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Cour fédérale

 

Federal Court

 

 Date : 20120109


Dossier : T-1662-11

Référence : 2012 CF 27

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Vancouver (Colombie-Britannique), le 9 janvier 2012

En présence de monsieur le protonotaire Roger R. Lafrenière

 

ENTRE :

 

 

CARLTON JONES

 

 

 

demandeur

 

et

 

 

 

 

MARK KEMBALL, DIRECTEUR,

LE SERVICE CORRECTIONNEL DU CANADA et

LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

 

 

 

défendeurs

 

 

 

 

 

 

   MOTIFS DE L’ORDONNANCE ET ORDONNANCE

 

[1]               Les défendeurs sollicitent une ordonnance en vertu de l’alinéa 221(1)a) ou f) des Règles des Cours fédérales (les Règles) dans le but de radier la déclaration, sans autorisation de la modifier, au motif qu’elle ne révèle aucune cause d’action valable ou qu’elle constitue autrement un abus de procédure. Le demandeur n’a pas présenté de réponse quant à la requête, en dépit du fait qu’on lui ait dûment signifié le dossier de requête des défendeurs le 9 novembre 2011.

 

[2]               Le demandeur a introduit l’action le 11 octobre 2011 contre Mark Kemball, directeur, le Service correctionnel du Canada et le procureur général du Canada. Il sollicite des dommages‑intérêts, des dommages‑intérêts majorés et punitifs ainsi qu’une injonction contre les défendeurs, en se fondant sur un certain nombre d’allégations, entre autres de négligence, de commission négligente et intentionnelle de sévices moraux, de faute dans l’exercice d’une charge publique, de libelle et de diffamation, de harcèlement ainsi que de violations des droits que lui confère la Charte, qui sont liées à son incarcération aux Établissements Kent et Grande Cache.

 

[3]               Pour les besoins de la présente requête, les allégations contenues dans la déclaration doivent être considérées comme prouvées. En résumé, le demandeur allègue qu’on lui refuse l’accès aux services de santé mentale depuis 1999. Le 27 juillet 2011, le demandeur a envoyé une demande au service des soins de santé de l’Établissement Kent. Bien que la nature de cette demande n’ait pas été communiquée, il semblerait qu’un travailleur social y ait répondu. Le demandeur affirme qu’il est en isolement cellulaire depuis juillet 2011 et que les défendeurs ne lui permettent pas d’avoir accès aux services de santé.

 

[4]               Le critère applicable dans le cadre d’une requête visant à radier un acte de procédure au titre de l’alinéa 221a) des Règles est d’établir s’il est « évident et manifeste » que la déclaration ne révèle aucune cause d’action : Hunt c Carey, [1990] 2 RCS 959. Le fardeau qui incombe au défendeur est très lourd, et la Cour devrait exercer son pouvoir discrétionnaire de procéder à la radiation seulement dans les cas les plus clairs. L’acte de procédure devrait être interprété de manière généreuse, et la souplesse s’impose à l’égard des impropriétés dues à des lacunes de rédaction.

 

[5]               Il reste cependant que la Cour ne peut permettre qu’un acte de procédure reste inchangé lorsque celui-ci n’expose pas les éléments essentiels de la cause d’action ou qu’il est impossible à comprendre ou à y répondre de façon convenable. Les règles de base relatives aux actes de procédure exigent que ceux-ci contiennent un exposé concis des faits substantiels sur lesquels la partie se fonde. Plus précisément, les articles 174, 181 et 182 imposent une obligation au demandeur d’énoncer, de manière concise, les faits substantiels qui révèlent une cause d’action valable ainsi que la nature des dommages. Les simples affirmations, les déclarations vagues et les conclusions non étayées ne suffisent tout simplement pas.

 

[6]               Puisque je souscris, pour l’essentiel, aux observations écrites produites au nom des défendeurs, je conclus que la déclaration ne révèle aucune cause d’action valable. Certaines des lacunes les plus évidentes sont énumérées ci-dessous.

 

[7]               Premièrement, le demandeur ne désigne pas de préposé de l’État lié à chacune des actions ou omissions dont il prétend qu’elles donnent naissance à une cause d’action. Dans l’arrêt Merchant Law Group c Canada Agence du Revenu, 2010 CAF 184, la Cour d’appel fédérale a conclu qu’un demandeur devrait être en mesure de désigner la personne qui aurait présumément commis une faute ou, à tout le moins, d’identifier un groupe de personnes en particulier chargées de l’affaire, l’un ou plusieurs d’entre eux étant présumément responsables.

 

[8]               Deuxièmement, le demandeur énonce, au paragraphe 20 de la déclaration, que les administrateurs de la prison ont fait preuve de négligence. Il omet de préciser comment ou en quoi les allégations contenues dans ce paragraphe constituent des manquements à la norme applicable dans son cas, ou quels dommages, le cas échéant, ont été causés par ces violations.

 

[9]               Troisièmement, le demandeur réclame des dommages-intérêts pour [traduction] « commission négligente de sévices moraux ». Un tel délit n’existe pas en soi. Dans tous les cas, afin d’établir la responsabilité pour préjudice de nature psychiatrique, ce préjudice doit répondre au concept juridique de choc nerveux. Cela exclut la déception émotive, la souffrance mentale, la peine, le chagrin, l’anxiété, l’inquiétude ou tout autre préjudice psychiatrique de nature transitoire ou mineure. L’on pourrait dire la même chose au sujet de l’allégation de harcèlement qui ne repose sur aucun fondement factuel.

 

[10]           Quatrièmement, en ce qui concerne les allégations de commission intentionnelle de sévices moraux, le demandeur n’a révélé aucun fait substantiel qui pourrait établir que les défendeurs ont posé un acte flagrant et outrageux, sans justification légale, qui mettrait en cause leur responsabilité d’avoir infligé, de manière intentionnelle, un choc nerveux : voir Cooper c Hobart, 2001 CSC 79, [2001] 3 RCS 537.

 

[11]           Cinquièmement, l’allégation du demandeur relative aux dommages pour faute dans l’exercice d’une charge publique comporte aussi des lacunes, puisque les éléments constitutifs du délit, exposés dans l’arrêt Odhavji Estate c Woodhouse, [2003] 3 RCS 263, 2003 CSC 69, n’ont pas été invoqués. Le demandeur devait alléguer : a) que le fonctionnaire a agi de manière illégitime et délibérée dans l’exercice de ses fonctions; b) que le fonctionnaire avait connaissance du caractère illégitime de sa conduite; c) que le fonctionnaire savait que sa conduite pouvait causer un préjudice au demandeur; d) que la conduite délictuelle était la cause de la perte ou du préjudice subi et e) qu’il a subi une perte indemnisable en raison de la conduite délictuelle.

 

[12]           Sixièmement, aux paragraphes 8 et 13 de la déclaration, le demandeur allègue qu’il a été victime de libelle et de diffamation. Cependant, non seulement ces paragraphes sont-ils vagues et reposent-ils sur des conjectures, mais ils ne décrivent aucun énoncé de nature diffamatoire.

 

[13]           Finalement, d’invoquer avec succès une violation aux droits garantis par la Charte lors d’une action en responsabilité délictuelle, un demandeur doit d’abord faire valoir des faits pertinents qui étayent une violation de ses droits. Bien que le demandeur affirme, au paragraphe 26 de la déclaration, que ses droits garantis par les articles 7, 12 et 15 de la Charte ont été violés, il n’apporte aucune autre précision à ses allégations, outre cet énoncé sans fondement.

 

[14]           Dans leur ensemble, les allégations contenues dans la déclaration sont tellement vagues et renferment tellement de lacunes que les défendeurs ne peuvent déterminer la nature exacte des questions à trancher, ce qui rend l’instance impossible à régir. Le demandeur n’a proposé aucune modification pouvant avoir pour effet de corriger les défauts cruciaux que contient l’acte de procédure. Dans les circonstances, je conclus que la déclaration doit être radiée, sans autorisation de la modifier.

 

[15]           Puisque les défendeurs n’ont pas demandé les dépens de la requête, aucuns ne seront adjugés.


 

      ORDONNANCE

 

            LA COUR ORDONNE :

 

1.                  La déclaration est radiée, sans autorisation de la modifier.

 

2.                  Aucuns dépens ne sont adjugés en l’espèce.

 

« Roger R. Lafrenière »

Protonotaire

 

Traduction certifiée conforme

Maxime Deslippes, LL.B., B.A. Trad.

I HEREBY CERTIFY that the above document is a true copy of the original filed of record in the Registry of the Federal Court the

______ day of ____________________, A.D. 2012.

 

Dated this _____ day of _________________, 2012.

 

_____________________________________________

Frank Fedorak, Acting Registry Officer

 
 

 

 

 

 

 

 



AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

 

DOSSIER :                                        T-1662-11

 

INTITULÉ :                                       CARLTON JONES c

                                                            MARK KEMBALL, DIRECTEUR,

                                                            SERVICE CORRECTIONNEL CANADA et

                                                            LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

 

 

REQUÊTE ÉCRITE EXAMINÉE À VANCOUVER (COLOMBIE-BRITANNIQUE), CONFORMÉMENT À L’ARTICLE 369 DES RÈGLES

 

 

MOTIFS DE L’ORDONNANCE

ET ORDONNANCE :                       LE PROTONOTAIRE LAFRENIÈRE

 

DATE DES MOTIFS

ET DE L’ORDONNANCE :             LE 9 JANVIER 2012

 

 

OBSERVATIONS ÉCRITES :

 

 

CARLTON JONES

 

LE DEMANDEUR

(POUR SON PROPRE COMPTE)

 

EDWARD BURNET

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

CARLTON JONES

a/s DE L’ÉTABLISSEMENT DE KENT

AGASSIZ (COLOMBIE-BRITANNIQUE)

 

LE DEMANDEUR

(POUR SON PROPRE COMPTE)

 

MYLES J. KIRVAN

SOUS-PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

MINISTÈRE DE LA JUSTICE

VANCOUVER (COLOMBIE‑BRITANNIQUE)

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

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