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Date : 20120105


Dossier : IMM-3483-11

Référence : 2012 CF 17

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 5 janvier 2012

En présence de monsieur le juge O’Keefe

 

 

ENTRE :

 

PAULA GLENDA SYLVESTER

 

 

 

demanderesse

 

et

 

 

 

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION ET

LE MINISTRE DE LA SÉCURITÉ PUBLIQUE ET DE LA

PROTECTION CIVILE

 

 

 

défendeurs

 

 

 

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

[1]        Il s’agit d’une demande de contrôle judiciaire, en vertu du paragraphe 72(1) et de l’alinéa 72(2)b) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27 (la Loi), d’une décision d’un agent de Citoyenneté et Immigration Canada (l’agent), datée du 6 avril 2011, aux termes de laquelle la demande de résidence permanente de la demanderesse a été rejetée (la décision). Cette conclusion était fondée sur la conclusion de l’agent selon laquelle il n’y avait pas de motifs d’ordre humanitaire suffisants pour justifier une exception permettant que la demande de résidence permanente de la demanderesse soit faite depuis le Canada.

 

[2]        La demanderesse demande que la décision de l’agent soit annulée et que la demande soit renvoyée à Citoyenneté et Immigration Canada (CIC) pour qu’un autre agent statue à nouveau sur celle-ci.

 

Le contexte

 

[3]        La demanderesse, Paula Glenda Sylvester, est une citoyenne de la Grenade. À l’époque où elle était enfant puis jeune femme, sa mère l’a maltraitée physiquement et psychologiquement, parce qu’elle était née d’une union interraciale entre sa mère, qui s’identifie comme blanche, et un homme noir. Son père a repoussé ses demandes d’aide, parce qu’il prétendait qu’il avait trop d’enfants (dix) à sa charge. La demanderesse a également été agressée sexuellement par un cousin plus âgé, qui a menacé de la tuer si elle dénonçait l’agression à la police. Pour tenter d’échapper aux mauvais traitements, la demanderesse a fui au Canada, où elle est arrivée à titre de visiteuse le 18 juillet 1990. Depuis qu’elle a fui la Grenade, la demanderesse n’y est jamais retournée et elle n’a maintenu aucun contact avec sa famille là-bas.

 

[4]        À son arrivée au Canada, la demanderesse est demeurée dans une maison de chambre, où l’oncle de son ami lui a volé de l’argent et l’a violée. Par crainte d’être expulsée, la demanderesse n’a pas dénoncé ces abus.

 

[5]        En 1997, la demanderesse était engagée dans une relation avec un homme du nom d’Alfred Charles. Ils ont vécu ensemble de mai à septembre 1997. Le 15 décembre 1997, le fils du couple, Yannick N’Kimie Charles, est né. Il est citoyen du Canada (de naissance) et de la Grenade (étant né à l’étranger d’une mère grenadienne). Depuis la naissance, c’est principalement la demanderesse qui a pris soin de son fils. Par ordonnance judiciaire, la demanderesse a obtenu la garde entière de son fils en 2005. En même temps, Alfred Charles a commencé à payer la pension ordonnée par la cour et à avoir des visites régulières avec son fils.

 

[6]        La demanderesse a été employée comme nettoyeuse de 1993 à 2005. En 2005, lorsque son employeur a déménagé, la demanderesse est devenue chômeuse, et elle a ensuite souffert d’anxiété et de dépression. Depuis, elle touche des prestations en vertu du programme Ontario au travail.

 

[7]        Entre 2001 et 2005, la demanderesse a été inscrite comme étudiante à temps partiel au programme Parkdale Project Read, un programme communautaire d’alphabétisation pour adultes. Depuis qu’elle a perdu son emploi en 2005, la demanderesse est inscrite à temps plein à ce programme.

 

[8]        En février 2005, la demanderesse a déposé une demande d’asile. Aux termes d’une décision datée du 21 juillet 2005, la Section de la protection des réfugiés (la SPR) a statué que la demanderesse n’avait pas la qualité de réfugiée au sens de la Convention ni celle de personne à protéger. Pour en arriver à cette conclusion, la SPR s’est appuyée sur la période (15 ans) que la demanderesse avait passée au Canada illégalement, la SPR ayant conclu que cette période tendait à indiquer une absence de crainte subjective de renvoi et l’amélioration de la disponibilité de la protection de l’État pour les femmes victimes de mauvais traitements à la Grenade. La SPR a également noté :

La [demanderesse] a affirmé qu’elle n’a plus de raison de craindre sa mère qui est maintenant âgée; elle a également reconnu que la crainte qu’elle éprouve à l’égard de son cousin n’est peut‑être que dans sa tête.

 

[9]        Enfin, la SPR a affirmé que les considérations d’ordre humanitaire ne relevaient pas de son mandat. La demanderesse a déposé une demande d’autorisation et de contrôle judiciaire de cette décision, qui a été rejetée le 20 avril 2006.

 

[10]      Le 11 juin 2004, la demanderesse a déposé une demande fondée sur des motifs d’ordre humanitaire en vue d’être dispensée de l’obligation de déposer une demande de résidence permanente depuis l’étranger. Le 9 janvier 2008, en réponse à une demande de mise à jour des renseignements relatifs à sa situation, la demanderesse a communiqué des observations additionnelles. Ces dernières observations décrivaient le parcours d’immigration de la demanderesse, son établissement économique et son engagement communautaire au Canada ainsi que ses liens étroits avec son fils. Les observations citaient également des éléments de preuve documentaire sur la situation à la Grenade, au soutien de la prétention selon laquelle la demanderesse éprouverait des difficultés inhabituelles et injustifiées si elle retournait à la Grenade. Ces éléments de preuve démontraient notamment une pauvreté largement répandue et des taux élevés de chômage et d’inaccessibilité à l’éducation. Les observations énonçaient également que les répercussions des ouragans de 2004 et 2005 sur les inégalités existantes entre les sexes amplifieraient les difficultés que la demanderesse éprouverait si elle retournait à la Grenade. Enfin, les observations comprenaient aussi un résumé de la violence familiale que la demanderesse avait subie aux mains de sa mère et de son cousin, à l’époque où elle vivait à la Grenade.

 

[11]      Dans une lettre datée du 17 mars 2008, la demanderesse a communiqué des observations additionnelles au soutien de sa demande fondée sur des motifs d’ordre humanitaire. Ces observations consistaient en une lettre d’Ellen Fantus, une psychologue agréée, comportant une évaluation du fils de la demanderesse. Mme Fantus reconnaissait les liens étroits entre la mère et fils, affirmant que la demanderesse était non seulement un parent, mais aussi la meilleure amie de son fils. Le fils de la demanderesse avait des problèmes sociaux à l’école, qui faisaient baisser ses résultats scolaires, et la psychologue recommandait qu’il participe à un programme de camp d’été et à des groupes communautaires de formation aux aptitudes sociales.

 

[12]      En réponse à une nouvelle demande de mise à jour au sujet de la situation de la demanderesse, celle-ci a communiqué d’autres observations dans une lettre datée du 9 février 2010. Ces observations énonçaient que les motifs d’ordre humanitaires exposés dans la lettre précédente de janvier 2008 étaient toujours d’actualité et réitéraient dans une large mesure la chronologie du cas de la demanderesse, son établissement social au Canada et des facteurs relatifs à ses liens avec des membres de sa famille.

 

[13]      Le 27 octobre 2010, la demanderesse a déposé une demande d’évaluation des risques avant renvoi (ERAR).


La décision de l’agent

 

[14]      Dans une lettre datée du 6 avril 2011, l’agent a rejeté la demande de résidence permanente fondée sur des motifs d’ordre humanitaire déposée par la demanderesse depuis le Canada.

 

[15]      Dans les notes au dossier qui font partie de la décision, l’agent a énuméré les documents qui avaient été pris en compte dans le cadre de l’évaluation, notamment :

  • la demande de dispense de l’exigence relative au visa de résidente permanente;
  • les observations additionnelles communiquées jusqu’au 12 novembre 2010;
  • les observations et des décisions relatives aux motifs d’ordre humanitaire;
  • la demande d’ERAR et les observations à l’appui;
  • les motifs de décision de la SPR;
  • des éléments de preuve documentaire recueillis dans le cadre de recherches indépendantes.

 

[16]      L’agent a reconnu qu’une décision favorable fondée sur des motifs d’ordre humanitaire est une mesure exceptionnelle, prise à l’égard d’une situation particulière, et qu’il incombe à la partie demanderesse de convaincre l’agent que sa situation personnelle, y compris l’intérêt supérieur de tout enfant touché, est telle que les difficultés liées à l’obtention d’un visa de résidente permanente depuis l’étranger seraient inhabituelles ou injustifiées ou excessives.

 

[17]      Concernant les facteurs de risque, l’agent a noté que la demanderesse avait formulé les mêmes allégations de risque dans sa demande d’asile et dans sa demande d’ERAR. L’agent a également souligné que la barre était moins haute dans le cadre de l’examen d’une demande fondée sur des motifs d’ordre humanitaire que dans le cadre d’un ERAR. L’agent a ensuite reconnu les facteurs de risque que la demanderesse invoquait au soutien de sa demande fondée sur des motifs d’ordre humanitaire, à savoir : les difficultés qu’elle éprouverait ou les sanctions qu’elle subirait à son retour à la Grenade, son établissement au Canada et l’intérêt supérieur de son fils.

 

[18]      Le premier facteur de risque était fondé sur les prétentions de la demanderesse selon lesquelles, si elle était renvoyée à la Grenade, elle éprouverait des difficultés aux mains de son cousin, qui l’avait agressée pendant de nombreuses années et avait menacé de la tuer si elle le dénonçait à la police. La demanderesse alléguait que c’était pour cette raison qu’elle était venue au Canada en 1990 et qu’elle avait par la suite déposé une demande d’asile auprès de la SPR en 2005. Après avoir brièvement examiné la conclusion de la SPR, l’agent a examiné les éléments de preuve documentaire sur la situation à la Grenade et a conclu que les droits individuels y étaient protégés, que l’État tentait, avec un certain succès jusqu’à présent, de régler les problèmes de violence contre les femmes et que la Grenade était un pays démocratique doté d’un système judiciaire et d’une force policière qui fonctionnent. L’État a également commencé à s’attaquer à la corruption. L’agent a estimé qu’il n’y avait pas suffisamment d’éléments de preuve démontrant que la demanderesse avait été ciblée ou menacée ni qu’elle ne pourrait pas obtenir la protection de l’État au besoin.

 

[19]      Quant à la question de l’établissement, l’agent a reconnu que la demanderesse était au Canada depuis une vingtaine d’années. Entre 1993 et 2005, elle avait été employée comme nettoyeuse. Lorsque son employeur avait déménagé en 2005, la perte de son emploi lui avait causé du stress, et elle touchait depuis des prestations d’aide sociale. Cependant, puisqu’aucun élément de preuve médicale n’avait été produit et puisque les éléments de preuve relatifs au pays indiquaient que les personnes atteintes de troubles de santé mentale avaient accès à des établissements à la Grenade, l’agent a conclu que la demanderesse n’éprouverait pas de difficultés si elle devait composer avec ses problèmes de santé à la Grenade.

 

[20]      L’agent a noté que la demanderesse s’était inscrite comme étudiante à temps plein au programme d’alphabétisation Project Read et qu’elle développait des habiletés de lecture et d’écriture et des habiletés informatiques et autres. En outre, la demanderesse était engagée dans sa collectivité auprès de son église et de comités connexes. L’agent a reconnu le dossier civil sans tache de la demanderesse, mais il a noté qu’aucun élément de preuve n’avait été présenté au sujet de sa gestion fiscale au Canada. En somme, puisque son séjour prolongé au Canada avait été dépendant de sa volonté, l’agent a estimé qu’il n’y avait pas suffisamment d’éléments de preuve pour étayer la conclusion que la demanderesse était tellement intégrée à la société canadienne que son départ lui causerait des difficultés inhabituelles ou injustifiées ou excessives.

 

[21]      En ce qui concerne l’intérêt supérieur de l’enfant, l’agent a admis les éléments de preuve selon lesquels le fils de la demanderesse né au Canada était bien établi à l’école en Ontario. Cependant, bien que ce ne fût pas déterminant, l’agent a noté qu’aucun rapport sur son évolution ni aucune lettre de recommandation de ses professeurs n’avaient été fournis. En outre, bien que la preuve d’une rencontre avec une psychologue ait été présentée, l’agent a noté qu’il n’y avait aucun élément de preuve démontrant que l’enfant recevait un counselling continu. Le rapport de la psychologue mentionnait que l’enfant avait un demi-frère qui vivait en Ohio; cependant, aucun élément de preuve n’avait été présenté pour tendre à indiquer que les deux demi-frères étaient en contact. En outre, les éléments de preuve tendaient à indiquer que l’enfant ne s’était engagé que récemment dans une véritable relation avec son père.

 

[22]      L’agent a admis les prétentions de la demanderesse selon lesquelles l’enfant serait privé d’une relation significative avec son père s’il était envoyé à la Grenade et, inversement, qu’il serait privé d’une relation significative avec sa mère si celle-ci était renvoyée à la Grenade tandis que son fils demeurerait au Canada avec son père. Cependant, l’agent a noté la détermination de la Grenade à veiller aux droits et au bien-être des enfants et à leur assurer une éducation gratuite, et le fait que l’anglais était une des langues officielles de la Grenade. En outre, puisque l’enfant est citoyen du Canada et de la Grenade, l’agent a conclu qu’il n’y avait aucun obstacle juridique à ce qu’il réside à la Grenade. Par conséquent, bien qu’il soit dans l’intérêt supérieur de la plupart des enfants de demeurer avec leurs parents, l’agent a conclu qu’il reviendrait aux parents de décider avec lequel des deux l’enfant demeurerait. Compte tenu des éléments de preuve, l’agent a conclu qu’il n’y aurait pas de répercussions négatives importantes sur l’enfant si la demanderesse déménageait à la Grenade.

 

[23]      Enfin, l’agent a conclu que, bien que la demanderesse ait été absente de son pays d’origine depuis 1990, le fait qu’elle était une citoyenne, qu’elle avait de la famille là-bas et que ses nouvelles compétences étaient transférables à la Grenade étayait la conclusion selon laquelle elle serait capable de s’y réinstaller.

 

[24]      En résumé, l’agente a souligné que le processus de demandes fondées sur des motifs d’ordre humanitaire n’est pas conçu pour éliminer toutes les difficultés. Il est conçu pour éviter les difficultés inhabituelles, injustifiées ou excessives. Un retour à la Grenade pourrait causer des difficultés, mais l’agent n’était pas convaincu, compte tenu des éléments de preuve dont il disposait, que les difficultés occasionnées seraient inhabituelles, injustifiées ou excessives.

 

Les questions en litige

 

[25]      La demanderesse soulève les questions suivantes :

            1.         L’agent a-t-il fait abstraction d’éléments de preuve et omis de tenir compte de l’ensemble de la preuve?

            2.         L’agent a-t-il omis de procéder à une appréciation adéquate de l’intérêt supérieur de l’enfant directement touché par la décision?

            3.         L’agent a-t-il appliqué le mauvais critère lorsqu’il a évalué le risque et/ou les difficultés dans le cadre de son examen de la demande de la demanderesse fondée sur des motifs d’ordre humanitaire?

 

[26]      Je formulerais les questions ainsi :

            1.         Quelle est la norme de contrôle appropriée?

            2.         L’agent a-t-il fait abstraction d’éléments de preuve lorsqu’il a examiné la demande de la demanderesse fondée sur des motifs d’ordre humanitaire?

            3.         L’agent a-t-il procédé à une analyse inadéquate de l’intérêt supérieur de l’enfant touché par la décision?

            4.         L’agent a-t-il appliqué le mauvais critère lorsqu’il a évalué le risque ou les difficultés?

 

Les observations écrites de la demanderesse

 

[27]      La demanderesse soutient que l’agent a omis de procéder à une appréciation de deux des principaux facteurs de difficulté invoqués dans sa demande, à savoir les mauvais traitements qu’elle avait subis aux mains de sa mère et les répercussions que l’ouragan Ivan, survenu en 2004, et des ouragans ultérieurs en 2005 auraient sur ses tentatives de réintégrer la vie à la Grenade.

 

[28]      L’absence d’analyse par l’agent des mauvais traitements infligés par la mère était particulièrement flagrante, puisqu’elle contredisait directement la conclusion de l’agent selon laquelle la demanderesse pourrait compter sur le soutien de sa famille si elle était renvoyée à la Grenade. La demanderesse soutient que cela est manifestement déraisonnable. Elle soutient également que l’agent a omis de tenir compte des éléments de preuve relatifs à la situation dans le pays selon lesquels la destruction causée par les ouragans avait eu des répercussions particulières qui avaient eu pour effet de marginaliser les femmes grenadiennes et leurs enfants sur les plans social et économique.

 

[29]      Compte tenu des conclusions de l’agent, la demanderesse soutient qu’il peut être raisonnablement inféré que l’agent a fait abstraction de ces facteurs de difficulté. Ce défaut de traiter d’observations principales, qui étaient étayées par plusieurs sources citées dans le dossier, constitue une erreur susceptible de contrôle.

 

[30]      La demanderesse soutient également que l’agent n’a pas procédé à une analyse adéquate de l’intérêt supérieur du fils de la demanderesse en appliquant le mauvais critère et en tirant des conclusions déraisonnables à la lumière des éléments de preuve.

 

[31]      La demanderesse soutient que la jurisprudence exige qu’un agent soit « réceptif, attentif et sensible » à l’intérêt supérieur d’un enfant sur qui sa décision pourrait avoir une incidence défavorable et que l’agent ne minimise pas cet intérêt supérieur. Il s’agit là d’une analyse distincte de celle qui consiste à déterminer s’il y a des [TRADUCTION] « difficultés inhabituelles, injustifiées ou excessives ». Par conséquent, l’agent a commis une erreur dans sa décision lorsqu’il s’est interrogé quant à savoir si l’enfant éprouverait des [TRADUCTION] « difficultés inhabituelles, injustifiées ou excessives ». L’agent aurait plutôt dû examiner la question de savoir si un renvoi serait dans l’intérêt supérieur de l’enfant et apprécier cet intérêt au regard des autres facteurs de difficulté évalués dans la demande.

 

[32]      La demanderesse soutient également que l’agent a tiré des conclusions déraisonnables des éléments de preuve dont il disposait. Ces conclusions démontrent que l’agent n’était pas réceptif, attentif et sensible à l’intérêt supérieur de l’enfant. La demanderesse soutient qu’il n’y avait aucun élément de preuve tendant à indiquer que l’enfant demeurerait au Canada si sa mère devait être renvoyée. Au contraire, l’ensemble de la preuve, notamment le fait que la mère avait la garde entière ainsi que le lien de dépendance déclaré de son fils à l’égard de sa mère, indiquait qu’il quitterait le Canada si elle était renvoyée. Il n’y aurait donc aucune décision parentale, contrairement à ce que l’agent a affirmé, puisqu’il était certain que l’enfant resterait avec sa mère. Étant donné que l’agent a omis de reconnaître ce fait, il n’a pas examiné les répercussions financières du renvoi de la mère et de l’enfant à la Grenade. Ces répercussions comprendraient les difficultés économiques découlant des répercussions des récents ouragans et de la perte des pensions alimentaires que la cour avait ordonné au père de verser, en raison de l’absence de mécanisme d’exécution d’un jugement ontarien à la Grenade.

 

[33]      La demanderesse soutient que l’agent a commis une erreur de droit en appliquant le mauvais critère lorsqu’il a évalué le risque dans le cadre de sa demande fondée sur des motifs d’ordre humanitaire. Plutôt que d’évaluer le risque selon les critères des articles 96 et 97 de la Loi, l’agent aurait dû procéder à une évaluation holistique plus large, en tenant compte de l’intérêt public et de l’intérêt supérieur de tout enfant touché par la décision. Cependant, dans la décision, la demanderesse soutient que l’agent a tiré des conclusions très similaires à celles tirées dans le cadre de l’évaluation du risque dans la décision rendue à la suite de sa demande d’ERAR. Cela était problématique, parce qu’à la différence d’une demande d’ERAR ou d’une demande d’asile, la protection de l’État n’est pas censée être un facteur déterminant dans le cadre d’une demande fondée sur des motifs d’ordre humanitaire. La demanderesse soutient que l’agent aurait dû évaluer si la demanderesse éprouverait des difficultés excessives sur le plan moral si elle était forcée de retourner à un endroit où elle avait été maltraitée à répétition dans le passé et où elle devrait peut‑être demander l’aide des autorités pour éviter d’être agressée de nouveau. Dans la décision, l’agent a omis de s’interroger quant à savoir si, malgré l’existence d’une protection contre les préjudices, la situation de la demanderesse en cas de renvoi justifierait néanmoins la prise de mesures d’ordre humanitaire.

 

Les observations écrites des défendeurs

 

[34]      Les défendeurs soutiennent qu’il n’y a pas de bonne ou de mauvaise réponse à une demande fondée sur des motifs d’ordre humanitaire. À condition que l’agent applique les principes idoines, et examine et apprécie l’ensemble de la preuve, y compris les éléments de preuve relatifs à l’intérêt supérieur de l’enfant, la décision ne devrait pas être annulée. La norme de contrôle qu’il convient d’appliquer aux décisions statuant sur des demandes fondées sur des motifs d’ordre humanitaire est la décision raisonnable.

 

[35]      Les défendeurs soulignent des principes essentiels dont il faut tenir compte selon eux au moment d’apprécier la décision de l’agent. Premièrement, personne n’a droit à une décision favorable fondée sur des motifs d’ordre humanitaire. Ces décisions sont hautement discrétionnaires, et, à condition que l’agent tienne équitablement compte des éléments de preuve pertinents et rende une décision rationnelle, la décision est inattaquable. En outre, le pouvoir discrétionnaire du ministre d’accorder, pour des motifs d’ordre humanitaire, une dispense de l’exigence selon laquelle les demandes de résidence permanente doivent être faites depuis l’étranger constitue une mesure exceptionnelle.

 

[36]      Les défendeurs soutiennent également que le processus de demande fondée sur des motifs d’ordre humanitaire n’est pas conçu pour éliminer tout type de difficulté, mais plutôt pour permettre d’éviter aux demandeurs des difficultés inhabituelles et injustifiées ou excessives. Les demandeurs ont le fardeau exigeant de démontrer qu’ils éprouveraient de telles difficultés s’ils étaient tenus de faire leur demande depuis l’étranger. Les difficultés doivent être plus grandes que les difficultés liées au fait de devoir partir après avoir vécu à un endroit pendant un certain temps.

 

[37]      Les défendeurs soutiennent que le guide de CIC intitulé « Demande présentée par des immigrants au Canada pour des motifs d’ordre humanitaire » (IP5) énonce que les demandes fondées sur des motifs d’ordre humanitaire peuvent donner lieu à des décisions favorables aux demandeurs qui demeurent au Canada sans statut, si cela est attribuable à des circonstances indépendantes de leur volonté. Cependant, le demandeur qui demeure au Canada illégalement n’est pas considéré ni dans le guide IP5 ni selon la jurisprudence établie comme une personne qui est tributaire de circonstances indépendantes de sa volonté. Enfin, les motifs de l’agent devraient être lus comme un tout, et non scrutés au microscope pour y déceler des erreurs.

 

[38]      Concernant la présente espèce, les défendeurs soutiennent que l’agent a convenablement pris en compte et soupesé tous les renseignements relatifs à la demanderesse et à son fils. C’est ainsi que l’agent a notamment pris en compte et soupesé les éléments de preuve qui militaient en faveur de la position de la demanderesse et qu’il a aussi constaté que les éléments de preuve suivants manquaient :

            une preuve médicale, notamment des éléments de preuve de traitement, étayant la prétention de la demanderesse selon laquelle elle souffrait de maladie mentale;

      une preuve documentaire, comme des renseignements relatifs à des comptes bancaires ou des renseignements fiscaux, pour étayer l’affirmation de la demanderesse selon laquelle elle était stable au plan financier;

      des éléments de preuve, comme des rapports sur l’évolution du fils ou des lettres de professeurs, pour étayer l’affirmation de la demanderesse selon laquelle son fils était bien intégré à l’école.

 

[39]      Les défendeurs soutiennent également que l’argument de la demanderesse selon lequel l’agent a omis de tenir compte de sa mère abusive et des conséquences des ouragans est dénué de fondement. Ces questions n’ont pas été présentées comme des facteurs de difficulté principaux dans les observations de la demanderesse de janvier 2008 ou de février 2010. Ces dernières observations évoquaient plus généralement la difficulté qu’il y aurait à retourner à la Grenade après avoir été à l’étranger pendant vingt ans ainsi que la possibilité que la demanderesse ait affaire à sa mère et à son cousin.

 

[40]      Les défendeurs soutiennent que l’agent a tenu compte de la preuve et des observations, y compris la précédente décision de la SPR qui prenait acte du témoignage antérieur de la demanderesse selon lequel elle ne craignait plus sa mère. Les défendeurs soutiennent également qu’il était loisible à l’agent de ne pas considérer que les mauvais traitements que la demanderesse avait subis dans son enfance tendaient à indiquer qu’elle éprouverait des difficultés indues, injustifiées ou excessives si elle retournait en tant qu’adulte. Enfin, l’ouragan Ivan est survenu en 2004, plusieurs années avant la décision de 2011, et ce facteur n’était pas non plus souligné comme étant particulièrement important dans les observations de la demanderesse. L’agent n’a donc pas commis d’erreur en ne traitant pas précisément de l’ouragan ou de ses répercussions sur le pays.

 

[41]      Les défendeurs notent qu’il existe une présomption selon laquelle un tribunal a tenu compte de tous les documents qui lui avaient été présentés, même lorsqu’ils ne sont pas tous mentionnés expressément dans les motifs. En l’espèce, les défendeurs soutiennent que les renseignements au sujet de la mère abusive et de l’ouragan n’étaient pas importants ou essentiels au regard de la demande au point de devoir être mentionnés expressément par l’agent.

 

[42]      Les défendeurs soutiennent que l’agent a convenablement tenu compte de l’intérêt supérieur de l’enfant et que cela a mené à une conclusion raisonnable selon laquelle l’intérêt supérieur de l’enfant ne justifiait pas une dispense en l’espèce. Les défendeurs citent de la jurisprudence selon laquelle, disent-ils, bien que la demanderesse et son fils estiment qu’il serait dans l’intérêt supérieur du fils que celui-ci et sa mère restent ensemble, ce fait à lui seul ne règle pas la question. En outre, le fait que l’agent ait parlé de [TRADUCTION] « difficultés inhabituelles, injustifiées ou excessives » dans son analyse ne constituait pas un motif d’infirmer la décision, dans la mesure où l’agent avait tout de même examiné et analysé convenablement l’intérêt supérieur de l’enfant.

 

[43]      Enfin, les défendeurs soulignent le fait que la question de l’intérêt supérieur de l’enfant n’est pas déterminante dans le cadre des décisions statuant sur des demandes fondées sur des motifs d’ordre humanitaire. Après que l’agent a cerné et défini les intérêts de l’enfant, il doit déterminer quel poids leur accorder compte tenu des circonstances de l’espèce. Dans la présente affaire, l’agent n’a pas commis d’erreur en faisant abstraction d’éléments de preuve pertinents, ni en prenant en compte des éléments de preuve non pertinents.

 

[44]      Les défendeurs soulignent le fait que la demanderesse a invoqué des éléments de preuve et formulé des observations similaires dans sa demande d’ERAR ainsi que dans sa demande fondée sur des motifs d’ordre humanitaire. Il était donc inévitable que les analyses de ces éléments de preuve se recoupent dans une certaine mesure dans les deux décisions. Il est de jurisprudence constante qu’un agent peut adopter des conclusions de fait formulées dans la décision statuant sur une demande d’ERAR dans l’analyse qu’il développe dans sa décision statuant sur une demande fondée sur des motifs d’ordre humanitaire.

 

[45]      En résumé, les défendeurs soutiennent que la demanderesse fait essentiellement valoir qu’il n’y avait qu’une seule bonne réponse que l’agent pouvait donner au terme de son examen de la demande de la demanderesse fondée sur des motifs d’ordre humanitaire. Cependant, ces décisions sont discrétionnaires, et les défendeurs soutiennent que la demanderesse n’a pas réussi à démontrer que l’agent avait commis une erreur susceptible de contrôle dans sa décision.


La réponse écrite de la demanderesse

 

[46]      En réponse, la demanderesse soutient que, contrairement à ce que font valoir les défendeurs, elle a présenté, dans ses observations de 2008 et dans celles de 2010, comme des facteurs de difficulté principaux les mauvais traitements infligés par des membres de sa famille et les répercussions des ouragans. La demanderesse note que les défendeurs ont concédé que l’agent n’avait pas considéré que c’étaient les mauvais traitements qu’elle avait subis à la Grenade qui l’avaient motivée à venir au Canada. Le défaut de tenir compte d’un aspect aussi important de la situation de la demanderesse rend la décision de l’agent incomplète et déraisonnable. En outre, la demanderesse soutient que la conclusion de l’agent, selon laquelle le retour de la demanderesse dans la société grenadienne serait facilité par la présence de sa famille, tend à indiquer un manque total de soin dans l’examen du dossier, compte tenu de la preuve de mauvais traitements aux mains de sa famille. La jurisprudence établit clairement qu’un agent ne peut pas faire abstraction d’éléments de preuve.

 

[47]      En ce qui concerne l’analyse de l’intérêt supérieur de l’enfant, la demanderesse reconnaît que, bien que des mots précis ne devraient pas être déterminants quant au fond véritable de l’analyse, tant la forme que le fond de l’analyse de ce facteur par l’agent étaient inadéquats. En outre, l’agent avait l’obligation de donner des motifs adéquats et suffisants sur ce point. Cependant, en l’espèce, l’analyse que l’agent a faite de ce facteur est confinée aux deux derniers paragraphes de la partie de la décision qui traite de l’intérêt supérieur de l’enfant. Les autres paragraphes ne faisaient que relater les éléments de preuve et les observations de la demanderesse. Il ne s’agissait donc pas d’une analyse rationnelle qui démontrait que l’agent était réceptif, attentif et sensible aux intérêts de l’enfant.

 

Analyse et décision

 

[48]      La première question en litige

      Quelle est la norme de contrôle appropriée?

            Lorsque la jurisprudence antérieure a déterminé la norme de contrôle applicable à une question dont la cour de susceptible de contrôle est saisie, celle-ci peut adopter cette norme (voir Dunsmuir c Nouveau-Brunswick, 2008 CSC 9, [2008] 1 RCS 190, au paragraphe 57).

 

[49]      Il est de jurisprudence constant que la décision d’un agent d’immigration d’autoriser une demande de résidence permanente depuis le Canada pour des motifs d’ordre humanitaire est susceptible de contrôle selon la norme de la décision raisonnable (voir Kisana c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2009 CAF 189, [2009] ACF no 713, au paragraphe 18; Adams c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2009 CF 1193, [2009] ACF no 1489, au paragraphe 14; Garcia De Leiva c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2010 CF 717, [2010] ACF no 868, au paragraphe 13).

 

[50]      Lorsqu’elle contrôle la décision d’un agent selon la norme de la raisonnabilité, la Cour ne devrait pas intervenir, à moins que l’agent ne soit arrivé à une conclusion qui n’est pas transparente, justifiable et intelligible et qui n’appartient pas aux issues acceptables selon les éléments de preuve dont il disposait (voir Dunsmuir, précité, au paragraphe 47; Canada (Citoyenneté et Immigration) c Khosa, 2009 CSC 12, [2009] ACS no 12, au paragraphe 59). Comme la Cour suprême l’a statué dans Khosa, précité, « la cour de susceptible de contrôle ne peut y substituer l’issue qui serait à son avis préférable [et] il [ne] rentre [pas] dans les attributions de la cour de révision de soupeser à nouveau les éléments de preuve » (au paragraphe 59).

 

[51]      En ce qui concerne l’affidavit additionnel produit par la demanderesse, je ne suis pas disposé, étant donné les faits de l’espèce, à en tenir compte dans le cadre de la présente demande de contrôle judiciaire. L’affidavit n’est pas nécessaire et l’agent qui a rendu la décision n’en disposait pas. De manière générale, le dossier aux fins d’une demande de contrôle judiciaire se compose des documents dont disposait l’agent.

 

[52]      Je traiterai d’abord de la troisième question en litige.

 

[53]      La troisième question en litige

            L’agent a-t-il procédé à une analyse inadéquate de l’intérêt supérieur de l’enfant touché par la décision?

            Il existe une jurisprudence abondante sur l’appréciation de l’intérêt supérieur de l’enfant au titre du paragraphe 25(1) de la Loi. Des décisions ont été jugées déraisonnables lorsque les intérêts de l’enfant étaient minimisés d’une manière incompatible avec la tradition humanitaire du Canada (voir Baker c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1999] 2 RCS 817, aux paragraphes 73 et 75). L’appréciation doit être faite soigneusement et avec sympathie d’une manière qui démontre que l’agent a été réceptif, attentif et sensible à l’intérêt supérieur de l’enfant touché. Il ne suffit pas de simplement affirmer que les intérêts ont été pris en compte ou de mentionner simplement les intérêts de l’enfant ou les liens avec les enfants en cause (voir Hawthorne c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2002 CAF 475, [2003] 2 CF 555, au paragraphe 32). Les intérêts de l’enfant doivent être bien identifiés, et doivent être définis et examinés avec beaucoup d’attention (voir Hawthorne, précité, au paragraphe 32; Legault c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2002 CAF 125, [2002] ACF no 457, aux paragraphes 12 et 31).

 

[54]      Il incombe à la demanderesse de fournir des éléments de preuve démontrant les incidences négatives que son départ aurait sur l’enfant. L’agent doit tenir compte de tout élément de preuve semblable qui lui est présenté (voir Liniewska c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2006 CF 591, [2006] ACF no 779, au paragraphe 20). Des motifs de réunification familiale à eux seuls ne sont pas suffisants. Les demandeurs doivent démontrer que faire une demande de résidence permanente depuis l’étranger risquerait de leur causer des difficultés inhabituelles, injustifiées ou excessives (voir Castillo c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2009 CF 409, [2009] ACF no 543, au paragraphe 21).

 

[55]      En outre, bien qu’il s’agisse d’un facteur important, il n’existe pas de présomption prima facie selon laquelle les intérêts de l’enfant devraient primer et l’emporter sur d’autres considérations (voir Legault, précité, au paragraphe 13; Okoloubu c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2008 CAF 326, [2008] ACF no 1495, au paragraphe 48). Il appartient à l’agent de déterminer quel poids accorder aux intérêts des enfants touchés (voir Sinniah c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2011 CF 1285, [2011] ACF no 1568, au paragraphe 57). Enfin, comme la Cour d’appel l’a affirmé dans l’arrêt Kisana, précité, au paragraphe 24 : « un demandeur ne peut s’attendre à une réponse favorable à sa demande fondée sur des raisons d’ordre humanitaire simplement parce que l’intérêt supérieur de l’enfant milite en faveur de ce résultat ».

 

[56]      En l’espèce, la demanderesse soutient que l’agent a commis une erreur dans son appréciation de l’intérêt supérieur de son fils né au Canada. Dans la décision, l’agent a reconnu l’établissement du fils de la demanderesse à l’école. Cependant, l’agent a noté que les éléments suivants manquaient dans la demande fondée sur des motifs d’ordre humanitaire :

            il n’y avait aucun rapport sur l’évolution du fils, ni aucune lettre de recommandation de ses professeurs;

            il n’y avait aucune preuve de counselling continu;

            il n’y avait aucune preuve du maintien de liens avec le demi-frère du fils vivant aux États‑Unis.

 

[57]      L’agent a également noté que le fils et son père n’avaient commencé à nouer des liens que récemment. Si le fils était renvoyé à la Grenade, cela nuirait probablement à cette relation; de même, si le fils demeurait au Canada, cela nuirait probablement à sa relation avec sa mère. Il faudrait donc qu’une décision parentale soit prise quant à savoir avec lequel du père ou de la mère l’enfant resterait. Étant donné que les éléments de preuve relatifs à la situation à la Grenade indiquaient que l’État valorisait l’instruction gratuite et les droits et le bien-être des enfants et que l’anglais, langue maternelle du fils, était également une langue officielle de la Grenade, l’agent n’a pas estimé que le renvoi de la demanderesse aurait des incidences négatives importantes sur l’enfant qui équivaudrait à des difficultés inhabituelles et injustifiées ou excessives.

 

[58]      La demanderesse soutient que l’agent a appliqué le mauvais critère pour en arriver à sa conclusion sur cette question. Plutôt que d’examiner si l’enfant éprouverait des [TRADUCTION] « difficultés inhabituelles, injustifiées ou excessives », l’agent aurait dû examiner si un renvoi serait dans l’intérêt supérieur de l’enfant et examiner cet intérêt au regard des autres facteurs de difficulté évalués dans la demande fondée sur des motifs d’ordre humanitaire. Inversement, les défendeurs soutiennent que le fait que la demanderesse et son fils aient estimé qu’il serait dans l’intérêt supérieur de l’enfant de rester avec sa mère au Canada ne réglait pas la question. De plus, l’emploi des mots [TRADUCTION] « difficultés inhabituelles, injustifiées ou excessives » par l’agent ne constituait pas un motif d’infirmer la décision, étant donné que l’agent avait tout de même examiné et analysé convenablement l’intérêt supérieur de l’enfant.

 

[59]      Il est de jurisprudence constante qu’une analyse de « l’intérêt supérieur » n’exige pas qu’un demandeur établisse des difficultés inhabituelles, injustifiées ou excessives en rapport avec l’intérêt supérieur d’un enfant touché (voir Sinniah, précitée, au paragraphe 59; Arulraj c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2006 CF 529, [2006] ACF no 672, au paragraphe 14; Hawthorne, précité, au paragraphe 9).

 

[60]      Comme il a déjà été mentionné, « l’analyse de l’intérêt supérieur » exige qu’un agent montre qu’il est réceptif, attentif et sensible à l’intérêt supérieur de l’enfant dont il est question. Dans la décision Kolosovs c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2008 CF 165, [2008] ACF no 211, monsieur le juge Douglas Campbell a expliqué ce que signifiait cette exigence.

 

[61]      Être réceptif signifie que l’agent « doit montrer qu’il est au courant de l’intérêt supérieur de l’enfant en indiquant les manières dont cet intérêt entre en jeu » (voir Kolosovs, précitée, au paragraphe 9). Voici des exemples de facteurs pertinents :

            1.         l’âge de l’enfant;

            2.         le niveau de dépendance entre l’enfant et l’auteur de la demande fondée sur des motifs d’ordre humanitaire;

            3.         le degré d’établissement de l’enfant au Canada;

            4.         les liens de l’enfant avec le pays concerné par la demande fondée sur des motifs d’ordre humanitaire;

            5.         les problèmes de santé ou les besoins spéciaux de l’enfant, le cas échéant;

            6.         les conséquences sur l’éducation de l’enfant;

            7.         les questions relatives au sexe de l’enfant.

 

[62]      Monsieur le juge Campbell a expliqué qu’être « attentif à l’intérêt supérieur de l’enfant » signifie que l’agent doit montrer « qu’il comprend bien le point de vue de chacun des participants dans un ensemble donné de circonstances, y compris le point de vue de l’enfant s’il est raisonnablement possible de le connaître » (voir Kolosovs, précitée, au paragraphe 11).

 

[63]      Enfin, en ce qui concerne l’exigence de « sensibilité », monsieur le juge Campbell a expliqué (voir Kolosovs, précitée, au paragraphe 12) :

[…] Pour montrer qu’il est sensible à l’intérêt de l’enfant, l’agent doit pouvoir exposer clairement les épreuves qui résulteront pour l’enfant d’une décision défavorable, puis dire ensuite si, compte tenu également des autres facteurs, les épreuves en question justifient une dispense pour motifs d’ordre humanitaire. […]

 

 

[64]      Pour revenir à la décision, je note que l’agent attire peu l’attention sur les liens étroits entre la demanderesse et son fils qui étaient clairement évoqués tout au long de la demande fondée sur des motifs d’ordre humanitaire. L’agent n’examine pas le degré d’établissement de l’enfant au Canada, ses liens limités avec la Grenade, les questions d’ordre médical ni les conséquences sur son éducation. Sur ces deux derniers points, l’agent note le manque d’éléments de preuve, notamment l’absence de counselling continu et l’absence de rapports sur l’évolution de l’enfant ainsi que de lettres de recommandation de ses professeurs. Ainsi, l’agent était réceptif dans une certaine mesure à l’intérêt supérieur de l’enfant.

 

[65]      Cependant, la décision ne démontre pas que l’agent était attentif à l’intérêt supérieur de l’enfant. La preuve tend à indiquer que ce n’est que récemment que l’enfant a commencé à nouer des liens véritables avec son père et qu’il continue de dépendre grandement du soutien émotionnel de sa mère, qui est décrite comme sa [TRADUCTION] « meilleure amie » dans le rapport de la psychologue. Sauf pour dire que la décision quant à savoir où vivra l’enfant est une décision parentale, l’agent ne s’interroge pas sur l’intérêt supérieur de l’enfant par rapport à cette décision. De plus, l’agent n’évoque pas clairement les souffrances qu’éprouverait l’enfant dans l’hypothèse d’une décision défavorable et de sa séparation qui s’ensuivrait de son père ou, peut-être chose plus importante, de la demanderesse, sa mère.

 

[66]      En outre, comme l’a soutenu la demanderesse, l’ensemble de la preuve tendait à indiquer que, si la demanderesse était expulsée, l’enfant quitterait le Canada avec elle. Bien que la preuve sur la situation dans le pays porte à croire que la situation tend à se stabiliser à la Grenade, le fait que la demanderesse ait été à l’étranger pendant vingt ans, qu’elle ne soit pas restée en contact avec sa famille, qu’elle ait acquis de nouvelles compétences au Canada, mais qu’elle ne les ait pas encore mises en pratique (elle est toujours étudiante à temps plein) et qu’elle éprouverait vraisemblablement des difficultés à continuer de recevoir une pension alimentaire à l’étranger porte à croire que la demanderesse et son fils éprouveraient d’importantes difficultés économiques à la Grenade. Dans l’arrêt Hawthorne, précité, le défaut de l’agent de tenir compte des conséquences financières du renvoi de la mère pour l’enfant a été jugé constituer un des indices démontrant que l’agent n’avait pas été réceptif, attentif et sensible à l’intérêt supérieur de l’enfant (au paragraphe 10).

 

[67]      Enfin, les faits de la présente espèce se distinguent de ceux de l’affaire Pannu c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2006 CF 1356, [2006] ACF no 1695. Dans cette affaire, l’agent avait employé des termes similaires à ceux employés par l’agent en l’espèce, lorsqu’il avait affirmé (au paragraphe 38) :

[traduction] Je suis également d’avis que la demanderesse n’a pas établi que les difficultés générales entraînées par l’obligation de se réinstaller et de s’établir à nouveau dans un autre pays auraient sur sa fille d’importantes répercussions négatives pouvant équivaloir à des difficultés inhabituelles, injustifiées ou excessives.

 

[68]      Cependant, la décision de l’agent dans l’affaire Pannu, précitée, a été confirmée, puisque l’agent avait conclu que l’enfant s’adapterait en Inde, étant donné qu’elle parlait le panjabi, qu’elle avait fréquenté un établissement préscolaire panjabi et qu’elle avait été exposée à la culture panjabi au sein de la communauté sikhe à Surrey. Aucune attache culturelle semblable n’a été alléguée en l’espèce, de sorte que le fils de la demanderesse aurait vraisemblablement de la difficulté à s’ajuster à la Grenade.

 

[69]      Ainsi, j’estime que l’agent n’a pas soupesé adéquatement l’intérêt supérieur de l’enfant lorsqu’il a apprécié la demande fondée sur des motifs d’ordre humanitaire. Ce facteur aurait dû être évalué convenablement puis pondéré en regard d’autres facteurs comme l’intérêt public (voir Mangru c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2011 CF 779, [2011] ACF no 978, au paragraphe 27). Cette conclusion est similaire à celle de monsieur le juge Michael Phelan dans la décision Singh Sahota c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2011 CF 739, [2011] ACF no 927, au paragraphe 8 :

[…] Bien que la question des « difficultés excessives » se pose en dernière analyse dans le cadre d’une demande fondée sur des motifs d’ordre humanitaire, l’analyse de l’« intérêt supérieur » constitue une considération distincte. L’agent a omis de préserver la distinction entre ces deux questions, de sorte que son évaluation de l’intérêt supérieur des enfants est déraisonnable

 

[70]      Je conclus donc que l’appréciation que l’agent a faite de l’intérêt supérieur de l’enfant touché était déraisonnable et que la décision devrait être annulée pour ce motif.

 

[71]      Vu ma conclusion quant à la troisième question en litige, je n’ai pas besoin de traiter des autres questions.

 

[72]      La demande de contrôle judiciaire sera accueillie, et l’affaire sera renvoyée à un autre agent pour qu’il statue à nouveau sur celle-ci.

 

[73]      Ni l’une ni l’autre des parties ne m’a présenté de question grave de portée générale à certifier.


JUGEMENT

LA COUR STATUE que la demande de contrôle judiciaire est accueillie, que la décision de l’agent est annulée et que l’affaire est renvoyée à un autre agent pour qu’il statue à nouveau sur celle-ci.

 

 

 

 

« John A. O’Keefe »

Juge

 

 

 

Traduction certifiée conforme

 

Christian Laroche, LL.B.

Juriste-traducteur et traducteur-conseil


ANNEXE

 

Dispositions législatives pertinentes

 

Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27

 

25. (1) Le ministre doit, sur demande d’un étranger se trouvant au Canada qui est interdit de territoire ou qui ne se conforme pas à la présente loi, et peut, sur demande d’un étranger se trouvant hors du Canada, étudier le cas de cet étranger; il peut lui octroyer le statut de résident permanent ou lever tout ou partie des critères et obligations applicables, s’il estime que des considérations d’ordre humanitaire relatives à l’étranger le justifient, compte tenu de l’intérêt supérieur de l’enfant directement touché.

 

 

 

72. (1) Le contrôle judiciaire par la Cour fédérale de toute mesure — décision, ordonnance, question ou affaire — prise dans le cadre de la présente loi est subordonné au dépôt d’une demande d’autorisation.

 

(2) Les dispositions suivantes s’appliquent à la demande d’autorisation :

 

[…]

 

b) elle doit être signifiée à l’autre partie puis déposée au greffe de la Cour fédérale — la Cour — dans les quinze ou soixante jours, selon que la mesure attaquée a été rendue au Canada ou non, suivant, sous réserve de l’alinéa 169f), la date où le demandeur en est avisé ou en a eu connaissance;

 

25. (1) The Minister must, on request of a foreign national in Canada who is inadmissible or who does not meet the requirements of this Act, and may, on request of a foreign national outside Canada, examine the circumstances concerning the foreign national and may grant the foreign national permanent resident status or an exemption from any applicable criteria or obligations of this Act if the Minister is of the opinion that it is justified by humanitarian and compassionate considerations relating to the foreign national, taking into account the best interests of a child directly affected.

 

72. (1) Judicial review by the Federal Court with respect to any matter — a decision, determination or order made, a measure taken or a question raised — under this Act is commenced by making an application for leave to the Court.

 

(2) The following provisions govern an application under subsection (1):

 

[…]

 

 (b) subject to paragraph 169(f), notice of the application shall be served on the other party and the application shall be filed in the Registry of the Federal Court (“the Court”) within 15 days, in the case of a matter arising in Canada, or within 60 days, in the case of a matter arising outside Canada, after the day on which the applicant is notified of or otherwise becomes aware of the matter;

 


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

DOSSIER :                                        IMM-3483-11

 

INTITULÉ :                                       PAULA GLENDA SYLVESTER

 

-     et -

 

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION et LE MINISTRE DE LA SÉCURITÉ PUBLIQUE ET DE LA PROTECTION CIVILE

                                                           

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                 Toronto (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :               Le 13 décembre 2011

 

MOTIFS DU JUGEMENT

ET JUGEMENT :                              LE JUGE O’KEEFE

 

DATE DES MOTIFS :                      Le 5 janvier 2012

 

 

 

COMPARUTIONS :

 

Geraldine Sadoway

 

POUR LA DEMANDERESSE

 

Catherine Vasilaros

POUR LES DÉFENDEURS

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Parkdale Community Legal Services

Toronto (Ontario)

 

POUR LA DEMANDERESSE

Myles J. Kirvan

Sous-procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

POUR LES DÉFENDEURS

 

 

 

 

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