Décisions de la Cour fédérale

Informations sur la décision

Contenu de la décision

 

Cour fédérale

 

Federal Court

 

Date : 20120116

Dossier : IMM-3769-11

Référence : 2012 CF 40

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 16 janvier 2012

En présence de monsieur le juge Rennie

 

 

ENTRE :

 

DAI, JUNGSHENG

 

 

 

demandeur

 

et

 

 

 

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

 

 

défendeur

 

 

 

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

[1]               Le demandeur sollicite une ordonnance annulant la décision du 2 mai 2011 de la Section de la protection des réfugiés de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié (la Commission), laquelle a statué que le demandeur n’avait ni qualité de réfugié au sens de la Convention (la Convention des Nations Unies relative au statut des réfugiés, RT Can 1969 no 6) ni qualité de personne à protéger aux termes des articles 96 et 97 de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27 (la LIPR). Pour les motifs qui suivent, la demande de contrôle judiciaire sera rejetée.

 

Les faits

[2]               Le demandeur est originaire de Putian, dans la province du Fujian, en République populaire de Chine (Chine). Devant la Commission, le demandeur a affirmé qu’il s’était joint à une église clandestine en août 2003. La cousine du demandeur l’avait initié à la chrétienté à cause d’une douleur que le demandeur éprouvait au pied et que les médecins ne parvenaient pas à soulager. Le demandeur a affirmé qu’il avait été baptisé à l’église en mars 2004. En décembre 2005, il a déménagé en Équateur pour travailler dans le commerce de son oncle. Il a soutenu qu’il avait fréquenté l’église en Équateur et qu’il avait posté des documents d’études chrétiennes à sa cousine en Chine. En juillet 2007, le demandeur est venu au Canada. Il a soutenu que, le 24 juillet 2008, sa mère l’avait informé que le Bureau de la sécurité publique (le BSP) avait fait une descente à l’église clandestine qu’il fréquentait. La mère du demandeur lui a dit que le BSP avait laissé une sommation le visant et que sa cousine avait été arrêtée. Apparemment, le BSP est retourné plusieurs fois à la recherche du demandeur.

 

[3]               Le demandeur a fait une demande d’asile le 6 août 2008. Le 2 mai 2011, la Commission a rejeté sa demande. En résumant les motifs de rejet de la demande, la Commission a conclu ce qui suit :

Étant donné que le tribunal a conclu que le demandeur d’asile n’était pas un chrétien pratiquant authentique en Chine ni au Canada; étant donné que le tribunal a conclu que l’allégation du demandeur d’asile selon laquelle il était recherché par le [BSP] n’était pas crédible; étant donné que la totalité de la preuve documentaire fournissait très peu d’éléments de preuve convaincants voulant que les membres d’églises non enregistrées se heurtent à une possibilité sérieuse de persécution dans la province du Fujian; le tribunal conclut, selon la prépondérance des probabilités, qu’il n’existe pas une possibilité sérieuse que le demandeur d’asile soit persécuté s’il devait retourner au Fujian pour pratiquer sa religion comme il l’entend. Pour les mêmes motifs, le tribunal conclut que le demandeur d’asile ne serait pas personnellement exposé à une menace à sa vie ou au risque de traitements ou peines cruels ou inusités ou au risque, s’il y a des motifs sérieux de le croire, d’être soumis à la torture s’il devait retourner dans la province du Fujian.

 

 

 

La question en litige

[4]               La question centrale en l’espèce est une question mixte de fait et de droit, susceptible de contrôle selon la norme de la décision raisonnable : Dunsmuir c. Nouveau-Brunswick, 2008 CSC 9, [2008] 1 RCS 190.

 

 

[5]               Le demandeur conteste les conclusions de la Commission concernant la crédibilité, soit les conclusions selon lesquelles il n’était pas un chrétien pratiquant authentique en Chine ni au Canada et, subsidiairement, qu’il n’existe pas de possibilité sérieuse que le demandeur soit persécuté s’il devait retourner au Fujian pour pratiquer sa religion et que sa demande d’asile est frauduleuse.

 

Analyse

[6]               J’estime que les allégations du demandeur selon lesquelles la Commission aurait commis des erreurs sont dénuées de fondement. De plus, je ne trouve pas la décision déraisonnable, et je ne trouve pas qu’elle n’est pas justifiée et qu’elle ne repose pas sur un processus décisionnel transparent et intelligible.

 

[7]               La Commission a conclu que « […] le demandeur d’asile n’a[vait] pas fourni suffisamment d’éléments de preuve crédibles ou dignes de foi à l’appui de son allégation selon laquelle il [étai]t une personne recherchée par le [BSP] en Chine ». La Commission a noté que le demandeur avait jeté les enveloppes qui avaient contenu des documents que sa mère lui avait envoyés, affirmant « qu’il [étai]t déraisonnable que le demandeur d’asile ait jeté des éléments de preuve qui auraient confirmé que ses documents provenaient effectivement de la Chine, étant donné qu’il avait reçu l’aide d’un conseil avant de présenter sa demande d’asile; il [étai]t raisonnable de s’attendre à ce que quelqu’un lui ait dit de conserver tous les éléments de preuve ». En conséquence, la Commission a conclu qu’elle ne pouvait pas accorder de poids à la sommation que le demandeur avait produite, en particulier du fait de la réponse à une demande d’information (la RDI) qui indiquait que des documents frauduleux, dont des sommations, pouvaient facilement être obtenus sur le marché noir.

 

[8]                La Commission a également noté que la mère du demandeur avait posté la sommation et d’autres documents au demandeur de la Chine au Canada alors que le demandeur et sa mère savaient que les autorités chinoises contrôlaient et censuraient le courrier. La Commission a estimé :

[…] invraisemblable que le demandeur d’asile mette en jeu sa propre sécurité et celle de tous les documents à l’appui de son identité et de sa demande d’asile en se faisant poster des documents à son nom. Le demandeur d’asile était au courant des menaces contre les membres de sa famille et du fait que la police était à sa recherche. […] Compte tenu du fait que le gouvernement chinois surveille le courrier, le tribunal conclut que le fait d’avoir reçu du courrier qui lui était directement adressé provenant de la Chine a miné les allégations du demandeur d’asile selon lesquelles il était recherché en Chine.

 

 

[9]               Dans sa plaidoirie, le demandeur a soutenu que la conclusion était déraisonnable, étant donné son témoignage selon lequel sa mère lui avait posté la sommation dans un livre. J’estime que ce fait additionnel n’ajoute rien qui soit de nature à remettre en question le caractère raisonnable de la conclusion de la Commission. La conclusion concernant la crédibilité est tirée relativement à la vraisemblance que la mère du demandeur lui envoie la sommation, et non relativement à la forme de l’envoi. La conclusion est également reliée à l’authenticité de la sommation. À cet égard, la Commission a également conclu qu’elle ne pouvait pas accorder beaucoup de poids à la sommation, étant donné le fait que le demandeur l’avait seulement reçue après qu’il eut été au Canada sans statut pendant près d’un an et eut quitté la Chine quelque cinq années plus tôt.

 

[10]           Le demandeur a donné trois explications contradictoires à la Commission quant à savoir à quel moment il était tenu de se présenter au BSP selon la sommation émise à son égard. Étant donné les explications contradictoires, la Commission a accordé peu de poids au témoignage du demandeur.

 

[11]           Le demandeur soutient également que la conclusion de la Commission, selon laquelle son témoignage contradictoire quant au moment où il devait se présenter selon la sommation, est contredite par des éléments de preuve contenus dans la RDI que le demandeur a produite et sur laquelle la Commission s’est appuyée pour tirer ses conclusions. La Commission a conclu :

 

Selon les plus récents éléments de preuve documentaire portant sur les sommations dans la province du Fujian, la personne visée par la sommation doit se présenter à l’endroit désigné dans les douze heures suivant la réception. La sommation du demandeur d’asile a été délivrée le 26 juillet 2008; il y est indiqué que le demandeur d’asile devrait se présenter deux jours plus tard, soit le 28 juillet 2008. Cela ne va pas dans le sens de la preuve documentaire. Le tribunal a pris en considération l’observation de la conseil selon laquelle l’application des règles et des règlements se fait de façon inégale un peu partout en Chine. Même si cette information était incluse dans une précédente RDI datée de juin 2004, la RDI citée par le tribunal, publiée en juillet 2010, ne mentionne pas le fait que les autorités de la province du Fujian ne suivent pas la politique couramment employée.

 

 

[12]           Lorsque la Commission a tiré cette conclusion, le demandeur soutient qu’elle a omis de tenir compte du passage suivant de la documentation même que la Commission avait citée au soutien de sa décision :

[TRADUCTION]

 

Dans une correspondance de suivi datée du 21 juin 2010, le même fonctionnaire a indiqué qu’en raison des [TRADUCTION] « vastes pouvoirs discrétionnaires de l’administration partout au pays », il y avait des écarts entre la loi et sa mise en œuvre en Chine (Canada, le 21 juin 2010). Le fonctionnaire a noté que [TRADUCTION] « dans certains cas, il se peut que la personne ne reçoive pas de copie de la sommation si elle ne le demande pas expressément, ou encore, si elle accompagne les agents du [BSP] au moment de recevoir la sommation, il se peut qu’il n’en reçoive pas de copie ultérieurement » (ibid.).

 

 

[13]           Cela ne modifie en rien les conclusions quant au manque de crédibilité du demandeur. Le défaut de la Commission de s’appuyer sur ce passage ne mine pas ses conclusions concernant la crédibilité du demandeur. Autrement dit, c’est le demandeur qui manque de crédibilité, et non les documents de la RDI.

 

[14]           La Commission a également tiré de ce fait des inférences négatives quant à la crédibilité et a conclu qu’« il [étai]t invraisemblable que le demandeur d’asile risque la sécurité de sa cousine afin de lui faire parvenir des documents de son église à partir de l’Équateur. Qui plus est, […] le fait que le demandeur d’asile ait omis d’indiquer dans son formulaire de renseignements personnels (FRP) le fait que les documents étaient en espagnol et qu’ils avaient dû être traduits en chinois minait la crédibilité de cette allégation. » C’étaient là des facteurs raisonnables sur lesquels la Commission pouvait fonder ses conclusions concernant la crédibilité.

 

[15]           La décision évoquait d’autres éléments de preuve qui étayaient le caractère raisonnable de la décision quant à la crédibilité. Il était hautement invraisemblable que le demandeur ait vécu au sein d’une communauté et ait fréquenté une église pendant deux ans sans au moins connaître le nom de la congrégation. Il aurait peut-être été déraisonnable de s’attendre à ce que le demandeur apprenne l’espagnol, mais il n’est pas déraisonnable que la Commission se soit attendue à ce qu’il connaisse au moins le nom de l’église qu’il avait fréquentée à l’époque où il vivait en Équateur et qu’il ait été à tout le moins curieux de savoir ce qui se disait lors des services religieux qui s’y déroulaient.

 

[16]           Le demandeur a également affirmé qu’il avait cessé de fréquenter l’école de langue anglaise au Canada, parce qu’il n’avait pas les moyens de assumer les frais de scolarité. Il a également soutenu qu’il n’avait pas les moyens d’acheter le matériel didactique. La Commission a également noté que le demandeur n’était pas parvenu à concilier ces prétentions avec le fait que l’intégralité de ses frais de scolarité, y compris son hébergement et son matériel didactique, avait été payée en entier à l’avance. Son taux de présence en classe était nettement inférieur à 70 %. Le demandeur a fini par ne plus s’y présenter du tout. La Commission a conclu que le demandeur n’avait pas démontré une intention véritable d’entrer au Canada pour étudier l’anglais. Il était loisible à la Commission de tirer cette conclusion, compte tenu des éléments de preuve dont elle disposait.

 

[17]           Lorsque le visa d’étudiant du demandeur a expiré en janvier 2008, il est demeuré au Canada sans statut. Il a soutenu que son père, demeuré en Chine, avait besoin d’argent, et que lui était donc resté au Canada pour travailler. Le demandeur n’a fait aucun effort pour retourner en Chine. La Commission a conclu : « le demandeur d’asile est resté au Canada de janvier à juillet 2008 (moment où il a présenté sa demande d’asile pour des raisons autres qu’une crainte des autorités chinoises. Voilà qui a miné la crainte subjective du demandeur d’asile, de même que l’ensemble de sa crédibilité. » Cette conclusion n’est pas déraisonnable; même au regard de la prétention du demandeur selon laquelle il avait seulement été mis au courant de la descente à l’église en juillet 2008 et n’avait donc peut-être pas eu de raison, initialement, de craindre d’être persécuté par le BSP.

 

[18]           Le demandeur reproche également à la Commission de ne pas avoir tenu compte d’une décision rendue après l’audience par un tribunal australien de protection des réfugiés. La Commission n’est nullement liée par les décisions rendues dans un ressort étranger, non plus qu’elle n’est tenue de la prendre en considération, indépendamment de toute parenté juridique historique.

 

[19]           La Commission a également conclu que le demandeur avait commencé à fréquenter l’église au Canada en novembre 2007, bien après son arrivée au Canada, et que la motivation pour laquelle il l’avait fait « était d’établir le fondement d’une fausse demande d’asile ». La Commission a également conclu que, bien que le demandeur ait été baptisé et ait possédé certaines connaissances chrétiennes, toute connaissance avait été acquise uniquement aux fins d’étayer une demande d’asile frauduleuse. Compte tenu de cette conclusion, il n’est pas nécessaire d’examiner la question de savoir si la Commission a commis une erreur dans son analyse relative au risque de persécution.

 

[20]           La demande de contrôle judiciaire sera donc rejetée.

 

[21]           Aucune question n’a été proposée aux fins de certification, et aucune ne se pose.

 


JUGEMENT

LA COUR STATUE que la demande de contrôle judiciaire est par les présentes rejetée. Aucune question n’a été proposée aux fins de certification, et aucune ne se pose.

 

 

« Donald J. Rennie »

Juge

 

 

 

 

Traduction certifiée conforme

 

Christian Laroche, LL.B.

Juriste-traducteur et traducteur-conseil


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

DOSSIER :                                        IMM-3769-11

 

INTITULÉ :                                       DAI, JUNGSHENG c. LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                 Toronto

 

DATE DE L’AUDIENCE :               Le 13 décembre 2011

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT

ET JUGEMENT :                              LE JUGE RENNIE

 

DATE DES MOTIFS :                      Le 16 janvier 2012

 

 

COMPARUTIONS :

 

Mme Ann Crawford

POUR LE DEMANDEUR

 

Mme Sybil Sakle Thompson

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Ann Crawford
Avocate
Toronto (Ontario)

 

POUR LE DEMANDEUR

 

Myles J. Kirvan,

Sous-procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

 Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.