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Cour fédérale

 

Federal Court

 

Date: 20120117

Dossier : T-572-11

Référence : 2012 CF 64

Ottawa (Ontario), le 17 janvier 2012

En présence de monsieur le juge Scott 

 

ENTRE :

 

ANTHONY ROBERT PAUL

 

 

 

demandeur

 

et

 

 

 

PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

 

 

 

défendeur

 

 

 

 

 

         MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

I.          Introduction

 

[1]               Il s’agit d’une demande de révision judiciaire de la décision du Service correctionnel du Canada [SCC] en date du 8 mars 2011, imposant à Monsieur Anthony Robert Paul (M. Paul), un transfèrement non sollicité du pénitencier de Ste-Anne-des-Plaines au pénitencier de Cowansville, dans le but de satisfaire à de nouvelles exigences de sécurité, suite à une réévaluation de sa cote de sécurité.

 

[2]               La Cour constate que la procédure introductive d’instance porte à confusion puisque le demandeur y apparaît comme étant Paul Anthony Robert alors que le demandeur est Monsieur Anthony Robert Paul.

 

[3]               Pour les raisons qui suivent, la demande révision judiciaire est accueillie.

 

II.        Les faits

 

[4]               M. Paul, un métis de 43 ans, était détenu au pénitencier à sécurité minimale de Ste-Anne-des-Plaines. En 1987, il est condamné à trente mois d’incarcération pour vol qualifié, voies de fait, fraude, introduction par effraction et omission de se conformer à une condition d’une promesse. En 1989, alors qu’il bénéficie d’une semi-liberté, il est condamné à nouveau pour plusieurs vols qualifiés et doit alors purger une peine de sept ans. Depuis 1992, M. Paul purge une peine à perpétuité après avoir été reconnu coupable du meurtre au deuxième degré d’un codétenu. En 1994, on ajoute 60 jours à sa peine puisqu’il est trouvé coupable de possession de stupéfiants dans un établissement carcéral.

 

[5]               Depuis le début de sa peine, le SCC note que la criminalité de M. Paul est liée à son problème de consommation de drogue. La contrebande de stupéfiants alors qu’il est détenu est l’une des circonstances importantes entourant l’homicide perpétré par M. Paul, pour lequel il purge une peine à perpétuité.

 

[6]               En octobre 2008, on découvre du tétrahydrocannabinol dans son organisme, après une série de tests sanguins. En juillet 2009, M. Paul fait l’objet d’une mesure disciplinaire, après une tentative de contrebande de tabac en établissement carcéral.

 

[7]               Le 9 janvier 2011, un rapport d’enquête du service de sécurité révèle au SCC que M. Paul serait l’organisateur d’une manœuvre impliquant un membre du personnel de Ste-Anne-des-Plaines qui favorise l’entrée de tabac en établissement. M. Paul aurait aussi orchestré deux entrées de cannabis pour sa consommation personnelle.

 

III.       Législation

 

[8]               Les articles 4 et 27 de la Loi sur le système correctionnel et la mise en liberté sous condition, LC, 1992, c 20 ainsi que les articles 11 et 12 du Règlement sur le système correctionnel et la mise en liberté sous condition, DORS/92-620 (le Règlement) sont annexés aux présents motifs.

 

IV.       Question en litige et norme de contrôle

 

A.        Question en litige

 

[9]               Cette demande de révision judiciaire soulève une seule question en litige :

 

a.                   En l’espèce, le SCC respecte-t-il son devoir d’équité procédurale envers M. Paul?

 

B.        Norme de contrôle

 

[10]           Lorsque l'équité procédurale est en cause, « la Cour doit établir si le processus suivi par le décideur respecte le degré d'équité exigé en toute circonstance : Canada (Citoyenneté et Immigration) c Khosa, 2009 CSC 12, [2009] 1 RCS 339, au para 43. En plus du droit à l'équité procédurale reconnu par la common law, il faut tenir compte des droits procéduraux accordés aux détenus par les dispositions législatives applicables » (voir la décision Spidel c Canada (Procureur Général), 2011 CF 999 au para 30). La norme de la décision correcte s’applique en l’espèce.

 

V.        Positions des parties

 

A.        Position de M. Paul

 

[11]           M. Paul soutient que le SCC commet des erreurs en droit et viole l’équité procédurale en matière de divulgation de l’information dans le processus suivi pour en arriver à sa décision de transfèrement non sollicité et de hausse de sa cote de sécurité. Cette décision est prise, selon lui, en contravention des exigences de la loi habilitante du SCC et du devoir d’agir équitablement.

 

[12]           Il allègue que l’article 27 de la Loi est sans équivoque quant à l’obligation du SCC de communiquer l’information au détenu. Aux termes de cet article « la personne chargée de rendre […] une décision au sujet d’un délinquant doit, lorsque celui-ci a le droit en vertu de la présente partie ou des règlements de présenter des observations, lui communiquer, dans un délai raisonnable avant la prise de décision, tous les renseignements entrant en ligne de compte de celle-ci, ou un sommaire de ceux-ci ».

 

[13]           Compte tenu de la Loi et du Règlement, M. Paul soutient avoir droit de recevoir, en l’espèce, toute l’information entrant en ligne de compte dans la prise de décision du SCC. Il affirme, de plus, que le SCC n’invoque pas une des exceptions prévues au paragraphe 27(3) de la Loi pour s’exempter de son devoir de lui communiquer tous les renseignements pertinents à sa prise de décision.

 

[14]           M. Paul souligne que l’arrêt Demaria c Comité de classement des détenus, [1987] 1 CF 74 [Demaria], s’applique en l’instance et vient soutenir sa position voulant  que le SCC n’a pas motivé adéquatement sa décision puisqu’aucun détail significatif n’y est mentionné (voir le paragraphe 18 du mémoire du demandeur). Il fait siennes les remarques de la Cour d’appel fédérale « l’appelant est réduit à nier les faits allégués, ce qui en soi est presque toujours moins convainquant qu’une affirmation, et à se livrer à de spéculations futiles sur la nature réelle de la preuve présentée contre lui » (voir l’arrêt Demaria au para 9) et prétend que c’est ce qui se produit en l’espèce.

 

[15]           M. Paul s’appuie également sur la décision de la Cour Suprême du Canada dans l’affaire May c Établissement Ferndale, [2005] 3 RCS 809 [May], où elle établit que « toute autorité publique qui rend des décisions touchant les droits, privilèges ou biens d’une personne est assujettie à une obligation d’équité procédurale » (para 94). De plus, « afin d’assurer l’équité des décisions touchant les détenus, le [paragraphe] 27(1) de la [Loi] impose au SCC une lourde obligation de communication. Cette disposition exige que le SCC communique au délinquant, dans un délai raisonnable avant la prise de décision, tous les renseignements entrant en ligne de compte dans celle-ci, ou un sommaire de ceux-ci » (voir l’arrêt May au para 95). On y indique aussi que le législateur « a précisé les circonstances dans lesquelles le SCC peut refuser de communiquer des renseignements » (voir l’arrêt May au para 96). Cette décision balise l’étendue du devoir d’équité du SCC.

 

[16]           M. Paul rappelle également que la Cour fédérale s’est prononcée récemment sur l’obligation de la Commission nationale des libérations conditionnelles de partager des rapports protégés fournis par le SCC dans la décision Mymryk c Canada (Procureur Général), 2010 CF 632 [Mymryk]. Il soutient qu’il existe plusieurs faits similaires entre l’affaire Mymryk et le traitement de son dossier.

 

[17]           Dans les faits, M. Paul allègue n’avoir reçu qu’une seule information à ce jour soit celle d’avoir prétendument organisé la contrebande du tabac, à deux reprises, dans l’établissement de Sainte-Anne-des-Plaines, avec l’aide d’un membre du SCC. Il n’a fait l’objet d’aucune mesure de discipline ou d’enquête policière à la suite de ces prétendus évènements. M. Paul prétend aussi n’avoir jamais reçu le rapport d’enquête de la sécurité préventive et ni aucunes précisions quant aux allégations portées contre lui.

 

[18]           Il soutient n’avoir pu se défendre devant les accusations du SCC, ce qui enfreint le principe même de l’équité procédurale.

 

[19]           En outre, il prétend que le SCC a omis de tenir compte de ses propos face à sa mesure non sollicitée de transfèrement. Le SCC aurait également écarté les conclusions positives du rapport de l’agent de libération conditionnelle, M. Kingsley (pièce ARP-03, page 33 du mémoire du demandeur) ainsi que celles du rapport de l’agent escorteur en date du 16 décembre 2010 (pièce ARP-04, page 47 du mémoire du demandeur). Le SCC aurait également ignoré le document de révision du niveau de la paye du délinquant (pièce ARP-07, page 58 du mémoire du demandeur).

 

[20]           M. Paul souligne aussi le fait qu’aucune fouille n’est pratiquée contre lui. Il affirme finalement que l’agent de libération conditionnelle a complété son évaluation en vue de son transfèrement avant même la réception du rapport de la sécurité préventive et les conclusions de l’enquête.

 

[21]           D’autre part, il rappelle que la mesure de transfèrement doit être la moins restrictive possible aux termes du paragraphe 4d) de la Loi. Il prétend que le défendeur agit en contravention de cette obligation légale puisqu’il existe des alternatives moins contraignantes auxquelles il pourrait être astreint. De plus, il reproche au défendeur son omission de motiver en quoi sa décision de transfèrement non sollicité du 8 mars est vraiment la moins restrictive possible. Ainsi, cette mesure de transfèrement est déraisonnable, contraire à la Loi et à l’équité procédurale.

 

B.        Position de défendeur

 

[22]           Le défendeur rappelle dans un premier temps que  la teneur de l’article 27 de la Loi reflète toute l’importance que le législateur accorde à l’obligation du SCC de respecter les principes de l’équité procédurale lorsqu’il prend une décision qui touche un détenu. Il souligne ensuite que les articles 11 et 12 du Règlement prévoient les modalités qui s’appliquent pour la transmission d’information à un détenu dans le cas d’un transfèrement non sollicité.

 

[23]           En l’espèce, M. Paul reçoit une copie des documents préparés en vue de son transfèrement  dans les délais prévus par la Loi et son Règlement. Le défendeur rappelle que M. Paul a reçu les documents suivants : le « "involuntary Segregation Placement » (voir la page 51 du dossier du demandeur), le « Sharing of information fifth working day review » (voir la page 56 du dossier du demandeur), l’audience pour examen du statut du délinquant en isolement le 13 janvier 2011 (voir la page 61 du dossier du demandeur), le « assessment for decision » (voir la page 79 du dossier du demandeur), le « Security Reclassification Scale » (voir la page 97 du dossier du demandeur) et le « Notice of involuntary transfer Recommendation / Purpose : respond/reassess sec. req. » (voir la page 101 du dossier du demandeur).

 

[24]           Le défendeur reconnaît d’emblée que les principes d’équité procédurale s’appliquent à tout organisme public qui rend des décisions administratives touchant les droits ou les privilèges d’une personne (voir l’arrêt Canada (Procureur Général) c Mavi, 2011 CSC 30 au para 38). Toutefois, il affirme qu’il faut replacer dans son contexte la décision attaquée par cette demande de révision judiciaire.

 

[25]           Le défendeur allègue que l’étendue de l’obligation en matière d’équité procédurale doit être modulée en tenant compte du contexte législatif applicable au décideur. Il souligne que l’équité procédurale ne s’applique pas de la même façon dans tous les cas.

 

[26]           Le défendeur soutient qu’il faut être prudent dans l’analyse de la question d’équité procédurale en matière carcérale. La Cour Suprême précise que les Cours de justice ne doivent intervenir que dans les cas d’injustice flagrante, compte tenu du contexte très particulier du milieu carcéral, afin d’éviter de paralyser indûment la saine gestion des établissements de détention (voir l’arrêt Cardinal c Établissement Kent, [1985] 2 RCS 643 au para 15).

 

[27]           Selon le défendeur, la nature des décisions appelle des modalités d’application des principes d’équité procédurale différents. Par exemple, les droits, privilèges et intérêts visés, de même que la raison d’être des décisions prises dans les cas de révocation de libération conditionnelle, d’infractions disciplinaires ou de transfèrement, influeront  sur l’étendue des obligations en matière d’équité procédurale.  

 

 

[28]           Dans l’arrêt Gallant c Canada (Sous-commissaire, service correctionnel), [1989] ACF no 70 au para 28, le juge Marceau écrit :

[…]  Dans les cas d’une décision visant à imposer une sanction ou une punition à la suite d’une infraction, les règles d’équité exigent que la personne accusée dispose de tous les détails connus de l’infraction. Il n’en est pas de même dans le cas d’une décision de transfèrement rendue pour le bon fonctionnement de l’établissement et fondée sur la croyance que le détenu ne devrait pas rester où il est, compte tenu des questions que soulève son comportement. Dans un tel cas, il n’y a pas de raison d’exiger que le détenu dispose d’autant de détails relatifs aux actes répréhensibles dont on le soupçonne.[…]

 

[29]           Le défendeur soutient qu’une décision du SCC de modifier une cote de sécurité ainsi que de procéder au transfèrement d’ un détenu vers un pénitencier correspondant à un autre niveau d’encadrement est une décision administrative prise dans le but de maintenir l’ordre et la sécurité de l’établissement carcéral. Les autorités doivent tout simplement démontrer que les renseignements qu’elles détiennent soulèvent des préoccupations suffisamment importantes pour justifier un transfèrement.

 

[30]           Le défendeur souligne aussi qu’aux termes de l’article 27 de la Loi, la communication d’un sommaire des renseignements pertinents suffit à satisfaire cette obligation légale.

 

[31]           Le sommaire des informations pertinentes doit être suffisamment détaillé pour permettre au détenu de répondre aux allégations du SCC (voir la décision Athwal v Ferndale Institution, [2006] BCJ No 2083, 2006 BCSC 1386 aux paras 32-51 [Athwal]).

 

[32]           En l’espèce, le défendeur soutient que M. Paul a reçu les informations pertinentes. Le 16 décembre 2010, le SCC l’informe de son transfert en isolement durant la tenue d’une enquête qui porte sur son implication dans la contrebande de tabac (voir le document Involuntary Segregation Placement, à la page 51 du dossier du demandeur).

 

[33]           Le défendeur rappelle de plus que M. Paul est également rencontré le 21 décembre 2010, par les autorités, afin de discuter des raisons pour lesquelles on l’a placé en isolement (voir le document Sharing of information Fifth Working day Review, à la page 56 du dossier du demandeur).

 

[34]           De plus, lors de l’audience du 13 janvier 2011, devant le comité d’examen d’isolement préventif, M. Paul nie toute implication dans la contrebande de tabac. Toutefois, il avoue être un fumeur actif (voir le document audience pour examen du statut du délinquant en isolement, à la page 66 du dossier du demandeur).

 

[35]           Le défendeur rappelle que le 11 février 2011, M. Paul est à nouveau rencontré à la suite de son placement en isolement. Le 4 mars 2011, M. Paul reçoit l’avis de recommandation de transfèrement. L’avis comprend les résultats de l’enquête et les conclusions du SCC concernant les risques que représente la contrebande de tabac à l’intérieur d’un établissement à sécurité minimale.

 

[36]           Le défendeur note qu’un agent de libération conditionnelle est venu rencontrer M. Paul au sujet de son transfèrement. Toutefois, ce dernier refuse de faire des représentations à l’encontre de cette décision.

 

[37]           Le défendeur soutient que M. Paul a pu prendre connaissance des conclusions de l’enquête du SCC et a eu la chance d’en discuter avec les différents intervenants et de faire valoir ses représentations.

 

[38]           Le défendeur affirme que M. Paul n’a pas démontré qu’il croit réellement que sa cause a été mise en péril à cause d’un manquement à l’équité procédurale. Le défendeur soutient aussi que M. Paul n’a pas soulevé un manquement à l’équité procédurale à la première occasion (Hudon c Canada (Procureur Général), [2001] ACF no 1836 [Hudon]).

 

[39]           Le défendeur soutient de plus que la décision du SCC est raisonnable puisque M. Paul a contrevenu à de nombreuses reprises, à ses conditions d’encadrement. Le directeur de l’établissement fonde sa décision sur des rapports d’expert dans la gestion des risques (voir la décision Athwal au para 49). Ainsi, le directeur de l’établissement n’a pas à expliquer les raisons pour lesquelles une raison moins restrictive devrait s’appliquer. Le défendeur soutient qu’il est implicite que les ressources de l’établissement de Ste-Anne-des-Plaines ne sont plus suffisantes pour encadrer M. Paul. Compte tenu de ces arguments, la demande de révision judiciaire doit être rejetée.

 

VI.       Analyse

 

·                    En l’espèce, le SCC respecte-t-il son devoir d’équité procédurale envers M. Paul?

 

[40]           Aux termes de l’article 27 de la Loi, le décideur doit communiquer les informations pertinentes à sa prise de décision dans un délai raisonnable, afin de permettre au détenu de faire valoir ses observations à l’encontre de la décision de procéder à son transfèrement.

 

[41]           De plus, comme le souligne  le défendeur dans son mémoire, M. Paul a reçu tous les documents pertinents concernant son transfèrement de l’établissement de Ste-Anne-des-Plaines à l’établissement de Cowansville.

 

[42]           À aucun moment M. Paul n’allègue qu’il s’oppose à son transfert. Il mentionne plutôt qu’il ne désire pas  faire de représentations pour réfuter la décision de procéder à son transfèrement vers le pénitencier de Cowansville.

 

[43]           Le SCC écrit, dans sa décision, que « you have received, on March 4, 2011, an Involuntary Transfer Notice, at which time you refused to acknowledge receipt of the document and refused to indicate if you wished to submit representations in this regard » (voir la decision du SCC, à la page 7 du dossier du demandeur). Le SCC mentionne également que « a parole officer met with you in the segregation area, at which time you indicated that you did not wish to submit a rebuttal pertaining to your transfer » (voir la decision du SCC, à la page 7 du dossier du demandeur).

 

[44]           Selon le défendeur, M. Paul ne peut soutenir qu’il n’a pu faire de représentations à l’encontre de la décision du SCC puisqu’à la lecture de ce que l’on rapporte, c’est M. Paul lui-même qui refuse de faire valoir des représentations.

 

[45]           La Cour croit qu’une distinction s’impose entre la jurisprudence citée par le défendeur et le cas en l’espèce. Dans l’arrêt Demaria, la Cour d’appel fédérale précise que la question « consiste plus particulièrement à savoir si l'appelant a été suffisamment informé des allégations formulées à son sujet et si on lui a donné une chance équitable d'y répondre » (voir l’arrêt Demaria au para 5). Dans cette affaire, l’établissement avait refusé, entre autres, de transmettre les informations à l’avocat du détenu et au détenu, prétextant que les informations en matière de sécurité sont confidentielles.

 

[46]           La question soulevée par cette demande de révision judicaire porte sur la suffisance des informations qui sont divulguées à M. Paul et à sa décision de ne pas faire valoir de représentations à l’encontre du transfèrement.

 

 

[47]           L’avis du SCC n’est pas suffisamment détaillé pour permette à M. Paul de faire valoir des observations à l’encontre des raisons qui sous-tendent la décision de transfèrement non sollicité.  Contrairement à ce que le défendeur soutient en nous référant à l’arrêt Gallant, nous ne sommes pas devant un cas où « l’absence d’avis raisonnable n’est pas fondée sur des motifs valables », ou pour un motif énoncé au paragraphe 27(3) de la Loi (voir l’arrêt Gallant au para 10). Encore eut-il été nécessaire que le SCC demande une exemption au Commissaire aux termes de paragraphe (3) de l’article 27.

 

[48]           La Cour estime qu’il y a un manquement à l’équité procédurale puisque l’avis du SCC n’est pas suffisamment détaillé. Ainsi, même si M. Paul voulait présenter des observations, l’avis ne lui fournissait aucun détail lui permettant de contester les conclusions de l’enquête. La décision Demaria est claire : le fondement d’un avis de transfèrement doit être plus qu’un simple soupçon aléatoire visant le détenu. La Cour d’appel écrit aux paragraphes 8 et 9 de sa décision :  

[8]  […]Aucune indication ne lui est fournie sur la nature de ces motifs. Les allégations formulées à son sujet ne comportent aucun détail significatif. Où ? Quand ? Comment ? D'où provenait le poison ? Comment avait-il été obtenu ? Pour quelles fins ? Quelle en était la quantité ? Les allégations sont censées être fondées sur des renseignements obtenus du personnel de Millhaven et de la Sûreté de l'Ontario. Quels renseignements proviennent de quelle source ? Y a-t-il un indicateur en cause ? Si tel est le cas, quelle partie de sa déclaration peut-on dévoiler tout en gardant son identité secrète ? La police a-t-elle poursuivi son enquête ? A-t-elle procédé à des arrestations ? Les questions s'enchaînent presque à l'infini.

 

[9]        Comme il était simplement allégué qu'il existait des motifs de croire qu'il avait introduit du cyanure dans la prison, l'appelant était réduit à nier les faits allégués -- ce qui en soi est presque toujours moins convaincant qu'une affirmation -- et à se livrer à des spéculations futiles sur la nature réelle de la preuve présentée contre lui.

 

[49]           Cet extrait est sans équivoque quant au contenu d’un avis de transfèrement non sollicité. En l’espèce, la Cour décèle une lacune importante. L’avocat du défendeur nous souligne que le paragraphe 27(1) permet la transmission d’un sommaire. La Cour en convient, mais encore faut-il que ce sommaire permette au détenu de constater la véracité des faits ou comportements qu’on lui reproche. En l’instance, on soupçonne M. Paul d’être l’organisateur d’un réseau de trafic de tabac dans l’établissement de Ste-Anne-des-Plaines et de complicité avec un membre du personnel, sans fournir d’autres précisions, si ce n’est que l’on fait référence à deux incidents sans indiquer des dates, des lieux ou les circonstances. La Cour peut poser les mêmes questions que dans l’affaire Demaria. Où? Quand? Comment? Avec quel complice? Dans quelles circonstances?

 

[50]           L’insuffisance d’un avis peut constituer, à certaines occasions, une contravention à  la maxime Audi Alterem Partem, qui est un des fondements de la justice naturelle et de l’équité procédurale. C’est le cas en l’instance.

 

[51]           Le défendeur nous a fait valoir, à l’audience, qu’il ne fait aucun doute que des préoccupations de sécurité expliquent que l’on ait remis qu’un sommaire à M. Paul. Si tel est le cas, le paragraphe 27(3) prévoit une procédure qui aurait permis de remédier au défaut.

 

[52]           M. Paul pouvait-il valablement renoncer à la contestation de l’insuffisance de l’avis? Contrairement à ce que soutient l’avocat du défendeur, la Cour croit que M. Paul pouvait difficilement renoncer à contester la décision de transfèrement s’il ne connaît pas les faits qui sous- tendent les infractions qu’on lui reproche.

 

[53]           Quant à la proposition voulant que M. Paul ait l’obligation de soulever, à la première occasion, le manquement à l’équité procédurale, la Cour est consciente de l’arrêt Hudon sauf que ce principe ne peut recevoir application en l’instance car M. Paul n’a jamais participé au processus qui a mené à la décision contestée.

 

[54]           Enfin, compte tenu de nos conclusions sur la première question, il n’est pas nécessaire que la Cour se penche sur les arguments subsidiaires de M. Paul portant sur l’obligation du Directeur de motiver en quoi sa décision satisfait au critère de la mesure la moins restrictive.

 

VII.     Conclusion

 

[55]           La Cour accueille la demande de révision judiciaire et renvoi la décision du SCC pour reconsidération, le tout avec dépens.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

JUGEMENT

LA COUR STATUE que

1.                  la demande de révision est accueillie;

2.                  la Cour renvoie la décision du SCC pour reconsidération.

            Le tout avec dépens.

 

 

« André F.J. Scott »

Juge


ANNEXE

 

·                    Les articles 4 et 27 de la Loi sur le système correctionnel et la mise en liberté sous condition, LC 1992, c 20 se lisent comme suit :

 

Principes de fonctionnement

 

Principles that guide the Service

 

4. Le Service est guidé, dans l’exécution de ce mandat, par les principes qui suivent :

 

4. The principles that shall guide the Service in achieving the purpose referred to in section 3 are

 

a) la protection de la société est le critère prépondérant lors de l’application du processus correctionnel;

 

(a) that the protection of society be the paramount consideration in the corrections process;

b) l’exécution de la peine tient compte de toute information pertinente dont le Service dispose, notamment des motifs et recommandations donnés par le juge qui l’a prononcée, des renseignements obtenus au cours du procès ou dans la détermination de la peine ou fournis par les victimes et les délinquants, ainsi que des directives ou observations de la Commission nationale des libérations conditionnelles en ce qui touche la libération;

 

(b) that the sentence be carried out having regard to all relevant available information, including the stated reasons and recommendations of the sentencing judge, other information from the trial or sentencing process, the release policies of, and any comments from, the National Parole Board, and information obtained from victims and offenders;

c) il accroît son efficacité et sa transparence par l’échange, au moment opportun, de renseignements utiles avec les autres éléments du système de justice pénale ainsi que par la communication de ses directives d’orientation générale et programmes correctionnels tant aux délinquants et aux victimes qu’au grand public;

 

(c) that the Service enhance its effectiveness and openness through the timely exchange of relevant information with other components of the criminal justice system, and through communication about its correctional policies and programs to offenders, victims and the public;

d) les mesures nécessaires à la protection du public, des agents et des délinquants doivent être le moins restrictives possible;

 

(d) that the Service use the least restrictive measures consistent with the protection of the public, staff members and offenders;

 

e) le délinquant continue à jouir des droits et privilèges reconnus à tout citoyen, sauf de ceux dont la suppression ou restriction est une conséquence nécessaire de la peine qui lui est infligée;

 

(e) that offenders retain the rights and privileges of all members of society, except those rights and privileges that are necessarily removed or restricted as a consequence of the sentence;

 

f) il facilite la participation du public aux questions relatives à ses activités;

 

(f) that the Service facilitate the involvement of members of the public in matters relating to the operations of the Service;

 

g) ses décisions doivent être claires et équitables, les délinquants ayant accès à des mécanismes efficaces de règlement de griefs;

 

(g) that correctional decisions be made in a forthright and fair manner, with access by the offender to an effective grievance procedure;

 

h) ses directives d’orientation générale, programmes et méthodes respectent les différences ethniques, culturelles et linguistiques, ainsi qu’entre les sexes, et tiennent compte des besoins propres aux femmes, aux autochtones et à d’autres groupes particuliers;

 

(h) that correctional policies, programs and practices respect gender, ethnic, cultural and linguistic differences and be responsive to the special needs of women and aboriginal peoples, as well as to the needs of other groups of offenders with special requirements;

 

i) il est attendu que les délinquants observent les règlements pénitentiaires et les conditions d’octroi des permissions de sortir, des placements à l’extérieur et des libérations conditionnelles ou d’office et qu’ils participent aux programmes favorisant leur réadaptation et leur réinsertion sociale;

 

(i) that offenders are expected to obey penitentiary rules and conditions governing temporary absence, work release, parole and statutory release, and to actively participate in programs designed to promote their rehabilitation and reintegration; and

j) il veille au bon recrutement et à la bonne formation de ses agents, leur offre de bonnes conditions de travail dans un milieu exempt de pratiques portant atteinte à la dignité humaine, un plan de carrière avec la possibilité de se perfectionner ainsi que l’occasion de participer à l’élaboration des directives d’orientation générale et programmes correctionnels.

 

(j) that staff members be properly selected and trained, and be given

 

(i) appropriate career development opportunities,

 

 

(ii) good working conditions, including a workplace environment that is free of practices that undermine a person’s sense of personal dignity, and

 

 

(iii) opportunities to participate in the development of correctional policies and programs.

 

Communication de renseignements au délinquant

 

Information to be given to offenders

27. (1) Sous réserve du paragraphe (3), la personne ou l’organisme chargé de rendre, au nom du Service, une décision au sujet d’un délinquant doit, lorsque celui-ci a le droit en vertu de la présente partie ou des règlements de présenter des observations, lui communiquer, dans un délai raisonnable avant la prise de décision, tous les renseignements entrant en ligne de compte dans celle-ci, ou un sommaire de ceux-ci.

 

27. (1) Where an offender is entitled by this Part or the regulations to make representations in relation to a decision to be taken by the Service about the offender, the person or body that is to take the decision shall, subject to subsection (3), give the offender, a reasonable period before the decision is to be taken, all the information to be considered in the taking of the decision or a summary of that information.

 

Idem

 

Idem

(2) Sous réserve du paragraphe (3), cette personne ou cet organisme doit, dès que sa décision est rendue, faire connaître au délinquant qui y a droit au titre de la présente partie ou des règlements les renseignements pris en compte dans la décision, ou un sommaire de ceux-ci.

 

(2) Where an offender is entitled by this Part or the regulations to be given reasons for a decision taken by the Service about the offender, the person or body that takes the decision shall, subject to subsection (3), give the offender, forthwith after the decision is taken, all the information that was considered in the taking of the decision or a summary of that information.

 

Exception

 

Exceptions

(3) Sauf dans le cas des infractions disciplinaires, le commissaire peut autoriser, dans la mesure jugée strictement nécessaire toutefois, le refus de communiquer des renseignements au délinquant s’il a des motifs raisonnables de croire que cette communication mettrait en danger la sécurité d’une personne ou du pénitencier ou compromettrait la tenue d’une enquête licite.

 

(3) Except in relation to decisions on disciplinary offences, where the Commissioner has reasonable grounds to believe that disclosure of information under subsection (1) or (2) would jeopardize

 

(a) the safety of any person,

 

 

(b) the security of a penitentiary, or

 

(c) the conduct of any lawful investigation,

 

 

the Commissioner may authorize the withholding from the offender of as much information as is strictly necessary in order to protect the interest identified in paragraph (a), (b) or (c).

 

Droit à l’interprète

 

Right to interpreter

(4) Le délinquant qui ne comprend de façon satisfaisante aucune des deux langues officielles du Canada a droit à l’assistance d’un interprète pour toute audition prévue à la présente partie ou par ses règlements d’application et pour la compréhension des documents qui lui sont communiqués en vertu du présent article.

 

(4) An offender who does not have an adequate understanding of at least one of Canada’s official languages is entitled to the assistance of an interpreter

 

(a) at any hearing provided for by this Part or the regulations; and

 

 

(b) for the purposes of understanding materials provided to the offender pursuant to this section.

 

 

·                    Les articles 11 et 12 du Règlement sur le système correctionnel et la mise en liberté sous condition, DORS/92-620 se lisent comme suit :

 

11. Le directeur du pénitencier doit veiller à ce que le détenu soit informé par écrit des motifs de sélection du pénitencier où il est incarcéré et qu'il ait la possibilité de présenter ses observations à ce sujet dans l'un des délais suivants :

 

11. An institutional head shall ensure that an inmate is informed in writing of the reasons for the placement of the inmate in a particular penitentiary and that the inmate is given an opportunity to make representations with respect thereto,

 

a) si le processus de placement pénitentiaire a lieu dans un établissement correctionnel provincial, dans les deux semaines qui suivent son incarcération initiale dans le pénitencier;

 

(a) where the penitentiary placement process takes place in a provincial correctional facility, within two weeks after the initial placement of the inmate in a penitentiary; or

 

b) si le processus de placement pénitentiaire a lieu dans un pénitencier, avant son transfèrement au pénitencier désigné, mais après la période de réception initiale.

 

(b) where the penitentiary placement process takes place in a penitentiary, before the transfer of the inmate to the assigned penitentiary but after the initial reception process.

 

12. Sauf dans le cas du transfèrement demandé par le détenu, le directeur du pénitencier ou l'agent désigné par lui doit, avant le transfèrement du détenu en application de l'article 29 de la Loi :

 

12. Before the transfer of an inmate pursuant to section 29 of the Act, other than a transfer at the request of the inmate, an institutional head or a staff member designated by the institutional head shall

 

a) l'aviser par écrit du transfèrement projeté, des motifs de cette mesure et de la destination;

 

(a) give the inmate written notice of the proposed transfer, including the reasons for the proposed transfer and the proposed destination;

 

b) après lui avoir donné la possibilité de préparer ses observations à ce sujet, le rencontrer pour lui expliquer les motifs du transfèrement projeté et lui donner la possibilité de présenter ses observations à ce sujet, en personne ou par écrit, au choix du détenu;

 

(b) after giving the inmate a reasonable opportunity to prepare representations with respect to the proposed transfer, meet with the inmate to explain the reasons for the proposed transfer and give the inmate an opportunity to make representations with respect to the proposed transfer in person or, if the inmate prefers, in writing;

c) transmettre les observations du détenu au commissaire ou à l'agent désigné selon l'alinéa 5(1)b);

 

(c) forward the inmate's representations to the Commissioner or to a staff member designated in accordance with paragraph 5(1)(b); and

 

d) l'aviser par écrit de la décision définitive prise au sujet du transfèrement et des motifs de celle-ci :

 

(d) give the inmate written notice of the final decision respecting the transfer, and the reasons for the decision,

(i) au moins deux jours avant le transfèrement, sauf s'il consent à un délai plus bref lorsque la décision définitive est de le transférer

(i) at least two days before the transfer if the final decision is to transfer the inmate, unless the inmate consents to a shorter period; and

 

(ii) dans les cinq jours ouvrables suivant la décision, lorsque la décision définitive est de ne pas le transférer.

 

(ii) within five working days after the decision if the final decision is not to transfer the inmate.

 

 

 

 


 

COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

DOSSIER :                                        T-572-11

 

INTITULÉ :                                       ANTHONY ROBERT PAUL

                                                            c

                                                            PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                 Montréal, Québec

 

DATE DE L’AUDIENCE :               1er décembre 2011

 

MOTIFS DU JUGEMENT

ET JUGEMENT :                              LE JUGE SCOTT

 

DATE DES MOTIFS :                      17 janvier 2012

 

 

 

COMPARUTIONS :

 

Maxime Hébert Lafontaine

 

POUR LE DEMANDEUR

 

Nicholas R. Banks

POUR LE DÉFENDEUR

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Maxime Hébert Lafontaine

Montréal (Québec)

POUR LE DEMANDEUR

 

 

Myles J. Kirvan

Sous-procureur Général du Canada

Montréal (Québec)

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

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