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Date : 20120113


Dossier : IMM-609-11

Référence : 2012 CF 50

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 13 janvier 2012

En présence de madame la juge Simpson

 

 

ENTRE :

HWA JA KWON
SUNG DING LEE

 

demandeurs

 

et

 

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ
ET DE L’IMMIGRATION

 

défendeur

 

 

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

 

L’INSTANCE

 

[1]               Hwa Ja Kwon et Sung Ding [les demandeurs] sollicitent, en application du paragraphe 72(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, ch. 27 [la Loi], le contrôle judiciaire de la décision du 11 janvier 2011 par laquelle un agent de Citoyenneté et Immigration [l’agent] a refusé leur demande de résidence permanente présentée à l’intérieur du Canada pour des motifs d’ordre humanitaire [la demande CH] [la décision].

 

[2]               Pour les motifs qui suivent, la demande de contrôle judiciaire sera accueillie.

 

LE CONTEXTE

 

[3]               Les demandeurs sont mari et femme et originaires de Corée du Sud. La demanderesse est femme au foyer au Canada, mais a été courtière en assurances et femme d’affaires en Corée. Le demandeur est un directeur d’école à la retraite et un ancien professeur de musique. Ils ont trois enfants adultes en Corée. Leur quatrième enfant [la fille] est citoyenne canadienne et mère de deux filles âgées de 9 et 11 ans [les petites-filles].

 

[4]               La vie conjugale de la fille a été cauchemardesque au Canada. Sa jeune famille vivait avec ses beaux-parents qui les maltraitaient et usaient de violence physique. De plus, son époux était alcoolique et avait accumulé des dettes importantes. La fille a fini par rompre le mariage, mais s’est ensuite retrouvée seule, étudiante sans argent avec deux jeunes enfants.

 

[5]               Venus pour lui prêter main-forte, les demandeurs se sont installés au Canada le 14 août 2009, ont acheté une maison pour elle et ses filles, ont appris les rudiments de l’anglais et leur ont offert un milieu aimant, stable et sûr. Leurs efforts de ces deux dernières années ont porté fruit : leurs petites-filles ont de bons résultats scolaires, leur fille a terminé ses études et s’est trouvé un emploi comme infirmière. Cependant, elle est souvent hors de la maison les soirs et les fins de semaine à cause de son travail.

 

[6]               Après la fin de leur mariage, l’époux de la fille a subi un traumatisme crânien suite à un accident de moto. Il souffre d’une déficience mentale permanente. Il ne peut prendre aucune part à l’éducation de ses enfants.

 

[7]               À l’heure actuelle, ce sont les demandeurs qui remplissent en pratique le rôle de parents à l’égard de leurs petites-filles, car son métier d’infirmière empêche leur fille d’être à la maison régulièrement. Personne ne conteste que cette dernière souhaite vivement que les demandeurs restent auprès de sa famille au Canada; le 8 avril 2010, les demandeurs ont présenté leur demande CH.

 

LA QUESTION EN LITIGE

 

[8]               Les parties conviennent que les demandeurs ne se heurteraient à aucune difficulté inhabituelle, injustifiée ou excessive s’ils devaient retourner en Corée et présenter de là-bas une demande de résidence permanente. Par conséquent, cette affaire concerne l’obligation de l’agent prévue à l’article 25 de la Loi de rendre une décision « compte tenu de l’intérêt supérieur de l’enfant directement touché ».

 

[9]               La question décisive est de savoir, dans ce contexte, si l’agent a adéquatement tenu compte de l’intérêt supérieur des petites-filles des demandeurs.

 

LA NORME DE CONTRÔLE

 

[10]           La norme de la raisonnabilité s’applique à l’examen de l’intérêt supérieur des petites‑filles. Voir Zambrano c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2008 CF 481, 326 FTR 174, au paragraphe 31.

 

LA DÉCISION

 

[11]           Au sujet des petites-filles, l’agent a noté sous la rubrique « Facteurs » que les demandeurs [traduction] « apportent également un soutien émotionnel dont cette famille a bien besoin puisque les petits-enfants et leur mère ont subi un stress considérable du fait de la violence conjugale et des conflits domestiques incessants ». Remarquons que cette observation est formulée au présent. L’agent a également souligné que si les demandeurs partaient, la fille divorcée serait forcée d’élever ses jeunes enfants seule alors qu’elle travaille à temps plein pour subvenir à leurs besoins. Par ailleurs, sous la rubrique « Facteurs appuyant une décision positive », l’agent écrit encore au présent que les [traduction] « demandeurs offrent un soutien émotionnel et psychologique nécessaire ».

 

[12]           Cependant, le soutien émotionnel et psychologique dont les petites-filles ont actuellement besoin et qu’elles reçoivent des demandeurs n’est pas évoqué dans la partie descriptive de la décision, où l’agent semble conclure que la présence de ces derniers n’est plus requise car la crise immédiate est passée et que les enfants ont de bons résultats scolaires.

 

[13]           À mon avis, cette incohérence rend la décision déraisonnable. Voilà deux ans seulement que ces deux jeunes enfants ont été soustraites à ce que l’agent a lui-même qualifié [traduction] « de graves conflits », qu’elles ont été placées dans un nouvel environnement à l’abri de leur père, et confiées à des grands-parents qu’elles ne connaissaient pas et avec qui elles ne pouvaient pas communiquer. La seule constante dans leur vie a été leur mère, que ses études et son travail d’infirmière débutante forçaient à s’absenter la plupart du temps. Le fait que les demandeurs aient appris les rudiments de l’anglais et qu’ils aient réussi à offrir un foyer stable à leurs jeunes petites-filles est tout à leur honneur.

 

[14]           Il ne fait aucun doute à mes yeux que ces changements relativement récents, joints aux événements traumatisants passés, indiquent que la continuité et la stabilité découlant de la présence constante des demandeurs sont d’une importance capitale pour le maintien du bien-être psychologique et émotionnel des petites-filles.

 

[15]           À mon avis, comme l’agent a reconnu que les petites-filles avaient besoin d’un soutien émotionnel et psychologique continuel, son défaut d’examiner sans détour l’impact qu’aurait sur elles le départ des demandeurs était déraisonnable.

 

[16]           La décision laissait aussi entendre que des rapports de psychologues auraient dû établir l’existence d’un traumatisme durable ou permanent susceptible de justifier la demande CH. Cependant, des opinions d’expert ne me semblent pas requises. Compte tenu des faits en l'espèce, il est manifeste que le départ des demandeurs priverait les petites-filles du soutien émotionnel et psychologique dont l’agent a conclu qu’elles avaient besoin.

 

QUESTION CERTIFIÉE

 

[17]           Aucune question à certifier n’a été proposée au sens de l’article 74 de la Loi.

 


JUGEMENT

LA COUR STATUE que la demande de contrôle judiciaire est accueillie et que la demande CH est par la présente renvoyée à un autre agent pour nouvel examen. Les demandeurs pourront déposer à cette occasion de nouveaux éléments de preuve.

 

 

« Sandra J. Simpson »

Juge

 

Traduction certifiée conforme

Evelyne Swenne, traductrice-conseil


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

DOSSIER :                                        IMM-609-11

 

INTITULÉ :                                       HWA JA KWON et al c MCI

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                 TORONTO (ONTARIO)

 

DATE DE L’AUDIENCE :               LE 9 AOÛT 2011

 

MOTIFS DU JUGEMENT :            LA JUGE SIMPSON

 

DATE DES MOTIFS :                      LE 13 JANVIER 2012

 

 

 

COMPARUTIONS :

 

Jegan N. Mohan

 

POUR LES DEMANDEURS

 

Jane Stewart

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Mohan & Mohan

Toronto (Ontario)

 

POUR LES DEMANDEURS

Myles J. Kirvan

Sous-procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

 

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