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Date : 20120116


Dossier : IMM-4154-11

Référence : 2012 CF 39

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 16 janvier 2012

En présence de monsieur le juge Rennie

 

 

ENTRE :

JIAN HUA LIN

 

demandeur

 

et

 

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ
ET DE L’IMMIGRATION

 

défendeur

 

 

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

[1]               Le demandeur sollicite le contrôle judiciaire de la décision datée du 26 mai 2011, par laquelle la Section d’appel de l’immigration (la SAI) de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié a rejeté son appel interjeté à l’encontre du refus opposé par un agent des visas à sa demande en vue de parrainer la résidence permanente de son épouse. Pour les motifs qui suivent, la demande sera accueillie.

 

Les faits

[2]               Le demandeur, qui venait de Chine, est arrivé au Canada en 1990 en cherchant à obtenir l’asile. Sa demande a été refusée, mais il s’est vu accorder un statut en 1996. Il a ensuite parrainé son épouse d’alors, mais leur mariage s’est terminé par un divorce en août 2006. Le demandeur s’est ensuite remarié avec une citoyenne chinoise, une certaine Dan Wen Lin, âgée de 44 ans et mère de deux enfants, dont le premier mariage s’était aussi soldé par un divorce en 1996.

 

[3]               Les demandes de parrainage et de résidence permanente présentées par le demandeur pour Dan Wen Lin ont été refusées le 21 août 2008, le jour même de leur entrevue au bureau des visas de Hong Kong. L’agent des visas a conclu que le mariage était visé par le paragraphe 4(1) du Règlement sur l’immigration et la protection des réfugiés (DORS/2002-227) :

 

4. (1) Pour l’application du présent règlement, l’étranger n’est pas considéré comme étant l’époux, le conjoint de fait ou le partenaire conjugal d’une personne si le mariage ou la relation des conjoints de fait ou des partenaires conjugaux, selon le cas :

 

a) visait principalement l’acquisition d’un statut ou d’un privilège sous le régime de la Loi;

 

b) n’est pas authentique.

 

4. (1) For the purposes of these Regulations, a foreign national shall not be considered a spouse, a common-law partner or a conjugal partner of a person if the marriage, common-law partnership or conjugal partnership

 

 

(a) was entered into primarily for the purpose of acquiring any status or privilege under the Act; or

 

(b) is not genuine.

 

 

 

[4]               L’agent des visas a estimé que le mariage du demandeur et de Mme Lin visait principalement l’acquisition d’un statut ou d’un privilège aux termes de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27. Le demandeur a porté cette décision en appel devant la SAI qui l’a débouté. C’est à l’encontre de cette décision que le demandeur sollicite un contrôle judiciaire.

 

Analyse

[5]               D’après le demandeur, la SAI a commis une erreur susceptible de contrôle en rendant une décision qui n’est pas conforme au critère jurisprudentiel de la raisonnabilité.

 

[6]               L’adéquation des motifs est assujettie à la norme de la raisonnabilité. Pour y satisfaire, les motifs doivent expliquer, avec un minimum de force persuasive, le raisonnement sur lequel les constatations et les conclusions reposent. Ils doivent être transparents, ce qui veut dire que l’analyse factuelle et juridique qui sous-tend la conclusion ou le résultat doit être discernable. Il n’est pas nécessaire pour cela que tous les arguments, la jurisprudence et la preuve soient mentionnés, mais les motifs, pris comme un tout et lus dans le contexte du dossier, doivent attester la raisonnabilité de la décision : Newfoundland and Labrador Nurses’ Union c Terre‑Neuve‑et‑Labrador (Conseil du Trésor), 2011 CSC 62.

 

[7]               Les motifs contestés ne remplissent pas ces critères. Il suffit, aux fins de la présente décision, de relever quelques exemples.

 

Premier exemple

[8]               Au paragraphe 42, la SAI déclarait ce qui suit :

Le tribunal s’est posé la question de savoir si un couple se serait donné autant de peine si son mariage n’avait pas été authentique. Le tribunal doit évaluer la preuve selon la prépondérance des probabilités pour répondre à cette question. La demandeure et ses enfants sont les personnes susceptibles de tirer le plus grand avantage de ce mariage. La demandeure a mentionné qu’elle aimerait que ses enfants étudient au Canada. Elle a pris des mesures pour tirer parti de son émigration au Canada en présentant une demande pour obtenir la garde de son fils. Le conseil a affirmé que le transfert avait débuté le 8 octobre 2006. Cette observation a été formulée longtemps après que la demande eut été présentée. C’est peut-être vrai (bien que la source soit une partie intéressée), mais cela ne répond pas à la question de savoir pourquoi c’est elle qui a présenté la demande, et non son ex-époux, étant donné que c’est lui qui, prétendument, avait de la difficulté à élever son fils. Par ailleurs, cette observation a été formulée longtemps après le dépôt de la demande; ce n’est pas le motif qui a été invoqué dans la demande du 28 novembre 2006. Comme il a été dit, la Cour a observé qu’un dossier réglé depuis longtemps avait été rouvert. Il s’agit d’un fait révélateur en ce qui concerne le but principal du mariage contesté.

 

[Renvois omis.]

 

 

[9]               Tout ce que nous pouvons déduire de ce paragraphe, c’est que l’authenticité du mariage du demandeur est examinée, mais les raisons qui motivent les conclusions sont indiscernables. Ce passage est incompréhensible, même lorsque replacé dans le contexte des pièces pertinentes.

 

Deuxième exemple

[10]           Au paragraphe 41 de la décision, la SAI déclarait :

[…] Il y a lieu de noter que l’appelant a reconnu ne jamais s’être procuré d’assurance de ce genre dans le passé, bien qu’il ait été marié et qu’il ait eu un enfant. Il n’a présenté aucune preuve crédible ou suffisamment convaincante pour expliquer ce qui l’avait incité à contracter cette assurance au moment où il l’a fait. Pour reprendre ce qui a été mentionné ci-dessus, des informations bancaires exactes ont été obtenues par l’agent des visas. […]

 

 

[11]           Encore une fois, il est impossible de saisir ce que cette conclusion est censée signifier, suggérer ou inférer. Le rapport entre l’achat d’une police d’assurance et la question en litige, à savoir le mariage, n’est pas évident.

 

Troisième exemple

[12]           On peut en dire autant du passage suivant :

Outre la question de la crédibilité, d’autres facteurs pertinents ont été révélés par la preuve présentée à l’audition de l’appel. Le tribunal, qui a examiné cette preuve et constate sa grande pertinence pour ce qui est des questions principales (le critère à deux volets), conclut que, selon la prépondérance des probabilités, l’appelant n’a pas répondu de manière satisfaisante aux questions soulevées. Il ne s’agit aucunement d’un dédoublement; la majorité de ces questions sont différentes de celles qu’a soulevées l’agent des visas. En outre, cela illustre le comportement du couple en général, et démontre jusqu’où l’appelant et la demandeure sont prêts à aller pour que leur soit accordée l’entrée au Canada, au titre de la catégorie du regroupement familial. Le tribunal considère également ceci comme un facteur défavorable.

 

 

[13]           Nous ne savons pas très bien à qui ou à quoi le dédoublement se rapporte, quel lien il faut y voir avec les préoccupations de la SAI, ni ce qui doit être considéré comme un facteur défavorable. Pour obéir à la norme de la transparence, les motifs doivent établir un lien, sinon explicite, du moins implicite ou qui dépende d’une inférence logique ou du contexte, entre les conclusions et la preuve.

 

Quatrième exemple

[14]           Finalement, certaines conclusions de fait de la SAI tombent aussi sous le coup de l’alinéa 18.1(4)d) de la Loi sur les Cours fédérales (LRC 1985, c F‑7) :

Cet arrangement est également suspect compte tenu du fait que la demandeure a affirmé n’avoir entretenu de relation avec aucun homme après la dissolution de son mariage. Après avoir rencontré un étranger à l’occasion d’un voyage, elle l’a néanmoins invité, quelques jours plus tard, à souper chez elle avec ses enfants, et elle et lui ont commencé à cohabiter le 1er décembre 2006 (s’il faut l’en croire), tout juste avant qu’il ne revienne au Canada, le 4 décembre 2006. Cela fait ressortir une autre contradiction interne. L’appelant a catégoriquement nié qu’ils ont habité ensemble pendant ce voyage. Il reconnaît l’avoir invitée à l’accompagner à Xiemen, où ils ont passé deux jours, mais lorsqu’il lui a été demandé s’ils avaient logé ensemble, il a répondu « non », bien qu’il ait assumé les frais, parce qu’ils [traduction] « n’étaient que des amis ». Il [traduction] « est allé la voir » le 3 décembre, il l’a revue le 4 décembre, à midi, et elle l’a accompagné à l’aéroport, pour son départ. En outre, la demandeure affirme qu’elle a appris dans les premiers jours du voyage que l’appelant venait du Canada.

 

[Renvoi omis.]

 

 

[15]           Ces faits ne sont pas rapportés ainsi dans le dossier et ne font intervenir aucun élément d’appréciation ou d’évaluation. Plus de quelques jours s’étaient écoulés avant le dîner, 27 jours en vérité. Les faits sont tout simplement incorrects eu égard à une question importante.

 

[16]           Dans le même ordre d’idées, le dossier indique que les personnes concernées ont échangé quinze appels téléphoniques sur une période de deux semaines. Toutefois, en abordant cette preuve, la SAI a déclaré :

Il est également curieux que l’appelant et la demandeure prétendent communiquer l’un avec l’autre deux ou trois fois par semaine. Le relevé des appels téléphoniques que l’appelant a présenté pour corroborer leurs communications régulières jette un doute sur la crédibilité du récit de la demandeure, puisque ce registre fait état de 11 conversations entre eux du 9 au 21 mars 2010. La demandeure s’est exprimée de manière floue lorsqu’elle a parlé de la date de sa fausse couche, ce qui soulève des doutes. Il s’agit d’un incident qu’elle a vécu et il est raisonnable de s’attendre à ce que l’appelant et elle soient en mesure de donner des précisions à cet égard, si cela s’est réellement produit.

 

[Renvoi omis.]

 

 

[17]           Le fait que le demandeur ait sous-estimé le nombre d’appels téléphoniques échangés avec son épouse ne justifie pas, dans ce contexte, une conclusion quant à la crédibilité.

 

Conclusion

[18]           La Cour a examiné les motifs en question en mettant la déférence au premier plan de son analyse. Cependant, il nous est difficile de comprendre en l’espèce pourquoi la SAI a rendu sa décision, et on ne saurait prétendre que son résultat appartient aux issues raisonnables.

 

[19]           Je fais remarquer, en terminant, que le défendeur n’a pas du tout cherché à défendre la décision : il ne s’est pas efforcé d’apprécier cette décision au regard de la norme de contrôle ou de la rattacher à une jurisprudence propre à l’appuyer. D’ailleurs, aucune décision n’a été citée. On n’a pas tenté non plus de rabouter certaines parties de la décision qui, lues ainsi, pourraient satisfaire à la norme de la raisonnabilité. Enfin, on n’a pas signalé à la Cour de pièces au dossier susceptibles de corroborer la décision.

 

[20]           La demande sera accueillie.

 

[21]           Aucune question n’a été proposée aux fins de certification et aucune ne se pose.


JUGEMENT

LA COUR STATUE que la demande de contrôle judiciaire est accueillie. L’affaire est renvoyée à la Commission de l’immigration et du statut de réfugié pour nouvel examen par un autre commissaire de la Section d’appel de l’immigration. Aucune question n’a été proposée aux fins de certification, et la Cour estime qu’aucune ne se pose.

 

 

« Donald J. Rennie »

Juge

 

 

 

Traduction certifiée conforme

 

Christian Laroche, LL.B.

Juriste-traducteur et traducteur-conseil


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

DOSSIER :                                        IMM-4154-11

 

INTITULÉ :                                       JIAN HUA LIN c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                 TORONTO (ONTARIO)

 

DATE DE L’AUDIENCE :               LE 15 DÉCEMBRE 2011

 

MOTIFS DU JUGEMENT
ET JUGEMENT :
                              LE JUGE RENNIE

 

DATE DES MOTIFS :                      LE 16 JANVIER 2012

 

 

 

COMPARUTIONS :

 

Elyse Korman

POUR LE DEMANDEUR

 

Suran Bhattacharyya

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Otis & Korman
Avocats

Toronto (Ontario)

 

POUR LE DEMANDEUR

Myles J. Kirvan

Sous-procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

 

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