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Date : 20120111


Dossier : IMM-3629-11

Référence : 2012 CF 35

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 11 janvier 2012

En présence de monsieur le juge Barnes

 

 

ENTRE :

 

ANA ROSA MOLINA SANCHEZ

 

 

 

demanderesse

 

et

 

 

 

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L’IMMIGRATION

 

 

 

défendeur

 

 

 

 

 

           MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

[1]               Il s’agit d’une demande de contrôle judiciaire présentée par Ana Rosa Molina Sanchez contestant une décision de la Section de la protection des réfugiés de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié (la Commission) qui a rejeté sa demande d’asile. À l’origine, la demande de Mme Molina Sanchez avait été jointe à des demandes faites par sa fille et son petit-fils, mais, aux fins de la présente instance, elle demeure la seule demanderesse.

 

Le contexte

[2]               Mme Molina Sanchez est une citoyenne du Venezuela qui a quitté la Colombie pour venir au Canada en 2009 apparemment pour échapper à des menaces à sa sécurité proférées par des groupes qui appuient le gouvernement Chavez. Elle a présenté des preuves de son travail comme militante politique ayant participé à des manifestations d’opposition au président Chavez. Ce profil constituait l’arrière-plan de son allégation de harcèlement prolongé et intense sous forme d’appels téléphoniques faits par des personnes qui s’identifiaient comme des membres de trois groupes terroristes différents : les Forces armées révolutionnaires de Colombie (les FARC), les Cercles bolivariens et les Tupamaro. Mme Molina Sanchez a également tenté de relier sa situation à l’enlèvement antérieur d’un ancien beau-frère ainsi qu’à des menaces que l’ex-petit ami de sa fille avait proférées à son endroit.

 

[3]               La Commission a conclu que Mme Molina Sanchez n’était pas un témoin crédible ou digne de foi. Cette conclusion était fondée en partie sur le fait que Mme Molina Sanchez avait omis toute mention de menaces proférées par l’ex-petit ami de sa fille dans son formulaire de renseignements personnels (FRP). Cet aspect de sa demande d’asile avait seulement été évoqué dans son témoignage à l’audience. La Commission a également émis des réserves au sujet de l’incapacité de Mme Molina Sanchez à se souvenir des détails relatifs à ces menaces alléguées.

 

[4]               La Commission n’a pas cru non plus le témoignage de la fille selon lequel son ex-petit ami constituait un danger pour elle, et la Commission a conclu que Mme Molina Sanchez et sa fille avaient toutes deux embelli cette partie de leur récit pour étayer la demande d’asile de la fille. 

 

[5]               La Commission a également rejeté les allégations de Mme Molina Sanchez relatives à des risques liés à une série de menaces proférées par téléphone. La Commission n’a pas trouvé persuasifs les éléments de preuve reliant ces allégations à l’enlèvement antérieur de l’ancien beau‑frère de Mme Molina Sanchez. Elle a également conclu que le profil politique de Mme Molina Sanchez n’était pas de nature à lui attirer des menaces persistantes du genre de celles qu’elle avait décrites. La Commission n’a pas non plus admis la tentative de Mme Molina Sanchez de relier ces allégations à trois groupes terroristes différents parce qu’elle a trouvé cela invraisemblable dans un contexte où il n’avait jamais été donné suite aux menaces au cours d’une période de plusieurs mois. 

 

Les questions en litige

[6]               Les conclusions factuelles de la Commission étaient-elles raisonnablement étayées par la preuve?

 

Analyse

[7]               Les questions soulevées pour le compte de Mme Molina Sanchez portent toutes sur la preuve et doivent être contrôlées selon la norme de la décision raisonnable. 

 

[8]               La principale réserve de la Commission quant à la crédibilité de Mme Molina Sanchez était liée au fait que Mme Molina Sanchez avait omis d’inclure dans son FRP ce que la Commission a décrit comme « un élément central » de son exposé circonstancié relatif au risque. Cette partie de la décision est ainsi rédigée :

La mère de la demandeure d’asile principale a déclaré à l’audience que, effectivement, l’ex‑petit ami de la demandeure d’asile principale l’avait accostée une fois dans un centre commercial et s’était rendu à son domicile à un certain nombre d’occasions. La mère ne se rappelait pas les dates où cela s’était produit et a seulement pu mentionner l’année où les événements se sont produits, mais elle n’était même pas certaine de l’année. Dans son témoignage de vive voix, la mère a indiqué que l’une des personnes qu’elle craint est l’ex-petit ami de la demandeure d’asile principale. Priée d’expliquer la raison pour laquelle elle n’avait pas mentionné ce fait dans son exposé circonstancié, la mère a dit qu’elle était dépassée par les événements et qu’elle pensait non pas à une personne en particulier, mais bien à des groupes. Dans ses observations écrites, la conseil indique que la mère n’a pas inclus de renseignements au sujet de l’ex‑petit ami de la demandeure d'asile principale dans son exposé circonstancié parce qu’elle n’a pas été directement menacée par cet homme. Quoi qu’il en soit, j’estime que l’explication de la mère est déraisonnable, car il s’agit d’une omission importante dans l’exposé circonstancié et d’un élément qui est directement lié aux raisons pour lesquelles elle a fui le Venezuela, puisqu’elle affirme que l’ex‑petit ami est l’un des agents de préjudice qu’elle craint et que le fait qu’il veuille encore faire du tort à sa fille aujourd’hui constitue l’un des éléments centraux de la demande d’asile de sa fille. Par conséquent, en ce qui concerne le témoignage selon lequel l’ex‑petit ami de la demandeure d'asile principale l’a abordée, j’estime que le témoignage de la mère n’est pas crédible. Il s’agit d’une omission importante qui est liée à un élément central de la demande d’asile. Selon la prépondérance des probabilités, la demandeure d’asile principale et sa mère ont enjolivé leur histoire pour soutenir la demande d’asile de la demandeure d’asile principale.

 

[sic]

 

 

M. Luyt soutient que la conclusion ci-dessus était injustifiée parce que ces antécédents de conflit familial n’avaient pas motivé la décision de Mme Molina Sanchez de quitter le Venezuela. Sa crainte était plutôt fondée uniquement sur une série alléguée de menaces à sa sécurité motivées par des considérations d’ordre politique et proférées principalement au téléphone. M. Luyt soutient que la Commission a suscité par ses questions la présentation de preuves de menaces dirigées contre Mme Molina Sanchez par l’ex-petit ami de sa fille et que ces éléments de preuve n’étaient pas importants aux fins de la demande ni essentiels à celle-ci. En conséquence, il était déraisonnable que la Commission tire du défaut de Mme Molina Sanchez de mentionner ces événements dans son FRP une inférence défavorable quant à la crédibilité. Au soutien de cette prétention, M. Luyt cite le passage suivant de la décision de la juge Anne Mactavish dans l'affaire Naqui c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2005 CF 282, 270 FTR 282 :

[22]    L'unique véritable conclusion défavorable que la Commission a tirée à propos de la crédibilité de Mme Naqui venait du fait que son FRP passait sous silence le harcèlement religieux dont elle dit que ses enfants étaient victimes à l'école.

 

[23]    Un fait qui n'apparaît pas dans le FRP d'un demandeur ne permettra cependant pas systématiquement de dire que le demandeur n'est pas crédible : Akhigbe c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), 2002 CFPI 249; [2002] A.C.F. no 332 (CFPI) en ligne : QL. Pour juger de l'importance de l'omission, il faut examiner sa nature, ainsi que le contexte dans lequel est présenté le nouveau renseignement.

 

[24]    En l'espèce, un examen de la transcription révèle que Mme Naqui n'a pas spontanément donné ce renseignement, par volonté délibérée d'embellir sa demande. C'est plutôt en réponse à une question directe du président de l'audience, qui voulait savoir si ses enfants avaient connu des difficultés, outre des agressions physiques, que Mme Naqui a fait état du harcèlement dont ses enfants avaient été victimes à l'école.

 

 

[9]               J’admets volontiers l’argument exposé dans le passage précité, mais je ne crois pas qu’il s’applique au témoignage de Mme Molina Sanchez. Lorsque la Commission a demandé initialement à Mme Molina Sanchez quelles étaient les sources de sa crainte, celle-ci a spontanément affirmé que la liste des agents de persécution comprenait le petit ami de sa fille, et elle l’a vaguement relié aux groupes politiques qui l’avaient également apparemment ciblée. La Commission a conclu que Mme Molina Sanchez avait ajouté cet élément de risque à son récit pour embellir la demande d’asile de sa fille. Il s’agissait-là d’une conclusion raisonnable fondée sur la preuve qui n’est pas susceptible de contestation dans le cadre d’un contrôle judiciaire. 

 

[10]           M. Luyt conteste également le caractère raisonnable de la conclusion de la Commission selon laquelle il n’était pas vraisemblable que les groupes dangereux qui avaient menacé Mme Molina Sanchez à répétition n’aient jamais donné suite à ces menaces. Cependant, cette conclusion n’a pas été tirée de façon isolée; elle s’inscrivait dans le cadre d’une série d’observations relatives à la preuve faites par la Commission au sujet de la qualité générale des éléments de preuve présentés par Mme Molina Sanchez. La Commission a affirmé que ces éléments de preuve étaient non persuasifs, insuffisamment détaillés, vagues, embellis et insuffisants. Ces épithètes qualifient bien le témoignage de Mme Molina Sanchez qui, pris dans son ensemble, était fortement invraisemblable. Bien que la Commission et l’avocate de Mme Molina Sanchez elle-même aient exhorté à maintes reprises cette dernière à donner des détails au sujet des appels menaçants, Mme Molina Sanchez a été incapable de donner des réponses significatives et cohérentes, en particulier quant au but des appels.

 

[11]           À plusieurs moments au cours de son témoignage, Mme Molina Sanchez a affirmé qu’elle avait été appelée à répétition (souvent plusieurs fois par jours) au cours de plusieurs mois par des personnes qui s’étaient identifiées tantôt comme des membres des FARC, tantôt comme des membres des Cercles bolivariens, tantôt comme des membres des Tupamaro et qui l’avaient menacée de mort, d’enlèvement et d’extorsion parce qu’elle était apparemment [traduction] « dans leur chemin ». Malgré ce degré inhabituel de contact téléphonique, rien n’est jamais arrivé à Mme Molina Sanchez dans les faits. C’est dans ce contexte invraisemblable que la Commission a exprimé ses doutes au sujet de la crédibilité de Mme Molina Sanchez. 

 

[12]           La Commission a raisonnablement conclu que le profil d’organisatrice politique de Mme Molina Sanchez n’aurait pas dû en faire la cible d’un harcèlement persistant et que Mme Molina Sanchez ne constituait pas une cible vraisemblable d’enlèvement par aucun des différents groupes qu’elle disait craindre. 

 

[13]           En dernière analyse, la Commission a conclu que le récit de Mme Molina Sanchez était non persuasif et que Mme Molina Sanchez n’avait pas réussi à établir qu’elle serait exposée à un risque si elle retournait au Venezuela. Cette conclusion était raisonnable, et elle ne peut pas être attaquée dans le cadre d’un contrôle judiciaire. 

 

[14]           M. Luyt critique également la manière dont la Commission a traité une brève lettre du cousin de Mme Molina Sanchez qui prétendait avoir été témoin de certains des appels de menaces et avoir vu une note laissée sur la voiture de Mme Molina Sanchez qui disait [traduction] « Prenez soin de votre argent car nous en aurons bientôt besoin ». La Commission a accordé peu de poids à cet élément de preuve parce qu’il était insuffisamment détaillé et parce que l’exactitude de son contenu ne pouvait pas être vérifiée.

 

[15]           Je conviens avec M. Luyt que si la Commission disait que la force d’un élément de preuve de ce type émanant d’un tiers serait diminuée par l’absence d’une vérification assermentée, cela constituerait une erreur de droit. Un demandeur n’a aucune obligation semblable, et s’il en avait une, la Commission ne pourrait pas admettre d’éléments de preuve de ce type émanant d’un tiers sauf par affidavit ou en personne. Cependant, je suis d’avis que la Commission disait seulement que la lettre du cousin n’était pas étayée par une preuve corroborante objective. Mme Molina Sanchez n’a produit aucun relevé téléphonique pour corroborer ces appels et, compte tenu de leur importance aux fins de sa demande, il paraît plus vraisemblable que ce soit cette omission qui ait fondé la préoccupation de la Commission au sujet de la vérification. Dans tous les cas, j’estime que cette question n’est pas suffisamment importante pour miner les autres réserves de la Commission au sujet de la lettre et des éléments de preuve présentés par Mme Molina Sanchez en général. 

 

[16]           La Commission aurait pu mieux rédiger ses motifs de rejet de la demande d’asile en l’espèce, mais la Cour peut examiner les éléments de preuve dans le cadre d’un contrôle judiciaire pour se faire sa propre opinion quant au caractère raisonnable de l’issue : voir Newfoundland and Labrador Nurses’ Union c. Terre-Neuve-et-Labrador (Conseil du Trésor), 2011 CSC 62, au paragraphe 15, [2011] A.C.S. no 62 (QL). Après avoir fait cet exercice, il me paraît assez clair que les réserves de la Commission quant à la crédibilité étaient tout à fait justifiées et que la décision de la Commission de rejeter la demande en l’espèce appartient aux issues acceptables. En conséquence, la présente demande de contrôle judiciaire est rejetée. 

 

[17]           Ni l’une ni l’autre des parties n’a proposé de question à certifier, et le présent dossier ne soulève aucune question de portée générale.

 


JUGEMENT

LA COUR STATUE que la présente demande de contrôle judiciaire est rejetée.

 

 

« R.L. Barnes »

Juge

 

 

 

 

Traduction certifiée conforme

Evelyne Swenne, traductrice-conseil


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

DOSSIER :                                        IMM-3629-11

 

INTITULÉ :                                       SANCHEZ c. MCI

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                 Toronto (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :               Le 7 décembre 2011

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT :            LE JUGE BARNES

 

DATE DES MOTIFS :                      Le 11 janvier 2012

 

 

COMPARUTIONS :

 

Clifford Luyt

 

POUR LA DEMANDERESSE

 

Norah Darcine

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

D. Clifford Luyt

Avocat

Toronto (Ontario)

 

POUR LA DEMANDERESSE

 

Myles J. Kirvan

Sous-procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

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