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Cour fédérale

 

Federal Court

 

Date : 20120106

Dossier : IMM‑2174‑11

Référence : 2012 CF 3

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 6 janvier 2012

En présence de monsieur le juge Pinard

ENTRE :

Enasio Leslie ANTROBUS

 

demandeur

et

 

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

 

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

 

[1]               Il s’agit d’une demande de contrôle judiciaire présentée en vertu du paragraphe 72(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27 (la Loi) par Enasio Leslie Antrobus (le demandeur) à l’encontre de la décision par laquelle Anna Brychcy,  commissaire à la Section de la protection des réfugiés de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié (la Commission), a établi qu’il n’était ni un réfugié au sens de la Convention ni une personne à protéger aux termes des articles 96 et 97 de la Loi.

 

[2]               Le demandeur est un citoyen de Saint‑Vincent‑et‑les‑Grenadines. Il a quitté son pays pour le Canada le 7 juin 2005, mais a attendu au 14 septembre 2009 pour déposer une demande d’asile fondée sur la crainte d’être persécuté à Saint‑Vincent en raison de son homosexualité, ainsi qu’il l’allègue.

 

[3]               La Commission a conclu que le demandeur n’était ni un « réfugié au sens de la Convention », ni une « personne à protéger » aux termes de la Loi (article 96 et paragraphe 97(1)) : il n’avait pas établi qu’il risquait d’être persécuté à Saint‑Vincent à cause de son orientation sexuelle; la preuve relative à la persécution infligée par l’État et aux mauvais traitements subis par les homosexuels dans ce pays était insuffisante; il était injustifiable que le demandeur attende quatre ans avant de présenter sa demande d’asile.

 

* * * * * * * *

 

I.  Absence de persécution

[4]               Le demandeur n’a pas établi que la conclusion de la Commission quant à l’absence de persécution était déraisonnable. Celle-ci est appelée à pondérer la preuve; elle peut en inférer des conclusions négatives en s’y appuyant (Bunema c Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration, 2007 CF 774, au paragraphe 16). Le demandeur conteste le poids que la Commission a accordé à la preuve dont elle disposait. Cependant,  dans le cadre d’une demande de contrôle judiciaire, la Cour n’a pas pour tâche de réévaluer la preuve et de substituer sa décision à celle de la Commission (Gharkhani c Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration, 2004 CF 965, au paragraphe 11). Comme l’avait déclaré la Cour d’appel fédérale dans l’arrêt Sagharichi c Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration) (1993), 182 N.R. 398, au paragraphe 3 :

 

[...] il incombe à la Section du statut de réfugié de tirer sa conclusion dans le contexte factuel particulier, en effectuant une analyse minutieuse de la preuve présentée et en soupesant comme il convient les divers éléments de la preuve, et que l'intervention de cette Cour n'est pas justifiée à moins que la conclusion tirée ne semble arbitraire ou déraisonnable.

 

 

 

[5]               Tout en évoquant les explications fournies par le demandeur durant son témoignage, la Commission précise sur quels éléments de preuve elle s’est appuyée pour conclure que les homosexuels ne sont pas persécutés à Saint‑Vincent. Elle n’est pas tenue de mentionner chaque élément de preuve dans sa décision (Cepeda‑Gutierrez c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1998] ACF no 1425 [Cepeda‑Gutierrez]). La déclaration de la Commission voulant qu’elle ait tenu compte de la preuve documentaire qui lui a été soumise suffit pour indiquer qu’elle a examiné toute la preuve afin de rendre sa décision (Cepeda‑Gutierrez, au paragraphe 16). Par conséquent, la conclusion selon laquelle le demandeur ne risquait et ne risquera pas d’être persécuté en raison de son homosexualité à Saint‑Vincent était raisonnable puisqu’elle est justifiée, transparente et intelligible (Dunsmuir c New Brunswick, [2008] 1 R.C.S. 190, au paragraphe 47 [Dunsmuir]). Il en va de même de la conclusion de la Commission concernant la légalité de l’homosexualité à Saint‑Vincent.

 

II.  L’homosexualité à Saint‑Vincent

[6]               La Commission a déclaré qu’elle a examiné toute la preuve documentaire, en se référant au en particulier aux Country Reports on Human Rights Practices for 2009 (Rapport de 2009 du  Département d’État des États-Unis pour 2009), suivant lesquels [traduction] « [l]a loi ne criminalise pas l’homosexualité ». Elle n’a pas abordé le rapport de l’Association lesbienne et gay internationale contenant les articles du Code criminel de Saint‑Vincent, bien qu’il figure dans le cartable national de documentation. Comme nous l’avons déjà expliqué, la Commission n’est pas tenue de citer tous les éléments de preuve (Cepeda‑Gutierrez) : son seul rôle est de les pondérer. Cependant, plus l’élément dont il n’est pas fait spécifiquement mention dans la décision est important, plus une cour de justice sera portée à inférer que ce silence trahit une conclusion de fait erronée ne reposant pas sur la preuve (Cepeda‑Gutierrez, au paragraphe 17).

 

[7]               Contrairement aux allégations du demandeur, la Commission n’a donc pas commis d’erreur en ne mentionnant pas spécifiquement le rapport de l’Association lesbienne et gay internationale. Ce document n’a pas plus de poids que les Country Reports on Human Rights Practices. Du reste, la Commission n’affirme pas que l’homosexualité est légale : elle résume plutôt les diverses sources documentaires et conclut qu’[a]ucune preuve convaincante dans les éléments de preuve documentaire ne permet de conclure que les membres de la communauté homosexuelle font l’objet de poursuites à grande échelle par les autorités du seul fait de leur homosexualité ».

 

[8]               La conclusion de la Commission ayant trait à la persécution des homosexuels à Saint‑Vincent est donc raisonnable. Compte tenu de la preuve, sa conclusion appartient aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit (Dunsmuir, au paragraphe 47).

 

III.  Demande d’asile tardive

[9]               Le demandeur prétend que la Commission a eu tort de tirer une inférence défavorable quant à la crédibilité de explication quant à son retard à présenter une demande d’asile, puisqu’il l’a justifié par une explication raisonnable : il ne savait pas que l’homosexualité était un motif prévu par la Convention et croyait qu’il devait attendre cinq ans avant de soumettre une demande d’asile fondée sur des motifs d’ordre humanitaire.

 

[10]           Bien que le retard à présenter une demande d’asile ne soit pas déterminant pour l’évaluation de la demande, il s’agit d’un facteur pertinent lorsque la Commission soupèse la crédibilité du demandeur (Huerta c Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1993] ACF no 271 (CAF)). Ce faisant, elle peut aussi tenir compte de sa conduite, qui peut justifier à elle seule le rejet de la demande d’asile (El Balazi c le ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration, 2006 CF 38, au paragraphe 6). La conclusion défavorable de la Commission quant à la crédibilité était donc raisonnable : ayant attendu quatre ans avant de réclamer l’asile, le demandeur ne s’est pas comporté comme quelqu’un qui craignait pour sa vie. Comme l’a expliqué la Commission, il n’a pas cherché activement à s’informer de ses droits ou à régulariser son statut au Canada avant d’être placé en détention parce qu’il était en situation irrégulière. La Commission pouvait raisonnablement rejeter l’explication du demandeur, compte tenu de sa conduite. Par conséquent, les conclusions de la Commission seront maintenues telles quelles.

 

[11]           Compte tenu de l’ensemble de ces éléments, le demandeur n’a pas établi que les conclusions de la Commission étaient non fondées : elles reposaient sur un examen raisonnable de la preuve dont elle disposait.

 

* * * * * * * *

 

[12]           Pour les motifs qui précèdent, la demande de contrôle judiciaire est rejetée.

 

[13]           Je conviens avec les avocates des parties qu’il n’y a en l’espèce aucune question à certifier.

 

 


 

JUGEMENT

 

            La demande de contrôle judiciaire visant la décision par laquelle une commissaire de la Section de la protection des réfugiés de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié a établi que le demandeur n’était ni un réfugié au sens de la Convention ni une personne à protéger aux termes des articles 96 et 97 de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27, est rejetée.

 

 

« Yvon Pinard »

Juge

 

 

Traduction certifiée conforme

Claude Leclerc, LL.B.

 

 

 


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

DOSSIER :                                        IMM‑2174‑11

 

INTITULÉ :                                      Enasio Leslie ANTROBUS c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

LIEU DE L’AUDIENCE :              Montréal (Québec)

 

DATE DE L’AUDIENCE :             Le 6 décembre 2011

 

MOTIFS DU JUGEMENT

ET JUGEMENT :                            Le juge Pinard

 

DATE DES MOTIFS :                     Le 6 janvier 2012

 

 

 

COMPARUTIONS :

 

Me Claudette Menghile                                   POUR LE DEMANDEUR

 

Me Catherine Brisebois                                   POUR LE DÉFENDEUR

 

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Claudette Menghile                                        POUR LE DEMANDEUR

Montréal (Québec)

 

Myles J. Kirvan                                               POUR LE DÉFENDEUR

Sous‑procureur général du Canada

 

 

 

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