARRINGTON

 

DATE DES MOTIFS :                      LE 19 JANVIER 2012

 

 

COMPARUTIONS :

 

Robert Roy

POUR LE DEMANDEUR

(SE REPRÉSENTANT LUI-MÊME)

 

Me Marjolaine Breton

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

N/A

POUR LE DEMANDEUR

(SE REPRÉSENTANT LUI-MÊME)

 

Myles J. Kirvan

Sous-procureur général du Canada

Montréal (Québec)

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

 Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.