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Date : 20120116


Dossier : IMM-1913-11

Référence : 2012 CF 29

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 16 janvier 2012

En présence de monsieur le juge Rennie

 

 

ENTRE :

RAMIRO ARTEAGA SARABIA,
ERIKA APONTE GOMEZ ET
ANGELICA SOFIA ARTEAGA APONTE,
ANA PAULA ARTEAGA APONTE,
ALEJANDRA ARTEAGA APONTE et
ERIKA ARTEAGA APONTE,
PAR LEUR TUTEUR À L’INSTANCE,
RAMIRO ARTEAGA SARABIA

 

demandeurs

 

et

 

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ
ET DE L’IMMIGRATION

 

défendeur

 

 

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

[1]               Il s’agit d’une demande de contrôle judiciaire d’une décision rendue le 11 février 2011 par laquelle le bureau d’examen des risques avant renvoi (ERAR) de Citoyenneté et Immigration Canada a rejeté la demande d’ERAR des demandeurs. Pour les motifs qui suivent, la demande est accueillie.

 

Les faits

[2]               Le demandeur principal (le demandeur), Ramiro A. Sarabia, est un politicien et journaliste qui prétend avoir été victime au Mexique d’actes de violence pour des raisons politiques. Il soutient également avoir été accusé à tort par le gouverneur de l’État de Guerrero d’un meurtre qui a eu lieu au Mexique. Le demandeur a fui vers le Canada avec sa famille; il est arrivé ici en août 2008. Sa demande d’asile a été rejetée par la Section de la protection des réfugiés (la SPR) de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié (la Commission) en novembre 2009 en raison de préoccupations au sujet de la crédibilité, du retard qu’il a mis à prendre la fuite et du fait qu’il n’a pas réfuté la présomption liée à la protection de l’État. Le 6 avril 2010, sa demande d’autorisation de contrôle judiciaire devant la Cour a été rejetée.

 

[3]               En août 2010, le demandeur a présenté sa demande d’ERAR, à laquelle il a joint douze documents, constitués pour la plupart de rapports sur le pays, de photographies issues de journaux et d’une note menaçante que son père, qui vit toujours au Mexique, a reçue en juillet 2010. Le 11 février 2011, l’agent d’ERAR a communiqué sa décision au demandeur. Il a déclaré :

[traduction

Aux fins de la présente évaluation, j’ai examiné et pris en compte les demandes d’ERAR des demandeurs, les observations qu’ils y ont jointes, la décision et les motifs de la SPR ainsi que la preuve documentaire qu’ils ont présentée. Dans leurs demandes d’ERAR et leurs documents, les demandeurs ne font pas état de nouveaux risques ou d’une augmentation des risques depuis le rejet de la demande par la SPR; ils se sont contentés de soumettre un gros cartable de documents sur le Mexique au sujet des assassinats politiques, des meurtres perpétrés par les cartels de la drogue, des avertissements à l’intention des citoyens américains qui prévoient un voyage au Mexique, ainsi qu’un rapport d’Amnistie Internationale pour l’année 2010. Ces questions avaient été abordées par le tribunal de la SPR. Aucun nouveau risque n’a été dévoilé, pas plus que les conclusions du tribunal de la SPR n’ont été réfutées. De plus, […] ils ne m’ont pas convaincu qu’un nouveau danger s’était présenté entre le rejet de la demande par la SPR et leur ERAR. En l’absence de preuve à l’effet contraire, on ne m’a pas convaincu d’arriver à une conclusion différente de celle du tribunal de la SPR […].

 

 

La question en litige

[4]               La question en litige dans cette affaire est de savoir si la conclusion de l’agent d’ERAR selon laquelle le demandeur n’avait pas soumis de nouveaux éléments de preuve relativement aux risques était conforme aux principes juridiques applicables; la norme de contrôle est donc celle de la décision correcte. Le principal argument du demandeur est que l’agent d’ERAR a commis une erreur en omettant d’examiner ou de mentionner les photographies et la note menaçante envoyée à son père, ou d’y faire la moindre allusion. D’après la traduction, cette note se lisait ainsi : [traduction] « on t’attend ». Elle était accompagnée de photographies de corps décapités.

 

Analyse

[5]               L’alinéa 113a) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés (LC 2001, ch. 27) (la LIPR) prévoit :

113. Il est disposé de la demande comme il suit :

 

a) le demandeur d’asile débouté ne peut présenter que des éléments de preuve survenus depuis le rejet ou qui n’étaient alors pas normalement accessibles ou, s’ils l’étaient, qu’il n’était pas raisonnable, dans les circonstances, de s’attendre à ce qu’il les ait présentés au moment du rejet;

113. Consideration of an application for protection shall be as follows :

 

(a) an applicant whose claim to refugee protection has been rejected may present only new evidence that arose after the rejection or was not reasonably available, or that the applicant could not reasonably have been expected in the circumstances to have presented, at the time of the rejection;

 

 

[6]               La jurisprudence relative à cette disposition de la LIPR est bien établie. Dans Perez c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2006 CF 1379, au paragraphe 5, la juge Judith Snider déclarait :

Il est bien établi que l’ERAR ne constitue pas un appel d’une décision de la SPR […]. Le but de l’ERAR n’est pas de débattre à nouveau des faits présentés à la SPR. La décision de la SPR doit être considérée comme définitive pour ce qui est de la question de la protection prévue aux articles 96 ou 97, sous réserve uniquement de la possibilité que de nouveaux éléments de preuve démontrent que le demandeur sera exposé à un risque nouveau, différent ou supplémentaire qui ne pouvait pas être examiné au moment où la SPR a rendu sa décision.

 

 

[7]               Dans Raza c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2006 CF 1385, le juge Richard Mosley déclarait, dans le même sens :

Il faut se rappeler que le rôle de l’agent d’ERAR n’est pas de revoir les conclusions de fait et les conclusions relatives à la crédibilité qui ont été tirées par la Commission, mais bien d’examiner la situation actuelle. Lorsqu’il évalue les « nouvelles informations », ce n’est pas seulement la date du document qui est importante, mais également la question de savoir si l’information est importante ou sensiblement différente de celle produite précédemment […] Lorsque des renseignements [traduction] « récents » (c.‑à‑d. des renseignements postérieurs à la décision initiale) font simplement écho à des renseignements produits antérieurement, il est peu probable que l’on conclut que la situation dans le pays a changé. La question est de savoir s’il y a de nouveaux renseignements « essentiels » […].

 

[8]               Le demandeur a joint aux observations reçues par l’agent d’ERAR une liste détaillée de ses observations, s’acquittant ainsi du fardeau qui lui incombe en vertu du paragraphe 161(2) du Règlement sur l’immigration et la protection des réfugiés (DORS/2002-227) (le Règlement), qui prévoit :

Nouveaux éléments de preuve

 

(2) Il désigne, dans ses observations écrites, les éléments de preuve qui satisfont aux exigences prévues à l’alinéa 113a) de la Loi et indique dans quelle mesure ils s’appliquent dans son cas.

New evidence

(2) A person who makes written submissions must identify the evidence presented that meets the requirements of paragraph 113(a) of the Act and indicate how that evidence relates to them.

 

 

[9]               L’agent d’ERAR a conclu, à l’égard des éléments de preuve soumis, que [traduction] « les demandeurs ne font pas état de nouveaux risques ou d’une augmentation des risques depuis le rejet de la demande par la SPR » et que [traduction] « [a]ucun nouveau risque n’a été dévoilé, pas plus que les conclusions du tribunal de la SPR n’ont été réfutées. De plus, […] ils ne m’ont pas convaincu qu’un nouveau danger s’était présenté entre le rejet de la demande par la SPR et leur ERAR ». Ces conclusions semblent à première vue raisonnables, puisque les renseignements présentés à l’appui paraissent dans l’ensemble faire simplement écho à l’information déjà soumise.

 

[10]           Cependant, rien n’indique dans la décision de l’agent d’ERAR qu’il a bien examiné les photographies et la note. L’omission de considérer des éléments de preuve importants et pertinents ne peut être excusée en l’espèce par une déclaration générale voulant que le décideur ait tenu compte de l’ensemble de la preuve. L’agent a expressément examiné toute la preuve, sauf deux nouveaux éléments essentiels. La décision Cepeda-Gutierrez c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) 1998 ACF no 1425, s’applique donc clairement à l’affaire en l’espèce. Dans cette décision, le juge John Evans déclarait aux paragraphes 16 et 17 :

Par ailleurs, les motifs donnés par les organismes administratifs ne doivent pas être examinés à la loupe par le tribunal (Medina c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration) (1990) 12 Imm. L.R. (2d) 33 (C.A.F.)), et il ne faut pas non plus les obliger à faire référence à chaque élément de preuve dont ils sont saisis et qui sont contraires à leurs conclusions de fait, et à expliquer comment ils ont traité ces éléments de preuve (voir, par exemple, Hassan c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration) (1992), 147 N.R. 317 (C.A.F.)). Imposer une telle obligation aux décideurs administratifs, qui sont peut-être déjà aux prises avec une charge de travail imposante et des ressources inadéquates, constituerait un fardeau beaucoup trop lourd. Une simple déclaration par l’organisme dans ses motifs que, pour en venir à ses conclusions, il a examiné l’ensemble de la preuve dont il était saisi suffit souvent pour assurer aux parties, et au tribunal chargé du contrôle, que l’organisme a analysé l’ensemble de la preuve avant de tirer ses conclusions de fait.

 

Toutefois, plus la preuve qui n’a pas été mentionnée expressément ni analysée dans les motifs de l’organisme est importante, et plus une cour de justice sera disposée à inférer de ce silence que l’organisme a tiré une conclusion de fait erronée « sans tenir compte des éléments dont il [disposait] » : Bains c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration) (1993), 63 F.T.R. 312 (C.F. 1re inst.). Autrement dit, l’obligation de fournir une explication augmente en fonction de la pertinence de la preuve en question au regard des faits contestés. Ainsi, une déclaration générale affirmant que l’organisme a examiné l’ensemble de la preuve ne suffit pas lorsque les éléments de preuve dont elle n’a pas discuté dans ses motifs semblent carrément contredire sa conclusion. Qui plus est, quand l’organisme fait référence de façon assez détaillée à des éléments de preuve appuyant sa conclusion, mais qu’elle passe sous silence des éléments de preuve qui tendent à prouver le contraire, il peut être plus facile d’inférer que l’organisme n’a pas examiné la preuve contradictoire pour en arriver à sa conclusion de fait.

 

 

[11]           La note et les photographies sont des éléments de preuve que le demandeur a obtenus après qu’il a été statué sur sa demande d’asile. En l’absence de motifs justifiant de rejeter, ou de ne pas tenir compte de ces éléments de preuve, la décision de l’agent d’ERAR ne permet pas du tout de savoir si un risque supplémentaire qui ne pouvait pas être envisagé au moment de la décision de la SPR pouvait être établi.

 

[12]           L’avocat du défendeur a fait valoir que l’agent d’ERAR n’était pas tenu d’aborder ces éléments de preuve compte tenu des conclusions défavorables de la Commission quant à la crédibilité du demandeur en ce qui concerne la plupart des aspects de sa demande d’asile. En d’autres termes, l’agent d’ERAR était en droit d’écarter la preuve, indirectement, compte tenu des problèmes de crédibilité qui entachaient la demande d’asile elle-même. Cependant, en l’espèce, la nouvelle preuve était importante et concernait un nouveau risque; elle correspondait donc entièrement aux objectifs des examens des risques avant renvoi. La preuve était essentielle eu égard à la question du risque, et aurait pu, si elle avait été acceptée, modifier l’issue de l’évaluation de l’agent d’ERAR.

 

[13]           Le défendeur soutient également que la demande doit être rejetée puisqu’elle revient à demander à la Cour de réévaluer la preuve. Cet argument peut être juste dans de nombreuses affaires, mais pas en l’espèce. Le demandeur ne demande pas une nouvelle évaluation de la preuve, mais plutôt qu’elle soit examinée.

 

[14]           La demande est accueillie. La décision d’ERAR est infirmée et renvoyée à un autre agent pour nouvel examen.

 

[15]           Il n’y a aucune question à certifier.


JUGEMENT

LA COUR STATUE que la demande de contrôle judiciaire est accueillie. L’affaire est renvoyée au bureau d’examen des risques avant renvoi pour nouvel examen par un autre agent. Aucune question n’a été proposée aux fins de certification et la Cour estime qu’aucune ne se pose.

 

 

« Donald J. Rennie »

Juge

 

 

 

Traduction certifiée conforme

Evelyne Swenne, traductrice‑conseil

 


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

DOSSIER :                                        IMM-1913-11

 

INTITULÉ :                                       RAMIRO ARTEAGA SARABIA et al c. LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                 TORONTO (ONTARIO)

 

DATE DE L’AUDIENCE :               LE 16 NOVEMBRE 2011

 

MOTIFS DU JUGEMENT
ET JUGEMENT :
                              LE JUGE RENNIE

 

DATE DES MOTIFS :                      LE 16 JANVIER 2012

 

 

 

COMPARUTIONS :

 

Daniel Kingwell

POUR LES DEMANDEURS

 

Rafeena Rashid

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Mamann Sandaluk
Toronto (Ontario)

 

POUR LES DEMANDEURS

Myles J. Kirvan

Sous-procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

POUR LES DÉFENDEURS

 

 

 

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