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Date : 20120113


Dossier : IMM-7216-10

Référence : 2012 CF 49

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 13 janvier 2012

En présence de madame la juge Simpson

 

 

ENTRE :

HUGO HENRY PABON MORALES,
NANCY ALVAREZ PARRA,

AMALIA PABON ALVAREZ,
SOFIA PABON ALVAREZ,
SELENE PABON ALVAREZ

 

demandeurs

 

et

 

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ
ET DE L’IMMIGRATION

 

défendeur

 

 

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

INSTANCE

 

[1]               Hugo Henry Pabon Morales, Nancy Alvarez Parra, Amalia Pabon Alvarez, Sofia Pabon Alvarez et Selene Pabon Alvarez [les demandeurs] sollicitent, en application du paragraphe 72(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, ch. 27 [la Loi],  le contrôle judiciaire de la décision du 26 octobre 2010 par laquelle un agent d’examen des risques avant renvoi [ERAR] a rejeté leur demande d’ERAR [la décision d'ERAR].

 

[2]               Pour les motifs qui suivent, la demande de contrôle judiciaire sera accueillie.

 

LE CONTEXTE

 

[3]               Les demandeurs sont les membres d’une famille colombienne craignant les Forces armées révolutionnaires de Colombie [les FARC]. Il s’agit de deux parents, Hugo [le demandeur principal] et Nancy, et de leurs trois enfants mineurs. Ces derniers sont nés aux États-Unis et possèdent donc les citoyennetés américaine et colombienne.

 

[4]               Le demandeur principal est un ancien détective du Département administratif de sécurité [le DAS] de Colombie. Il a 35 ans. En 2003, il a enquêté sur un attentat à la bombe survenu au Nogal Club, et a conclu que les FARC en étaient responsables.

 

[5]               Alors qu’il menait son enquête, il a été transféré inopinément à un autre bureau du département. Quelque temps après, il apprenait que le procureur chargé du dossier avait quitté la Colombie subitement et dans des circonstances suspectes. Le demandeur principal s’est mis à craindre que les FARC ne soient à l’origine de son transfert et de la fuite du procureur : il a donc décidé de faire profil bas.

 

[6]               En juillet 2003, sa famille a reçu deux appels téléphoniques. La première fois, la personne à l’autre bout du fil a raccroché après avoir demandé à parler au demandeur principal. La deuxième fois, elle a déclaré qu’elle était membre des FARC et a averti le demandeur principal qu’il était devenu une cible militaire pour l’organisation et qu’il devait arrêter [traduction] « de fourrer son nez dans leurs affaires ». Le demandeur principal soupçonne que les FARC ont obtenu son numéro de téléphone confidentiel grâce au DAS.

 

[7]               Le 5 août 2003, les demandeurs adultes ont fui la Colombie pour les États-Unis; cinq ans plus tard, le 7 avril 2008, ils sont arrivés au Canada et ont demandé le statut de réfugiés.

 

[8]               Le 22 octobre 2009, la Commission de l’immigration et du statut de réfugié [la Commission] a refusé la demande des demandeurs [la décision sur le statut de réfugié]; leur demande d’autorisation de contrôle judiciaire a ensuite été rejetée.

 

[9]               Le 22 juin 2010, les demandeurs ont déposé leur demande d’ERAR en vertu des articles 96 et 97 de la Loi [la demande d'ERAR]. Le 24 janvier 2011, un juge de la Cour fédérale a accueilli la requête en sursis à l’exécution de la mesure de renvoi des demandeurs.

 

LA DÉCISION SUR LE STATUT DE RÉFUGIÉ

 

[10]           Il a été établi que le demandeur principal et sa famille n’étaient ni des réfugiés au sens de la Convention ni des personnes à protéger, la Commission ayant notamment jugé qu’il était peu plausible que le demandeur principal coure un danger puisque ses proches restés en Colombie n’avaient pas été contactés par les FARC durant les huit années écoulées depuis son départ de Colombie.

 

[11]           La Commission a conclu par ailleurs que Bogota offrait aux demandeurs une possibilité de refuge intérieur [PRI].

 

LA DÉCISION D’ERAR

 

[12]           Les demandeurs ont soumis deux nouveaux documents avec leur demande d’ERAR. Ceux-ci ont été préparés après que la décision sur leur statut de réfugié a été rendue, et incluaient des renseignements dont ne disposait pas la Commission. Les deux documents seront collectivement désignés comme la nouvelle preuve.

 

[13]           Le premier document de cette nouvelle preuve est un rapport du Haut Commissariat des Nations Unies pour les réfugiés [HCR] daté du 27 mai 2010 et intitulé Eligibility Guidelines for Assessing International Protection Needs of Asylum Seekers from Colombia [le rapport du HCR] [Principes directeurs du HCR sur la façon d’évaluer les besoins des demandeurs d’asile de la Colombie en matière de protection internationale].

 

[14]           S’agissant des PRI pour les individus fuyant la persécution des groupes armés illégaux, le rapport du HCR précise que [traduction] « les possibilités de refuge ou de déménagement intérieur sont généralement inexistantes en Colombie […] » et recommande d’accorder une plus grande attention, entre autres choses, à [traduction] « l’influence du réseau des groupes armés illégaux et [à] sa capacité de retracer et de cibler des individus, y compris dans de grandes villes comme Bogota, Medellín et Cali; ».

 

[15]           Une des notes de bas de page se rapportant à cet extrait se lit ainsi :

[traduction

Les guérilleros et les groupes paramilitaires se servent souvent de bases de données et de réseaux informatiques extrêmement sophistiqués qui leur permettent de retracer des gens même des années après leur recherche initiale, voir Colombie : protection de l’État offerte aux personnes qui craignent de faire l’objet de harcèlement, de menaces ou d’actes de violence de la part des groupes armés depuis l’élection du président Alvaro Uribe Vélez, de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié.

 

 

[16]           Les [traduction] « membres et partisans, anciens et actuels, de l’une des parties au conflit » sont la première catégorie figurant sous la rubrique [traduction] « Principaux groupes à risque » du rapport du HCR. Il y est spécifiquement indiqué que les policiers et membres des forces de l’ordre colombiens qui interfèrent avec les activités illicites des divers groupes armés illégaux, ou qui enquêtent sur leurs actes criminels, s’exposent avec leurs familles à un risque d’attaque meurtrière et d’enlèvement. Les notes de bas de page venant appuyer cette conclusion incluent des documents datant de février 2008, et de mars et septembre 2009.

 

[17]           Le second document de la nouvelle preuve est une lettre datée du 29 juin 2010, rédigée par un coordonnateur pour les réfugiés du bureau d’Amnistie Internationale [la lettre d’AI] de Toronto.

 

[18]           La lettre d’AI aborde la question des PRI en Colombie et endosse le rapport du HCR. On peut y lire :

[traduction
Capacité de poursuivre les victimes et possibilité de refuge

 

Une note d’information récemment publiée par la Commission de l’immigration et du statut de réfugié [du Canada] évoque la probabilité que les FARC, l’ELN ou les AUC poursuivent leurs victimes en Colombie, et leur capacité en la matière14. La majorité des sources auxquelles cette note se réfère estiment que ces groupes sont en mesure de poursuivre leurs victimes dans toute la Colombie.

 

Amnistie Internationale est aussi d’avis que les FARC, l’ELN et les groupes héritiers des AUC ont la capacité de poursuivre leurs victimes dans de nombreuses régions du pays, et qu’il se peut qu’elles le fassent lorsque les individus visés revêtent un intérêt particulier justifiant cet effort. Il en va de même des personnes qui ont fui le pays et qui reviennent après un certain temps.

 

Amnistie Internationale estime aussi que, malgré certaines victoires contre les groupes paramilitaires et les guérilleros en Colombie, ces avancées ne se sont pas traduites par une protection de l’État pour ceux qui ont été pris pour cible par les FARC, l’ELN ou les anciens AUC.

 

De même, pour l’évaluation des possibilités de refuge intérieur pour les individus fuyant la persécution d’agents militaires non étatiques, tels que les groupes armés illégaux, les principes directeurs du HCR pour 2010 tenaient compte de ce qui suit :

 

« […] l’influence et la capacité du réseau de groupes armés illégaux de retracer et de cibler les individus, aussi bien dans les régions rurales que dans les centres urbains, y compris les grandes villes comme Bogota, Medellín et Cali ».

 

[19]           La note de bas de page 14 se rapportant à cet extrait se réfère à un document de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié datant du 23 février 2010.

 

LA DÉCISION D’ERAR

 

[20]           C’est dans ce contexte que s’inscrit la décision d’ERAR dont voici la partie contestée :

[traduction

Le reste des observations des demandeurs comprennent des documents sur la situation des droits de la personne en Colombie. Ceux-ci incluent des rapports actuels et objectifs tels que le rapport de 2010 de Human Rights Watch, le rapport de 2010 du HCR intitulé Eligibility Guidelines for Assessing the International Protection Needs of Asylum Seekers from Colombia [Principes directeurs du HCR sur la façon d’évaluer les besoins des demandeurs d’asile de la Colombie en matière de protection internationale] et le rapport de 2010 d’Amnistie Internationale. Le paragraphe 161(2) du Règlement sur l'immigration et la protection des réfugiés [RIPR] exige que le demandeur « désigne, dans ses observations écrites, les éléments de preuve qui satisfont aux exigences prévues à l’alinéa 113a) de la Loi et indique dans quelle mesure ils s’appliquent dans son cas. » Les observations des demandeurs décrivent les conditions qui règnent en Colombie et n’établissent pas de lien entre cette preuve et les risques auxquels ils sont personnellement exposés. Il est bien reconnu qu’il ne suffit pas de mentionner simplement les conditions qui règnent dans le pays en général sans établir de lien entre ces conditions et la situation personnelle des demandeurs (Dreta, 2005; Nazaire, 2006). L’évaluation du risque de persécution ou de préjudice qu’encourent les demandeurs en cas de renvoi dans leur pays doit être individualisée. Le fait que la preuve documentaire montre que la situation des droits de la personne est problématique dans un pays ne signifie pas nécessairement qu’un individu donné s’expose à un risque (Ahmad, 2004; Gonulcan, 2004; Rahim, 2005). Je suis conscient que les demandeurs peuvent craindre pour leur sécurité en Colombie; cependant, la preuve dont je dispose ne confirme pas qu’ils seront personnellement exposés à un risque ou subiront un préjudice en cas de retour.

 

La preuve soumise par les demandeurs n’est pas décisive et ne me conduit pas à une conclusion différente de celle de la SPR. La question déterminante dans le cadre de la présente évaluation est de savoir si les conditions qui règnent en Colombie ont sensiblement changé depuis la décision de la SPR d’octobre 2009, au point de pouvoir considérer maintenant les demandeurs comme des réfugiés au sens de la Convention ou des personnes à protéger.

 

LA QUESTION EN LITIGE

 

[21]           Pour les demandeurs, même si l’agent d’ERAR a mentionné la nouvelle preuve, il n’a pas réalisé qu’elle avait un lien avec la situation du demandeur principal qui est un ex-policier pris pour cible par les FARC pour avoir enquêté sur leurs activités illégales.

 

DISCUSSION

 

[22]           Dans l’arrêt Raza c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2007 CAF 385, 289 DLR (4th) 675, la Cour d’appel fédérale a estimé qu’une demande d’ERAR devait être accueillie si, au moment où elle est faite, le demandeur satisfait à la définition de « réfugié au sens de la Convention » aux termes de l’article 96 de la Loi, ou à celle de « personne à protéger » aux termes de l’article 97 de la Loi.

 

[23]           La nouvelle preuve contenait des renseignements sur les dangers encourus par des personnes se trouvant dans des situations comparables, comme d’anciens policiers ayant enquêté sur les activités criminelles de groupes illégaux. Par conséquent, l’agent d’ERAR devait, à mon avis, en tenir compte dans son examen. Il n’en a rien fait.

 

QUESTION CERTIFIÉE

 

[24]           Aucune question n’a été proposée aux fins de certification aux termes de l’article 74 de la Loi.


 

JUGEMENT

LA COUR STATUE que la demande de contrôle judiciaire est accueillie et que la demande d’ERAR des demandeurs doit être réexaminée par un autre agent. Ils pourront, à cette occasion, déposer de nouveaux documents.

 

 

« Sandra J. Simpson »

Juge

 

Traduction certifiée conforme

Evelyne Swenne, traductrice-conseil


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

DOSSIER :                                        IMM-7216-10

 

INTITULÉ :                                       HUGO HENRY PABON MORALES et al c MCI

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                 TORONTO (ONTARIO)

 

DATE DE L’AUDIENCE :               LE 28 JUIN 2011

 

MOTIFS DU JUGEMENT :            LA JUGE SIMPSON

 

DATE DES MOTIFS :                      LE 13 JANVIER 2012

 

 

 

COMPARUTIONS :

 

D. Clifford Luyt

 

POUR LES DEMANDEURS

 

Suranjaran Bhattacharyya

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

D. Clifford Luyt

Toronto (Ontario)

 

POUR LES DEMANDEURS

Myles J. Kirvan

Sous-procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

 

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